Les zones de subduction jouent un rôle fondamental dans la dynamique terrestre. Elles permettent le retour de la lithosphère océanique vers le manteau, compensant ainsi l’accrétion au niveau des rides médio-océaniques. L’intérêt des zones de subduction n’est pas seulement mécanique, en effet celles-ci représentent aussi des régions clés pour la dynamique chimique de la Terre. La croûte océanique subit d’importantes transformations depuis sa formation au niveau des rides jusqu’à sa subduction :1) des modifications de sa composition chimique par réaction avec l’eau de mer sont fréquentes ; 2) en acquerrant une couverture sédimentaire, elle s’enrichit d’éléments provenant majoritairement de la croûte continentale. Ces sédiments et les fluides qu’ils contiennent sont également subduits, faisant des zones de subduction un lieu unique d’échange et d’interaction entre trois grands réservoirs chimiques que sont la croûte continentale, le manteau et l’enveloppe fluide de la surface terrestre (Plank et Langmuir, 1998; Rea et Ruff, 1996; Von Huene et Scholl, 1991).
La subduction de lithosphère océanique est généralement le siège d’une activité magmatique donnant naissance à un arc volcanique édifié sur la plaque chevauchante. Le mécanisme générant la fusion du manteau est plus complexe qu’au niveau des rides médio-océaniques ou des points chauds et implique la participation d’une composante issue de la déshydratation et/ou fusion d’une partie de la plaque plongeante (voir par exemple les modèles d’Arculus (1994) ou de Tatsumi et Eggins (1995)). La conséquence est que les magmas d’arc présentent des caractéristiques géochimiques qui les distinguent des magmas générés dans les deux autres contextes (MORB et OIB). Tout d’abord, les magmas d’arc sont riches en volatils, ce qui confère généralement au volcanisme associé un caractère explosif (Gill, 1981). Ils sont également enrichis en éléments à forts rayons ioniques tels K, Cs, Rb, Ba et Sr (éléments du groupe des LILE pour « large ion lithophile elements») par rapport aux autres éléments d’incompatibilité équivalente lors de la fusion du manteau, et présentent un net déficit de Nb et Ta, éléments à fortes valences et faibles rayons ioniques (éléments du groupe des HFSE pour « high field strength elements »). Ainsi, les magmas d’arc sont caractérisés notamment par des rapports LILE/terres rares, LILE/Th et LILE/HFSE plus élevés que ceux des magmas générés au niveau des rides médio-océaniques et des points chauds (Perfit et al., 1980; Tatsumi et al., 1986).
Principales caractéristiques tectoniques et sédimentaires de la région avant arc de l’arc des Petites Antilles
Le contact entre la plaque caraïbe et la croûte atlantique est marqué par une forte anomalie gravimétrique négative dont l’axe, parallèle à celui de l’arc récent, est situé à environ 170 km à l’est de l’arc (Bouysse et al., 1990). Cet axe correspond à la fosse qui rejoint au nord de cette zone de suture la fosse de Puerto Rico en atteignant 6000 m de profondeur. En revanche, dans la partie sud du contact, il n’existe pas d’expression bathymétrique de la fosse car celle-ci est progressivement comblée par une épaisse couverture formée de sédiments détritiques provenant essentiellement des 2 fleuves majeurs d’Amérique du Sud, l’Orénoque et l’Amazone, qui par interaction avec la tectonique a donné naissance au prisme d’accrétion de la Barbade .
Âge de la croûte océanique atlantique
La plaine abyssale atlantique jouxtant l’arc des Petites Antilles est constituée d’une croûte océanique d’âge essentiellement crétacé. L’anomalie magnétique 34 marque la fin de la longue période de polarité normale du Crétacé, ce qui rend son identification aisée (Westbrook et al., 1984). Cette anomalie est datée à 84 Ma (Lowrie et Alvarez, 1981), et cet âge correspond à la limite Santonien-Campanien (Ogg et al., 2004). Le forage réalisé en 1981 au niveau du site 543 lors de la mission DSDP 78A a atteint le plancher basaltique, et la datation de ce plancher au Campanien inférieur (Biju-Duval et al., 1984) est en accord avec sa position par rapport à l’anomalie 34 . L’anomalie 34, bien identifiée le long de la fosse, est, du nord au sud, successivement décalée vers l’est par les failles transformantes , impliquant que l’âge de la croûte entrant actuellement en subduction augmente du nord vers le sud. En nous basant sur la distance à l’anomalie magnétique 34, et sur un demi taux d’expansion de 2.2 cm/an pour la ride médio-atlantique au Crétacé (Cogné et Humler, 2004), nous avons calculé l’âge approximatif de la croûte océanique entrant actuellement en subduction sous la plaque caraïbe (figure 3). Les âges ainsi estimés sont compris entre 83 Ma (Campanien inférieur) à la latitude de Saba et 105 Ma (Albien supérieur) à la latitude de St Vincent. Au sud de l’île de la Barbade, la croûte océanique située à l’aplomb de la zone de subduction pourrait dater du Jurassique supérieur ou du Crétacé inférieur (Speed et al., 1984). Celle-ci est recouverte sous plusieurs milliers de mètres de sédiments et ne présente pas d’anomalies magnétiques, elle est de ce fait très mal connue. Elle pourrait correspondre à un petit fragment du secteur méridional de l’océan atlantique ouvert au Jurassique-Crétacé inférieur, avant l’ouverture de l’Atlantique sud (Westbrook et al., 1984), exceptionnellement préservé ici, la majeure partie de cet océan ayant disparu sous l’avancée de la plaque caraïbe vers l’est (Mascle, 1999).
Distribution des sédiments sur la plaine abyssale atlantique
La région située à l’est de l’arc des Petites Antilles est occupée par un important prisme d’accrétion, le prisme de la Barbade . La limite est du prisme, nommée front de déformation , est définie par les premières apparitions majeures de structures tectoniques telles des plis et chevauchements (Biju-Duval et al., 1982; Westbrook, 1982; Westbrook et al., 1984). Entre la latitude de Saba et celle de Grenade, la largeur du prisme (distance entre les Petites Antilles et le front de déformation) passe de 200 à 400 km (Westbrook, 1982) . De même, l’épaisseur du prisme diminue du nord vers le sud, et son épaisseur pourrait être de 20 km sous l’île de la Barbade (Westbrook, 1975), qui constitue l’unique partie émergée du prisme . A l’est du front de déformation, il existe également un gradient dans l’épaisseur des sédiments reposant sur le plancher atlantique, celle-ci variant de 200 m à la latitude de 19°N à environ 11 km au sud de la latitude 11°N (Speed et al., 1984). Cette diminution de l’épaisseur des sédiments du sud vers le nord a été attribuée à la réduction des apports détritiques en provenance d’Amérique du sud (Westbrook et al., 1984). De plus la présence de hauts topographiques sur le plancher atlantique telles que les rides de Tiburon et Barracuda a probablement limité en partie la propagation de ces sédiments terrigènes dans le nord de la région (Westbrook, 1982).
Plusieurs forages ont été réalisés à proximité directe, et au sein même du prisme d’accrétion. Lors de la campagne DSDP 78A, un forage a été effectué à l’est du front de déformation (site 543, figure 3), et plusieurs au sein même du prisme. De même, lors de la mission ODP 110 (1986), 6 forages alignés selon une ligne est-ouest traversant le front de déformation, localisée à environ 20 km au sud du site 543, ont été réalisés. L’un d’entre eux est situé à l’est du front de déformation (site 672). Au niveau du site 543, le plancher océanique, reposant sous 410 mètres de sédiments campaniens à actuels, a été atteint. En revanche, au niveau du site 672, le forage a été stoppé dans une séquence datée à l’Eocène inférieur (Moore et al., 1988). Les nombreux travaux dédiés à l’étude des sédiments récoltés lors de ces missions ainsi que des séries affleurant à l’île de la Barbade et des sédiments de surface dragués dans cette région ont permis de préciser la nature et l’origine des sédiments actuellement au front de l’arc des Petites Antilles. Les sédiments forés au niveau du site 543 sont essentiellement des boues pélagiques argileuses à radiolaires (Biju Duval et al., 1984). Trois sources majeures ont été identifiées par Wright (1984) au sein des sédiments du site 543 et des sédiments de surface dragués dans la région: des sédiments volcanogéniques sous forme de cendre ou provenant de l’érosion de l’arc antillais, des sédiments issus du continent sud américain, et enfin le matériel biogénique. La lithologie des sédiments du site 672 diffère de par la présence dans les niveaux datés à l’Eocène de dépôt silteux à sableux fins intercalés entre des niveaux argileux, interprétés comme des dépôts turbiditiques (Beck et al., 1990). Les séries affleurant à l’île de la Barbade ont été divisées en deux ensembles. Le premier, essentiellement terrigène est constitué d’argilites et de grès fortement déformés. Cette unité, appelée la formation Scotland, est datée de la fin du Paléocène à l’Eocène moyen (Biju-Duval et al., 1985; Pudsey, 1984). Elle se serait déposée sur la partie inférieure d’un éventail sous marin profond (Biju-Duval et al., 1985) alimenté essentiellement par des terrains métamorphiques d’Amérique du sud, d’après les résultats des analyses minéralogiques de Pudsey et Reading (1982). La seconde unité de l’île de la Barbade, la formation Oceanic, est principalement formée de marnes pélagiques à hémipélagiques déposées durant l’Eocène moyen jusqu’au Miocène moyen (Biju-Duval et al., 1985). Enfin l’étude plus récente de Parra et al. (1997) sur des sédiments sub-actuels prélevés dans la partie sud du prisme de la Barbade a montré sur la base d’observations minéralogiques et géochimiques (isotopes du Sr et du Nd) qu’il existait actuellement trois sources de sédiments détritiques dans la région, l’arc des Petites Antilles, et les fleuves Orénoque et Amazone drainant la moitié nord de l’Amérique du sud, précisant ainsi les conclusions de Wright (1984).
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Table des matières
Introduction
Chapitre I : Présentation du contexte régional et de l’échantillonnage
1. Contexte géodynamique de l’arc des Petites Antilles
1.1 Présentation générale de l’arc des Petite Antilles
1.2 Principales caractéristiques tectoniques et sédimentaires de la région avant arc de l’arc des Petites Antilles
2. Origine des laves des Petites Antilles
2.1 Présentation de la variabilité géochimique des laves des Petites Antilles
2.2 Travaux antérieurs sur les sédiments de la région avant arc
2.3 Comparaison entre les compositions isotopiques des sédiments de la région avant arc et celles des laves des Petites Antilles et implications sur les modèles proposés pour la genèse de ces laves
2.4 Remarques conclusives et perspectives d’étude
3. Echantillonnage
3.1 Site 543
3.2 Site 144
3.3 L’île de la Barbade
Chapitre II: Techniques analytiques
1. Analyses des éléments traces
1.1 Dissolution des échantillons
1.2 Dilution et préparation des solutions ICP-MS
1.3 Mesure des concentrations par ICP-MS
1.4 Traitement des données brutes acquises par l’ ICP-MS
1.5 Validation des données
2. Séparation des isotopes
2.1 Séparation du Sr, Nd et Hf
2.2 Séparation du Pb
2.3 Mesure des blancs et rendements de chimie
3. Mesure des rapports isotopiques de l’Hf, du Nd et du Pb par MC-ICP-MS
3.1 Principe de fonctionnement de l’appareil
3.2 Méthodes de mesures
3.3 Mesures des rapports isotopiques de l’Hf
3.4 Mesures des rapports isotopiques du Nd
3.5 Mesures des rapports isotopiques du Pb
4. Mesure des rapports isotopiques du Sr sur TIMS
4.1 Principe de fonctionnement de l’appareil
4.2 Préparation des échantillons
4.3 Résultats sur le standard NBS 987 et les dupliqués de chimie du Sr
Chapitre III: Compositions chimiques et lithologies des sédiments des trois sites
Introduction
1. Caractérisation de la composition en éléments majeurs
1.1 Le site 144
1.2 Le site 543
1.3 L’île de la Barbade
1.4 Comparaisons entre les 3 sites
2. Caractérisation de la composition en éléments traces
2.1 Introduction
2.2 Le site 144
2.3 Le site 543
2.4 La Barbade
2.5 Synthèse de l’ensemble des résultats
Chapitre IV: Compositions isotopiques des sédiments étudiés et implications pour la genèse des laves des Petites Antilles
Introduction
1 Compositions isotopiques des sédiments des trois sites
1.1 Compositions isotopiques des sédiments du site 144
1.2 Compositions isotopiques des sédiments du site 543
1.3. Compositions isotopiques des sédiments de l’île de la Barbade
1.4 Comparaison des compositions isotopiques des sédiments des trois sites
2. Implications pour la genèse des laves des Petites Antilles
2.1 Pb-Nd isotopes of the sedimentary input in the Lesser Antilles Arc system (article en préparation)
2.2 Contraintes supplémentaires apportées par les isotopes de l’Hf
2.3 Implication potentielle des sédiments de la Barbade
2.4 Conclusions
Conclusion générale
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