Le BAN et ses applications
Les communications mobiles terrestres se développent pendant et après la première guerre mondiale, à l’exemple du bus équipé d’une antenne faisant partie d’un réseau de télécommunications installé en Angleterre dans la ville de Poole par Marconi et Fleming . C’est à la fin des années 30 qu’apparaissent les premières antennes portées sur le corps. Elles sont utilisées pour des communications au sein de l’armée de terre britannique. L’encombrement de l’antenne est problématique, les fréquences utilisées étant de l’ordre de la dizaine de MHz, ce qui n’autorise pas l’emploi d’antennes de type fouet. Ainsi, les premières antennes sur le corps étaient des boucles magnétiques (0).
Par la suite, les longueurs d’ondes deviennent plus courtes, ce qui autorise dans les années 70 l’utilisation d’antennes de dimensions très réduites par les forces de l’ordre américaines. Portées sur l’épaule , ces antennes fonctionnaient en VHF et permettaient d’établir un réseau mobile entre les agents de sécurité à travers leur circonscription [KIN01]. Les travaux de l’époque mettent en évidence l’influence du corps sur le diagramme de rayonnement, le rendement et l’adaptation de l’antenne.
Depuis une dizaine d’années, la miniaturisation des ordinateurs a permis d’imaginer des applications informatiques pouvant être portées par une personne et fournissant une multitude de services. un disque dur, une carte son et une carte mère à la ceinture, un clavier sur le bras et un miniécran devant les yeux. Dans l’article, on soulignait l’inconvénient lié aux câbles reliant les différentes unités avec le risque de déconnexions accidentelles d’où l’idée de développer des liaisons RF et des antennes de petites dimensions sur le corps.
Par extension, ces antennes, liées éventuellement à des capteurs, peuvent communiquer avec les couches physiques environnantes ou communiquer entre elles et constituer ainsi un réseau corporel. On parle alors de Body Area Network (BAN), Wireless Body Area Network (WBAN) ou Body Sensor Network (BSN), une traduction possible étant Réseaux Embarqués Personnels. Le BAN constitue donc un type de réseau mobile particulier, les différentes antennes du réseau étant fixes.
Le projet BANET
Le projet ANR BANET (Body Area Networks and Technologies) a réuni neuf partenaires français industriels et académiques, dont l’Université Paris-Est Marne-la Vallée, de janvier 2008 à novembre 2010. Ce projet scientifique, piloté par le CEA-Leti, vise à fixer un cadre pour la conception d’un système de communication sans fil sur la personne, optimisé, performant et miniaturisé. A travers les partenaires industriels, les domaines touchés couvraient l’électronique grand public, le médical et le sport. Ainsi, une application visée était l’enregistrement de données physiologiques (monitoring). Dans le domaine du sport, les informations recueillies à partir d’un réseau de capteurs placés sur le corps devaient permettre d’améliorer des équipements sportifs. Dans le domaine médical, les études portaient sur l’évolution des systèmes de communication sans fil pour les implants de nouvelle génération (stimulation cardiaque). Le projet BANET visait à combler les faiblesses de l’état de l’art du BAN en apportant :
• une connaissance précise du canal de propagation BAN pour un large éventail de configurations, incluant les contraintes d’utilisation (mobilité, technologies et dispositions des antennes, vêtements, environnement, etc.). Ces modèles proposés pouvaient être des formules analytiques d’affaiblissement de propagation (path loss) ou des modèles statistiques plus sophistiqués destinés à être implémentés dans des simulateurs de couches physiques.
• des règles de conception des antennes en interaction avec le corps, en étudiant l’apport éventuel de la diversité
• une justification du choix d’une interface air et d’un protocole d’accès au médium (couches PHY et MAC) capables de couvrir l’essentiel des besoins en termes de disponibilité du lien radio, de débit, de consommation, de durée de vie et de qualité de service ;
• une étude de la coexistence d’un réseau BAN avec d’autres systèmes sans fil .
L’objectif ultime du projet BANET est l’amélioration de l’efficacité énergétique des composants du réseau pour permettre à terme un réseau BAN autonome grâce à la récupération d’énergie (auto-énergie). Notons que la base de données résultant des campagnes de mesures de canal de propagation sera utilisable sur le long terme à l’intérieur et à l’extérieur du consortium BANET.
Classification des réseaux BAN et bandes de fréquences associées
Dans la terminologie BAN, on distingue plusieurs types de communication possibles, :
– In/On pour une communication entre des capteurs implantés dans le corps et un récepteur à proximité immédiate du corps
– On/On pour une communication entre des capteurs placés à la surface du corps
– On/Off pour une communication avec l’environnement ou d’autres personnes .
Les circuits du type In/On fonctionnent dans la bande de fréquences destinée aux implants médicaux et allant de 402 à 405 MHz. Du fait que les antennes sont placées au sein des tissus biologiques, la longueur d’onde est bien plus faible dans le corps que dans l’air. Ceci permet des antennes relativement petites et implantables dans le corps. A l’heure actuelle, on utilise essentiellement des boucles magnétiques dans les pacemakers . L’antenne est située dans la capsule en plastique qui loge également la connexion des électrodes pour le cœur.
Les communications On/On fonctionnent principalement à 2.4 ou 5.8 GHz. Certains auteurs ont cependant testé d’autres bandes comme le 868 MHz (normalement attribué aux systèmes RFID) et le 10 GHz.
Alimentation des capteurs
Une problématique importante dans l’établissement d’un réseau BAN reste l’alimentation du transmetteur, puisqu’elle conditionne la puissance d’émission du capteur donc sa portée. Pour des raisons d’autonomie, il serait avantageux que la batterie puisse se recharger automatiquement avec des énergies disponibles sur le corps. Parmi les énergies disponibles sur le corps susceptibles de fournir de l’électricité, on peut citer :
– les énergies mécaniques.
– les énergies thermiques.
– les énergies chimiques.
Pour produire de l’électricité avec le corps en mouvement, on peut intégrer de petits générateurs. Par exemple, l’université de Simon Fraser (Canada) développe de petites dynamos qui placées au niveau du genou permettent de produire une puissance de 5 W, en mesure d’alimenter un téléphone portable . Mais à ce jour, le dispositif reste encombrant pour l’utilisateur avec un poids non négligeable de 1.6 kg.
Les ondes de surface et les ondes rampantes dans la littérature
Le concept d’ondes de surface comme explication possible de la télégraphie sans-fil est d’abord apparue en 1898 et est citée par Blondel et Poincaré lors du congrès de Nantes sur l’avancement des sciences [ZEN01]. Puis Lecher an 1902 appuie également cette théorie, mais ce n’est qu’en 1903 que le guidage d’une onde plane à l’interface de deux milieux diélectriques suscite une première approche mathématique par Uller [COL01]. Une résolution rigoureuse est proposée par Zenneck en 1907 dont l’article restera pendant très longtemps l’article de référence sur un mode de propagation qui sera plus tard nommé onde de Zenneck.
En 1909, Sommerfeld introduit un raffinement mathématique à l’étude théorique des ondes de surface. Son analyse repose sur l’étude des champs dipolaires électriques et magnétiques au-dessus d’un demi-espace infini conducteur. Malheureusement, une erreur de signe dans la résolution d’une intégrale complexe conduisait à penser que l’onde de Zenneck était la principale cause de la propagation des ondes le long de la terre. Or de nombreuses mesures ont prouvé que ceci n’était pas correct et en 1919 Weyl démontre que les ondes de Zenneck ne jouent qu’un rôle mineur dans la genèse d’une onde de surface.
Sommerfeld republie son article corrigé en 1926 et ses travaux théoriques sont confirmés par Van der Pol et Niessen en 1930 [WAI01]. Nous savons aujourd’hui que les ondes de Zenneck ne sont en fait qu’une très faible composante du champ total présent à l’interface de deux milieux [KIN01]. En 1936, l’ingénieur Norton publie un article didactique de synthèse basé sur les derniers travaux de Sommerfeld qui s’avérera être la base de la théorie des ondes de surface [NOR01]. C’est sur l’onde de surface de Norton que s’appuiera notre étude théorique de la propagation sur les surfaces planes du corps.
La notion d’ondes rampantes apparaît sommairement dans le “Wireless Telegraphy” de Zenneck en 1907 [ZEN01]. L’intérêt pour ce mode vient du fait que la théorie de Sommerfeld ne pouvait s’appliquer au-delà d’une certaine distance pour laquelle on ne pouvait plus ignorer la rotondité de la terre. On envisageait alors que cette rotondité pouvait compenser les pertes dues à la conductivité du sol [BUR01]. Dans son livre, Zenneck introduit la notion de energy straying (dispersion d’énergie) sous la forme d’une exponentielle e-αd où α dépend de l’inverse de la racine cubique de la longueur d’onde et de l’inverse de la puissance 2/3 du rayon de la terre.
Cette dépendance a été plus tard démontrée par le mathématicien Watson en 1919 dans le cas d’une sphère parfaitement conductrice [WAT01]. Cet auteur a mis en évidence la décomposition du champ électrique sous la forme d’une somme de modes qui correspond à une série de résidus. Des travaux purement mathématiques pour traiter le cas d’une sphère conductrice ayant des propriétés quelconques fut traité par Van der Pol, Bremmer, Eckersley et Millington. Après les travaux de Wait [WAI03], la formulation améliorée du mathématicien Watson a été appliquée à la diffraction par les collines [WAI02], ou au rayonnement des antennes au-dessus d’une sphère [WAI04]. C’est sur la série de Watson améliorée telle que celle employée par Wait que s’appuiera notre étude théorique de la propagation pour les trajets circumcorporels.
La modélisation BAN dans la littérature
Le canal déterministe peut être déterminé par l’intermédiaire de considérations électromagnétiques, soit en partant des équations de Maxwell, [GUP01], [MA01], [KES01], [FOR01], soit en utilisant des théories adaptées à une situation de propagation bien particulière [LEA01]. Le canal déterministe peut également être modélisé à partir de simulations numériques [RYC01] ou à partir de mesures in-situ en environnements appropriés, [REU01], [HAL01], [GHA01]. Plusieurs auteurs [GUP01] et [MA01] se sont basés sur la résolution de l’équation de propagation autour d’un cylindre ou d’un ellipsoïde à pertes excités par des sources canoniques tels que des dipôles infinitésimaux ou des lignes de courants. Malheureusement, cette approche aboutit à des résultats relativement complexes et dénués de sens pratique. Dans [KES01] et [FOR01], Fort et Keshmiri calculent le bilan de liaison autour d’un cylindre à pertes de rayon 15 cm et obtiennent une bonne similitude entre la théorie et la mesure in-situ sur différents individus. Dans [LEA01], les auteurs considèrent entre autres les ondes de Zenneck comme un possible mode de propagation à considérer pour le BAN. Cependant il a déjà été démontré que ce mode ne peut être excité que par une fente verticale de longueur infinie [HIL01]. Pour une antenne de longueur finie, ce mode n’est présent que pour les faibles distances et compose le champ total [HIL01], [KIN01]. En se reportant aux mesures faites par d’autres auteurs, l’article conclut que les ondes de Norton (ondes de surface) suffisent à modéliser correctement le bilan de liaison à la surface du corps.
|
Table des matières
1 Introduction
1.1 Le BAN et ses applications
1.2 Le projet BANET
1.3 Classification des réseaux BAN et bandes de fréquences associées
1.4 Alimentation des capteurs
1.5 Plan de la thèse
2 Modélisation Analytique des Canaux BAN Déterministes
2.1 Motivations
2.2 Résultats expérimentaux préliminaires
2.3 Introduction aux mécanismes de propagation
2.4 Les ondes de surface et les ondes rampantes dans la littérature
2.5 La modélisation BAN dans la littérature
2.6 Impédance de surface pour les modes TE, TM
2.7 Expression générale de l’atténuation
2.8 Atténuation sur une surface plane
2.9 Atténuation sur une surface cylindrique
2.9.1 Polarisation verticale
2.9.1.1 Combinaison des trajets directs et indirects autour d’un cylindre
2.9.2 Polarisation horizontale
2.9.3 Performances de chaque polarisation
2.9.4 Amplitude de l’atténuation pour un trajet circumcorporel
2.10 Atténuation sur une surface quasi-planaire
2.11 Liaison par dipôles
2.12 Caractérisation expérimentale des canaux BAN
2.12.1 Equipement de mesure
2.12.2 Antennes
2.12.3 Procédure de caractérisation
2.12.4 Mesure sur des personnes
2.13 Résultats de mesure – Comparaison avec les modèles analytiques de canaux
2.13.1 Propagation sur le torse
2.13.2 Propagation sur le côté du corps (cheville-poitrine)
2.13.3 Propagation entre épaule et pied (passage par le dos)
2.13.4 Propagation le long des jambes
2.13.5 Propagation pour un trajet circumcorporel (la taille)
2.13.6 Propagation pour un trajet circumcorporel (la tête)
2.14 Conclusion du chapitre
3 Les Antennes BAN et les Interactions Corps-Antenne
3.1 Etat de l’art
3.1.1 Antennes adaptées au contexte BAN
3.1.2 Interactions corps-antenne
3.2 Interactions entre le corps et les antennes : Résultats préliminaires
3.3 Modélisation analytique de l’interaction corps-antenne dans le cas du dipôle horizontal
3.3.1 Expressions analytiques de l’impédance de pertes et de l’impédance totale du dipôle horizontal au-dessus du corps
3.3.2 Influence des paramètres biologiques sur l’impédance de pertes du dipôle à 2.4 GHz
3.3.3 Calcul du rendement pour le dipôle à 2.4 GHz
3.4 Conception d’antennes dédiées au BAN à 2.4 GHz
3.4.1 Fentes résonnantes – Dipôles résonants
3.4.2 Petites antennes
3.4.2.1 Antennes à structure en F-inversé ou IFA
3.4.2.2 IIFA ou Integrated Inverted F Antenna
3.4.2.3 PIFA ou Planar Inverted F Antenna
3.4.2.4 CWPA ou Coplanar Wire Patch Antenna
3.4.2.5 Monopôle court
3.4.2.6 Fente annulaire avec plan de masse
3.4.2.7 Boucle magnétique
3.4.3 Autres solutions
3.5 Estimation du rendement des antennes sur le corps
3.6 Techniques d’insensibilisation au corps
3.7 Mesure de la transmission entre antennes sur fantôme
3.7.1 Mesure du coefficient de transmission entre deux antennes identiques
3.7.2 Mesure du coefficient de transmission entre antennes différentes
3.7.3 Conclusion
3.8 Conclusion du chapitre
4 Modélisation Dynamique des Canaux BAN
4.1 Motivations pour une modélisation dynamique
4.2 Introduction générale aux canaux radio de type mobile
4.2.1 Modélisation d’un canal par sa réponse impulsionnelle
4.2.2 Caractéristiques des canaux de propagation
4.2.3 Les différents types d’évanouissements dans le cadre du BAN
4.3 Modèle physique des canaux BAN en mouvement
4.3.1 Mise en équation du modèle
4.3.2 Effet des déplacements dans la pièce
4.3.3 Effet des dimensions de la pièce
4.3.4 L’effet Doppler
4.4 Spectre HF des canaux BAN
4.5 Les outils mathématiques d’analyse dynamique des canaux BAN
4.6 Modélisation statistique des canaux BAN en mouvement
4.7 Méthode d’extraction des évanouissements
4.8 Méthode d’estimation statistique
4.9 Modèles statistiques des canaux BAN pour quelques scénarii
4.10 Génération d’un signal BAN à partir de la modélisation statistique
4.11 Conclusion du chapitre
5 Conclusion