Concept de la reconnaissance de la latéralité
Il est important de signaler la difficulté que nous avons rencontrée lorsque nous avons entamé des recherches sur la reconnaissance de la latéralité (RL). En effet, elle n’est mentionnée comme telle que dans les articles scientifiques en lien avec Parsons, le premier auteur à parler de ce concept. Aussi, pour pouvoir mener à bien notre travail, nous avons cherché à répertorier tous les termes associés à cette notion. Or, la tâche s’est avérée relativement complexe puisque la RL se réfère plus à un concept qu’à un terme spécifique. Moseley (2012) écrit non sans humour à ce sujet que l’usage du substantif « latéralité » a causé un réel problème aux « brainiacs » (les spécialistes de l’organisation et du fonctionnement du cerveau) qui utilisent cette notion uniquement pour définir où se situe un centre fonctionnel au niveau des hémisphères corticaux. C’est pourquoi il est arrivé à la conclusion de proscrire l’utilisation du mot latéralité lorsqu’il parle de jugements gauche/droite d’un membre, pour ainsi éviter toute confusion (G. Lorimer Moseley, Gallace, et Spence, 2012). De surcroit, nous retrouvons dans la littérature scientifique de la deuxième moitié du XXe siècle, des articles traitant d’une part de la « latéralité » et d’autre part de la « reconnaissance ». Ceci s’explique par le cloisonnement des sciences impliquées dans l’étude du cerveau.
La latéralité, se rapportant plus spécifiquement à la psychologie, caractérise la dominance fonctionnelle d’un côté du corps sur l’autre1 (Van Riper, 1937). Donc, à ne pas la confondre avec la latéralisation du cerveau développée par Broca, qui n’est pas l’objet de notre étude. La reconnaissance, quant à elle, est une « forme, [une] fonction de la mémoire par laquelle le sujet pensant identifie l’objet d’une représentation actuelle à un objet antérieurement perçu » (d’apr. Foulq.-St-Jean 1962)2. A un niveau fonctionnel, la reconnaissance visuelle d’un objet revient à déterminer comment nous pensons ce que nous voyons (Peissig et Tarr, 2007). Au cours de ce travail, nous nous concentrons sur le concept de reconnaissance de la latéralité, prenant en compte les deux parties brièvement détaillées ci-dessus.
Définitions : A partir des années 2000, un virage concernant les recherches sur la reconnaissance, sur l’imagerie motrice ainsi que sur les paradigmes de la rotation mentale s’est produit. En effet, les chercheurs se sont positionnés à la convergence de la psychologie cognitive, de la neurologie comportementale et de l’imagerie motrice fonctionnelle (Parsons, 2001), ce qui a permis d’approfondir les études sur les mécanismes impliqués dans la reconnaissance de la latéralité et d’en donner une définition plus pointue (G. Lorimer Moseley et al., 2012). Nous citons celle de Martina Egan Moog (2013), qui nous propose la traduction française suivante : « La reconnaissance de la latéralité est une représentation du mouvement implicite : cela signifie que le mouvement est précédé d’une ébauche du mouvement. Ce plan d’action est établi dans les aires motrices secondaires. La stimulation de ces aires entraîne une activation subliminale des cellules M13 spécifiques, mais sans que le programme de mouvement ne soit véritablement initié. » Or, pour en arriver à ce degré de complexité, le concept de reconnaissance de la latéralité connait depuis les années septante une mutation constante.
Les progrès dans la compréhension du cerveau et de ses mécanismes ont permis aux auteurs de définir de plus en plus précisément le lien existant entre la durée du processus de rotation mentale et les différences d’orientation des représentations (Corballis, 1980) ; l’influence des contraintes biomécaniques induites par la position dans laquelle est représentée le membre (Parsons, 1987, 1994; Sekiyama, 1982) ; ainsi que les différences et les analogies entre différentes parties du corps, entre la main et le pied principalement (Parsons, 1987) Annexe I. Grâce à ces nouvelles découvertes, Parsons donne en 2001 cette définition de la reconnaissance de la latéralité, reprise par Egan Moog (2013) : « la capacité du cerveau à se représenter un schéma corporel interne et par là-même implicitement à faire la différence entre la partie droite et la partie gauche du corps. …C’est un processus complexe, impliquant l’identification de la partie du corps, les représentations mentales des mouvements et l’intégration de cette représentation du mouvement dans des organisations spatiales. » (p. 21).
Contexte physio thérapeutique Grâce à la littérature scientifique sur le sujet, nous pouvons affirmer que le concept de la reconnaissance de la latéralité tient une place prépondérante dans le monde de la physiothérapie. Comme elle fournit de précieuses informations sur le processus de traitement de l’information et de la représentation corticale proprioceptive du corps (Wallwork, Butler, et Moseley, 2013), elle se retrouve par conséquent dans de nombreux domaines physiothérapeutiques autant en milieu hospitalier qu’en centre de rééducation ou encore en cabinet. D’un point de vue clinique, le test de la reconnaissance de la latéralité est actuellement utilisé afin d’évaluer la présence de douleurs, principalement chez des sujets chroniques (Coslett, Medina, Kliot, et Burkey, 2010a). La tâche demandée par ce test fournit un aperçu non négligeable des modifications dans les représentations cérébrales, ce qui permet de mieux comprendre les mécanismes de la douleur ou d’autres troubles somatiques (Nico, 2004).
En outre, grâce à ces deux variables, le temps de réponse (RT) et principalement l’exactitude des réponses (AC), le test sert également à détecter si une personne feint sa douleur ou non (Coslett et al., 2010a). Cependant selon les auteurs, cet aspect manque encore de valeur. Relevons également que Bowering suggère que lors d’une phase de rémission, les réponses au test pourraient devenir un indicateur de la probabilité de résurgence de phases douloureuses (2014). D’un point de vue thérapeutique, le jugement de la latéralité permet de déterminer si un sujet est capable d’imagerie motrice (McCormick, Zalucki, Hudson et Moseley, 2007) et ainsi de pouvoir établir un traitement spécifique à la désensibilisation du cerveau en deux phases : la première, par l’activation des zones pré-motrices ainsi que des zones motrices ; et la deuxième par l’initiation du mouvement sans activer les inputs nociceptifs (G. Lorimer Moseley, 2012). Quel que soit l’objectif recherché par le physiothérapeute, l’outil permettant d’évaluer la reconnaissance de la latéralité est le même. Nous détaillerons son application dans le chapitre suivant.
Collection des données
Afin de collecter de manière optimale les données à analyser, nous avons chacune de notre côté classé les articles selon leur utilité, puis relevé les données nécessaires à la méta-analyse future. Pour l’évaluation de la validité discriminante, les articles devaient contenir des données comparatives entre le groupe de sujets présentant des douleurs et le groupe contrôle, sans douleurs. Rappelons que la validité discriminante consiste à démontrer que le test mesure bien ce qu’il doit mesurer (Sim et Arnell, 1993) ou, en d’autres termes, que le test est valide dans la mesure d’un attribut (litt. attribute) c’est-à-dire la caractéristique de l’objet ou du concept étudié, si et seulement si a) l’attribut existe et b) les variations dans l’attribut produisent en conséquence des variations dans les résultats de la procédure de la mesure (Borsboom, Mellenbergh, et van Heerden, 2004). Dans le cadre de ce travail, l’attribut correspond à la douleur qui devrait influer sur le temps et/ou l’exactitude des réponses. Plus précisément, la validité discriminante (Campbell et Fiske, 1959) ou la validité divergente vérifie qu’il n’y a pas de corrélation entre l’échelle étudiée et une autre variable (Fermanian, 2005). Donc cela correspond bien à la distinction entre le groupe contrôle versus le groupe avec douleur.
Ainsi, nous avons établi une méta-analyse sur la base de Forest Plots calculant les différences moyennes (DM) et les différences moyennes standardisées (SDM) du temps et de l’exactitude des réponses. En ce qui concerne l’évaluation de la fiabilité test-retest qui exprime la consistance des données d’un test ou d’une mesure ou en d’autres termes, qui estime les effets de l’erreur de mesure sur la taille du groupe, sur la puissance statistique et sur la corrélation d’atténuation, nous devions trouver la valeur de coefficient de corrélation intra-classe (ICC). Ce coefficient est le moyen le plus commun de mesurer la fiabilité, puisqu’il correspond à un ratio des variables dérivées du modèle ANOVA5 (Weir, 2005). Le premier but de l’ICC est de normaliser l’erreur de mesure relativement à l’hétérogénéité des sujets inclus dans l’étude (Weir, 2005). Nous avons également pris l’option de ne retenir que les valeurs de l’intervalle de confiance, en plus de la moyenne des ICC, car les valeurs de celui-ci nous procurent plus d’informations que la valeur-p, par exemple (Weir, 2005). A la fin de cette étape, nous avons réuni les données dans le but de les vérifier et de les compulser dans des tableaux récapitulatifs Excel. Nous avons spécifié pour chaque ICC le membre correspondant (Tronc, Main ou Pied), et classé les résultats selon leur appartenance au RT ou à l’AC. Ces données ont ensuite été introduites sur le programme RStudio afin de mettre en place une méta-analyse de ces ICC.
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Table des matières
1. Introduction
1.1 Contexte général
1.2 Concept de la reconnaissance de la latéralité
1.2.1 Définitions
2. Cadre théorique
2.1 Contexte physio-thérapeutique
2.2 Outil de mesure utilisé
2.3 Hypothèse et objectif de notre revue
3. Méthode
3.1 Design
3.2 Stratégie de recherche
3.2.1 Moteurs de recherches
3.2.2 PICO
3.3 Sélection des articles
3.3.1 Stratégie de recherche
3.4 Méthode d’analyse du risque de biais des articles inclus
3.5 Collection et méthode d’analyse des données
3.5.1 Collection des données
3.5.2 Méthode d’analyse des données
4. Résultats
4.1 Sélection des articles
4.2 Description des études sélectionnées
4.2.1 Bowering 2014
4.2.2 Bray 2011
4.2.3 Elsig 2014
4.2.4 Kolly 2014
4.2.5 Linder 2015
4.3 Analyse du risque de biais
4.4 Résultats des interventions analysées
4.4.1 La validité discriminante
4.4.2 La fiabilité test-retest
5. Discussion
5.1 La stratégie de recherche
5.2 Risque de biais
5.3 Interprétation du COSMIN
5.4 Interprétation des résultats de la revue
5.5 Implication pour la pratique
5.6 Pistes pour futures recherches
6. Conclusion
7. Références bibliographiques
8. Liste des figures
9. Liste des tableaux
10. Annexes
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