Représentations liées à l’apprentissage et à la littérature
Cadre d’intervention et représentations de l’apprentissage
Le cursus de spécialité de français
Contrairement à ce qui est le cas en France, il existe un examen d’entrée à l’université en Chine : le Concours national d’entrée d’éducation supérieur ( 普通高等学校招生全国 一考 统 试 , également connu sous le nom de 高考, c’est-à-dire Gaokao, cf. Gaokao présentation 2019 dans la sitographie). Les lauréats de ce concours peuvent ensuite intégrer une université de leur choix parmi un éventail d’établissements, en fonction du résultat qu’ils ont obtenu. Ceux qui en ont la possibilité peuvent, s’ils le souhaitent, s’orienter vers un cursus de spécialité de français. Autre spécificité chinoise : la licence se déroule en quatre ans au lieu de trois. La quatrième année a sans doute pour but de préparer les étudiants au choix qui s’offre à eux au-delà des études de licence : entrer dans la vie active ou poursuivre les études en Master. De fait, au cours de la L4, les étudiants effectuent un mémoire d’une quinzaine de pages, qui constitue une sorte d’initiation à la recherche scientifique, ainsi qu’un stage en entreprise, qui leur permet de se créer un embryon de réseau professionnel et d’expérimenter un métier, généralement en lien avec leurs études. Le cursus de licence comporte des cours de tronc commun, obligatoires pour tous les étudiants : sport, formations d’orientation politique (« Histoire moderne chinoise », « principes de base du marxisme », « Introduction à la pensée de Mao Zedong », « Culture idéologique et morale », etc.) ou technique (un équivalent du Certificat Informatique et Internet français).
Les études de spécialité sont ponctuées par deux examens nationaux, le premier en fin de L2 (Test national de français comme spécialité niveau 4, désormais TFS4) et le second à l’issue de laL4 (Test national de français comme spécialité niveau 8, désormais TFS8). De manière générale, les professeurs évitent de faire échouer les étudiants en licence : d’après un article de la presse gouvernementale, le taux de réussite général pour les apprenants en licence en Chine seraitsupérieur à 90 %, voire 95 % (Zhang, 2019). En revanche, il est tout à fait possible d’échouer auTFS4 et TFS8. Cela explique que, pour une large part, les cours dispensés par les professeurschinois et les manuels locaux utilisés aient pour objectif de préparer ceux qui suivent un cursus de français à passer ces examens (Dong, 2012). En effet, en ce qui concerne le contenu des enseignements, une enquête de l’Association Chinoise des Professeurs de Français (ACPF), conduite en 2009 au sein de 86 établissements du pays, a révélé une grande homogénéité des programmes des deux premières années de licence. Les étudiants reçoivent d’une part des cours de « français intensif » (Dong, 2012 : 82), principalement à partir de la méthode Le français 法 语 (Ma, 1992) , dont la méthodologie, surtout tournée vers la compréhension écrite, la grammaire et la traduction, est qualifiée par Besse (2011 : 250) de « traduction/grammaire ». D’autre part, les cours audiovisuels (Dong 2012 : 82), habituellement fondés sur des manuels occidentaux adaptés au public Chinois – c’est-à-dire, en grande partie traduits (en général Reflets 走遍法国, cf. Capelle etGidon, 1999). Ces derniers visent à développer les compétences de compréhension et d’expression orale, qui ne sont que très peu concernées par les programmes du TFS4 et du TFS8 (à l’exception de l’exercice de dictée). À partir de la L3, le programme se diversifie avec l’introduction de cours de français sur objectif spécifique (par exemple, « Français des affaires »), de civilisation (« Aperçu de la France », « Histoire de la littérature française ») ou visant à développer une compétenceparticulière (« Rédaction », « Lecture », « Dictée »). L’offre de cours se diversifie alorsconsidérablement en fonction des universités et selon les domaines de spécialité de l’équipeenseignante, comme on peut le constater en comparant les cours proposés à l’YCTU et à GDUFS.
Ainsi, dans la première université, on m’a chargé d’un cours d’informatique, car j’ai assuré desformations de ce type à l’Université Paris-Nanterre et à l’Institut catholique de Paris. À GDUFS, j’ai assuré un cours d’orientation culturelle, intitulé « Aperçu de la France », probablement parce que j’ai effectué des études d’histoire avant de me réorienter vers l’enseignement du FLE. À Yancheng, mon collègue lecteur de français, possédant un Master d’économie et gestion, s’occupait du cours de français des affaires.
Dans chaque département de français, les professeurs (habituellement, les lecteurs étrangers) organisent un « coin français », qui est censé être un lieu d’échanges en français ayant un caractère plus informel. Par exemple, à GDUFS, la stagiaire Peng Yicheng a organisé durant l’année scolaire 2018-2019 des ateliers théâtre en collaboration avec le lecteur Raymond Rocher (Peng, 2019).
L’année suivante, c’est à nouveau M. Rocher qui s’est chargé de cette activité.
GDUFS, cadre de la présente recherche, propose un parcours de spécialité de français tout à fait représentatif de l’enseignement de cette discipline en Chine : d’abord deux années centrées sur l’acquisition des bases de la langue puis deux années avec un programme plus varié (cours de lecture et de rédaction ; cours de culture et de littérature ; cours professionnalisants, par exemple « Interprétation »). Les principaux manuels utilisés sont les plus courants : Le français(Ma, 1992)et Reflets(Capelle et Gidon, 1999).
La collaboration franco-chinoise au sein des départements de français
D’après une enquête menée auprès de professeurs étrangers dans le cadre de la présente recherche, la répartition du travail entre professeurs chinois et français varie considérablement d’un établissement à l’autre. De manière générale, les témoignages recueillis suggèrent que les directeurs de département confient habituellement aux Français les cours audiovisuels ou portant sur un thème précis. L’un d’eux, qui a enseigné dans plusieurs universités chinoises durant six ans jusqu’en 2019, raconte :
Dans mes souvenirs, les profs chinois ont toujours utilisé Le français[…]. Y avait toujours un prof étranger qui faisait de l’audiovisuel […] avec ou sans méthode. La méthode Reflets était populaire mais elle doit se faire rare maintenant. [J’ai assuré les cours de] civilisation, français des affaires, tourisme, littérature, écriture, oral. Surtout le FOS [Français sur Objectifs Spécifiques] en fait, ce que je préfère. (Lucas)
La culture éducative des étudiants
Si les professeurs chinois ne sont pas opposés à la mise en place de dispositifs relevant de pédagogies actives, il faut encore que ceux-ci puissent être reçus favorablement par les étudiants ciblés. Dans le cadre du cours intitulé « Aperçu de la France » que j’ai donné au premier semestre, les contenus étaient partiellement élaborés par les apprenants, suivant un modèle proche de celui décrit par Pu Zhihong et Zeng Xiaoyang (2009). Ces derniers ont en effet obtenu des résultats très positifs. À l’issue du semestre, j’ai demandé aux étudiants d’évaluer ce cours et de donner des conseils. Certains d’entre eux ont critiqué la place trop grande accordée aux apprenants, dont les discours auraient dû être systématiquement repris en détails par l’enseignant. La plupart ont regretté n’avoir pas assez de données factuelles à apprendre par cœur en vue de la révision du contrôle. Ces remarques témoignent de l’inadéquation entre la méthodologie adoptée et les attentes desapprenants. Pour autant, d’après plusieurs études (en particulier Littlewood, 2000) et d’autres expériences conduites l’année dernière à l’YCTU, il semble clair que les jeunes Chinois peuvent être très réceptifs aux pédagogies actives. Pour le vérifier, le questionnaire initial adressé aux étudiants comportait plusieurs rubriques dans lesquelles il fallait ordonner un ensemble de propositions de la plus importante à la moins importante, concernant leurs objectifs et les méthodes d’apprentissage, ainsi que les qualités que devraient posséder les enseignant et les étudiants. La principale motivation des répondants est de trouver un métier lucratif (50 % ). Ilssouhaitent parler un français standard (42 %) et pouvoir communiquer avec aisance en français(42 %). Il est intéressant de constater que ceux pour qui l’important est de réussir aux examens (36 %) ne cherchent pas à apprendre à communiquer en français, mais plutôt à trouver un bon métier. Il est presque certain que ces étudiants seront passifs et peu motivés en classe. Ils semblent en effet plus favorables à une méthodologie chinoise traditionnelle (importance de la mémorisation et de la répétition, le professeur doit être savant). À l’inverse, ceux qui apprennent le français pour pouvoir communiquer dans cette langue (42 %) devraient être réceptifs aux pédagogies actives : ils estiment que la meilleure méthode d’apprentissage est d’avoir des échanges non simulés dans cette langue. Ils pensent que l’une des principales qualités de l’apprenant est de s’intéresser aux cours et que l’enseignant devrait proposer des activités stimulantes.
Les représentations qu’ont les étudiants et enseignants de la littérature
La présente recherche part de l’hypothèse que des activités en lien avec la littérature et, plus généralement, l’écrit, pourraient être de nature à renforcer la motivation des étudiants. Une telleconjecture suppose de vérifier plusieurs choses : comment les étudiants perçoivent-ils la littérature ?Quel est leur rapport à l’écrit ? Quelle est la place de la littérature dans l’enseignement du françaisen Chine ?
Le rapport des étudiants à l’écrit et à la littérature
En introduction d’un article écrit en 2016, Agnès Pernet-Liu dresse un bilan historique du rapport à l’écrit dans la culture et les écoles chinoises. Elle cite l’expression de Jullien, qui qualifie la Chine de « civilisation du wen » (Jullien, 2004 cité par Pernet-Liu, 2016 : 98). Il s’agit d’un jeu de mots, car le caractère 文 est à la fois associé à l’écrit et à la littérature (« 文学 », littérature), à la langue (« 中文 », langue chinoise) mais aussi à la culture (« 文化 ») et à la civilisation (« 文明 »). Dans cette conception, l’écrit est à la source-même de la civilisation ; c’est ce qui permet de la définir. À l’école, l’écrit est principalement abordé par des processus d’imitation (« l’acquisition lente du geste graphique par l’imitation ; la copie en série des sinogrammes pour fixer la mémoire des graphies », cf. Pernet-Liu, 2016 : 100) et de mémorisation (« l’apprentissage par coeur de phrases ou de passages de textes qui seront reproduits dans l’écriture », cf. ibid.). Dans le cadre scolaire, l’écriture est liée à la littérature, elle-même d’abord conçue comme une collection de textes de grands auteurs – c’est-à-dire, la littérature patrimoniale – à mémoriser et à imiter (Chen et Li,2012).
Au-delà, de la question du corpus, on peut s’interroger sur la manière dont les étudiants chinois perçoivent la littérature, en général. Dans le cadre de l’enquête préliminaire, il a étédemandé aux enquêtés de citer trois mots traduisant ce qu’elle représente pour eux. Les termes rassemblés – essentiellement en chinois – ont été classés en champs lexicaux de mots voisins, suivant une logique tenant compte des caractères employés. Par exemple, le caractère 美 est utilisé pour composer un ensemble de mots voisins liés à l’idée de beauté : 美 丽 (« beau »), 美 好 (« beau, excellent »), 美 妙 (« splendide, sublime »), 美 感 (« impression de beauté »), 美 优 (« élégant »). Dans ce groupe ont aussi été incluses toutes les expressions renvoyant à la beauté ne comportant pas le caractère 美 : les termes français (« beau, magnifique, splendide ») et les termes appartenant au même champ lexical ( 瑰 丽 « magnifique », 细 腻 « délicat, exquis», 迷 人 « charmant »). L’analyse qui suit est donc à envisager avec une certaine prudence, car les mots, saisis hors de leur contexte, peuvent avoir des significations très différentes (par exemple 神秘 « mystérieux » pourrait être associé à 懂 难 « difficile à comprendre » ou bien à 深奥 « profond »). Pour réduire cette marge d’erreur, j’ai discuté avec une collègue chinoise et une étudiante des cas qui me paraissaient problématiques . Le tableau suivant récapitule les résultats obtenus :
Un lien étroit entre langue et littérature en Chine
En chinois, le nom du parcours de spécialité de français est 法 言文学 语语 , c’est-à-dire, littéralement licence de « littérature et langue française ». On peut faire deux remarques concernant cette appellation. D’abord, l’absence de la dimension culturelle, contrairement à l’équivalent français, la licence LLCE : « Langues, Littérature et Civilisations Étrangères ». Ensuite, l’association de la langue à la littérature. D’après une enseignante chinoise, ce couple est fermement ancré dans la tradition éducative locale : […] l’apprentissage des langues en Chine fait partie de ce qu’on appelle la discipline delittérature, donc on a vraiment une racine plutôt littéraire, tu vois, quand on regarde lesmanuels, les textes qu’ils doivent apprendre, la grammaire, les mots, tout ça. Donc ça vienten fait d’une tradition littéraire. (Brigitte)
Il est en effet significatif qu’à GDUFS, la quasi-totalité des treize membres chinois du département de français ont suivi un parcours de spécialité de français de la licence au doctorat (cf. dans la sitographie : Liste des professeurs de la faculté des langues occidentales à GDUFS). En L3 et L4, les étudiants suivent un cours de littérature, réparti chronologiquement sur deux semestres : les œuvres antérieures au XIX e siècle (« 法 文学 语 -19 世 以前 纪 »), puis les autres (« 法 文学 语 -19 世 以 来 纪 »). Quant aux manuels utilisés, ils comportent souvent des textes littéraires. Ainsi, le quatrième volume de la méthode chinoise Le français 法 语 (Ma, 1992) – support de trois à six cours chaque semaine – comprend des extraits de pièces de théâtre (Théâtre Vde Ionesco, Knock ou le Triomphe de la médecinede Jules Romains), de romans d’auteurs primés (Les Thibaultde Roger Martin du Gard, Une jeunesse de Patrick Modiano), d’ouvrages fréquemment utilisés dans les classes de français (Poil de carottede Jules renard, Vendredi ou la vie sauvagede Michel Tournier), de succès commerciaux (Arsène Lupin, gentleman Cambrioleur de Maurice Leblanc), voire d’œuvres plus marginales (Les Enfants de l’humourde Jeanne Delais). Il en va de même pour le manuel Cours de rédaction 法 写作教程 语 (« l’essentiel des textes étudiés sont issus de romans et nouvelles du XIX e siècle », Wang et Portier, 2011 : 2) ou Progresser en dictée 循序 法 听写 渐进 语 (avec par exemple un extrait des Lettres persanesde Montesquieu, cf. Xu, 2010). Dans la première unité de Cours de rédaction, les auteurs proposent aux étudiants de se lancer dans la création littéraire à travers la description et la narration.
La littérature dans les manuels et les discours des enseignants
Dans Cours de rédaction, la littérarité d’un texte est définie de deux manières : il s’agit d’un texte qui, d’une part, cherche à produire un effet sur le lecteur et, d’autre part, témoigne d’une expression plus riche et plus complexe qu’un écrit informatif :
Les livres lus par les étudiants
Dans le cadre du questionnaire préliminaire, les étudiants devaient évaluer leur intérêt pour la littérature chinoise, pour la littérature française et ordonner de la plus importante à la moinsimportante une liste de raisons pouvant leur donner envie de lire un livre. La moitié des répondants ont déclaré avoir un fort intérêt pour les littératures française (51 %) et chinoise (67 %). Une minorité d’entre eux ne s’y intéresse pas du tout : 11 % pour la littérature française et 7 % pour la littérature chinoise. En observant la différence entre les valeurs données pour ces deux champs par une même personne, on constate que 33 % des personnes interrogées disent avoir un goût plus prononcé pour la littérature de leur propre pays, largement étudiée avant leur entrée à l’université (Chen et Li, 2012). À l’opposé, 9 % préfèrent les auteurs étrangers. Les résultats ne varient pas en fonction de l’année d’étude, c’est-à-dire que les étudiants ne développent pas de curiosité pour la littérature durant le cursus, mais ils n’en sont pas dégoûtés non plus. Ceux qui disent s’y intéresser sont les plus nombreux à choisir de lire un livre pour sa valeur patrimoniale. Cependant, l’immense majorité des répondants (89 %) a déclaré accorder une plus grande importance au contenu desouvrages (l’histoire, le genre), plutôt qu’au fait qu’il s’agisse d’un auteur classique (36 %), d’un succès critique (36 %) ou d’un succès commercial (6 %). Lors d’un sondage effectué en début de l’année scolaire 2019-2020 auprès des étudiants en L3 à GDUFS, ces derniers étaient invités à citer leurs auteurs et/ou leurs livres français préférés. Voici les réponses obtenues :
Ceux qui se laissent porter par le système
La sélection des étudiants ayant été effectuée à l’issue du Gaokao, et dans le but d’attirer les apprenants et de ne pas nuire à leur rang, les universités chinoises préfèrent éviter de faire échouer les étudiants. C’est un phénomène que j’ai pu observer en tant qu’enseignant et qui revient régulièrement dans les discussions avec d’autres collègues étrangers – habitués à une sélectionpendant l’université, mais qui est aussi parfois dénoncé par les collègues chinois.
Ce problème a d’ailleurs récemment été abordé dans la presse gouvernementale. Ainsi, dans le journal Sixth tone, un professeur de l’Université Tongji à Shanghaï publiait en janvier 2019 un article intitulé : « The Problem With Chinese Universities? Not Enough Dropouts » (Zhang, 2019).
Cet article mentionne le discours du ministre de l’éducation chinois Chen Baosheng, qui a annoncé en 2018 vouloir prendre des mesures pour aller à l’encontre de ces pratiques (Chen, 2018 : 7). Le parcours de spécialité de français à l’université est cependant ponctué d’une série d’examens nationaux très exigeants (le TFS4 à la fin de la deuxième année et le TFS8 à la fin de la quatrièmeannée), qui permettent de s’assurer du niveau des étudiants à l’issue de leur licence. En effet,l’échec à ces examens n’empêche pas les étudiants d’obtenir leur diplôme, mais seranécessairement un problème au moment de chercher un emploi. Malgré tout, une partie des étudiants semble avoir arrêté de travailler et se contente de faire le strict minimum jusqu’à la fin de ce cycle d’études. Une enseignante chinoise suggère que la réussite au TFS4 pourrait engendrer une chute de l’implication d’un certain nombre d’élèves dans leurs études :
Sur le plan pragmatique, les étudiants en troisième et quatrième année ont déjà passé un test de langue française : 全国法 水平四 语 级测试 [= le TFS4]. Dans une grande mesure, ils sont soulagés et délivrés de la pression des examens, tous les efforts et les travaux consacrés auparavant en raison de celle-ci ne sont peut-être plus significatifs à leur yeux. Lors de l’entrée en Master, une nouvelle sélection est effectuée. En conséquence, on observe
un regain de la motivation des étudiants à ce niveau, qui transparaît dans les résultats obtenus lors du questionnaire préliminaire (cf. tableau 3, p. 26).
Changement du rapport de certains étudiants au français en tant que discipline
En plus des raisons inhérentes au fonctionnement de l’université en Chine, les entretiens conduits auprès des enseignants comme des étudiants montrent que la désimplication de ces derniers dans l’apprentissage du français s’explique parfois par l’évolution de leur rapport à cette langue. C’est sans doute sur ce front que les départements de français et les enseignants peuvent agir le plus efficacement pour contrer la démotivation des étudiants.
Ceux qui se lassent du français
La lassitude est la cause de démotivation qui revient le plus fréquemment dans les discours des professeurs. Elle peut correspondre à un vécu personnel – puisque ces enseignants eux mêmes ont été étudiants, comme l’indique l’un deux : « J’ai observé la même chose [= une démotivation au fil de la licence] en prof comme en étudiant. » (Marc) Les origines de cette lassitude sont multiples. Pour certains, cette lassitude s’installerait au fil des ans. Elle pourrait être due à une déception (l’apprentissage du français ne serait pas tel que l’étudiant l’imaginait) : « [les jeunes Chinois] imaginent trop beau, en fait, ce qu’ils vont apprendre » (Brigitte). Ces attentes élevées vis-à-vis de la discipline expliqueraient les hauts niveaux de motivation déclarés au début des études par les étudiants dans le questionnaire préliminaire (cf. tableau 3, p. 26). La lassitude pourrait également être induite par la routine universitaire : C’est ce qu’on a découvert avec les [étudiants en] première année, parce que c’est du matin au soir que le français, le français, le français ; et c’est vraiment tellement ennuyant, car ils n’ont jamais eu ce genre de programme quand ils étaient à l’école, quand ils étaient au collège. (Brigitte)
Le programme, dès la première année, ne serait donc pas assez varié. Au bout de quatre ans, les étudiants seraient par ailleurs fatigués de la vie dans le supérieur, comme le suggère un lecteur de français : « Et puis 4 ans c’est long… Ils ont fait le tour de la question de l’implication dans les activités du campus. » (Michel)
Ceux qui sont trop occupés
Plus à l’aise avec la langue française, les étudiants en L3 et L4 seraient davantage occupés par les activités extra-scolaires et la préparation de leur avenir professionnel. C’est ce qu’ont affirmé trois enseignantes chinoises : Ils sont plus facilement distraits à cette periode par les autres choses, des activites de club, des stages, etc. » (Agathe) ; « je crois qu’à ce stade, il y a plus de choses à faire par rapport aux premières années : stage, recherche du travail, préparation des examens / entretiens pour aller en France… » (Évelyne) ; « Pour les troisième et quatrième année, comme ils ont déjà une certaine compétence linguistique, ils ont l’occasion de faire des stages ou travailler comme interprète, de temps en temps. Je pense qu’ils ont plus de tentations. »(Henriette)
De fait, en L4, les étudiants doivent rédiger un long mémoire et effectuer un stage en entreprise. Hormis ces obligations, tous peuvent également se livrer à de nombreuses activités extra-scolaires proposées sur le campus (sport, clubs divers, etc.) ou s’impliquer dans les associations étudiantes, porteuses d’initiatives permettant aux étudiants de mettre en pratique leurs connaissances (comme expliqué à la fin du 1.1.3 de la première partie). D’après ce que j’ai pu observer, les apprenants qui participent à ce type d’événement sont globalement plutôt actifs en cours ou dans le cadre des activités organisées en lien avec la classe. En revanche, une étudiante en deuxième année dans la même université, en difficulté mais ayant un réel désir de progresser, n’avait en fait que peu de temps à consacrer à son apprentissage, puisqu’elle donnait des cours desoutien à des collégiens et des lycéens tous les soirs de la semaine.
Jusqu’en 2018, une dizaine d’étudiants, répartis chaque année entre les deux classes de spécialité de français, suivait un parcours particulier, nommé ZongDai (宗岱) , qui combine l’étude de l’anglais, d’une langue étrangère (espagnol ou français au choix) et de la traduction. Il est décrit sur le site officiel de l’université en ces termes (cf. Programme ZongDai à GDUFS dans la sitographie) : Cette majeure nécessite que les étudiants maîtrisent deux langues étrangères, l’anglais atteignant le niveau 8 ou équivalent, le français ou l’espagnol le niveau 8 ou équivalent et la traduction le niveau 8 ou équivalent.
Le programme que doivent suivre ces étudiants est extrêmement chargé, si bien qu’ils sont conduits à effectuer une sélection entre les cours dans lesquels ils vont s’impliquer et les autres, dans une perspective utilitariste. C’est ce qu’explique un étudiant : « Je n’ai plus d’énergie, vraiment. […] Tout ce qui nous sera utile, nous l’embrassons ; tout ce qui nous sera inutile, nous l’abandonnons. » (Laurent)
Ceux dont le projet professionnel a évolué
Il y a cette idée également, dans les propos d’enseignants recueillis, qu’à leur arrivée sur le campus, les apprenants sont encore des enfants et qu’ils vont mûrir tout au long de leur parcours universitaire : « [les étudiants en L4] ont perdu leur fraîcheur. Leur enthousiasme. Ils ont grandi. » (Michel) Les propos de ce lecteur français font écho à ceux d’une collègue chinoise, qui explique que l’arrivée sur le campus correspond à l’entrée des jeunes Chinois dans la vie adulte : ils vivent en autonomie, puisqu’ils mangent et dorment sur place et font leurs premiers choix de vie (le choix de la spécialité, en particulier) :
Donc je pense que si on veut regarder la motivation, il faut regarder d’abord les caractéristiques des élèves chinois ; c’est pas vraiment comme les jeunes Français, quoi. Je pense qu’ils vont vraiment commencer à grandir une fois qu’ils sont entrés à l’université, quand ils ont quitté leurs parents, quand ils vont découvrir autre chose ; et là c’est unchangement, vraiment, un changement des plus grands dans leur vie. Donc je pense que c’est ça qui est le plus important dans la motivation. (Brigitte)
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Table des matières
REMERCIEMENTS
SOMMAIRE
INTRODUCTION
PARTIE 1. COMPRENDRE LA DÉSIMPLICATION DES ÉTUDIANTS EN SPÉCIALITÉ DE FRANÇAIS
CHAPITRE1 : PROTOCOLE DE L ’ENQUÊTE PRÉLIMINAIRE
1.1. Le questionnaire préliminaire auprès des étudiants
1.2 Entretiens auprès des étudiants et des enseignants
CHAPITRE2 : REPRÉSENTATIONS LIÉES À L ’APPRENTISSAGE ET À LA LITTÉRATURE
2.1. Cadre d’intervention et représentations de l’apprentissage
2.2. Les représentations qu’ont les étudiants et enseignants de la littérature
CHAPITRE3 : LA DÉSIMPLICATION DES ÉTUDIANTS AU FIL DE LA LICENCE
3.1. Présentation du phénomène de démotivation des étudiants : un diagnostic
3.2. Causes institutionnelles de démotivation
3.3. Changement du rapport de certains étudiants au français en tant que discipline
CONCLUSION PARTIELLE
PARTIE 2 : CHOIX ET MISE EN ŒUVRE DE DÉMARCHES POUR RÉIMPLIQUER LES
ÉTUDIANTS DANS LEUR APPRENTISSAGE
CHAPITRE4 : CHOIX DE DÉMARCHES EN FONCTION DES BESOINS/ATTENTES DES APPRENANTS
4.1. Les pédagogies actives
4.2. La didactique de la littérature
CHAPITRE5 : MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
5.1. Présentation des activités
5.2. Protocole d’évaluation des activités
CONCLUSION PARTIELLE
PARTIE 3 : BILAN DES ACTIVITÉS
CHAPITRE6. L’OBJECTIF DES ACTIVITÉS : CONJUGUER UTILITARISME ET PLAISIR
6.1. La lecture et l’écriture (activités 1, 2 et 3)
6.2. Les concours (activité 4)
6.3. L’organisation de concours (activité 5)
CHAPITRE7. LA COMMUNICATION ENTRE LES PARTICIPANTS DURANT LES ACTIVITÉS
7.1. La communication entre les étudiants
7.2. La communication entre l’enseignant et les étudiants
7.3. La communication avec les collègues du département
7.4. La circulation de l’information au sein du département
CHAPITRE8. LES INQUIÉTUDES DES ÉTUDIANTS
8.1. Inquiétudes liées aux modalités de l’activité
8.2. Une faible tolérance à l’erreur
8.3. La littérature : inhibitrice ou libératrice ?
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE ET SITOGRAPHIE
OUVRAGES SCIENTIFIQUES
SOURCES
Manuels de langue
Sitographie chinoise
Autres sources (articles de journaux, discours politique, interview télévisée)
ANNEXES
ANNEXE2 : QUESTIONNAIRE DE L ’ENQUÊTE PRÉLIMINAIRE
ANNEXE3 : GRILLE D’ÉVALUATION DU COURS« APERÇU DE LAFRANCE »
ANNEXE4 : FICHE DE LECTURE(ACTIVITÉ1 : LECTURE INTÉGRALE)
ANNEXE5 :CONSIGNES DONNÉES LORS DE L’ACTIVITÉ D’ÉCRITURE COLLABORATIVE DUS1
ANNEXE6 : DEUXIÈME ÉTAPE DE L ’ACTIVITÉ 3 (ÉCRITURE COLLABORATIVE)
ANNEXE7 : CONSIGNES DONNÉES POUR LE PREMIER CONCOURS(ACTIVITÉ 4)
ANNEXE8 : CONSIGNES DONNÉES POUR LE DEUXIÈME CONCOURS(ACTIVITÉ 4)
ANNEXE9 : CONSIGNES DONNÉES POUR L ’ACTIVITÉ 5 (ORGANISATION DE CONCOURS)
ANNEXE10 : ÉVALUATION DE L’ACTIVITÉ1 PAR46 ÉTUDIANTS ENL3
ANNEXE11 : ÉVALUATION DE L’ACTIVITÉ3 PAR30 ÉTUDIANTS ENL2
ANNEXE12 : ÉVALUATION DE L’ACTIVITÉ4 PAR47 ÉTUDIANTS ENL2
ANNEXE13 : ÉVALUATION DE L’ACTIVITÉ5 PAR28 ÉTUDIANTS ENL3
TABLE DES MATIÈRES