Efficacité de la fertilisation azotée
Le premier objectif visé par l’introduction des fertilisants de synthèse en agriculture était d’augmenter le rendement surfacique des récoltes. Comme l’épandage d’engrais azotée représente généralement le coût d’intrants le plus élevé, ces engrais sont parfois employés avec le facteur financier comme seul critère d’optimisation des quantités épandues [41]. Il se pose donc la question de la réelle efficacité d’une telle pratique de fertilisation azotée. Plusieurs études soulignent que seulement 30 à 50% de l’azote apporté est effectivement utilisé par la culture [42][43][44]. Autrement dit, plus de 50% de la fertilisation azotée est perdue par lessivage, dénitrification, volatilisation ou consommée par les micro-organismes. En 2005, environ 100 Tg d’azote issu du procédé Haber-Bosch a été utilisé en agriculture au niveau mondial alors que seulement 17 Tg d’azote a été consommé par l’Homme sous forme de produits laitiers, viandes ou produits issus des récoltes. On ne peut que constater le manque d’efficacité d’utilisation de l’azote, même en tenant compte des produits non-alimentaires (transport, cuir, laine…) [34]. L’évaluation de l’efficacité de l’azote peut se faire au moyen de l’indicateur « Efficacité d’Utilisation de l’Azote », plus connu en anglais sous le nom Nitrogen Use Efficiency (NUE). Sa définition la plus simple correspond à la biomasse totale de la production (rendement en grain) rapportée à la quantité d’azote disponible dans le sol, en incluant la dose d’engrais apportée [41]. Le NUE varie de manière complexe en fonction de la disponibilité de l’azote dans le sol et de la façon dont les plantes l’assimilent et le remobilisent au cours de leur vie [8]. Les principales sources de variations du NUE peuvent être regroupées dans trois catégories : le génotype de l’espèce, les facteurs environnementaux et la gestion des cultures. Premièrement, il est évident que chaque espèce et variété de plantes disposent de ses propres caractéristiques morphologiques et fonctionnelles (racines, feuilles, etc…) qui influencent directement sa capacité à absorber l’azote du sol et son efficacité à exploiter cet azote pour se développer [45]. En second lieu, les facteurs environnementaux tels que la température, les précipitations ou la texture du sol affectent le NUE car ces paramètres influencent la croissance des plantes et la disponibilité de l’azote du sol via les processus de minéralisation ou de lessivage. Par exemple, les sols sablonneux sont marqués par des vitesses de percolation plus importantes facilitant le phénomène de lessivage au contraire de sols argileux disposant d’une meilleure capacité de rétention de l’eau. Les conditions climatiques et géographiques (bassin versant) ont également un impact crucial sur l’intensité du lessivage de l’azote [46]. Un autre facteur environnemental décisif pour l’assimilation des nutriments par les plantes est la disponibilité des micro- et macroéléments dans le sol et en particulier les rapports massiques entre ces éléments. Ainsi, même à un niveau raisonné de fertilisation azotée et avec une teneur en azote suffisante dans le sol, une carence en phosphore ou potassium limite l’assimilation de l’azote par les plantes et pourra entraîner des pertes en azote [47]. Enfin, l’amélioration du NUE est étroitement liée à la gestion de la culture qui doit adapter la fertilisation aux besoins réels des plantes, localement et au cours du temps. La dose d’engrais et la méthode d’apport ont bien sûr un rôle primordial mais d’autres facteurs moins évidents comme l’arrangement spatial et la densité des cultures interviennent également [48]. Le moment de l’apport doit être choisi judicieusement en fonction du stade de croissance de la plante et des prévisions météorologiques pour minimiser les pertes par lessivage. La forme d’azote apportée joue un rôle important dans la régulation des pertes d’azote et influence donc le NUE. L’ammonium et l’urée sont moins susceptibles de lessiver que les nitrates mais sont sujets aux pertes par volatilisation. Les engrais à libération contrôlée offrent une bonne option pour réduire les pertes d’azote car ils facilitent la synchronisation de la disponibilité de l’azote avec la demande des plantes [49].
Avantages/inconvénients de l’échantillonnage du sol
L’analyse des échantillons de sol par les laboratoires agréés bénéficie de la précision et des limites de détection maximales offertes par les techniques analytiques que nous venons de décrire. De plus, les services généralement proposés par ces laboratoires dépassent largement la simple détermination de l’azote minéral. Les agriculteurs peuvent obtenir de très nombreuses informations sur leur sol : granulométrie, concentration en oligo-éléments et éléments majeurs, composition du complexe argilo-humique, ou encore pH. Cependant, l’échantillonnage du sol est une procédure fastidieuse et extrêmement chronophage. Si l’agriculteur souhaite réellement prendre en compte la variabilité temporelle et locale du sol, l’échantillonnage doit être répété régulièrement et en de nombreux endroits de la parcelle. En pratique, le coût financier et temporel n’est alors plus négligeable, d’autant plus que les délais de traitement des échantillons par les laboratoires ne permettent pas une gestion de la parcelle à l’échelle hebdomadaire. La gestion des intrants agricoles nécessite donc le développement de capteurs bon marché utilisables directement sur site et permettant d’effectuer des mesures le plus fréquemment possible, avec le minimum de maintenance, des protocoles simples et des résultats en temps-réel. En revanche, les avantages d’une mesure à bas coût directement sur site s’obtiendront nécessairement au détriment d’une perte de précision vis-à-vis des méthodes conventionnelles. Le développement de ces capteurs rentre dans le cadre de l’agriculture de précision qui est l’objet de la prochaine partie. Nous verrons également dans quelle mesure certaines techniques de laboratoire sont transférables pour des analyses sur le terrain.
L’Ion-Selective Electrode (ISE) conventionnelle
Avant de se consacrer à l’étude des capteurs à contact solide de type ISFET ou ISE, le cas classique de la mesure potentiométrique en laboratoire sera d’abord considéré à travers le montage à deux électrodes composé d’une ISE conventionnelle et d’une électrode de référence (Figure 37). Ce cas permettra de comprendre par quelle méthode expérimentale il est possible de mesurer le potentiel de membrane ?? afin de remonter à la concentration de l’ion cible I présent dans l’échantillon. Ce sera également l’occasion d’introduire quelques concepts clés de la potentiométrie comme le rôle de l’électrode de référence ou l’apparition de potentiels de jonction à l’interface entre deux électrolytes. La différence de potentiel aux bornes des connecteurs en cuivre de deux électrodes est mesurée à courant nul grâce à un voltmètre disposant d’une très grande impédance. Cette condition particulière supprime la contribution des pertes ohmiques Vohm qui seraient causées par le passage d’un courant électrique à travers les conducteurs ioniques ou électriques. Ainsi, en négligeant les potentiels de diffusion, la tension mesurée correspond uniquement à la somme des potentiels d’interface entre chaque phase de la cellule électrochimique {électrode sélective/échantillon/électrode de référence}. Ces potentiels comprennent des interfaces de différents types : interfaces métal-métal, métal-sel, sel-liquide et liquide-liquide (Figure 37, en bas). Ils ne peuvent pas être mesurés indépendamment les uns des autres.
Ionophores de l’ion ammonium NH4+
Découvert dans les années 1960, l’ionophore de l’ion ammonium NH4+ le plus utilisé aujourd’hui est la nonactine (Figure 53a), aussi appelé « ammonium ionophore I » [57]. Il s’agit d’un antibiotique de structure macrocyclique naturellement produit par des bactéries mais que l’on sait également synthétiser [58]. La nonactine est un porteur neutre pouvant notamment se complexer avec les cations alcalins potassium K+ et sodium Na+. La sélectivité à ces ions est respectivement 10 fois et 100 fois inférieure à celle de l’ammonium [8]. La forte interférence avec les ions K+ s’explique par le fait que K+ et NH4+ ont un rayon ionique très similaire. Plusieurs équipes ont travaillé sur la synthèse de nouveaux ionophores dans le but de diminuer l’interférence des ions alcalins lors de la détection de l’ammonium [59][60][61]. Les résultats les plus remarquables ont été obtenus avec l’ionophore TD19C6, également appelé « ammonium ionophore III » dans la littérature scientifique, ainsi qu’avec l’ionophore TD20C6. Tous deux ont été synthétisés par K. Suzuki et al. au début des années 2000 [62] [63]. Ces ionophores sont des molécules macrocycliques de type éther couronne. La couronne a une dimension adaptée à l’accueil de l’ion NH4+ . L’amélioration de la sélectivité provient de la présence d’unités de blocage moléculaire qui empêchent la formation d’un complexe ionionophore avec les ions alcalins de taille différente à celle de l’ammonium (Figure 53b et c). Ces unités augmentent également le caractère lipophile de la molécule assurant une meilleure intégration à la matrice polymérique.
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1 : Positionnement du projet INNOPERF-Blé et état de l’art des méthodologies d’analyse ionique du sol
Introduction : le blé, céréale essentielle à la nutrition de l’homme
1. L’azote au sein du système Sol-Plante
a. Métabolisme azoté de la plante : rôle et devenir de l’azote
b. Cycle de l’azote dans les sols cultivés
i. Gain en azote minéral au sein du système Sol-Plante
ii. Pertes d’azote vers l’extérieur du système Sol-Plante
2. Fertilisation azotée dans l’Agriculture moderne
a. Chiffres et pratiques communes
b. Efficacité de la fertilisation azotée
c. Conséquences environnementales et sur la santé de la fertilisation
d. Réglementation de la fertilisation azotée
3. Méthodologies d’analyse pour le suivi du cycle de l’azote au sein du système Sol-Plante
a. Méthodes conventionnelles en laboratoire
i. L’échantillonnage du sol
ii. Extraction de l’azote minéral
iii. Dosage de l’azote minéral par les techniques analytiques conventionnelles
iv. Avantages/inconvénients de l’échantillonnage du sol
b. Méthodologie d’analyse sur site : agriculture de précision, vers une agriculture raisonnée ?
i. Définition et objectifs de l’agriculture de précision
ii. Techniques d’analyse sur site du statut azoté de la plante
iii. Techniques d’analyse sur site de l’azote du sol
c. Systèmes de détection des nutriments du sol sur site basés sur des capteurs électrochimiques à membrane ionosensible
d. Approches d’intégration système et positionnement du projet
Bibliographie
Chapitre 2 : Théorie des capteurs électrochimiques potentiométriques
1. Modèles théoriques de la réponse d’une membrane ionosensible
2. Modes de transduction Ion-Electron
a. L’Ion-Selective Electrode (ISE) conventionnelle
b. L’ISE à contact solide
i. Utilisation d’un polymère conducteur comme contact solide
ii. Augmentation de la capacité de double couche
c. Ion Sensitive Field Effect Transistor (ISFET)
3. Propriétés de détection
a. Sensibilité et limite de détection (LOD)
b. Sélectivité
i. Fixed Interference Method (FIM)
ii. Separate Solution Method (SSM)
iii. Separate Solution Method (SSM) II
4. Les constituants d’une membrane polymérique ionosensible
a. Matrice et plastifiants
b. Ionophore
i. Ionophores de l’ion ammonium NH4+
ii. Ionophores de l’ion nitrate NO3-
c. Additifs ioniques
Conclusion
Bibliographie
Chapitre 3 : Fabrication et caractérisation in vitro des microcapteurs électrochimiques
1. Fabrication des capteurs potentiométriques pour le projet INNOPERF-Blé
a. Présentation des dispositifs développés
i. Puce multi-capteur en technologie silicium
ii. Electrode planaire miniature
b. Principales étapes du procédé de micro-fabrication du dispositif multi-capteur en salleblanche
c. Assemblage du système multi-capteur
d. Procédé d’intégration des couches ionosensibles en fluoropolysiloxane (FPSX)
2. Caractérisations in vitro des MOSFET et pH-ISFET
a. Caractérisations électriques
i. Introduction et présentation des méthodes de caractérisation électrique
ii. Résultats
b. Propriétés de détection des pH-ISFET à grille alumine et nitrure de silicium en phase liquide
i. Sensibilité au pH
ii. Sélectivité des pH-ISFET aux ions alcalins
iii. Durée de vie des pH-ISFET en phase liquide
3. Développement et caractérisation in vitro des pNH4-ISFET et pNO3-ISFET
a. Définition des besoins de détection
b. Développement et caractérisation in vitro des pNH4-ISFET
i. Formulation et protocole de préparation des membranes ionosensibles
ii. Evaluation in vitro des propriétés de détection
c. Développement et caractérisation in vitro des pNO3-ISFET
i. Formulation des membranes ionosensibles
ii. Evaluation in vitro des propriétés de détection
4. Développement et intégration d’une électrode de référence miniature « tout solide »
a. Introduction
b. Fabrication de l’électrode Pt/Ag/AgCl/PDMS-KCl
i. Dépôt du film d’argent sur l’électrode de platine
ii. Formation d’une couche de chlorure d’argent en surface du film d’argent
iii. Dépôt d’une membrane polymérique dopée en KCl
c. Caractérisations in vitro des électrodes de référence miniatures
Conclusion
Bibliographie
Chapitre 4 : Application à l’analyse du sol
Introduction
1. Détermination du pH du sol par les pH-ISFET en conditions in situ
a. Influence de l’humidité et la texture du sol sur la réponse du pH-ISFET
b. Détermination du pH de sols argilo-limoneux en fonction de l’humidité du sol
c. Remarques sur les mesures dans les suspensions et extraits de sol
d. Etude de la durée de vie dans le sol des pH-ISFET
2. Evaluation de la réponse des pNO3-ISFET et pNH4-ISFET en conditions in situ
a. Analyse in situ du sol par les pNH4-ISFET
b. Analyse in situ du sol par les pNO3-ISFET
c. Durée de vie dans le sol des ISFET fonctionnalisés
3. Intégration de la technologie ISFET dans un système d’analyse multi-capteur autonome et communicant pour la suivi du cycle de l’azote dans le cadre de la culture du blé dur
a. Présentation du système d’analyse
b. Choix et étude d’une électrode de référence pour le système d’analyse
i. Introduction
ii. Caractérisation de l’électrode de référence WE200
c. Protocole de mise en place du système sur la parcelle
4. Caractérisation du système d’analyse multi-capteur
a. Présentation du banc d’essai
b. Première caractérisation du système d’analyse sur le banc d’essai
Conclusion
Bibliographie
Conclusion générale
Bibliographie
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