Dans un contexte mondial de malnutrition, dû en particulier à la transition alimentaire dans certains pays en développement, la demande des consommateurs pour des aliments “santé” a augmenté depuis quelques années et a ainsi renforcé la nécessité de développer des aliments fonctionnels (Prado et al. 2008; Serafini, Stanzione, et Foddai 2012; I. Salmerón 2017). Ce sont des aliments capables de prévenir l’incidence de maladies issues du syndrome métabolique, comme les maladies cardiovasculaires ou le diabète de type 2. En effet, ils contiennent des composés dits “bioactifs”, comme des phytostérols, des caroténoïdes provitaminiques A, des acides gras essentiels polyinsaturés (omega-3), des prébiotiques ou encore des probiotiques, qui possèdent des effets santé bénéfiques et divers sur l’organisme. La majorité (60 à 70 %) des produits fonctionnels actuellement présents sur le marché sont d’origine laitière (Chen, McClements, et Decker 2013a; Salmerón, Thomas, et Pandiella 2015). Cependant, les substrats céréaliers ont démontré leur capacité à se substituer au lait, que ce soit au niveau de la production de biomasse bactérienne, de l’incorporation des composés liposolubles ou encore de l’acceptabilité par les consommateurs (Blandino et al. 2003; Guyot 2012). Ainsi, les produits fonctionnels céréaliers représenteraient une alternative aux produits laitiers, palliant à la fois l’intolérance au lactose et l’apport en cholestérol du lait, tout en répondant à la tendance croissante au végétarisme (Marsh et al. 2014).
Cependant, la co-incorporation de composés bioactifs liposolubles dans une matrice céréalière complexe est un challenge technologique dû notamment à leur faible solubilité (Chen, McClements, et Decker 2013a). De plus, afin d’exercer leurs propriétés, ces composés doivent être biodisponibles c’est-à-dire absorbés, puis transportés aux tissus cibles. Cependant, cette biodisponibilité peut être impactée par plusieurs facteurs, et notamment par la matrice alimentaire dans laquelle ils sont incorporés, ou encore par des interactions entre composés liposolubles. Le mode d’action des phytostérols dans l’organisme repose sur une compétition pour l’absorption avec le cholestérol. Récemment, il a été montré que l’ajout de phytostérols dans des aliments fonctionnels altérait la biodisponibilité des caroténoïdes chez l’homme (Fardet et al. 2017; Baumgartner et al. 2017).
Ainsi, l’objectif général de ce travail de thèse a été de concevoir un aliment fonctionnel probiotique à base de céréales fermentées, enrichi en caroténoïdes et en phytostérols, et d’étudier spécifiquement la stabilité, la bioaccessibilité et l’absorption intestinale de ces composés liposolubles.
Le concept de “produits fonctionnels” est né au Japon dans les années 1980. Ce sont des aliments qui ont été développés spécifiquement pour promouvoir la santé ou réduire les risques de maladies. Ils sont généralement considérés comme étant des aliments qui doivent être consommés dans le cadre d’une alimentation équilibrée, tout en apportant des molécules bioactives ayant un bénéfice sur la santé (Salmerón 2017; Serafini, Stanzione, et Foddai 2012; Prado et al. 2008). Les produits fonctionnels pourraient ainsi être représentés par la phrase suivante, énoncée par Hippocrate (environ 460 – 377 av. J-C) “Que ton aliment soit ton médicament, que ton médicament soit ta nourriture”, mais une définition internationale manque toujours (Krystallis, Maglaras, et Mamalis 2008). À l’origine, c’est un terme marketing qui se rapporte à une certaine synergie entre santé et régime alimentaire, mais qui n’a pas encore été défini par la législation européenne (Serafini, Stanzione, et Foddai 2012). L’attention concernant cette catégorie d’aliments ayant augmenté, de nouveaux produits sont apparus sur le marché européen. L’intérêt s’est tourné vers la définition des normes et directives pour le développement et la promotion de ce type d’aliments.
L’Action Concertée de la Commission Européenne sur la Science de l’Alimentation Fonctionnelle (FuFoSE), coordonnée par l’Institut National des Sciences de la Vie (ILSI) en Europe a défini les produits fonctionnels comme suit : “Un aliment ne peut être considéré comme fonctionnel que si, associé à l’impact nutritionnel de base, il a des effets bénéfiques sur une ou plusieurs fonctions de l’organisme humain, améliorant ainsi les conditions générales et physiques et/ou réduisant le risque d’évolution de maladies. La quantité absorbée et la forme de l’aliment fonctionnel doivent être conformes aux attentes alimentaires. Par conséquent, il ne peut pas être sous forme de pilule ou de capsule.” (Siró et al. 2008; Serafini, Stanzione, et Foddai 2012). Au sein de l’Union Européenne, il n’existe qu’une législation harmonisée par l’EFSA (European Food Safety Authority) sur les allégations de santé (Article 13.1 EC 1924/2006), alors que les composés, les ingrédients et les extraits de plantes ne sont encore régulés qu’au niveau national (Serafini, Stanzione, et Foddai 2012).
Plus spécifiquement, en 2002, un document du Comité Scientifique de l’Alimentation de la Commission Européenne a déclaré “recommander l’utilisation de sources naturelles de β-carotène, soit de fruits et de légumes riches en caroténoïdes, pour contrebalancer la diminution attendue du taux de β-carotène sanguin et d’autres nutriments liposolubles, causée par la consommation sur le long terme d’aliments enrichis en phytostérols” (Commission Européenne 2002). De plus, la Comission Européenne a adopté en 2004 des règles spécifiques pour l’étiquetage des “aliments et ingrédients contenant des phytostérols, des esters de phytostérols, des phytostanols et/ou des esters de phytostanols” dans le Règlement (CE) n°608/2004 et a déclaré que “cet aliment doit faire partie d’un régime équilibré, incluant une consommation régulière de fruits et légumes aidant au maintien des taux plasmatiques de caroténoïdes” (Commission Européenne 2004).
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Table des matières
INTRODUCTION
SYNTHÈSE BIBLIOGRAPHIQUE
1. GENERALITES SUR LES ALIMENTS FONCTIONNELS EN EUROPE ET DANS LE MONDE
1.1. Définition et législation
1.2. Objectifs et classement des aliments fonctionnels
1.3. Marché de l’offre et de la demande
1.4. Acceptabilité des aliments fonctionnels par les consommateurs
1.5. Aliments fonctionnels fermentés
1.5.1. Les aliments traditionnels : une inspiration pour les nouveaux produits fonctionnels
1.5.2. Les produits fonctionnels laitiers
1.5.3. Les produits fonctionnels non laitiers à base de céréales
1.6. Challenges technologiques pour la conception d’un aliment fonctionnel
1.6.1. Maîtrise de la fermentation
1.6.1.1. La fermentation lactique
1.6.1.2. La modélisation microbienne et les paramètres de croissance
1.6.2. Aspects liés au procédé de fabrication
1.6.2.1. La fermentation par des souches probiotiques
1.6.2.2. L’incorporation des composés liposolubles
1.6.2.3. L’importance d’opérations unitaires spécifiques
1.6.2.4. Le transfert à l’échelle pilote, un passage essentiel
2. EFFETS SANTE DES ALIMENTS FONCTIONNELS
2.1. Aliments fonctionnels avec probiotiques et /ou prébiotiques
2.1.1. Les probiotiques
2.1.1.1. Les souches dites “probiotiques” : définition et physiologie digestive
2.1.1.2. Les effets santé des probiotiques dans les aliments fermentés
2.1.2. Les prébiotiques
2.2. Aliments fonctionnels enrichis en phytomicronutriments et vitamines liposolubles
2.2.1. Les phytostérols
2.2.1.1. Les stérols et les stanols : définition biochimique
2.2.1.2. Les effets santé des phytostérols sur l’organisme
2.2.2. Les caroténoïdes
2.2.2.1. Définition et classement
2.2.2.2. Les effets santé des caroténoïdes sur l’organisme
3. METABOLISME D’ABSORPTION ET BIODISPONIBILITE DES MICRONUTRIMENTS LIPOSOLUBLES
3.1. La digestion des composés liposolubles : généralités
3.2. Le cas des caroténoïdes
3.2.1. Métabolisme d’absorption des caroténoïdes
3.2.2. Digestion gastro-duodénale des caroténoïdes
3.2.3. Absorption des caroténoïdes
3.2.3.1. Transport apical à travers la membrane de la bordure en brosse d’un entérocyte
3.2.3.2. Transport cytosolique et métabolisme intracellulaire
CONCLUSION
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