Concept de biodisponibilité des éléments traces dans les sols
D’après Peijnenburg et al. (1997), le concept de biodisponibilité se décompose en trois sous-concepts : la disponibilité environnementale, la biodisponibilité environnementale et la biodisponibilité toxicologique. L’évaluation des effets sur les organismes de la présence de contaminants dans les sols tels que les éléments traces nécessite donc d’évaluer la disponibilité des éléments dans les sols et la biodisponibilité pour les organismes.
Disponibilité environnementale
La disponibilité environnementale est définie comme « la fraction du contaminant potentiellement disponible pour des organismes et qui résulte de processus physico-chimiques de désorption » (norme ISO 17402, 2008). La disponibilité environnementale peut donc être évaluée au travers d’approches chimiques opérationnelles d’extraction avec des extractants de différentes forces. Peijnenburg et Jager (2003) ont par ailleurs proposé d’étudier la disponibilité environnementale au travers de la spéciation chimique des métaux dans les sols, i.e. la détermination de leurs différentes espèces chimiques en interaction avec les différentes phases du sol (Fig.1). L’étude de la spéciation chimique des métaux dans les sols permet de mettre en avant la solution du sol dans les mesures de disponibilité environnementale des métaux. En effet, parmi les différentes formes chimiques des éléments traces dans les sols, les ions libres (Cu2+, Zn2+…) sont connus comme les principales espèces chimiques prélevables par les organismes du sol et qui contrôlent la toxicité de ces éléments pour les organismes (Hough et al., 2005; Sauvé et al., 1996). Dans les sols, évaluer la spéciation chimique des éléments traces peut donc permettre d’avoir accès à l’exposition des organismes vivants. Cependant, la spéciation des métaux en solution se fait par l’étude des équilibres chimiques et ne permet pas de prendre en compte les contraintes cinétiques qui peuvent être en jeu dans le réapprovisionnement en métaux de la solution du sol par la phase solide. Pour cela des techniques comme la DGT (diffusive gradient in thin film), permettant de prendre en compte (i) les processus à l’équilibre qui régissent le partitionnement phase solide-solution des métaux disponibles et (ii) des processus cinétiques qui régissent la labilité des métaux (Degryse et al., 2009).
Si les éléments traces peuvent interagir avec les organismes, en retour les organismes du sol peuvent modifier la disponibilité environnementale des éléments traces dans la zone dite bio-influencée du sol. Par exemple il est connu que les organismes peuvent modifier certaines conditions chimiques (e.g. pH, concentration en matière organique dissoute) dans le sol, par exemple dans le volume de sol bioinfluencé par les vers de terres ou la rhizosphère soumise aux activités racinaires des plantes, ce qui en conséquence peut modifier la disponibilité environnementale des éléments traces (Hinsinger et al., 2003, 2006 ; Sizmur et Hodson, 2009). La zone de sol bio-influencée par les organismes est intégrée dans le concept plus général de domaines fonctionnels défini par Lavelle, (2002). Ces domaines fonctionnels sont hiérarchisés dans l’espace, le temps et en fonction de l’hétérogénéité des ressources pour les organismes. Les domaines fonctionnels sont constitués de zones de sol influencées par des régulateurs biotiques et abiotiques et opèrent à des échelles spatiales et temporelles qui peuvent différer. La notion de domaine fonctionnel prend en compte des échelles de temps et d’espace que nous n’avons pas considéré dans ce travail, nous parlerons de zone/sol bio-influencé par les organismes. Cette zone bio-influencée du sol est en général moins bien caractérisée et encore peu prise en compte dans la compréhension et la modélisation de la spéciation chimique des éléments traces dans les sols.
Biodisponibilité environnementale
La biodisponibilité environnementale est « la fraction du composé disponible dans le sol qu’un organisme absorbe par des processus physiologiques » (ISO 17402, 2008). Harmsen et al. (2005) ont proposé une définition plus opérationnelle de la biodisponibilité en intégrant la durée d’exposition des organismes à la mesure de biodisponibilité environnementale. La biodisponibilité environnementale peut donc également être définie comme le flux d’un élément trace donné vers un organisme cible pour un temps d’exposition donné (Harmsen et al., 2005) (Fig. 1). Le flux de contaminant vers un organisme peut être estimé via la mesure de l’accumulation du contaminant dans un organisme cible, rapporté au temps d’exposition de l’organisme au sol contaminé. La norme ISO 17402 suggère que la biodisponibilité environnementale puisse être approchée via des mesures chimiques ou biologiques, les mesures chimiques n’étant alors qu’un indicateur de la biodisponibilité pour les organismes et non une mesure directe de la biodisponibilité environnementale (Harmsen, 2007; Harmsen et al., 2005). L’évaluation de la biodisponibilité des éléments traces au travers de mesures chimiques de disponibilité de ces éléments dans le sol ne peut donc pas être envisageable car ne tient pas compte de la spécificité de l’organisme, à moins de faire ces mesures dans la zone bio-influencée par l’organisme-cible. D’après Harmsen (2007) il est difficile de définir la biodisponibilité d’une manière générale, puisque la mesure de biodisponibilité est susceptible de varier d’un organisme à un autre. Il faudrait donc définir et mesurer des biodisponibilités spécifiques à chaque organisme cible. Cela a été rendu opérationnel avec la mise en place de bioessais standardisés pour évaluer la biodisponibilité pour les organismes. Cependant souvent peu d’espèces-cibles sont conseillées d’utiliser pour un type d’organisme, la/les espèces ne sont pas nécessairement représentatives des conditions hors laboratoires, et le plus souvent dans ces bioessais les sols sont contaminés artificiellement. Récemment, pour les plantes un bioessai a été standardisé (ISO-16198, 2015) pour évaluer la phytodisponibilité environnementale des métaux et préconise l’utilisation d’espèces végétales agricoles communes qui sont capables de maximiser la phytodisponibilité. Il est également possible avec ce type de bioessai de prendre en compte la bio influence de la plante sur la disponibilité.
La biodisponibilité environnementale des métaux pour les organismes peut être reliée à la théorie de l’ion libre (Free Ionic Activity Model, FIAM) et, pour le sol, au modèle du ligand biotique terrestre (Terrestrial Biotic Ligand Model, TBLM). Ces deux modèles se basent sur la détermination de la spéciation des éléments traces en solution. Le modèle FIAM établit que la forme libre du métal en solution est la seule à interagir physico-chimiquement avec les surfaces des organismes exposés et que l’intensité de cette interaction est proportionnelle à la bioaccumulation et in fine à l’effet toxique sur l’organisme (Slaveykova et Wilkinson, 2005). Le modèle du ligand biotique terrestre se base également sur cette théorie en la complétant par la prise en compte des mécanismes de compétitions pour l’adsorption sur les surfaces de l’organisme-cible entre les formes libres des éléments traces, des protons et des éléments majeurs (e.g. Ca2+, Mg2+). In fine ces modèles permettent d’évaluer la biodisponibilité toxicologique des métaux pour les organismes par la mesure d’indicateurs d’effets toxicologiques (Thakali et al., 2006; Thakali et Herbert, 2006) comme par exemple l’élongation racinaire chez les plantes. Cependant depuis la mise en place de ces modèles, de nombreuses exceptions ont été mis en évidence pour les sols (e.g. Mourier et al., 2011). Les modèles FIAM et TBLM ont été établis sur une base physico-chimique et appliqués à des cas évaluant des expositions à de fortes concentrations. A de plus faibles niveaux d’expositions, des phénomènes de régulations biologiques par les organismes peuvent être observés (e.g. Spurgeon and Hopkins, 1999), ce qui pourrait expliquer que les relations entre disponibilité et biodisponibilité ne sont pas toujours évidente.
Biodisponibilité toxicologique
La biodisponibilité toxicologique concerne les effets toxiques que peuvent avoir les éléments traces accumulés au sein des organismes (Fig. 1). Les effets toxiques des éléments traces sont en général observés à partir d’un seuil d’accumulation dans les organismes Harmsen (2007), mais avant d’atteindre de tels seuils, des indicateurs d’effet plus précoces peuvent être mis en évidence au niveau biochimique ou moléculaire à l’échelle infra-individuelle (e.g. Marchand et al., 2017; Pérès et al., 2011).
La biodisponibilité toxicologique d’un élément trace dépend ainsi de son interaction et plus encore sa pénétration dans un organisme, c’est-à-dire de sa biodisponibilité environnementale qui est donc un prérequis à l’évaluation de la biodisponibilité toxicologique. Cette biodisponibilité environnementale est elle-même dépendante de « l’offre du sol », donc de la disponibilité environnementale de l’élément trace dans le sol. Cette dernière est principalement déterminée par les conditions physico chimiques dans un sol donné ainsi que par la bio-influence des organismes vivant dans ce milieu (voir 1.1) et en revanche généralement peu par le niveau total de contamination du sol. Ainsi, la concentration totale des éléments traces dans les sols explique peu la biodisponibilité de ces éléments pour les organismes vivants et n’est en général pas considérée comme un bon indicateur de la biodisponibilité. Considérant que la biodisponibilité d’un élément trace dans le sol est dépendante de sa disponibilité, la détermination des deux composantes est nécessairement complémentaire pour comprendre et évaluer le transfert vers les organismes et la toxicité à partir de données de disponibilité de cet élément dans le sol. Les preuves empiriques et les relations de cause à effet du concept de biodisponibilité restent cependant encore partielles dans la littérature, notamment pour les organismes du sol autres que la plante dans la littérature (Beaumelle et al., 2016).
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre I : Synthèse bibliographique
1. Concept de biodisponibilité des éléments traces dans les sols
1.1 Disponibilité environnementale
1.2 Biodisponibilité environnementale
1.3 Biodisponibilité toxicologique
2. Présence et devenir du cuivre et du zinc dans les sols
2.1 Sources de cuivre et zinc dans les sols agricoles
2.2 Déterminants physico-chimiques de la disponibilité environnementale du cuivre et du zinc dans les sols
2.3 Déterminants de la biodisponibilité environnementale du cuivre et du zinc pour les plantes et les vers de terre
3. Influence de l’apport de fertilisants organiques sur la disponibilité du cuivre et du zinc
3.1 Modifications induites par l’apport de fertilisants organiques
3.2 Effets des fertilisants organiques sur la biodisponibilité du cuivre et du zinc pour les plantes et les vers de terre
4. Objectif et stratégie de recherche
4.1 Objectifs scientifiques de la thèse
4.2 Stratégie expérimentale
Chapitre II : Disponibilité du cuivre et du zinc dans des sols amendés avec des fertilisants organiques pendant une décennie
1. Introduction
2. Material and Methods
2.1 Soil and field trial characteristics
2.2 DTPA extraction from soils
2.3 DGT soil analysis
2.4 Soil solution extraction and analysis
2.5 Modeling Cu2+ and Zn2+ activity
2.6 Data processing and analysis
3. Results and Discussion
3.1 Decadal organic fertilization induces a copper and zinc contamination in soils
3.2 Soil and fertilization types substantially but differently influence the solution chemistry and copper and zinc availability in soils
3.3 Increased pH and DOM induced by organic fertilization mitigates the copper and zinc availability in soil
3.4 The increase in DOM binding properties induced by organic fertilization drives copper but not zinc speciation in soil solution
4. Conclusion
5. Annexes
6. References
Chapitre III : L’apport de résidus organiques à long-terme augmente-t-il la biodisponibilité du cuivre et du zinc pour les organismes ?
I. Do organic fertilizer application to soils for a decade promotes copper and zinc bioavailability to earthworms?
I.1 Introduction
I.2 Material and Methods
I.2.1 Soil characteristics and incubation
I.2.2 Earthworms
I.2.3 Experimental set-up
I.2.4 Measurements on earthworms
I.2.5 Extraction and analysis of soil solution
I.2.6 Modeling of copper and zinc speciation in soil solution
I.2.7 Data treatment and analysis
I.3. Results
I.3.1 Effect of soil and fertilization types on solution chemistry and copper and zinc availability in the soils bio-influenced by earthworms
I.3.2 Variation of pH, DOC concentration and SUVA in soils bio-influenced by earthworms
I.3.3 Copper and zinc availability in soils bio-influenced by earthworms
I.3.4 Binding properties of dissolved organic matter in the earthworm bio-influenced soils
I.3.5 Bioavailability of copper and zinc for Dichogaster saliens
Conclusion générale
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