Concept de performance spécifique aux services infirmiers
Le concept de performance touche directement les infirmières, notamment en ce qui a trait au rôle qu’elles jouent dans la production de services de qualité. Une équipe de chercheurs québécois s’intéressant au concept plus spécifique de performance des services infirmiers le définissent comme suit : « la capacité démontrée par une organisation ou par un service d’acquérir les ressources infirmières nécessaires et de les utiliser de façon durable afin de produire· des services infirmières qui améliorent efficacement les conditions des patients» (Dubois et al., 2013). Cette définition va dans le même sens que les deux objectifs de performance du système de santé québécois, qui englobent les notions de qualité des soins et services et l’utilisation optimale des ressources allouées (MSSS, 2015b). Ces deux objectifs sont d’ailleurs inter reliés, puisqu’un nombre croissant d’évidences scientifiques révèle que des changements dans l’organisation des soins et du travail, dans les ressources allouées aux soins infirmières et dans les interventions effectuées par les infirmières ont pour effet d’améliorer la qualité des soins (Dubois et al., 2015) et, plus globalement, la performance du système (Arah, Klazinga, Delnoij, Ten Asbroek, & Custers, 2003). Selon cette optique, une révision de l’organisation du travail peut avoir un effet sur la performance globale d’une organisation et, à plus grande échelle, sur la performance du système de santé.
Or, selon Desrosiers et al. (2015), actuellement, le personnel infirmier n’est pas utilisé de façon optimale pour améliorer la performance des systèmes de santé, que ce soit sur le plan de la priorité des investissements, de l’organisation des soins et du travail ou de l’optimisation du champ de pratique.
Mesure de la performance des services infirmiers
Le défi actuel concernant la performance des services infirmières réside dans l’évaluation et la mesure de cette dernière. L’évaluation de la performance a pour objectif principal l’amélioration de la qualité des soins (Kurtzman, & Jennings, 2008; Sebai, 2015). Toutefois, son caractère purement qualitatif du service rendu rend l’évaluation de la performance des établissements via les indicateurs, particulièrement ceux quantitatifs, (exemple : taux de mortalité, nombre de lits occupés, etc.) compliquée (Sebai, 2015). Dans de nombreux établissements de santé, la performance des services infirmiers est très peu mesurée.
Toutefois, de plus en plus d’études s’y intéressent (Desrosiers et al., 2015; Dubois et al., 2015; Dubois et al., 2013; Sebai, 2015). Ces études portent, principalement, sur la création d’indicateurs spécifiques, c’est-à-dire disponibles, fiables et valides permettant une mesure adéquate de la performance des services infirmières et, plus spécifiquement, de la qualité des soins. Une de ces études (Dubois et al., 2015) présente un cadre, le Nursing Care Performance Framework (NCPF), qui résume 51 indicateurs de performance des services infirmières identifiés à ce jour. Ces indicateurs englobent, entre autres, la satisfaction des employés, l’autonomie, la collaboration, la satisfaction des patients, le soutien à la pratique, etc. Plusieurs de ces indicateurs rejoignent des éléments du modèle intégrateur en organisation des soins et du travail utilisé dans la présente étude, par exemple: le bien-être et la qualité de vie au travail, l’autonomie, les pratiques professionnelles et le développement de nouvelles compétences.
Retombées du Lean dans le milieu de la santé
Depuis le début des années 2000, l’approche Lean est implantée dans divers établissements de santé dans le monde (Burgess, & Radnor, 2013; De Souza, 2009; Mazzocato et al. 2013). Les États-Unis arrivent premiers en liste comme pays utilisant cette approche dans le milieu de la santé, avec plus de la moitié des projets comptabilisés. Puis, suivent le Royaume-Uni, l’Australie ainsi que le reste de la scène internationale (De Souza, 2009).
Plusieurs auteurs et études font état des retombées observées lors de l’implantation du Lean en santé. En effet, plusieurs établissements ont fait des économies remarquables suite au déploiement du Lean et à l’amélioration des processus de travail (Fillingham, 2007; Hawthorne, & Masterson, 2013; Kaplan, 2013; Kim,Spahlinger, Kin, & Billi, 2006; Radnor, 2011). Des diminutions de coût de main d’œuvre suite à l’élimination de pertes de temps dans les processus ont également été remarquées (Huggins, 2010; Kaplan, 2013). Des projets ont également eu pour effet de diminuer les durées moyennes de séjour des patients hospitalisés (De Souza, & Pidd, 2011), le temps d’attente pour une mammographie (Hawthorne & Masterson, 2013), pour être vu en audiologie (De Souza, & Pidd, 2011), en oncologie (Radnor, 2011) ou par un médecin en clinique (Kaplan, 2013) et à l’urgence (Hawthorne & Masterson, 2013; Kim et al., 2006; Mazzocato et al., 2012). Des diminutions dans les erreurs de médicaments et dans les risques d’infections ont également été notées, notamment en lien avec les installations de voies centrales (Kim et al., 2006) et les installations de cathéters intraveineux (Radnor, 2011). Une étude de Wright et McSherry (2014) mentionne également une diminution des inventaires, ayant eu pour effet de désencombrer les unités de soins afin de faciliter la tâche au personnel. L’approche Lean a également eu un effet sur les déplacements faits par le personnel sur le département et sur le .nombre d’heures supplémentaires effectuées par les employés (Kaplan, 2013;Nelson-Peterson, & Leppa, 2007; Poksinska, 2010).
Barrières à l’implantation du Lean dans les milieux de soins
Malgré les retombées positives observées dans plusieurs projets Lean, certaines barrières sont également soulevées. Les deux plus grandes barrières rencontrées lors de l’implantation du Lean dans les établissements de santé du Québec, comme ailleurs, sont la résistance au changement et le scepticisme face à l’approche (Aheme, & Whelton, 2010; Dagenais, 2012; De Souza, & Pidd, 2011; Fillingham, 2007; Johnson, Smith, & Mastro, 2012; Kaplan, 2013; Nelson-Peterson, & Leppa, 2007; Poksinska, 2010; Wright, & McSherry,2014). La résistance au changement est un problème fréquent lors de l’implantation d’un programme d’amélioration dans n’importe quel type d’organisation. Cette barrière est encore plus fréquemment rencontrée lors de l’implantation d’un projet Lean, puisque la participation et l’implication soutenue des employés est un facteur clé de l’approche et que les solutions doivent venir de ces derniers (De Souza, & Pidd, 20 Il).
Pour ce qui est du scepticisme, cette barrière est également fréquente en début de projet, car les employés du milieu de la santé croient souvent que cette approche, vu sa provenance du secteur manufacturier, n’est pas compatible avec les soins (De Souza, & Pidd, 2011; Johnson et al., 2012; Poksinska, 2010). Plusieurs autres barrières peuvent être également rencontrées pendant l’implantation, tel que le manque de connaissances face à l’approche, la terminologie japonaise et le nouveau vocabulaire en lien avec l’approche, les rôles et la structure hiérarchique des équipes de soins, la mesure de la performance et le manque de coopération parfois rencontrée avec les autres départements (p. ex.,radiologie, laboratoire, etc.) (De Souza, & Pidd, 2011; Poksinska, 2010).
Facteurs facilitant l’implantation du Lean dans les milieux de soins
Pour ce qui est des facteurs facilitant l’implantation de projets Lean dans des milieux de soins, les deux premiers sont l’engagement et la participation des employés, puisque ceux -ci sont considérés experts dans leur travail (Dagenais, 2012; Johnson et al., 2012; Poksinska, 2010). Il est également capital que les gestionnaires de tous les niveaux s’impliquent et soutiennent la démarche Lean. Ils doivent également être présents régulièrement sur les départements où les projets ont lieu (Nelson-Peterson, & Leppa, 2007; Poksinska, 2010). De plus, il est primordial, afin d’assurer la pérennité et le succès des projets, d’instaurer une culture d’amélioration continue dans l’organisation (Dagenais, 2012; De Souza, & Pidd, 2011; Kim, MBA, & Billi, 2009; Lagacé, & Desmeules, 2014; Mazzocato, Savage, Brommels, Aronsson, & Thor, 2010; Radnor, 2011). D’autres facteurs clés permettant d’assurer le succès ont également été identifiés dans une étude québécoise effectuée par Dagenais (2012) : la communication de l’information, la formation Lean pour tous les employés et non seulement ceux sur le comité de projet, la motivation du personnel, la création d’un comité de gestion du changement et la présence d’un expert Lean interne ou externe au projet.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 : problématique
1.1 Système de santé québécois
1.2 Changements dans le système de santé
1.3 Enjeux actuels et performance du système de santé québécois
1.4 Approche Lean
1.5 Objectifs de l’étude
Chapitre 2 : Cadre de référence
2.1 Modèle intégrateur en organisation des soins et du travail
2.2 Trois angles du modèle intégrateur en organisation des soins et du travail
Chapitre 3 : Recension des écrits
3.1 Organisation du travail
3.1.1 Optimisation des ressources humaines infirmières
3.1.2 Optimisation de l’environnement psychosocial du travail de l’infirmière
3.1.3 Optimisation des processus de soins et de travail de l’infirmière
3.2 Performance
3.2.1 Concept de performance
3.2.2 Concept de performance spécifique aux services infirmiers
3.2.3 Mesure de la performance des services infirmiers
3.3 Approche Lean
3.3.1 Retombées du Lean dans le milieu de la santé
3.3.2 Lean dans les établissements de santé au Québec
3.3.3 Barrières à l’implantation du Lean dans les milieux de soins
3.3.4 Facteurs facilitant l’implantation du Lean dans les milieux de soins
3.3.5 Infirmières et Lean
Chapitre 4: Méthodologie
4.1 Type d’étude (devis)
4.2 Population et milieux
4.3 Critères d’inclusion/exclusion et échantillonnage
4.4 Instrument de mesure
4.5 Déroulement des activités, collecte des données et considérations éthiques
4.6 Plan d’analyse des données
Chapitre 5 : Résultats
5.1 Profil des répondantes
5.2 Information sur les projets Lean
5.3 Opinion des répondantes en lien avec l’approche Lean
5.4 Résultats des effets de l’approche Lean (avant/après projet) sur les différents éléments de la section « optimisation des processus de travail »
5.5 Résultats des effets de l’approche Lean (avant/après projet) sur les différents éléments de la section « optimisation des ressources humaines »
5.6 Résultats faisant état des effets de l’approche Lean (avant/après projet) sur les différents éléments de la section« optimisation de l’environnement psychosocial du travail »
Chapitre 6 : Discussion
6.1 Présentation globale des résultats et lien avec les objectifs spécifiques de l’étude
6.2 Recommandations et suggestions afin de faciliter l’intégration des infirmières dans les projets de réorganisation de type Lean
6.2.1 Première recommandation: donner une formation en lien avec l’approche Lean à toutes les infirmières
6.2.2 Deuxième recommandation: Consulter davantage les infirmières en lien avec les éléments des projets Lean
6.2.3 Troisième recommandation: Impliquer davantage les jeunes infirmières dans les projets Lean
6.2.4 Quatrième recommandation: Faire participer davantage les infirmières aux événements Kaizen
6.2.5 Cinquième recommandation: Promouvoir la transparence et la communication de l’information auprès des infirmières et de l’équipe de soins et mentionner les bons coups
6.3 Limites de l’étude
6.4 Retombées attendues
Conclusion
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