Alliant légèreté, performance mécanique et durabilité, les matériaux composites connaissent un large succès et couvrent un nombre d’applications de plus en plus important, des produits de grande diffusion aux composants à haute valeur ajoutée pour les secteurs aéronautique et spatial. Malgré tout, le marché des matériaux composites en termes de production ou de chiffre d’affaires est encore loin de supplanter celui des métaux. Dans ce contexte, le marché des matériaux composites hautes performances se distingue principalement en terme d’innovation technologique, tout particulièrement dans les domaines aéronautiques, spatiaux et de l’énergie. Pour des applications se déroulant dans des conditions sévères d’environnement (températures de 600°C à 1400°C sous air), les Composites à Matrice Céramique (CMCs) commencent à s’imposer comme des matériaux de choix. Association d’un renfort fibreux, d’une matrice céramique et d’une interphase s’interposant entre fibres et matrice, ces matériaux au comportement non fragile présentent des performances inégalées en termes de résistance structurale, faible densité et fatigue thermomécanique. En particulier, dans la conception de pièces aéronautiques fonctionnant entre 600°C et 1000°C tels que les volets externes ou internes en sortie des turboréacteurs d’avion, les CMCs à renfort carbone ou carbure de silicium et matrice céramique sont les plus prometteurs. Principalement centrés sur des applications militaires, l’ouverture au secteur aéronautique civile impose une baisse des coûts relativement importants de ces matériaux. Dans ce contexte, les CMCs à renfort fibreux carboné et matrice à base de carbure de silicium présentent un des meilleurs rapports coût / performance. Cependant, ces composites sont caractérisés par une durée de vie limitée liée à un endommagement précoce du matériau, lequel est dû à une déformation à rupture faible de la matrice et à la présence de fissures matricielles facilitant les phénomènes d’oxydation.
LES COMPOSITES A MATRICE CERAMIQUE
Les composites à matrice céramique non oxyde, c’est-à-dire ceux constitués de fibres de carbone ou de carbure de silicium et d’une matrice à base de carbure de silicium ou de nitrure de silicium (C/SiC, SiC/SiC, C/Si3N4, SiC/Si3N4) ont été beaucoup étudiés ces trente dernières années [NAS 04]. Ces matériaux thermostructuraux tenaces peuvent être utilisés jusqu’à environ 1500 °C comme matériaux de structure dans des domaines comme l’aéronautique militaire et civile, l’aérospatiale ou bien les réacteurs nucléaires du futur. Les composites à matrice céramique ont été développés pour remédier à la fragilité intrinsèque est au manque de fiabilité des céramiques monolithiques. Les CMC sont des matériaux tenaces malgré le fait que ses constituants pris séparément sont intrinsèquement fragiles. Cette propriété des CMC est acquise grâce au contrôle des caractéristiques interfaciales fibres/matrice. L’interphase fibres/matrice doit assurer la déviation des fissures créées sous charge dans la matrice et ainsi prévenir la dégradation du renfort fibreux [MAR 89]. Les matériaux interfaciaux fibres/matrice utilisés sont généralement des matériaux lamellaires, à forte compliance et possédant des liaisons basales faibles (ex : PyC, BNhex), déposés de manière organisée sur la surface des fibres, les plans graphitiques parallèles à celle-ci [NAS 98].
D’un point de vue mécanique, les composites à matrice céramique sont des matériaux élastiques endommageables c’est-à-dire que pour des taux de charges importants, de la microfissuration matricielle et des déliaisons fibres/matrice apparaissent et sont responsables du comportement mécanique non linéaire de ces matériaux. Les fissures et déliaisons alors crées favorisent la diffusion de l’oxygène ambiant vers les fibres. L’oxydation des fibres par l’oxygène présent dans l’atmosphère conduit généralement à la rupture catastrophique du matériau. Par conséquent, un important challenge à relever est de limiter la diffusion de l’oxygène vers les fibres. Pour ce faire, des interphases et des matrices autocicatrisantes ont été développées ainsi que le dépôt à la surface du composite de revêtements spécifiques (barrières environnementales) [LAM 99a, LEE 01]. Les interphases et les matrices autocicatrisantes développées sont élaborées par des procédés gazeux longs et onéreux (Chemical Vapor Infiltration-CVI) et qui permettent difficilement de densifier complètement le composite. L’objectif de cette thèse est d’élaborer par des procédés hybrides voie condensée rapides et peu onéreux des matrices capables de ralentir la diffusion de l’oxygène vers les fibres en associant des phases réfractaires et des phases autocicatrisantes. Les procédés de densification utilisés mettront en œuvre le frittage flash (Spark Plasma Sintering) ainsi que l’imprégnation des préformes fibreuses par du silicium liquide (MI : Melt Infiltration ou RMI : Reactive Melt Infiltration).
Constituants des CMC et méthodes d’élaboration
Fibres
Dans les matériaux composites à hautes performances thermomécaniques, le renfort fibreux apour fonction principale de supporter l’essentiel de la charge appliquée. Les fibres céramiques les plus utilisées dans les composites thermostructuraux sont les fibres de carbone et celles de carbure de silicium.
Fibres de carbone
Elles sont disponibles dans une large gamme de propriétés mécaniques et thermiques et pour des coûts relativement faibles. Cependant, leur coefficient d’expansion thermique est anisotrope (très faible et même négatif selon leur axe longitudinal, élevé et positif dans le sens radial) et différent de celui du carbure de silicium ou du nitrure de silicium. Par conséquent, les composites C/SiC ou C/Si3N4 sont pour la plupart micro-fissurés après élaboration [SAB 96, LAM 94]. Ces microfissures facilitent la diffusion de l’oxygène vers les fibres dans des atmosphères oxydantes [LAM 94]. De plus, les fibres de carbone subissent une oxydation active dès 450°C et ne peuvent être utilisées seulement si elles sont parfaitement protégées de l’oxydation.
Fibres de SiC
Les fibres de SiC possèdent une résistance à l’oxydation nettement supérieure aux fibres de carbone. Par ailleurs, le coefficient de dilatation des fibres de SiC étant très proche des matrices céramiques utilisées (SiC, Si3N4), les composites à renfort SiC ne sont pas microfissurés après élaboration. Cependant, toutes les fibres de carbure de silicium ne sont pas stœchiométriques et la plupart sont très chères. Les fibres de carbure de silicium de première génération (ex : Nicalon) sont des fibres du type Si-C-O constituées de nanocristaux de SiC (1 à 2 nm de diamètre) et de carbone libre inclus dans une matrice SiCxOy amorphe. Ces fibres se décomposent au-dessus de 1100-1200 °C avec une perte de propriétés mécaniques. Par conséquent, les composites à matrice céramique comportant ces fibres doivent être élaborées par des procédés basses températures (ex : CVI, PIP,…) et leurs utilisations sont limitées en températures . Les fibres SiC de deuxième génération (ex : Hi-Nicalon) sont des fibres du type SiC+C qui ne contiennent pas d’oxygène. Elles sont constituées de nanocristaux de SiC (environ 5nm de diamètre) et de carbone libre (rapport C/Si # 1,39). Ces fibres ne se décomposent pas à hautes températures car elles ne contiennent pas de phases SiOxCy et fluent vers 1200°C. Leur résistance au fluage peut être accrue si ces fibres ont subi un traitement thermique à 1400-1600°C qui permet de stabiliser leur microstructure [ICH 95, CHO 95]. Les fibres base SiC de troisième génération (ex : Hi-Nicalon S, Tyranno SA3, Sylramic) sont des fibres SiC stœchiométriques qui ne contiennent pas d’oxygène. Leur taille de grains est relativement importante (20 200 nanomètres) et leur stabilité thermique est excellente. Ces fibres sont cependant très rigides (E=400GPa) et leur capacité à être tissées faible. De plus, ces fibres possèdent une faible déformation à rupture (0,6-0,8%) qui limite le comportement mécanique non linéaire des CMC en partie responsable du caractère non fragile de ces matériaux. Par ailleurs, ces fibres sont extrêmement onéreuses [NAS 04].
Les préformes
Les fibres avant d’être utilisées au sein d’un composite, sont tout d’abord organisées dans l’espace afin de pouvoir les manipuler. On obtient alors différents types de préformes fibreuses. La mise en forme de préformes fibreuses passent pratiquement obligatoirement par la manipulation de fils formés de quelques centaines à quelques dizaines de milliers de filaments unitaires enrobés par une matrice organique fugitive, ou ensimage, voire même de guipage en vue de favoriser leur alignement sous forme de rubans de nappes ou leur tissage sous forme de tissus 2D .
L’emploi de résines organiques ou organométalliques ou bien une première étape de densification par CVI permet d’obtenir, après une première pyrolyse, une préforme mécaniquement manipulable et usinable [NAS 04].
Interphases
L’interphase entre les fibres et la matrice a pour rôle d’obtenir un composite tenace bien que ses constituants pris individuellement sont fragiles . Le rôle de l’interphase est multiple : (i) servir de fusible mécanique en déviant les fissures en son sein (mode I de rupture à mode II de rupture) afin d’éviter la rupture des fibres par effet d’entaille , (ii) assurer un transfert de charges correcte entre la matrice et les fibres, (iii) éventuellement servir de barrière de diffusion afin de prévenir la dégradation des fibres lors de l’élaboration à hautes températures, (iv) absorber les contraintes d’origine thermique provenant des coefficients de dilatation différents des fibres et de la matrice et ainsi limiter l’endommagement matriciel après élaboration [NAS 98].
Différents types d’interphases peuvent être élaborées . Des interphases monocouches de matériaux lamellaires (pyrocarbone ou nitrure de bore hexagonal) ou de matériaux poreux, des interphases multicouches constituées alternativement de couches de matériaux lamellaires (ex : pyrocarbone) et de céramiques (SiC, B4C,…).
Matrices
Rôle de la matrice
Le rôle de la matrice est d’enrober les fibres afin de les protéger de l’agression du milieu extérieur, tant mécanique que chimique, de transférer les charges appliquées au composite, de maintenir le renfort selon les axes privilégiés de chargement et de limiter les interactions chimiques entre la fibre et la matrice lors de l’élaboration ou lors de leur utilisation.
Méthodes d’élaboration
Les modes d’élaboration dépendent étroitement des propriétés du renfort (caractéristiques mécaniques, stabilité chimique, tenue en température…) mais aussi de la matrice qui va lui être associée. Certains procédés comme la CVI permettent de limiter au maximum les contraintes d’origines mécaniques exercées sur le renfort et aussi dans une certaine mesure la réactivité avec le renfort du fait de la température de mise en œuvre relativement basse [NAS 06]. Par contre d’autres procédés comme la compression à chaud vont nécessiter à la fois des températures et des pressions élevées, sources de dégradations mécaniques ou thermochimiques [NAS 95].
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I : SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE
1 LES COMPOSITES A MATRICE CERAMIQUE
1.1 Introduction
1.2 Constituants des CMC et méthodes d’élaboration
1.2.1 Fibres
1.2.2 Interphases
1.2.3 Matrices
1.2.4 Revêtements
1.3 Propriétés et applications des CMC
2 CAHIER DES CHARGES
3 PROCEDES D’ELABORATION RETENUS (PROCESSING)
3.1 Frittage flash
3.2 Densification des composites par imprégnation de silicium liquide
3.2.1 Le procédé d’imprégnation par le silicium liquide
3.2.2 Imprégnation de composites fibreux
3.2.3 Phénomènes mis en jeu lors de l’imprégnation par du silicium liquide
4 ETAT DE L’ART DES PROCEDES VOIE LIQUIDE – VOIE CERAMIQUE AU LCTS (HORS PROCEDES PIP)
4.1 Résultats obtenus
4.2 Enseignements des précédentes études
5 PHASES MATRICIELLE RETENUES (MATERIALS DESIGN)
5.1 Introduction
5.2 Mécanismes de renforcement de la ténacité dans les composites particulaires
5.3 Matrices autocicatrisantes
5.4 Phases matricielles retenues
5.4.1 Le nitrure de silicium
5.4.2 Choix des phases autocicatrisantes
5.4.3 Synthèse des systèmes matriciels choisis et des composites à élaborer
5.4.4 Le diborure de titane (TiB2)
5.4.5 Le carbure de bore (B4C)
5.5 Matrices composites particulaires Si3N4/ TiB2
5.6 Composites fibreux C/ Si3N4 et SiC/ Si3N4
5.7 Mise en suspension du nitrure de silicium
CHAPITRE II : DENSIFICATION DES COMPOSITES A MATRICE REFRACTAIRE PAR FRITTAGE FLASH
Fiber-reinforced Ceramic Matrix Composites processed by a Hybrid Process based on Chemical Vapor Infiltration, Slurry Impregnation and Spark Plasma Sintering
Introduction
o Motivations and aims of the study
o Process
o Materials
Experimental
o Fiber Preforms and Interphases
o Mineral Powders: Si3N4 and Y2O3+Al2O3 sintering aids
o Determination of the Sintering Conditions for the Unreinforced Si3N4 Matrix
o Preparation of the Mineral Si3N4+Y2O3+Al2O3 Colloidal Suspensions
o Fiber Preforms Densification by Spark Plasma Sintering
Results and discussion
o Sintering Conditions for the Unreinforced Si3N4 Matrix
o Preparation of the Mineral Si3N4+Y2O3+Al2O3 Colloidal Suspensions
o Influence of the sintering pressure, the fibers and of the SiC coating thickness on the Densification of CMC by Spark Plasma Sintering
o Microstructural Analyses
Influence of both the powder-bed and the pressure cycle on the CMC microstructure
Fiber degradation
Densification of the inter and intra tows matrix
Microcracks inside the matrix
Interfacial zone between the fibers and the matrix
o Mechanical Behavior
Conclusion
CHAPITRE III : DENSIFICATION DES COMPOSITES A MATRICE REFRACTAIRE ET AUTOCICATRISANTE PAR FRITTAGE FLASH
Spark Plasma Sintering of Multidirectional Continuous Fiber Reinforced Self-Healing Ceramic Matrix Composites
Introduction
o Motivations and aims of the study
o Process
o Materials
Experimental
o Fiber preforms and interphases
o Mineral Powders : Si3N4 , Y2O3+Al2O3 sintering aids, TiB2 self-healing phase
o Determination of the Sintering Conditions for the Unreinforced Si3N4 + TiB2 Matrix
o Preparation of the ceramic Si3N4 + Y2O3 + Al2O3 suspensions
o Introduction by infusion of the ceramic Powders into the Fiber Preforms
o Determination of the sintering conditions of the carbon fiber reinforced Si3N4 + TiB2 composites by Spark Plasma Sintering
Results and discussion
o Sintering Conditions for the Unreinforced Si3N4 + TiB2 Matrix
o Preparation of the mineral Si3N4 + Y2O3 + Al2O3 suspensions
o Densification of the fiber preform by the mineral powders
o Fiber-preforms densification by Spark Plasma Sintering
o Microstructural Analyses
o Mechanical Behavior
o Self-healing Behavior in temperature and in oxidizing conditions
Conclusion
CHAPITRE IV : DENSIFICATION DES COMPOSITES A MATRICE REFRACTAIRE ET AUTOCICATRISANTE PAR IMPREGNATION REACTIVE DE SILICIUM LIQUIDE
Reaction-Bonded Self-Healing Ceramic Matrix Composites
Introduction
o Motivations and aims of the study
o The different processes traditionally used for the fabrication of CMC
o The hybrid process used in this study
o Materials : fibers, interphase, coating, and matrix
Experimental
o Carbon Fiber preforms, Pyrocarbon interphase and silicon carbide coating
o Preparation of concentrated B4C + Al2O3 colloidal suspensions
o Introduction of the mineral particles into the fiber preforms by infusion
o Formation of porous carbon inside the preform from a Resorcinol-Formaldehyde xerogel
o Fiber-preforms densification by Silicon Melt Infiltration (MI)
o Characterizations
Results and discussion
o Determination of the xerogel processing parameters required for optimum microstructure
o Introduction of the mineral powders and formation of the porous carbon network into the fiber preforms
o Fiber-preforms densification by Silicon Melt Infiltration (MI)
o Microstructures of the Ceramic Matrix Composites
o Mechanical Behavior at room temperature of the CMC processed
o Self-healing Behavior
Conclusion
CONCLUSION GENERALE
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES