Un enjeu principal de l’exploitation des centrales nucléaires est leur sûreté. Ce terme signifie l’aptitude de l’exploitant à prévoir les risques pouvant être liés à son exploitation et à en limiter les conséquences. La sûreté implique une obligation légale de justification suivant un principe de transparence et de clarté dans les méthodes de justification utilisées. La justification concerne principalement les composants d’une centrale nucléaire en cours d’exploitation, face à un risque probable. Par exemple on justifie la sûreté de la cuve d’une centrale nucléaire par rapport au risque de rupture. Un dossier de justification d’un composant est un dossier d’étude rassemblant toutes les méthodes et les pratiques sur lesquelles s’est appuyé l’exploitant pour affirmer la sûreté d’un composant. Il est examiné par une autorité de sûreté indépendante et compétente.
Par rapport aux éventuels risques liés au composant, les dossiers de justification s’appuient sur des approches à base d’études numériques et/ou expérimentales en détaillant toutes les hypothèses émises et les étapes suivies. La justification de l’intégrité d’un composant vis-à-vis du risque de rupture suit ce même principe. En effet, cette justification est fondée sur une approche dite globale de comparaison entre le chargement auquel est soumis le composant avec une certaine mesure de sa résistance à la rupture qu’on désigne par la ténacité. Cette comparaison peut montrer des marges assez restreintes dans certaines conditions de chargement.
Contexte industriel
La justification de la sûreté d’un composant est une obligation légale (EDF, 2016). Cette obligation est intimement liée au degré de criticité du composant et à la fréquence des évènements pouvant engendrer un possible risque sur la sûreté du composant. Par exemple, la cuve est un composant non remplaçable au cours de la durée de vie des centrales nucléaires et est justifiée par rapport au risque de rupture fragile. Celui-ci peut généralement être accentué par l’arrivée d’un accident de type choc froid pressurisé. En plus le matériau de la cuve se fragilise sous l’effet de l’irradiation, ce qui signifie que la ténacité s’affaiblit au fur et à mesure de la durée d’exploitation.
Actuellement, certains réacteurs nucléaires arrivent à terme dans leur durée d’exploitation justifiée. Un projet de rénovation et de prolongement de la durée de vie de ces tranches s’avère une nécessité pour continuer l’exploitation. Cette nécessité est accompagnée d’un besoin systématique de justification parallèle. En effet, les marges les plus restreintes déduites de l’approche globale sont atteintes dans la zone de transition ductile-fragile du matériau de la cuve. Ceci est d’autant plus vrai que le matériau est de plus en plus irradié. La question que soulève ce contexte est inévitablement liée à la question de la transférabilité des valeurs de ténacité des éprouvettes aux structures.
La ténacité dans la zone de transition ductile-fragile dépend non seulement du matériau mais de la géométrie et de la température. On peut alors regarder la ténacité comme une grandeur statistique caractérisée par une moyenne et une dispersion fonction de la géométrie et de la température : une éprouvette d’essai épaisse conduira à une ténacité moyenne plus petite par rapport à une éprouvette moins épaisse (Wallin, 1985). Il est donc important de comprendre les effets de géométries et de température sur la ténacité à l’échelle des éprouvettes d’essais, avant de réfléchir à la transférabilité de cette grandeur aux structures réelles plus complexes.
En résumé, l’ambition de notre présent travail est de pouvoir apporter une réponse sur la question de la transférabilité de la ténacité d’une éprouvette à une structure. Une manière d’envisager le besoin industriel peut être résumé en trois étapes principales :
o Comprendre les effets de géométrie et de température sur la ténacité à l’échelle des éprouvettes d’essais.
o Concrétiser cette compréhension, sous forme d’une méthode qui permet d’assurer la transférabilité de la ténacité entre les éprouvettes d’essais.
o Appliquer cette méthode à l’échelle du composant pour évaluer sa ténacité.
La rupture fragile par clivage
Approche globale et approche locale
L’approche globale de la rupture est une approche très utile et largement utilisée dans le domaine de l’ingénierie. Cette approche suppose que la résistance à la rupture puisse être quantifiée à l’aide des paramètres macroscopiques : la ténacité ???, l’intégrale ? (Rice and Rosengren, 1968), le ???(????? ??????? ????????????) (Wells, 1963). A l’aide de ces paramètres, On peut décrire les champs de contraintes au voisinage de la pointe de fissure dans certains régimes de rupture. On distingue trois régimes de rupture : le régime linéaire (LEFM), le régime de la plasticité confinée (SSY) et le régime de la plasticité généralisée (LSY) .
La mécanique linéaire de la rupture (LEFM Linear Elastic Fracture Mechanics) décrit les champs mécaniques lorsque l’éprouvette rompt dans le domaine élastique linéaire de l’éprouvette. Les contraintes et les déformations dans la pointe de fissure sont décrites par les paramètres ?? et ? (Irwin, 1957; Williams, 1957).
Lorsque la rupture a lieu au début de la non linéarité de la courbe force déplacement, on parle du régime de plasticité confinée (SSY : Small Scale Yielding). La taille de la zone plastique développée est négligeable par rapport aux dimensions de l’éprouvette (Figure 4). Les contraintes peuvent être reliées dans ce régime également aux paramètres ? et ? (Rice and Rosengren, 1968; Anderson et al., 1995) On consacrera une partie pour détailler ce régime plus tard (§2.1.6).
Finalement, lorsque l’éprouvette rompt après avoir développée une zone plastique large dont la taille est comparable aux dimensions de l’éprouvette (Figure 4), on parle d’un régime de plasticité généralisée (LSY : Large Scale Yielding). La description des champs mécaniques dans ce régime est plus complexe car il y a une interaction forte avec les surfaces libres des éprouvettes/structures.
Dans tous les cas, très proche de la pointe de fissure, une zone très sollicitée communément désignée par « la zone d’élaboration » ou « la Process Zone » en anglais apparait. Dans la zone d’élaboration, Les déformations sont très élevées et la pointe de la fissure initialement très aiguë s’émousse. Cet émoussement fait que les contraintes ne deviennent pas infinies comme dans les solutions de Williams en élasticité ou les solutions ??? (Hutchinson, 1968; Rice and Rosengren, 1968) en élasticité non linéaire permettant de reproduire la plasticité en chargement monotone. Même pour un cas SSY, la zone d’élaboration se développe. Le détail des contraintes et déformations est par contre dépendant du régime de plasticité. Cela peut rendre difficile l’emploi de l’approche globale de la rupture pour décrire les cas de ??? les plus extrêmes.
L’approche globale est nécessaire dans la description de la rupture et très pratique à exploiter dans les applications industrielles mais présente aussi quelques limitations. En effet, il est maintenant établi que la ténacité est une grandeur qui dépend de la taille de l’éprouvette (Size effect) principalement dans la zone de transition ductile-fragile. Cette dépendance à la géométrie soulève le problème de la transférabilité des mesures de ténacité sur éprouvettes aux structures industrielles. En outre, les dimensions des éprouvettes nécessaires pour pouvoir mesurer sa ténacité selon les normes en vigueur sont parfois très grandes de sorte qu’elles deviennent impraticables. En effet, dans le régime de plasticité généralisée, les mesures classiques ?? ,? ne sont plus valides et ne peuvent pas être interprétées comme la ténacité du matériau. Une nouvelle approche dite approche locale de rupture est développée à la fin des années 80. Cette approche permet de quantifier la rupture à partir d’une échelle plus fine du matériau. Dans le cadre de cette approche, la modélisation de la ténacité est basée sur un critère local de rupture déduit des résultats expérimentaux. Un modèle à bases micromécaniques est proposé à partir de ce critère local et utilise des paramètres qui ne dépendent a priori que du matériau. Ces paramètres dits locaux nécessitent une approche hybride entre simulation et expérimentation pour pouvoir les identifier. Par conséquence, une approche locale nécessite deux ingrédients : (?) Un modèle micromécanique décrivant les phénomènes de rupture mis en jeu (??) La connaissance parfaite du champ de contraintes et de déformations devant une fissure stationnaire ou une fissure qui se propage. L’utilisation de cette approche est devenue populaire pour l’étude de l’influence de certains phénomènes sur la ténacité e.g. l’effet de la géométrie sur la transférabilité de la ténacité (Sumpter, 1993) et l’effet de préchargement à chaud (Roos et al., 1998; Moinereau et al., 2003, 2006; Bordet et al., 2006).
Dans le cadre de ce chapitre, on s’intéresse à la rupture fragile par clivage i.e. rupture transgranulaire. Le clivage transgranulaire est caractérisé par une séparation des plans atomiques les plus denses dans les grains contrairement à la rupture intergranulaire qui est caractérisée essentiellement par la séparation des grains entre eux qui est souvent causée par la ségrégation de certaines impuretés le long des joints de grains. Les deux types de rupture conduisent à des vitesses de propagation très grandes : 1660 m/s. La rupture intergranulaire est considérée comme le mode naturel de rupture dans les métaux purs (Cottrell, 1989) (Cottrell, 1990a, 1990b) tandis que le clivage est le mode préférentiel dans les aciers ferritiques aux basses températures.
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Table des matières
1 Introduction
1.1 Motivation de l’étude
1.2 Contexte industriel
1.3 Contexte scientifique
1.4 Démarche scientifique
2 Etude bibliographique
2.1 La rupture fragile par clivage
2.1.1 Approche globale et approche locale
2.1.2 Description du clivage
2.1.3 La contrainte de clivage
2.1.4 Cadre général du clivage
2.1.5 Le modèle de Beremin et au-delà
2.1.6 Calcul de ?? dans le régime de la plasticité confinée : SSY
2.1.7 Calcul pratique de ?? pour une fissure stationnaire
2.1.8 Calcul de la contrainte de Weibull en présence de la déchirure ductile
2.1.9 Prise en compte de l’effet de température dans la zone de transition ductile-fragile
2.1.10 Prise en compte de la taille finie des défauts : approche non locale
2.1.11 Conclusion
2.2 L’endommagement ductile
2.2.1 Présentation de l’endommagement ductile
2.2.2 Les modèles de rupture ductile
2.2.3 Simulation de la rupture ductile
2.2.4 Conclusion
3 Etude expérimentale
3.1 Le matériau
3.2 Présentation des essais
3.2.1 Constitution de la base de données
3.2.2 Objectif des essais
3.3 Procédures expérimentales
3.3.1 Essai de traction : ??
3.3.2 Essai de traction : ??
3.3.3 Essai de traction : ?? (Déformation plane)
3.3.4 Essai de rupture : CT (Compact Tension)
3.3.5 Essai de rupture : ???? (Single Edge Notched Tension)
3.4 Résultats expérimentaux
3.4.1 Eprouvettes non fissurées : ??6,???,??,???
3.4.2 Conclusion partielle sur les éprouvettes non fissurées
3.4.3 Eprouvettes fissurées : ???, ?????0/?
3.4.4 Conclusion partielle sur éprouvettes fissurées
3.5 Conclusion Globale
4 Observation de l’endommagement
4.1 L’effet de température sur l’endommagement et la rupture
4.2 L’effet de l’état de triaxialité sur l’endommagement et la rupture
4.2.1 Comparaison des éprouvettes ?? (triaxialité modérée)
4.2.2 Comparaison des éprouvettes fissurées (triaxialité élevée)
4.2.3 Comparaison ??? − ??6 (triaxialité modérée)
4.2.4 Comparaison ??6 − ?? (faible triaxialité)
4.3 Conclusion partielle
4.4 La nature de rupture des éprouvettes fissurées : ??? et ?????. ?
4.4.1 ? = −150°?
4.4.2 ? = −100°?
4.4.3 ? = −50°?
4.4.4 Discussion
4.5 Conclusion partielle
4.6 Conclusion globale
5 Conclusion
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