Le vieillissement de la population est la conséquence de l’évolution démographique des pays occidentaux. La problématique de la performance du sujet vieillissant au travail est particulièrement saillante dans les domaines d’activités critiques, exigeants sur le plan intellectuel, et impliquant un rythme de prise de décision rapide. L’aviation générale (AG), qui regroupe les activités aériennes civiles autres que le transport commercial de passagers, n’impose pas de limite d’âge et beaucoup de pilotes ont plus de 55 ans. Le pilotage d’un avion s’inscrit dans un environnement complexe, changeant et dynamique, nécessitant un processus de prise de décisions rapide ainsi qu’une mobilisation des capacités cognitives de haut niveau, notamment des fonctions exécutives (FE). Lors d’un vol, les FE contribuent entre autres à la planification des actions [6], à la mise à jour des informations en mémoire de travail et donc à l’actualisation de la conscience de la situation [18], ainsi qu’au contrôle cognitif, habileté importante pour adapter le comportement en cas d’événement inattendu et stressant [19]. De plus, un effort attentionné important est requis pour traiter à la fois les informations affichées sur les instruments du cockpit et provenant du monde extérieur. Les effets du vieillissement cognitif et son impact sur les FE sont connus [10, 12]. On observe un déclin de certaines FE et des capacités de perception dès 55 ans. Le déclin des capacités cognitives des pilotes peut mener à l‘erreur, altérant ainsi la sécurité du vol. Alors qu’un nombre notable d’études ont caractérisé l’impact du vieillissement cognitif sur le pilotage [4, 5], peu d’entre elles s’intéressent à l’apport potentiel d’un développement technologique pour mitiger ses effets sur la performance au cours de cette activité.
ETAT DE L’ART
Les problématiques spécifiques soulevées par les domaines critiques, et en particulier l’aéronautique requièrent l’utilisation de moyens d’interactions avancés, comme la modalité tactile [20], le multitouch [7] ou encore l’interaction tangible [3, 24]. Les technologies d’assistance sont aussi largement étudiées. Déjà en 1995, Prevot et al. [21] proposaient CASSY, un système d’assistance à bord basé sur la connaissance L’assistant doit présenter les informations à l’équipage de la manière la plus pertinente possible en fonction du contexte (concept d’interface adaptative). Abeloos et al. [1] se sont interrogés sur l’applicabilité de telles interfaces au sein du cockpit. Une interface adaptative doit être capable de présenter la bonne information, sous la bonne forme et au bon moment, pour permettre à l’utilisateur de maintenir une bonne conscience de la situation. Les auteurs soulignent ainsi la nécessité pour le système d’avoir une capacité d’expertise et de synthèse des informations disponibles supérieur ou égal à celui du pilote. Enfin les auteurs soulignent deux conditions essentielles à l’acceptation de ces interfaces : le pilote doit toujours garder le contrôle sur le système et comprendre le niveau d’adaptation fourni par ce dernier. On voit également apparaître le concept de Cognitive Pilot-Aircraft Interface [15]. Ce concept repose sur la détection en temps réel de l’état physiologique et cognitif du pilote, et l’interprétation de ces états par le système. Ainsi, le système peut générer des alertes adaptées à la situation, moduler l’information présentée au pilote au travers d’interfaces adaptatives, et permet également la ré-allocation dynamique des tâches (comme l’augmentation du niveau d’automatisation) entre le pilote et le système en fonction de son état cognitif et physiologique.
ANALYSE DES BESOINS DES PILOTES
Pour répondre à la problématique nous appliquons la démarche de conception centrée utilisateurs, telle que décrite par Beaudoin-Lafon et Mackay [2]. Pour identifier les besoins généraux des pilotes en termes d’assistance pendant le vol, nous avons mené des entretiens semi-directifs auprès de 12 pilotes (1F, 11H) âgés de 34 à 65 ans. Nous cherchions à identifier si les pilotes exprimaient un besoin d’assistance, et le cas échéant pour quelles tâches et au travers de quels moyens d’interaction. Dans cette étude, tous les pilotes de l’aviation générale (donc habitués à piloter seuls sans copilote) se sont dit favorables à être soutenus par un assistant. La majorité d’entre eux ont décrit leur assistant virtuel idéal comme un superviseur de systèmes qui soit capable de les alerter en cas de situation anormale. Cependant, les pilotes ont exprimé des conditions nécessaires à l’acceptation d’une telle assistance. En particulier, ils ont insisté sur la nécessité de rester le seul maître à bord et de garder l’autorité. Nous avons également relevé que la majorité des pilotes souhaiterait commander l’assistant par l’intermédiaire de la voix (entrée), mais sont fortement opposés à un feedback vocal de la part du système (sortie). Nous n’avons pas relevé d’expression différente des besoins en terme d’interaction en fonction de l’âge des participants. Les réponses à ces entretiens [22] nous ont permis d’envisager la problématique de recherche sous deux angles : l’angle de la cognition et celui de la perception.
APPROCHE PAR LA PERCEPTION
Nous allons étudier différentes modalités d’alarmes au sein du cockpit et leur impact sur la charge mentale du pilote. En effet, les interviews que nous avons menées [22] ainsi que de précédents travaux [16] nous ont permis d’identifier que les pilotes préfèrent ne pas surcharger le canal auditif qui est déjà largement sollicité (p.ex., radiocommunication entre pilote et contrôleurs aériens). On peut observer une absence de prise de conscience d’un stimulus si un canal sensoriel est surchargé [8, 17, 26]. Nous prévoyons d’étudier l’activité cérébrale des participants répondant à ces différentes alarmes au moyen d’un dispositif combinant l’électroencéphalographie (EEG) et la spectroscopie proche infrarouge (fNIRS) en plaçant les capteurs sur un même bonnet, ce qui nous permettra d’enregistrer les deux flux simultanément. L’enregistrement et l’interprétation simultanés de ces deux signaux physiologiques a démontré son efficacité [9, 11, 23, 25]. Nous récolterons les préférences subjectives quant aux différentes modalités au moyen de questions ouvertes ainsi qu’à l’aide du questionnaire AttrakDiff [14] Nous souhaitons en particulier étudier l’impact de l’âge du participant. Pour ce faire, ˙ les participants seront répartis en deux groupes en fonction de leur âge (18-40 ans, > 50 ans) L’expérimentation se déroulera sur un simulateur AL50 (mono-pilote) à l’ENAC (cf. Figure 1). Il sera demandé aux participants de réaliser trois scénarios de vols, de difficultés différentes (paramétrées par les conditions météorologiques, le nombre de messages radio à collationner, et la fréquence des tâches de reporting à effectuer). L’ordre de ces scénarios sera contrebalancé entre les participants. Durant chaque scénario surviendront des alarmes présentées sous différentes modalités (auditive, haptique ou visuelle). Le participant devra réagir à ces alarmes (identifier et traiter la cause de celles-ci) tout en poursuivant son vol. Il lui sera également demandé d’effectuer des actions de reporting.
PERSPECTIVES
Pour la suite de cette thèse, nous prévoyons de nous appuyer sur les résultats de notre étude en cours sur les différentes modalités d’alarmes et de l’étendre à l’étude du changement de modalité d’une alarme en fonction de l’emplacement du regard du pilote. Nous prévoyons également de tester nos différentes solutions en simulateur et en vol réel grâce à la plateforme volante de l’ENAC.
REMERCIEMENTS
Nous souhaitons remercier les utilisateurs et étudiants qui ont accepté de prendre part à ce projet, ainsi que Y. Rouillard et B. Joffre pour leur expertise. Pour finir, nous remercions la Fédération FONISEN pour le financement de cette thèse.
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Table des matières
I)INTRODUCTION
II) GENERALITES
III) METHODOLOGIE
IV) RESULTATS
V) COMMENTAIRES ET DISCUSSION
VI) CONCLUSION
VII) REFERENCES
ANNEXES
RESUME