CHOIX DU SUJET ET DU TERRAIN
MOTIVATIONS
Considérant le vaste champ de recherches en anthropologie, lorsqu’il s’agit de Madagascar, j’ai constaté qu’il reste beaucoup à faire au sein de ma propre ethnie.
Endoethnologie
Parmi les rares intellectuels s’intéressant aux Sciences humaines, j’ai adopté comme devoir d’étudier ma propre société, ma propre ethnie pour mettre en évidence ma propre identité. Un problème se pose du fait que la science consiste à une objectivation de l’objet d’étude. Puis-je être à la fois le chercheur et l’objet de recherches ? Est-il possible d’étudier sa propre ethnie sans tomber dans l’ethnocentrisme ? Etant natif de la région et de l’ethnie étudiée, je suis connu en référence à mes ascendants. En conséquence, l’intégration est plus facile que pour un étranger. Je connais toutes les subtilités du dialecte tanosy : le dit et le non dit. J’ai été toujours bien accueilli partout où j’allais. Par contre, l’Endœthnologie ne présente que des avantages. Elle risque d’émousser nos sensibilités au point de sauter consciemment ou non des détails qui pourraient être la clé d’explication de tout le thème. Exemple : lors d’un abattage d’un zébu pour un sacrifice, la plupart des observateurs natifs ne remarquent pas si la bête est couchée sur le flanc gauche ou droite. Ce fait n’est pourtant pas le fruit d’un pur hasard, il doit y avoir une raison par laquelle le chercheur pourrait expliquer tout le rituel. Nous avons choisi les zones tanosy du Moyen-Onilahy : celles de Bezaha et de Belamoty, notre région d’origine et d’enfance. Les non dits dans cette société font l’objet de beaucoup de recherches inépuisables. Beaucoup de questions restent sans réponse et accroissent notre curiosité.
Menaces de disparition de la tradition
Dans mon analyse, les menaces de la disparition de la tradition proviennent de deux facteurs : internes et externes. Partant de l’ethnie elle-même, nous constatons une rétention d’informations de la part des anciens. Croyant que les jeunes n’observent plus les coutumes des ancêtres, les détenteurs des connaissances et de compétences ne procèdent plus au transfert en ayant la conviction que les us seraient profanés. Il existe beaucoup de rites auxquels les jeunes n’ont pas droit d’assister surtout ceux dont les pères et les mères sont encore vivants. D’une manière générale, les sanctions que subiraient ceux qui violent sont d’ordre irrationnels : lèpre, cécité, infirmité physique ou morale, etc. Parmi les facteurs externes, nous pouvons citer la mondialisation, avec le développement de la nouvelle technologie de l’information et de la communication (NTIC), la propagation du christianisme et la scolarisation poussée. A notre époque, la diffusion des films en utilisant un poste téléviseur et un lecteur de disque compact gagne du terrain. Des plus gros villages voisins, des personnes mieux équipés font la tournée pour projeter des films américains (arts martiaux, actions, commandos, westerns, clip, etc.) moyennant paiement d’une petite somme. Les influences de ces visions sont tangibles surtout chez les jeunes garçons qui ont abandonné les anciens jeux d’initiation aux coutumes pour adopter les jeux de tirs et de karaté. Le christianisme tel qu’il est prêché à Madagascar, a toujours lutté contre la tradition surtout la propagation des sectes pour lesquels toute tradition non chrétienne est l’acte du diable. Dans le cadre de la scolarisation, une ségrégation sociale est subie par les élèves que les anciens jugent comme étant incapables de vivre conformément à la tradition. En conséquence, ils sont écartés dans plusieurs circonstances rituelles. Beaucoup de pratiques ont disparu et d’autres en voie de disparition. En me référant à ce que j’ai vécu durant mon jeune âge et selon les informations recueillies sur le terrain, ceux qui pratiquent les arts musicaux, les sports comme la lutte traditionnelle (ringa) et la corrida (tongon’añômby) deviennent de plus en plus rares. Nous constatons que nous sommes en train de perdre notre patrimoine culturel. D’innombrables questions se posent et nous sommes parmi les responsables de cette perdition si nous ne faisons rien contre cette menace. Est-ce que la Charte de la Culture verrait-elle le jour après la Charte de l’Environnement ?
PROXIMITÉ
L’une des raisons du choix du sujet, est la proximité de mon terrain d’étude. La méthode itérative est très favorable. Nous pouvons revenir plusieurs fois sans problèmes sur notre terrain en cas de besoin dans l’immédiat. Cet avantage nous permet d’accélérer le recueil des données suivant le plan de notre travail.
Continuation des recherches
Le présent travail s’appuie sur une série d’études partant des observations de terrain poursuivies dans le Sud de Madagascar. J’ai eu l’opportunité d’être engagé dans un Centre de Recherches d’un Institut français de Recherche Scientifique pour Développement en Coopération (ORSTOM) à Toliara en 1989. Ma tâche et responsabilités d’animateur de recherches dans la zone Sud, zone de Betioky Sud dans la province de Toliara m’ont permis de travailler en équipe pluridisciplinaire. Cela m’a beaucoup aidé à acquérir une méthodologie appliquée de terrain sous la coordination de Monsieur Emmanuel Faurroux, Directeur de recherche à l’ORSTOM de Toliara. A l’issue des travaux de terrain, l’équipe a publié un article intitulé : La conception de l’espace, nombres, couleurs et principes d’ordre chez les Tanosy du Moyen-Onilahy. Des étudiants ont également pu profiter de ces sorties pour effectuer des enquêtes en vue de préparer leurs mémoires de maîtrise. Je cite :
– RAZAFIMAHALEO Roger qui a pu soutenir en 1990, un mémoire intitulé La colonisation agraire dans le Moyen-Onilahy (1902-1958) ;
– RAZAFITIANA Noely, en 1993, L’exploitation rizicole traditionnelle de la MoyenneVallée de l’Onilahy après le départ des colons ;
– SOJA Vincent Ferrier, en 1993, Contribution géographique à l’étude de la dégradation d’une ville du Sud-Ouest Malgache : l’exemple de Tongobory ;
– NAMAMALALA William, en 1993, Organisation spatiale du territoire Tehela de la vallée de la Taheza (dans le Moyen-Onilahy).
En 1992, je me suis inscrit en DEA à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales de Paris mais faute de bourse d’étude, je n’ai pas pu m’y rendre. Ces expériences de terrain m’ont ouvert la chance au travail de consultant dans des différentes Organisations gouvernementales ou privées pour intégrer des projets de développement dans les communautés locales d’Andranovory, Toliara II. J’ai été recruté par l’Agence d’exécution TAMBIROO à Toliara en 1996 pour le montage, la préparation et l’exécution d’un projet de forage de puits d’eau potable, sous la tutelle du Ministère de l’Environnement. En 1995, j’ai été chargé d’une pré évaluation de l’installation du Projet Sud-Ouest (PSO) dans les Communes rurales d’Ankililoaky et d’Antanimieva, Toliara II. En 1999, un bureau d’étude MIARAMITA d’Antananarivo a fait le suivi-évaluation des travaux du Fonds d’Intervention pour le Développement (FID II) dans le Sud-Ouest et je faisais partie de l’équipe. En 2001, j’ai été parmi les séléctionés pour mener les consultations publiques initiées par Quit Madagascar Minéral (QMM SA.) en conformité avec la lois MECIE. Dernièrement, en 2002, j’ai participé avec une équipe, en tant que consultant à dresser un tableau de bord environnemental, initié par AGERAS-SAGE. Tout cela pour souligner que depuis, j’ai toujours eu le goût des travaux de terrain et d’en profiter pour recueillir des informations relatives à ma ligne de recherches. Les enquêtes dans le présent projet de thèse sont loin d’être closes. La recherche devra encore s’étendre sur quelques années avant la rédaction de la thèse.
Situation géographique non loin de Toliara
Cette proximité nous engage à vérifier sur le terrain tout ce qui se passe dans les entretiens. Géographiquement, le grand fleuve Onilahy traverse le pays tanosy immigré entre Benenitra à l’est et Tongobory à l’ouest. En bordure du fleuve se trouve le village de Belamoty et de Savazy à mi-distance environ 50km de part et d’autre du Fivondronana de Benenitra et du village de Bezaha. Le fleuve est à 158 m d’altitude au niveau de Belamoty et doit parcourir 200 km environ pour rejoindre la mer. Ce grand fleuve arrose plus de 2200 ha de rizières aménagées dans la zone de Belamoty. La culture irriguée est la principale spécialité des Tanosy de la zone de Bezaha-Belamoty. Cette zone présente un climat chaud généralement sec. La température varie entre 35° en saison chaude et atteint 10° en saison froide. L’année Tanosy se divise principalement en deux, l’asara en saison de pluie, ou en saison chaude, et l’asotry, en saison froide. Mais les Tanosy remarquent aussi une saison intermédiaire, c’est le fôsa, une saison de préparation, une saison sèche pendant laquelle les activités de production ne fonctionnent pas. Toute cette vision de l’année solaire se rapporte avec l’évolution du cycle lunaire et des mouvements des astres d’où découle la conception de l’espace.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. CHOIX DU SUJET ET DU TERRAIN
I.1 MOTIVATIONS
I.1.1 Endoethnologie
I.1.2 Menaces de disparition de la tradition
I.2 PROXIMITÉ
I.2.1 Continuation des recherches
I.2.2 Situation géographique non loin de Toliara
II. PRÉSENTATION DE L’ÉTUDE
II.1 APPROCHE ANTHROPOLOGIQUE
II.1.1 Espace géographique
II.1.2 Espace social
II.1.3 Espace culturel
II.2 HISTOIRE ET GEOGRAPHIE
II.2.1 Délimitation de la zone d’étude
II.2.2 Historique et migration
II.2.3 Choix des terroirs d’installation
II.3 PROBLEMATIQUE
III. MÉTHODOLOGIE
III.1 TRAVAUX D’ARCHIVES : DOCUMENTS ET PHOTOGRAPHIES
III.1.1 Bibliothèques et archives personnels
III.1.2 Manuscrits non publiés : cahiers, folios
III.1.3 Publications sur Internet
III.2 ENQUETES DE TERRAIN
III.2.1 Toliara et ses environs
III.2.2 Village Tanosy du Moyen-Onilahy : Approche Itérative
III.3 CONSTITUTION DES FICHES QUESTIONNAIRES
IV. PRESENTATION DU CORPUS
IV.1 ENTRETIENS
IV.1.1 Récits historiques
IV.1.2 Récits toponymiques
IV.2 CONTES ET MYTHES
IV.2.1 Conte d’origine
IV.2.2 Récits étiologique
IV.3 INVOCATIONS
IV.3.1 Invocations relatives au sikily
IV.3.2 Serments de fraternité par le sang
IV.3.3 Invocations du sort
IV.4 RAPPORT ENTRE FIGURES GEOMANTIQUES ET ASTROLOGIE
V. PLAN DETAILLE DE LA THESE
V.1 ESPACE GEOGRAPHIQUE
V.1.1 L’occupation de la vallée
V.1.2 Toponymie et caractérisation de l’espace
V.1.2.1 Toponymie
V.1.2.2 Caractérisation de l’espace
V.1.3. Sens de lieu et conception de stabilité
V.1.3.1 Les dimensions des points cardinaux
V.1.3.2 Quelques vocabulaires spatiaux
V.1.3.3 Quelques vocabulaires astrales
V.1.3.4 Quelques vocabulaires techniques
Sur l’élevage bovin
Sur l’agriculture
V.1.3.5 Conception de stabilité
V.1.4 Clé de l’organisation spatiale
V. 2 ESPACE SOCIAL
V.2.1 Système de parenté
V.2.2 Partage de territoire et constitution des villages
V.2.3 Cohésion et identité du groupe lignagers
V.3 ESPACE CULTUREL
V.3.1 Lois matrimoniales
V.3.2 Rites funéraires
V.3.3 Destin et alliance
CONCLUSION
VI. BIBLIOGRAPHIE COMMENTÉE
VI.1 OUVRAGE DE BASE