Conception d’énoncés multimodaux en Dialogue Homme Machine

Contribution et terrain commun

   A la suite de ces travaux, Clark et Schaefer (1989) proposent un modèle des contributions des interlocuteurs dans une conversation. Ce modèle propose de considérer toute contribution d’un participant à une conversation comme une partie d’un acte collectif de référence, lui-même construit sur l’organisation hiérarchique des paires adjacentes décrites par Sacks et al. (1974). La notion de terrain commun (« common ground », Stalnaker, 1978) est alors utilisée pour désigner les présuppositions utilisées par les interlocuteurs pour construire leurs contributions. Pour Stalnaker : « Le concept de présupposition implique que le locuteur part du principe que les membres de son audience présupposent tout ce que lui-même présuppose » (Stalnaker, 1978, p. 321, traduction libre). Ainsi, les contributions des participants sont accumulées par l’ensemble des partenaires et contribuent à leur terrain commun. Le processus de construction du terrain commun est nommé « grounding ». Son principe est celui du modèle d’acceptation :
(1) Une phase de présentation ;
(2) Une phase d’acceptation.
Un critère de grounding (« grounding criterion ») définit le niveau de compréhension nécessaire : Le contributeur et les partenaires croient mutuellement que les partenaires ont compris ce que voulait dire le locuteur à un niveau suffisant pour le but actuel. (Clark & Schaefer, 1989, traduction libre) Sur cette base, différents types de contribution-réponse sont discriminés (Tableau 1-7). D’après Clark et Schaefer (1989), ce tableau permet de mettre en évidence une propriété cruciale : la pertinence conditionnelle (« conditional relevance »). En effet, si un  locuteur produit la première partie d’une paire adjacente, il est pertinent et prévisible que son interlocuteur produise la seconde partie de la même paire. Par là, l’interlocuteur B fournit trois éléments : (1) il croit avoir compris l’énoncé de A (dimension locutoire) ; (2) il a reconnu le type d’acte réalisé par A (dimension illocutoire) ; (3) il fournit une seconde partie en adéquation avec la première et affiche sa compréhension (dimension perlocutoire).

Terrain commun en production et en compréhension

   Diverses études ont été réalisées dans le but de mettre en évidence la manière dont les interlocuteurs utilisent les connaissances du terrain commun (Clark & Krych, 2004; Horton & Gerrig, 2005a, 2005b; Horton & Keysar, 1996; Krauss & Fussell, 1989; Schober & Clark,1989). Schober et Clark (1989) montrent d’abord que le destinataire des explications d’un directeur, en interaction avec lui, est plus apte à ranger des figures qu’un auditeur placé en arrière plan et ne participant pas aux interactions. Le rôle du processus de grounding, i.e. des interactions entre interlocuteurs, est donc évident. A partir de ce résultat, d’autres études sont vouées à vérifier si les connaissances issues du terrain commun sont utilisées de façon systématique lors des processus de production et de compréhension. Concernant la compréhension, Keysar et Paek (1993) montrent que le destinataire tend à interpréter la référence d’un locuteur en fonction des référents dont il dispose, sans prendre en compte leur accessibilité pour le locuteur. L’interprétation serait donc réalisée de façon égocentrique et elle serait ajournée en cas d’échec. De retour à la problématique de la production des énoncés, Horton et Keysar (1996) opposent un modèle de conception initiale, dans lequel les connaissances du terrain commun seraient prises en compte dès le premier énoncé, à un modèle de surveillance et ajustement (« monitoring and adjustment »), dans lequel une expression est proposée sur un mode égocentrique (à nouveau) et ajustée au cours des interactions. Les résultats montrent que les connaissances initiales peuvent être prises en compte dès le premier énoncé quand la tâche est réalisée sans pression temporelle. En revanche, quand les circonstances se font pressantes, le locuteur se repli sur le mode égocentrique.

Le rôle des automatismes

   La conversation est le site essentiel du discours (Garrod & Pickering, 2004). Pour ces auteurs, si cette activité est facile pour tout-un-chacun, c’est que les mécanismes de traitement interactif reposent sur un processus d’alignement automatique des représentations linguistiques entre les partenaires. Ce point de vue est développé sous le nom de théorie mécaniste du dialogue (Pickering & Garrod, 2004). Les auteurs proposent tout d’abord d’établir une différence entre la notion de coordination, qui concerne les actions des participants, et la notion d’alignement, qui porte sur les représentations des participants. Six points sont ensuite argumentés. Ils sont présentés dans le Tableau 1-9. Ces propositions permettent de souligner la souplesse du système cognitif. Les processus de production et de compréhension du discours sont habituellement vus comme une série de traitements modulaires (Fodor, 1983; Fodor, Bever & Garrett, 1974) et successifs (Levelt, 1989; Levelt, Roelofs & Meyer, 1999). Notamment, pour Levelt, les différents traitements sont présentés comme allant « de l’intention à l’articulation » (sous-titre de l’ouvrage de 1989). Cette vision repose principalement sur les temps de traitement correspondant aux différents niveaux de représentation. Ainsi, chaque module de traitement génèrerait, en sortie, un certain niveau de représentation, qui peut alors être utilisé en entrée du module suivant pour construire un autre niveau de représentation, etc. Ces traitements en chaîne se poursuivraient jusqu’à obtenir l’articulation d’un son, qui peut ensuite faire l’objet des traitements inverses, pour décodage, chez le destinataire. Pickering et Garrod (2004) ne nient évidemment pas l’existence des différents niveaux de représentation, mais ils rejettent l’idée d’une structure aussi rigide. Pour eux, certains effets d’activation de représentation sont liés au contexte de la communication plutôt qu’à la chaîne modulaire en elle-même. Les différents niveaux de représentation sont interprétés indépendamment les uns des autres par le destinataire. A travers chacun de ces niveaux les liens entre les interlocuteurs sont nombreux (Figure 1-3). Cette vision est contraire à celle d’une transmission autonome, qui n’admet de lien que via la chaîne sonore, au niveau phonétique (lien le plus bas de la figure). De plus, l’activation des représentations reposant sur un mécanisme d’amorçage permet d’expliquer comment les interlocuteurs s’influencent mutuellement au cours des échanges et comment ils maintiennent des représentations équivalentes grâce aux interactions. Cela explique en particulier pourquoi il est si fréquent que le destinataire d’un message termine lui-même l’énoncé que lui adresse le locuteur.

Théorie de la pertinence

   Une proposition différente a été avancée par Sperber et Wilson (1989). Leur théorie est intéressante à plusieurs égards et elle a, de ce fait acquis une renommée qui impose de la présenter (même rapidement). Mais cette présentation va seulement permettre d’expliquer pourquoi elle doit être écartée. Sperber et Wilson (1989) proposent une critique des principes gricéens. Ils souhaitent dépasser l’approche descriptive des maximes pour proposer une théorie explicative. Pour eux, l’énoncé est un acte d’ostension (un acte volontaire) qui véhicule deux niveaux d’information. (1) L’information directe est l’intention communicative. Elle indique au destinataire que le communicateur souhaite attirer son attention sur un phénomène. (2) L’information indirecte est l’intention informative. Elle précise le vouloir-dire du locuteur concernant le phénomène. Elle est indirecte car elle se greffe sur l’intention communicative et parce qu’elle suppose une interprétation de la part du destinataire. Cette distinction est très proche de celle de Clark et Carlson (1982) entre acte informatif et assertif. Le principe de pertinence est substitué au principe de coopération. Il stipule que, lorsqu’il prend la parole, le locuteur s’engage à proposer un ‘acte ostensif’ pertinent. La pertinence de cet acte est analysée sur la base des effets contextuels qu’il entraîne. Elle est définie par le rapport entre l’effet contextuel produit et l’effort nécessaire pour le traiter. D’après le principe de pertinence, la signification qui sera retenue de l’énoncé est celle qui produit l’effet contextuel le plus grand, pour l’effort le plus faible. Allwood (1995) synthétise cette proposition en expliquant qu’elle permet de réduire les maximes gricéennes à une seule d’entre elles, la maxime de relation.Aucun auteur ne conteste l’objectif affiché par Sperber et Wilson d’évoluer vers une théorie plus explicative. Mais, bien que la théorie de la pertinence ait eu une influence, par exemple, sur la conception d’outils de communication permettant de reproduire certains éléments contextuels (e.g. Dumazeau, 2005; Zouinar, 2000), elle ne fait pas l’objet d’un consensus. Par exemple, Caron (1989) note que Sperber et Wilson font une scission trop radicale entre les aspects pragmatiques et linguistiques du discours. Mais surtout, un modèle des actions d’un individu en contexte naturel ne peut se résumer à une équation entre deux variables. Une analyse complète des actions est nécessaire (Schegloff, 2006).

Le point de vue d’Allwood

  Allwood (1984; 1995) propose une analyse plus complète des actions. Pour lui, la pertinence est un concept relationnel. Elle dépend d’une relation moyen-fin qui opère dans la situation. Pour établir son point de vue, l’auteur rappelle d’abord plusieurs éléments. Pour lui, la communication doit être vue comme une activité multi-niveaux (physique, biologique, psychologique et social) dans laquelle les niveaux s’entremêlent et fournissent des opportunités et des contraintes. L’auteur rappelle l’analyse qu’il a faite de la notion de coopération (Allwood, 1976) à la suite des propositions de Grice (1975) et qui propose de différencier quatre plans : (1) la considération cognitive, par les partenaires, du problème évoqué, (2) la proximité des buts des partenaires, (3) les considérations éthiques entre les partenaires et (4) la confiance réciproque. Ces plans d’analyse sont proposés comme des points de vue qui permettent d’éclairer la situation étudiée. Mais l’objet d’analyse que pose l’auteur est l’activité déployée par les interlocuteurs. Son unité de référence est l’énoncé (« contribution » et « utterance », les deux termes sont revendiqués) et l’organisation des séquences en fournit la structure. Chaque énoncé est décrit selon sa forme de surface, nommée caractéristiques d’expression (« expression features » : geste ou oral, structure acoustique et syntaxique), et son contenu (« content features ») qui véhicule un sens plus ou moins explicite. L’auteur distingue trois fonctions associées au contenu : (1) une fonction de gestion propre de ses énoncés par le locuteur, (2) une fonction interactive qui permet à l’auditoire de réagir et (3) les autres fonctions communicatives telles que l’assertion, le questionnement, la promesse, etc. Il précise qu’un énoncé peut être mono ou multifonctionnel. L’analyse ne s’arrête pas là. L’acte communicatif est encore vu selon deux dimensions qui permettent de distinguer ses effets : (1) la dimension expressive permet au locuteur d’exprimer une attitude auprès de l’interlocuteur et (2) la dimension évocatrice permet d’évoquer une réaction chez l’interlocuteur (une croyance). Cette dernière distinction permet à l’auteur d’en arriver à la notion d’obligation. En effet, le locuteur se doit d’être sincère et cohérent quant à ce qu’il exprime, et de prendre en considération les croyances de son interlocuteur. Mais également, le destinataire est obligé de produire certaines actions à sa suite, pour évaluer s’il veut poursuivre, s’il perçoit, comprend, etc. Les obligations de considération sont distinguées des obligations de réponse. Pour Allwood, ces aspects de coordination sont les plus importants dans la communication car ils permettent d’assurer la cohésion sociale. Le caractère éthique de la relation prend ici une importance toute particulière. Finalement, tout énoncé est vu à travers son caractère explicite (implicite vs explicite), sa polarité (positif vs négatif), sa fonction de feedback (contact, perception, compréhension, acceptation) et son rôle de gestion interactive (séquençage et gestion des tours). Ce n’est qu’à la suite de cette mise en ordre des fonctions de l’énoncé qu’Allwood en vient à définir la notion de pertinence. Il rappelle la nature relationnelle de cette notion, admet qu’elle est multiple, admet qu’elle a des degrés divers et qu’elle dérive du système de communication super-ordonné qu’elle caractérise. Ces précautions étant prises, quatre niveaux sont alors proposés pour décrire la pertinence d’un énoncé (Tableau 1-10).

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Table des matières

RESUME
INTRODUCTION
PARTIE THEORIQUE
CHAPITRE 1 L’ANALYSE PRAGMATIQUE DES ENONCES
1.1 ORIGINES
1.2 THEORIE DES ACTES DE LANGAGE
1.3 THEORIE DE LA COLLABORATION
1.4 HIERARCHIE DES PROCESSUS LIES A LA CONCEPTION DES ENONCES
1.5 LA QUESTION DE LA PERTINENCE
1.6 CONCLUSION
CHAPITRE 2 CONCEPTION DES SYSTEMES DE DHM
2.1 PRINCIPES METHODOLOGIQUES DE L’INGENIERIE COGNITIVE
2.2 INITIATION AUX SYSTEMES DE DIALOGUE HOMME MACHINE
2.3 PROBLEMES DE CONCEPTION
2.4 INTEGRATION DE LA MULTIMODALITE DANS LE DHM
2.5 SYNTHESE
CHAPITRE 3 L’ETUDE EMPIRIQUE DES ENONCES EN CONTEXTE INTERACTIF
3.1 UNE THEMATIQUE, DES PROBLEMATIQUES
3.2 L’ETUDE DES ENONCES EN DHM
3.3 L’ETUDE DE LA MULTIMODALITE EN SITUATION D’APPRENTISSAGE
3.4 LE PROBLEME DE LA REDONDANCE DES INFORMATIONS
3.5 SYNTHESE
CHAPITRE 4 LA ‘CHARGE COGNITIVE’ DE L’UTILISATEUR
4.1 LA NOTION DE ‘CHARGE COGNITIVE’
4.2 ATTRIBUTION D’UN ROLE CAUSAL A LA CHARGE COGNITIVE
4.3 CONCLUSION
PARTIE EXPERIMENTALE
CHAPITRE 5 ANALYSE ET PROBLEMATIQUE
5.1 ANALYSE DES SERVICES DIALOGIQUES
5.2 PROBLEMATIQUE
5.3 PRESENTATION DES EXPERIENCES
CHAPITRE 6 DIALOGUE HOMME-MACHINE VOCAL
6.1 EXPERIENCE 1 : EFFET DES MESSAGES D’AIDE
6.2 EXPERIENCE 2 : EFFET DE LA VERBOSITE DU SYSTEME
6.3 CONCLUSION DES EXPERIENCES 1 ET 2
CHAPITRE 7 PRESENTATION AUDIO-VISUELLE EN DHM VOCAL
7.1 EXPERIENCE 3 : REDONDANCE AUDIO-VISUELLE ET EFFET DE SUFFIXE
7.2 EXPERIENCE 4 : MISE EN EVIDENCE DE LA SPECIFICITE MODALE
7.3 EXPERIENCE 5 : QUEL NIVEAU D’ANALYSE DE LA SPECIFICITE MODALE ?
CHAPITRE 8 DISCUSSION
8.1 SYNTHESE DES RESULTATS
8.2 IMPLICATIONS
8.3 LIMITES ET PERSPECTIVES
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
8.4 CAHIER DE CONSIGNE DES EXPERIENCES 1 ET 4
8.5 QUESTIONNAIRES D’EVALUATION DE LA CHARGE COGNITIVE
TABLE DES MATIERES DETAILLEE
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES

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