COMPRENDRE LA CONSTITUTION DU CORPUS BRUTALISTE YOUGOSLAVE

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LA NAISSANCE DU MODERNISME YOUGOSLAVE 1920-1940

La crรฉation architecturale en Yougoslavie dans les annรฉes 19601980 ne peut รชtre prise en compte en temps que telle. Elle a grandement รฉtรฉ influencรฉe par le mouvement moderne, dont la branche yougoslave a รฉtรฉ trรจs active, notamment entre les deux guerres mondiales. Cโ€™est, en effet, une pรฉriode de grands changements pour le pays voyant, sous une industrialisation grandissante, se dรฉvelopper des centres urbains importants. Durant cette mรชme pรฉriode des villes, comme Belgrade ou Zagreb, doublent leurs populations en ร  peine vingt ans.
Cโ€™est dans ce contexte, en vue dโ€™รชtre un appoint de la facultรฉ technique de Belgrade, ouverte depuis 1897, que sont crรฉรฉes lโ€™Universitรฉ Technique de Zagreb, en 1919, et lโ€™Universitรฉ Slovรจne dโ€™Architecture de Ljubljana, en 1921. Avant la Premiรจre Guerre Mondiale, les รฉchanges internationaux รฉtaient dรฉjร  assez prรฉsents et un grand nombre de jeunes architectes allaient se former ร  lโ€™รฉtranger, notamment ร  Vienne. Mais sous lโ€™influence du mouvement moderne, des villes comme Prague, Berlin ou Paris deviennent des destinations de plus en plus attractives. On trouve ainsi un certain nombre de jeunes diplรดmรฉs dans des cabinets europรฉens, auprรจs dโ€™Adolf Loos, de Peter Behrens ou du Corbusier, dont lโ€™agence parisienne a comptรฉ, durant son existence, pas moins de dix-huit architectes yougoslaves, faisant du pays des Balkans le troisiรจme contingent pourvoyeur dโ€™employรฉs, aprรจs la France et la Suisse1.
Ces รฉchanges rรฉguliers ont bien sรปr eu des rรฉpercussions directes sur lโ€™enseignement et la pratique de lโ€™architecture en Yougoslavie.
Zagreb, en premier lieu, se distingue comme le premier point central du modernisme yougoslave. En 1926, sous lโ€™impulsion de Drago Ibler, est crรฉรฉ un deuxiรจme dรฉpartement dโ€™enseignement de lโ€™architecture dans la ville, au sein de lโ€™Acadรฉmie des Beaux Arts et, en 1933, Zagreb est choisie comme lโ€™un des cas dโ€™รฉtude pour les CIAMS IV.
Belgrade se dote, elle aussi, dโ€™un corpus de bรขtiments modernes et fonctionnalistes assez important dont lโ€™un des plus remarquables est sรปrement la clinique pour enfant de Milan Zlokovic, ยซconsidรฉrรฉe comme le pinacle de lโ€™architecture moderne serbe dโ€™avant-guerre2ยป.
Ljubljana est la derniรจre ville ร  subir cette influence de maniรจre directe, et ce, malgrรฉ lโ€™influence de la figure tutรฉlaire de Jospep Plecnik, dont les รฉlรจves sont parvenus ร  sโ€™รฉmanciper afin de doter la ville dโ€™un corpus fonctionnaliste des plus intรฉressant.
Ces trois villes รฉtant les seules capitales fรฉdรฉrales de la Yougoslavie, la diffusion de cette architecture nouvelle se fait essentiellement en leur sein. La diffusion vers dโ€™autres centres urbains dโ€™importance se fait beaucoup plus lentement, mรชme si Skopje, avec des premiers ensembles de logements dessinรฉs par Drago Ibler, ou Sarajevo, sous lโ€™influence de lโ€™architecte tchรจque Jan Kotera, se dotent elles aussi de premiers bรขtiments modernes.
Il faut attendre la fin de la Seconde Guerre Mondiale pour que se dรฉveloppent rรฉellement, sur lโ€™ensemble du territoire, les architectures modernes et fonctionnalistes, appuyรฉes par le besoin de reconstruction rapide et ร  bas coรปt, mais aussi grรขce ร  la rรฉvolution socialiste, qui a portรฉ au sommet une grande partie des jeunes architectes modernes, majoritairement ร  gauche sur lโ€™รฉchiquier politique, au dรฉtriment des partisans dโ€™une architecture plus traditionnelle, conservateurs et รฉvincรฉs par cette rรฉvolution.
Le dรฉveloppement de ce corpus de bรขtiments modernes et fonctionnalistes a รฉtรฉ un prรฉ-requis, nรฉcessaire au dรฉveloppement de lโ€™architecture yougoslave des dรฉcennies suivantes, servant de socle ร  la fois thรฉorique et pratique tout en apportant des rรฉponses aux problรฉmatiques dโ€™une urbanisation grandissante et en posant certains points de dรฉpart des recherches esthรฉtiques des dรฉcennies suivantes.

LES DIFFร‰RENTS STATUTS JURIDIQUES DES AGENCES Dโ€™ARCHITECTURE EN YOUGOSLAVIE

Lโ€™architecture sous la prรฉsidence du marรฉchal Tito joue un rรดle dโ€™avant garde artistique, culturel et social extrรชmement significatif. Cette position sociale privilรฉgiรฉe est en grande partie liรฉe au statut des agences dโ€™architecture ellesmรชmes.
A la fin de la seconde guerre mondiale, aprรจs avoir libรฉrรฉ les diffรฉrents รฉtats des Balkans, aux cรดtรฉs des partisans yougoslaves, le parti communiste yougoslave prend le pouvoir. En novembre 1945, la Rรฉpublique Fรฉdรฉrale de Yougoslavie est proclamรฉe, dirigรฉe par le marรฉchal Josep Broz Tito. La guerre, qui vient de sโ€™achever, laisse des villes en ruines et on dรฉnombre entre deux et quatre millions de personnes sans logement. Sโ€™il apparaรฎt clairement que la reconstruction est un enjeu majeur pour les dรฉcennies ร  venir, le rรดle que vont y jouer les architectes lโ€™est, ร  premiรจre vue, beaucoup moins.
En effet, la rรฉvolution socialiste a contribuรฉ ร  la centralisation de lโ€™รฉconomie et ร  la mise en place du contrรดle des moyens de production, ces mesures sโ€™appliquant bien รฉvidemment au secteur du bรขtiment. En 1947, les agences dโ€™architecture privรฉes cessent dโ€™exister et la profession sโ€™organise autour dโ€™agences dโ€™architecture et de planification urbaine, en totalitรฉ dรฉtenues par lโ€™รฉtat. On peut citer en exemple les ยซinstituts de dessin dโ€™รฉtatยป qui emploient non loin de 60 % des architectes et ingรฉnieurs du pays1, les postes รฉtant attribuรฉs par le systรจme bureaucratique de lโ€™administration socialiste. Dans le mรชme temps, toutes les associations culturelles sont dissoutes et le seuil moyen de participer ร  la crรฉation culturelle est de passer par des associations dโ€™รฉtat, qui veillent, bien รฉvidemment, ร  ne financer que les projets en accord avec la doctrine du rรฉgime. Il semble donc que, dans ce contexte, la situation des architectes yougoslaves ne leur permette pas forcement dโ€™avoir la libertรฉ dโ€™action nรฉcessaire ร  une reconstruction efficace du pays. Pourtant une sรฉrie de mesures politiques vont mener ร  une refonte rapide de ce systรจme monolithique.
En effet, en juin 1948, suite ร  des pressions directes de lโ€™URSS, la Yougoslavie est exclue du Kominform, le conseil europรฉen des รฉtats communistes. Dans un contexte mondial dรฉjร  tendu et ร  lโ€™aube de la Guerre Froide, la Yougoslavie se doit de trouver une ligne politique lui permettant de continuer de se reconstruire et dโ€™exister dans le ballet des nations europรฉennes. Cโ€™est pourquoi une sรฉrie de rรฉformes profondes, ยซsur les plans รฉconomiques, sociaux et civiquesยป, est menรฉe pour passer dโ€™un รฉtat centralisรฉ ร  un รฉtat ยซautogรฉrรฉ2ยป.Dans les faits, les entreprises sont toujours la propriรฉtรฉ exclusive de lโ€™รฉtat, mais les employรฉs sont libres, aux travers dโ€™assemblรฉes gรฉnรฉrales, de dรฉcider des rรฉpartitions des gains et du dรฉveloppement de leurs entreprises. Ainsi, la Yougoslavie parvient, en lโ€™espace de plusieurs dรฉcennies, et ร  lโ€™image de sa position politique future, de pays non-alignรฉ, ร  se situer, dans une relative mesure, entre les blocs de lโ€™Est et de lโ€™Ouest et ร  rรฉaliser la synthรจse entre deux doctrines รฉconomiques antagonistes, ร  savoir lโ€™รฉconomie de marchรฉ et lโ€™รฉtat socialiste centralisรฉ, dans ce que lโ€™on a qualifiรฉ de ยซdรฉmocratie industrielleยป.
Jusque dans les annรฉes 1980, ce systรจme รฉconomique, qui permet ร  la Yougoslavie de figurer, un temps, parmi les pays avec la plus forte croissance, mรจne surtout, sur le plan urbain, ร  un exode rural massif, ร  lโ€™รฉchelle de tout un pays, faisant passer la Yougoslavie dโ€™une rรฉgion majoritairement agricole ร  un pays fortement industrialisรฉ et urbanisรฉ.
La profession dโ€™architecte est, elle aussi, directement touchรฉe. Aprรจs 1948, ces derniers obtiennent le droit de sโ€™associer ร  nouveau librement. Les agences dโ€™รฉtat sont peu ร  peu dissoutes, les choix esthรฉtiques et conceptuels ne sont plus dictรฉs et les divergences de doctrines entre diffรฉrents groupes dโ€™architectes sont dรฉsormais admises. De nouvelles agences se crรฉent. On peut en distinguer deux types. Certaines, comme toutes les entreprises autogรฉrรฉes yougoslaves sont administrรฉes de maniรจre collaborative, mais dโ€™autres, notamment en Croatie, sont nommรฉes dโ€™aprรจs leur chefs de projet, bรฉnรฉficiant souvent dโ€™une certaine renommรฉe et sont gรฉrรฉes de maniรจre plus hiรฉrarchique, malgrรฉ le fait quโ€™elles ne demeurent que des entreprises dโ€™รฉtat autogรฉrรฉes, et non de rรฉelles sociรฉtรฉs privรฉes.

LA POSITION Dโ€™ARCHITECTE EN YOUGOSLAVIE : STATUT SOCIAL PRIVILร‰GIร‰ ET ร‰LITE INTELLECTUELLE

Il semble que la position dโ€™architecte en Yougoslavie, durant la seconde moitiรฉ du XXรจme siรจcle, et ร  lโ€™รฉchelle de la sociรฉtรฉ yougoslave, soit relativement confortable et associรฉe ร  la vision dโ€™une รฉlite intellectuelle et technique.
En effet, jusque dans les annรฉes 1980, un grand nombre de postes dโ€™architectes et dโ€™ingรฉnieurs sont ร  pourvoir, y compris pour un grand nombre de femmes, afin de rรฉpondre aux besoins toujours constants du secteur de la construction, en grande partie stimulรฉ par lโ€™urbanisation croissante du pays. Par ailleurs la situation politique leur assure, en plus dโ€™une grande autonomie, des commandes permanentes, par le biais dโ€™une administration socialiste, devenue seule commanditaire, tout en les protรฉgeant des pressions dโ€™un marchรฉ libรฉral.
De plus il est offert aux jeunes architectes des possibilitรฉs de voyager et dโ€™aller รฉtudier ร  lโ€™รฉtranger, par des procรฉdures facilitรฉes, comme cela avait รฉtรฉ le cas pendant lโ€™entre-deux guerres. On trouve ainsi de nombreux ressortissants yougoslaves dans les cabinets dโ€™Alvar Aalto, Paul Rudolph, I. M. Pei ou Louis Kahn. Plus encore, aprรจs la mise en place de la politique de non alignement du pays, des accords dโ€™รฉchanges bilatรฉraux avec le bloc de lโ€™Ouest se crรฉent et il est possible dโ€™รฉmigrer librement vers un pays รฉtranger puis de revenir en Yougoslavie relativement aisรฉment.
Mais plus encore, ce qui assure la qualitรฉ de lโ€™architecture yougoslave des annรฉes 1960-1980, outre les formations ร  lโ€™รฉtranger et le plein emploi, cโ€™est la grande libertรฉ qui est accordรฉe aux architectes sur les plans thรฉorique et esthรฉtique. En effet, les commanditaires ne sont plus vraiment des personnes physiques mais des entitรฉs impersonnelles et technocratiques, accordant une confiance totale en lโ€™expertise apportรฉe par les architectes et les ingรฉnieurs, et nโ€™apportant que trรจs rarement des doutes sur les choix esthรฉtiques ou thรฉoriques. Par ailleurs, dans ce pays subissant une modernisation rapide, et avec des commissions peu nombreuses, manquant de cadres ayant fait des รฉtudes universitaires et face ร  un nombre important dโ€™architectes qualifiรฉs, le champ est libre pour que se dรฉveloppe une pรฉriode de crรฉation architecturale dรฉcomplexรฉe.
Ainsi, le dรฉveloppement de la Yougoslavie et sa rapide urbanisation aprรจs la seconde guerre mondiale, ont รฉtรฉ, pour le meilleur et pour le pire, en grande partie dรฉfinis par des critรจres รฉnoncรฉs par les architectes dโ€™alors et non par des intรฉrรชts spรฉculatifs.

ENTRE EST ET OUEST, UNE ARCHITECTURE EN POSITION Dโ€™ร‰LECTRON LIBRE 1950-1980

Durant la guerre froide, la Yougoslavie est sรปrement le seul endroit en Europe oรน peuvent cohabiter des officiels des blocs de lโ€™Est et de lโ€™Ouest, notamment sur la cรดte Adriatique, oรน se sont dรฉveloppรฉes un grand nombre dโ€™infrastructures hรดteliรจres et balnรฉaires. Si lโ€™on ajoute ร  cela la position du pays, ร  la tรชte du Tiers-Monde, par le biais des pays non alignรฉs, on peut localiser le pays au centre de ces trois sphรจres dโ€™influence. Cette place au sein dโ€™un rรฉseau mondial, unique pour lโ€™รฉpoque, a permis ร  la Yougoslavie dโ€™รชtre baignรฉe par un certain nombre dโ€™influences trรจs diverses. Bien รฉvidemment cette position privilรฉgiรฉe a eu des rรฉpercutions notables sur lโ€™architecture yougoslave des annรฉes 1960-1980.
Grรขce ร  lโ€™implication dโ€™un grand nombre dโ€™architectes yougoslaves dans le mouvement moderne, notamment ร  travers des participations aux CIAMS, des รฉchanges rรฉguliers ont lieu aussi bien avec le bloc de lโ€™Est que celui de lโ€™Ouest. Pourtant, aprรจs la Seconde guerre mondiale, et la rรฉvolution socialiste, lโ€™architecture yougoslave, en grande partie dictรฉe par la doctrine dโ€™รฉtat, est trรจs influencรฉe par le social rรฉalisme russe. Cette pรฉriode, bien quโ€™assez courte, a laissรฉ quelques exemples, notamment dans les entrรฉes du concours pour les bรขtiments officiels de Novi Beograd, la ville nouvelle de Belgrade, mรชme si le projet finalement retenu a rรฉussi ร  passer outre la doctrine et propose une architecture rรฉsolument moderne.
En 1948, suite ร  la rupture avec la Russie, ce style est peu ร  peu abandonnรฉ. Dans le mรชme temps, une sรฉrie de connexions nouvelles se mettent en place, avec les ร‰tats-Unis, notamment. En effet lโ€™intรฉrรชt dโ€™une alliance entre ces deux pays est mutuel. Dโ€™une part, les ร‰tats-Unis se positionnent en temps que soutien militaire des yougoslaves, ce qui permet, dans le mรชme temps, une premiรจre percรฉe du soft power amรฉricain au-delร  du rideau de fer. Bien รฉvidemment, des connexions culturelles sโ€™รฉtablissent รฉgalement entre les deux pays. Ainsi, ร  partir du dรฉbut des annรฉes 1950, les magazines dโ€™architecture yougoslaves commencent ร  publier en trรจs grand nombre des projets construits en Europe de lโ€™Ouest et aux ร‰tats-Unis. De grands concerts de jazz sont organisรฉs, dont ceux notables dโ€™Elza Fitzgerald ou Louis Armstrong ร  Belgrade. Des expositions รฉtrangรจres sont รฉgalement programmรฉes. On peut citer par exemple celles de photos, sous la direction du MoMa Newyorkais, de 1956 et 1957, dont certaines sont directement commandรฉes par les autoritรฉs yougoslaves. Pourtant, la plus fameuse restera la rรฉtrospective consacrรฉe au travail du Corbusier, qui est prรฉsentรฉe, ร  partir de 1953, dans toutes les grandes villes du pays. Bien que considรฉrรฉ comme ยซbourgeoisยป et peu en accord avec la doctrine dโ€™รฉtat, il nโ€™en demeure pas moins que son influence sur cette derniรจre, en matiรจre dโ€™architecture, est indรฉniable1, ร  tel point que chaque ville, mรชme de moyenne importance, sโ€™est dotรฉ dโ€™au moins un bรขtiment reprenant lโ€™idรฉe de lโ€™idรฉe dโ€™habitation.
Suite ร  ces diffรฉrents rapprochements culturels, les architectes yougoslaves rรฉintรจgrent les CIAMS en 1956, qui se tiennent pour lโ€™occasion ร  Dubrovnik, et qui se dรฉroulent sous la direction du croate Drago Ibler, dรฉjร  prรฉsent aux prรฉcรฉdents congrรจs avant la Seconde guerre mondiale.
Pourtant seuls deux ressortissants yougoslaves participent rรฉellement ร  lโ€™รฉdition de Dubrovnik. En effet, la nouvelle gรฉnรฉration dโ€™architectes sโ€™est dรฉjร  en partie dรฉtournรฉ du mouvement moderne et sโ€™est dรฉjร  rapprochรฉ des thรจses de Team X, notamment Alexis Josic, qui fondera par la suite la prolifique association Candilis-Josic-Woods. Ce ne sont plus les bรขtiments inspirรฉs du style corbusรฉen qui fleurissent un peu partout, mais ceux inspirรฉs du style international caractรฉrisรฉs par les ยซfaรงades amรฉricainesยป, comme elles รฉtaient baptisรฉes alors, inspirรฉes notamment par la Lever House de 1951, dessinรฉ par Gordon Bunshaft2, ร  lโ€™image de la tour Usce ร  Belgrade construite, quant ร  elle, en 1964.
Dรจs la fin des annรฉes 1950, sur le plan politique, la Yougoslavie cherche ร  revenir ร  une position รฉquidistante entre les pรดles Est et Ouest, cโ€™est-ร -dire, en se rapprochant un peu plus vers lโ€™Est, notamment depuis la mort de Staline en 1956, qui a permis de rรฉtablir les relations avec Moscou, mรชme si la Yougoslavie ne rรฉintรฉgrera jamais le Kominform. Elle va rรฉellement parvenir ร  ses fins ร  partir de 1961, et la crรฉation du groupement des pays non-alignรฉs, suite ร  des rencontres organisรฉes ร  Belgrade, ร  lโ€™issue desquelles la Yougoslavie obtient ยซune stature internationale disproportionnรฉe vis-ร -vis de sa taille3ยป.
Ce dรฉtachement progressif des deux blocs tente alors de sโ€™exprimer sur le plan architectural notamment lors des diffรฉrentes expositions universelles. Celle de 1958, ร  Bruxelles, est marquante car le pavillon, dessinรฉ par lโ€™architecte croate Vjenceslas Richter (1917-2002), fut classรฉ par Architectural Review parmi ยซles six pavillons les plus marquants de lโ€™exposition4ยป. Mais cโ€™est surtout ร  partir des annรฉes 1970 que le point culminant de lโ€™importance de la Yougoslavie sur la scรจne internationale est atteint. Des leaders du mouvement des pays non-alignรฉs, Tito est le seul toujours en vie, contrairement ร  lโ€™indien Nehru (1889-1964) et ร  lโ€™รฉgyptien Nasser (1918- 1970). Les architectes, mais surtout les grandes corporations dโ€™รฉtat yougoslaves, comme Energoprojekt, vont pouvoir ainsi accรฉder, prioritairement, au marchรฉ du Tiers-Monde, et construire des projets sur tous les continents.
Par ailleurs, cette position รฉquidistante entre les deux pรดles cristallisant les tensions de la guerre froide et le Tiers Monde, a permis ร  la Yougoslavie, sorte de zone neutre, dโ€™organiser une sรฉrie de grands รฉvรฉnements internationaux. En 1979, les Jeux mรฉditerranรฉens sont accueillis par la ville croate de Split, tandis que 1984 est lโ€™annรฉe des Jeux Olympiques dโ€™hiver de Sarajevo et que Zagreb organise en 1987 les Universiades. Ces รฉvรฉnements ont bien sรปr รฉtรฉ le support pour un grand nombre dโ€™infrastructures, parfois trรจs imposantes, comme le Sava Center de Belgrade, le stade Poljud de Split, le Cibona Center de Zagreb ou lโ€™hรดtel Holiday Inn de Sarajevo.
Cette pรฉriode riche en รฉchanges internationaux marque rรฉellement lโ€™รขge dโ€™or de lโ€™architecture yougoslave, qui voit en lโ€™espace de quelques dรฉcennies seulement se constituer un grand patrimoine moderne et fonctionnaliste puis brutaliste.

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Table des matiรจres

LE CHOC DE SKOPJE SITUER LA YOUGOSLAVIE
COMPRENDRE LA CONSTITUTION DU CORPUS BRUTALISTE YOUGOSLAVE
La naissance du modernisme yougoslave : 1920-1940
Les diffรฉrents statuts juridiques des agences dโ€™architecture en Yougoslavie
La position dโ€™architecte en Yougoslavie : statut social privilรฉgiรฉ et รฉlite intellectuelle
Entre Est et Ouest, une architecture en position dโ€™รฉlectron libre : 1950-1980 lโ€™apport thรฉorique de bogdan bogdanovic
corpus non exhaustif de lโ€™architecture yougoslave des annรฉes 1960-1980
La conservation du patrimoine brutaliste : enjeux politiques et รฉconomiques.
Que faire de Novi Beograd ?
Comprendre la construction historique de cette ville nouvelle
Continuer ร  construire la ville dans un contexte nouveau.
RECONSTRUIRE
Une corruption institutionnalisรฉe
Sarajevo, quelle reconstruction ?
De la ville multiculturelle ร  la ville frontiรจre
Des investissements รฉtrangers intรฉressรฉs
La difficile sauvegarde du quartier de Marin Dvor
Skenderija : quartier oubliรฉ de la reconstruction ?
DETRUIRE
Un inventaire difficile.
Skopje, vers la destruction du patrimoine des annรฉes 60-80 ?
Renaรฎtre de ses cendres : le tremblement de terre de 1963.
Skopje 2014, un nouvel urbicide ?
CONCLUSION

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