Concept de protection et de réparation des matériaux cimentaires
Le patrimoine d’ouvrages d’art est aujourd’hui vieillissant, avec notamment un certain nombre d’ouvrages qui atteignent leur fin de vie. Ainsi, de plus de plus, les matériaux qui les composent, en particulier les matériaux à base de ciment, subissent des dégradations. De ce fait, les problématiques de maintenance et de réparation occupent désormais une place centrale dans le domaine de l’ingénierie civile. La préoccupation première des ingénieurs est de réaliser une réparation qui soit durable. Pour ce faire, il est très vite apparu que la seule mise en place d’un système de réparation dont les propriétés sont proches de celles du substrat d’origine n’est pas toujours la meilleure démarche à adopter. En effet, dans le cas d’ouvrages très fortement dégradés, l’application de ce postulat semble bien mal indiquée ; comme le montre le graphique de la Figure I.5, une mauvaise qualité du béton et une non prise en compte de l’environnement auquel le matériau est soumis représentent plus de 50% des causes de dégradation. Il a été montré qu’une grande majorité des réparations sont des échecs au bout de cinq à dix ans seulement. Dans la moitié des cas, un mauvais choix de technique ou de matériau de réparation est à l’origine de ces échecs (Figure I.6).
Formation de la microstructure et influence de la cure
Lorsque le ciment et l’eau de gâchage entrent en contact, l’hydratation du ciment est amorcée, impliquant la consommation de cette eau. Dans le cas de mortiers contenant des polymères, cela permet également d’amorcer le processus de filmification des polymères (sous certaines conditions évoquées précédemment au chap. I.1.2.3). Ces deux processus, qui ont lieu simultanément, vont entraîner une modification de la prise des composites mortiers-polymères. De nombreux auteurs se sont intéressés au processus de formation des microstructures des composites mortiers-polymère. Ces études ont conduit à la mise en place d’un modèle théorique décrivant les différentes étapes de la formation de la microstructure de ces matériaux [OHAM98, PUTT99, SU96], complété plus récemment par les travaux de Van Gemert et al. [VANG05]. Un processus en quatre étapes, représenté par la Figure I.13, est proposé :
– Étape (a) : juste après la mise en contact du ciment avec l’eau, les particules de polymère sont dispersées dans la phase aqueuse tandis que le ciment s’apprête à s’hydrater.
– Étape (b) : tandis que le ciment poursuit son hydratation (formation de gel de ciment), une partie des polymères se fixe à la surface des particules de ciment et des granulats. Certaines particules de polymère coalescent et forment des films qui enrobent partiellement ou totalement les grains de ciment.
– Étape (c) : l’hydratation se poursuit toujours avec notamment la formation des hydrates qui se combinent aux polymères. La formation des films de polymères se poursuit sous certaines conditions de cure, bien qu’une partie des polymères reste isolée dans la matrice.
– Étape (d) : au fur et à mesure de l’appauvrissement en eau, les films de polymères se sont formés au sein des hydrates : une co-matrice polymère/ciment s’est formée.
Ce modèle est largement admis par la majorité des auteurs [BEEL05, SAKA95] même si certains n’observent pas de formation de co-matrice polymère/ciment [BOUT07]. Des études plus récentes, ont repris ce modèle et l’ont adapté en tenant compte des réactions qui ont lieu entre le polymère et les hydrates, de la floculation et de la coagulation du polymère comme précurseur à la formation du film [TIAN13]. De plus, la qualité des films et la quantité de polymères nécessaire à la formation d’un film continu dépendent du type de polymères étudiés [AFRI95, AFRI03, OHAM95, PASC02]. Il convient en outre de souligner l’importance des conditions de cure. En effet, si la température joue un rôle important dans la capacité des polymères à former des films continus, la cure doit permettre l’évaporation de l’eau libre dans le matériau. De ce fait, une cure humide ne semble pas indiquée pour favoriser la formation de la co-matrice. Des études montrent que des cycles cure humide/cure sèche permettent à la fois l’hydratation du ciment, et la formation de films de polymères. De manière générale, une phase de conservation en atmosphère sèche est essentielle afin d’obtenir la filmification des polymères [AGGA07, HASS00, OHAM98, RAML12a, WANG05].
Généralités sur les vieillissements d’origine biologique
Le vieillissement d’origine biologique d’un matériau a lieu suite à l’interaction de ce matériau avec des êtres vivants de taille microscopique : les micro-organismes. Ce type d’interaction est rencontré dans de nombreux domaines (industrie pétrolière, installations portuaires, ouvrages de génie civil, etc.) et affecte les matériaux du patrimoine. Le vieillissement d’origine biologique touche tous types de matériaux, y compris les matériaux cimentaires [GAYL99]. Il arrive que ces interactions soient recherchées pour leur effet positif sur le matériau : c’est le cas par exemple pour des applications de bioprotection ou de bioconsolidation de matériaux [DEMU08, RAMA01]. Toutefois, dans la majorité des cas, ces interactions débouchent sur des changements non désirés et altèrent les propriétés du matériau. Dans ce contexte, les paragraphes qui suivent sont dédiés à la compréhension de trois mécanismes de vieillissement d’origine biologique : la bioaltération, la biodégradation et la biodétérioration.
Voie d’humidification par remontée capillaire
L’objectif de cette méthode est de simuler le développement microbien ayant lieu dans des zones où l’apport en eau intervient par remontée capillaire (c’est le cas au niveau de la base des édifices). Il est intéressant de noter que dans ce dispositif, le développement microbien est conditionné par la tension superficielle de l’eau, elle-même reliée à la taille des pores. Ainsi, cet essai est tout indiqué pour discriminer des formulations selon leur porosité et leur composition chimique. Dans cet essai, les échantillons sont placés sur un lit de vermiculite, dans une boîte étanche. La vermiculite est préalablement humidifiée avec le milieu de culture, et permet ainsi de maintenir une humidité relative proche de 100% (Figure I.35 et Figure I.36). Les suspensions de micro-organismes sont alors répandues par spray, ou déposées à l’aide d’une pipette à la surface des échantillons préalablement carbonatés [DUBO00, ESCA07, OHSH00]. L’inoculation par spray présente l’avantage d’assurer une inoculation homogène de la surface d’étude, mais rend difficile la quantification des quantités projetées. En revanche, une inoculation par dépôt à l’aide d’une pipette permet un contrôle strict des quantités de suspension répandues malgré une distribution moins homogène. Dans tous les cas, l’inoculation a lieu lorsque les espèces sont dans leur phase de croissance exponentielle, et ce afin de favoriser l’encrassement des surfaces. Enfin, les échantillons sont conservés à une température oscillant entre 21 et 23°C (proche d’une température optimale pour la croissance des espèces), et soumis à des cycles jours/nuit avec une photopériode de 12h/12h. Cet essai présente l’avantage d’être facile à mettre en place, et permet d’obtenir des résultats à l’issue de 15 à 30 jours d’essais [DUBO00, ESCA07].
Analyses thermogravimétriques (ATD-TG)
Les analyses thermogravimétriques sont un ensemble de techniques permettant de mesurer l’évolution de grandeurs physiques ou chimiques d’un matériau en fonction de la température, du temps ou encore de l’atmosphère. Ces techniques sont employées afin de mettre en évidence des phénomènes de transition de phase, l’identification des phases cristallines ou amorphes à l’origine de phénomènes endothermiques ou exothermiques à des températures caractéristiques, la quantification de phases telles que les C-S-H, la portlandite (qui traduisent l’hydratation des matériaux cimentaires) ou encore les carbonates de calcium, et la dégradation de polymères. Les analyses thermogravimétriques sont des analyses thermiques qui permettent de suivre les variations de masse d’un échantillon soumis à un programme de température déterminé, dans une atmosphère contrôlée. Ces variations de masse (TG) sont alors exprimées en pourcentage de la masse initiale de l’échantillon dans le creuset, et tracées en fonction du temps ou de la température. Lors de l’interprétation des résultats, la courbe dérivée de la perte de masse par rapport à la température (DTG) est souvent reportée afin de faciliter l’identification des différentes réactions chimiques ayant conduit aux pertes observées sur la courbe de perte de masse (TG). Les courbes de TG et DTG permettent alors de quantifier les différentes pertes ou reprises de masses observées au cours de l’essai. L’analyse thermique différentielle (signal ATD) est obtenue en soumettant un échantillon à analyser et une référence thermiquement inerte à un même programme de température. Cette analyse permet alors de mesurer de la différence de température entre l’échantillon étudié et la référence, provoquée par toute modification physique et/ou chimique de l’échantillon analysé. Ce signal apporte donc des informations sur le caractère endothermique ou exothermique des réactions. Les analyses thermogravimétriques sont réalisées avec un appareil Netzsch STA 449 F1 Jupiter. Elles sont réalisées en atmosphère contrôlée, avec différents types de gaz (air, azote, ou argon). Les échantillons sont placés dans un creuset en platine taré et calciné. Ils sont alors soumis à une rampe de température allant de 35°C à 1200°C à une vitesse de 10°C/min.
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE I : SYNTHÈSE BIBLIOGRAPHIQUE
Introduction
I.1. Matériaux pour la protection et la réparation des surfaces en béton
I.1.1. Généralités sur la réparation et la protection d’ouvrages en béton
I.1.1.1. Concept de protection et de réparation des matériaux cimentaires
I.1.1.2. Formulation des matériaux de réparation et de protection
I.1.1.3. Conditions de mise en œuvre sur chantier
I.1.2. Propriétés et comportement des polymères
I.1.2.1. Généralités sur les latex et intérêt de leur utilisation
I.1.2.2. Stabilité des latex
I.1.2.3. Séchage des latex et formation de films continus de polymère
I.1.3. Comportement des composites mortier-polymère
I.1.3.1. Comportement à l’état frais et microstructure
I.1.3.2. Comportement au jeune âge : prise et transferts d’eau
I.1.3.3. Propriétés à l’état durci et vieillissement
I.2. Interaction entre les matériaux cimentaires et les organismes microbiologiques
I.2.1. Généralités sur les vieillissements d’origine biologique
I.2.1.1. Définitions
I.2.1.2. Les micro-organismes
I.2.1.3. Succession biologique et identification des micro-organismes pionniers dans le processus de biocolonisation
I.2.1.4. Processus de biocolonisation et facteurs influents
I.2.2. Interaction entre les micro-organismes pionniers et les matériaux cimentaires
I.2.2.1. Rugosité et pH de surface
I.2.2.2. Porosité
I.2.2.3. Composition chimique
I.3. Méthodes d’étude et de suivi de la biocolonisation des surfaces
I.3.1. Dispositifs et conditions d’étude de la bioaltération
I.3.1.1. Voie d’humidification par remontée capillaire
I.3.1.2. Voie d’humidification par ruissellement
I.3.1.3. Paramètres d’accélération des essais sur site
I.3.2. Méthodes de suivi de la bioaltération
I.3.2.1. Estimations visuelles et analyse d’images
I.3.2.2. Colorimétrie
I.3.2.3. Quantification de la biomasse
Bilan et démarche expérimentale
CHAPITRE II : MÉTHODES ET MATÉRIAUX D’ÉTUDE
Introduction
II.1. Techniques expérimentales
II.1.1. Analyse chimique élémentaire (ICP-AES)
II.1.2. Analyses thermogravimétriques (ATD-TG)
II.1.3. Spectrométrie infrarouge
II.1.4. Calorimétrie isotherme
II.1.5. Analyse du carbone organique total (COT)
II.1.6. Microscopie électronique à balayage (MEB)
II.1.7. Analyses granulométriques
II.1.8. Tensiométrie
II.1.9. Calorimétrie différentielles à balayage (DSC)
II.1.10. Porosité accessible à l’eau
II.1.11. Rugosité
II.2. Présentation et caractérisation des composants minéraux
II.2.1. Caractéristiques du sable
II.2.2. Caractéristiques du ciment
II.2.2.1. Présentation du ciment et de sa granulométrie
II.2.2.2. Composition chimique et minéralogique du ciment
II.2.2.3. Quantité d’eau théorique nécessaire à l’hydratation complète du ciment
II.3. Choix des polymères
II.3.1. Pureté des polymères
II.3.2. Présentation des polymères sélectionnés
II.4. Caractéristiques des latex
II.4.1. Nature des polymères
II.4.2. Teneur en polymère et masse volumique
II.4.3. Distribution granulométrique
II.4.4. Températures caractéristiques
II.4.4.1. Température minimale de formation de films
II.4.4.2. Température de transition vitreuse
II.4.4.3. Température de dégradation
II.4.5. Tension superficielle
II.4.6. Synthèse
Conclusions du chapitre II
CHAPITRE III : HYDRATATION ET SÉCHAGE À L’AIR LIBRE DE COMPOSITES MORTIER-POLYMÈRE
Introduction
III.1. Hydratation de pâtes de ciment en présence de polymères
III.1.1. Détail des formulations
III.1.2. Suivi de l’hydratation des pâtes de ciment
III.1.2.1. Protocole de mesure
III.1.2.2. Hydratation des pâtes de ciment non modifiées
III.1.2.3. Influence des polymères sur l’hydratation des pâtes de ciment
III.1.3. Adsorption des polymères à la surface des grains de ciment
III.1.3.1. Protocole d’étude
III.1.3.2. Adsorption des polymères
III.1.4. Composition minéralogique des pâtes de ciment
III.1.4.1. Protocole d’étude
III.1.4.2. Composition minéralogique de pâtes de ciment non modifiées
III.1.4.3. Influence des polymères sur la composition minéralogique des pâtes de ciment
III.1.5. Discussion sur l’influence des polymères sur l’hydratation des pâtes de ciment
III.2. Séchage à l’air libre de composites mortier-polymère au jeune âge
III.2.1. Dispositif d’essai
III.2.1.1. Présentation du dispositif d’essai
III.2.1.2. Homogénéité du séchage dans le tunnel
III.2.1.3. Influence de l’épaisseur d’un échantillon sur son séchage
III.2.2. Préparation des mortiers
III.2.2.1. Formulation des mortiers
III.2.2.2. Protocole de malaxage
III.2.2.3. Choix des moules et répartition dans le tunnel de séchage
III.2.3. Séchage à l’air libre de mortiers non modifiés
III.2.3.1. Caractéristiques initiales des mortiers non modifiés
III.2.3.2. Évolution de la masse des mortiers non modifiés au cours du temps
III.2.3.3. Suivi du taux de séchage des mortiers non modifiés au cours du temps
III.2.4. Séchage à l’air libre de composites mortier-polymère
III.2.4.1. Caractéristiques initiales des composites mortier-polymère
III.2.4.2. Suivi de la masse des composites mortier-polymère au cours du temps
III.2.4.3. Suivi du taux de séchage des composites mortier polymère au cours du temps
III.2.5. Discussion sur l’influence des polymères sur le séchage à l’air libre des mortiers
Conclusions du chapitre III
CHAPITRE IV : BIOCOLONISATION DE COMPOSITES MORTIER-POLYMÈRE
Introduction
IV.1. Présentation et caractérisation des mortiers durcis
IV.1.1. Détail des formulations et des cures appliquées
IV.1.2. Teneur en eau des mortiers exposés à un flux d’air au jeune âge
IV.1.3. État de surface des mortiers durcis
IV.1.3.1. Bullage de surface
IV.1.3.2. Rugosité de surface
IV.1.4. Masse volumique et porosité à l’eau des mortiers durcis
IV.1.5. Discussion sur l’influence des polymères sur les caractéristiques des mortiers durcis
IV.2. Bioaltération de composites mortier-polymère
IV.2.1. Choix des micro-organismes et conditions de culture
IV.2.1.1. Choix des micro-algues d’étude
IV.2.1.2. Milieu nutritif et conditions de culture
IV.2.2. Présentation des méthodes d’étude et de suivi de la bioaltération
IV.2.2.1. Dispositif d’étude de la bioaltération par ruissellement
IV.2.2.2. Dispositif d’étude de la bioaltération par remontée capillaire
IV.2.2.3. Méthodes de suivi de la bioaltération
IV.2.3. Bioaltération des mortiers par ruissellement
IV.2.3.1. Évolution visuelle des mortiers
IV.2.3.2. Évolution de la couleur des mortiers au cours du temps
IV.2.4. Bioaltération des mortiers par remontée capillaire
IV.2.4.1. Évolution visuelle des mortiers
IV.2.4.2. Évolution de la couleur des mortiers au cours du temps
IV.2.5. Discussion sur l’influence des polymères et du mode de cure sur la bioaltération des mortiers par des micro-algues
IV.3. Biodétérioration de composites mortier-polymère
IV.3.1. Processus de biodétérioration en présence d’H2S
IV.3.2. Présentation des méthodes d’étude et de suivi de la biodétérioration
IV.3.2.1. Dispositif d’étude de la biodétérioration simulant l’environnement d’un réseau d’assainissement
IV.3.2.2. Matériaux et méthodes d’étude de la biodétérioration
IV.3.3. Suivi qualitatif des mortiers dans le temps
IV.3.3.1. Évolution de l’aspect visuel au cours de l’essai
IV.3.3.2. Évolution du pH de surface des mortiers
IV.3.3.3. Évolution des dimensions des mortiers
IV.3.4. Suivi quantitatif de la biodétérioration dans le temps
IV.3.4.1. Observations des fronts de détérioration
IV.3.4.2. Observation au MEB et cartographies chimiques
IV.3.4.3. Masse des mortiers
IV.3.5. Discussion sur l’influence des polymères sur la bidoétérioration des mortiers en présence d’hydrogène sulfuré
Conclusions du chapitre IV
CONCLUSION GÉNÉRALE ET PERSPECTIVES
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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