Protections anti-oxydation et anticorrosion pour T>2000°C
Cahier des charges d’un revêtement protecteur
La protection contre l’oxydation/corrosion d’un composite Cf/C peut se faire à différentes échelles : sous forme de revêtement externe, revêtement sur fibres ou en remplaçant en partie ou toute la matrice carbonée. L’application d’un revêtement de surface permet de protéger facilement un substrat quel qu’il soit. Une large gamme de procédés et de matériaux aux compositions variées sont disponibles. Néanmoins, la réalisation de celui-ci est soumise à plusieurs contraintes d’ordres chimique et mécanique afin de conserver une bonne efficacité de Tambiante à Tutilisation>2000°C et sous diverses conditions environnementales (composition, pression, vitesse de gaz, …).
L’efficacité de la protection vis-à-vis de l’oxydation/corrosion exige tout d’abord une adhérence suffisante entre le revêtement et le substrat, favorisée par la compatibilité chimique et mécanique entre ces deux éléments. L’ancrage de la protection peut être réalisé physiquement par l’interpénétration des matériaux dans leurs porosités respectives [STRIFE, 1988]. Des interactions chimiques entre la surface du substrat (dans le cas présent un composite Cf/C) et la protection peuvent créer une liaison forte à l’interface. Ces interactions doivent être maîtrisées si possible. En effet, il faut éviter la formation de phases gazeuses ou liquides, dont l’accumulation à l’interface revêtement/substrat peut conduire à une dégradation du revêtement par écaillage. Les composés utilisés doivent être stables thermiquement et chimiquement jusqu’à leur point de fusion. Pour limiter les risques de fissuration et de décohésion prématurée du revêtement, il faut éviter :
– les variations de composition ou la juxtaposition de composés dont les coefficients de dilatation thermique sont trop éloignés et qui provoquent des gradients de déformations trop importants liés aux contraintes résiduelles d’origine thermique ;
– les changements de structure comme les transformations allotropiques qui impliquent des variations volumiques trop importantes.
Par ailleurs, la protection sera d’autant plus efficace que les matériaux qui la composent, présentent une faible perméabilité à l’oxygène, une certaine résistance à l’érosion et une faible volatilité (meilleure stabilité thermochimique). La combinaison de toutes ces caractéristiques est directement liée à la composition des matériaux et à leurs microstructures conférant à la fois des propriétés de barrière thermique et de barrière environnementale.
Barrière thermique :
Le rôle d’une barrière thermique est de limiter le transfert de chaleur vers le substrat et donc son échauffement. L’utilisation de matériaux isolants (avec Tfusion >> Tutilisation) [LEVI, 2004] permet d’accumuler la chaleur à la surface et de la dissiper par diffusivité thermique et par rayonnement. Une microstructure poreuse peut contribuer à accroître le caractère isolant du revêtement, mais la tenue mécanique ainsi que la perméabilité seront fortement altérées.
Barrière environnementale :
Le rôle d’une barrière environnementale est de fortement limiter la diffusion des espèces oxydantes et corrosives vers le substrat carboné. Le coefficient de diffusion de l’oxygène est une propriété à prendre en compte dans le choix des matériaux. Par exemple, la conductivité ionique du matériau évolue proportionnellement à la diffusion de l’oxygène : plus elle est élevée plus le matériau sous-jacent sera oxydé (propriété quantifiable par la méthode de spectroscopie d’impédance complexe). Dans le cas des barrières environnementales, une microstructure poreuse sera préjudiciable, puisque le transport de l’oxygène sera facilité du fait de l’interconnexion des porosités. L’évacuation efficace des espèces gazeuses, telles que CO ou CO2 formés par oxydation du C, doit être considérée. Leur accumulation pourrait s’avérer dommageable pour l’adhérence du revêtement du fait de la formation de porosités à l’interface avec le substrat. Une couche supplémentaire, dite couche d’accroche peut être placée à l’interface substrat/revêtement, mais complexifie la structure de la protection.
Choix des constituants : les céramiques ultra réfractaires
Matériaux actuellement en application : les composites Cf/C-SiC
Le carbure de silicium est actuellement le matériau le plus utilisé pour la réalisation des protections contre l’oxydation/corrosion des composites Cf/C sous la forme de revêtements [HUANG, 2007]. Il possède une température de décomposition élevée d’environ 2730°C. Son coefficient de dilatation thermique (ou coefficient d’expansion thermique, CET ou α) est proche de celui du carbone et confère ainsi une bonne compatibilité thermomécanique aux revêtements élaborés. Les valeurs pour SiC et C sont respectivement αSiC = 4,0×10⁻⁶ .°C-1 et αC = 1,0×10⁻⁶ .°C-1 [SHI, 2014]. Sous atmosphère oxydante et corrosive, SiC présente différents comportements en fonction de la température. Il s’oxyde en formant de la silice (SiO2) sous forme condensée en régime passif (Équation 1) à haute température et sous une pression partielle de dioxygène (PO2) élevée [SINGHAL, 1976 ; CORRAL, 2008].
SiC(s) + 3/2 O2(g) ➜ SiO2(s) + CO(g) Équation 1
La silice forme alors une couche protectrice [DEAL, 1965]. Sa température de fusion est d’environ 1700°C et sa température d’ébullition est proche de 2700°C. La cinétique de formation de SiO2 est lente au-dessus d’environ 1100°C [OPEKA, 2004]. Son coefficient d’expansion thermique est faible (valeurs entre 0,5 et 4,1×10⁻⁶ .°C-1 [TADA, 2000]), et permet ainsi de limiter l’apparition de contraintes thermomécaniques élevées à l’interface SiO2/SiC qui pourraient provoquer une perte d’adhérence. La formation de SiO2 par oxydation du SiC admet une augmentation de volume significative, qui, couplée à une faible perméabilité à l’oxygène, explique son caractère protecteur ou passivant. La silice est considérée comme une bonne barrière de diffusion de l’oxygène.
L’utilisation du SiC pour des applications aux alentours de 2000°C peut apporter une capacité d’autoprotection avec une certaine faculté de cicatrisation des fissures et des porosités puisque la silice formée se trouve sous forme liquide avec une faible viscosité [LIU, 2013-2]. Toutefois, sous faible pression partielle de dioxygène (PO2 < 0,2bar) et à très haute température (au moins 1600°C), l’oxydation de SiC devient active. La stabilité de SiO2 est compromise par sa volatilisation sous la forme de SiO gazeux (Équation 2) [VAUGHN, 1990 ; PAUL, 2013].
SiC(s) + O2(g) ➜ SiO(g) + CO(g) Équation 2
Dès 1100°C sous atmosphère humide, la silice se volatilise également sous la forme d’hydroxyde Si(OH)4(g) ou oxyhydroxydes SiO(OH)(g) par exemple. La croissance de cette couche devient alors limitée [BRISEBOURG, 2012]. Des réactions entre la silice et le carbure de silicium peuvent également avoir lieu et entraînent une consommation plus rapide du matériau (Équation 3, Équation 4 et Équation 5).
SiC(s) + 2 SiO2(s) ➜ 3 SiO(g) + CO(g) Équation 3
SiC(s) + SiO2(s) ➜ 2 SiO(g) + C(s) Équation 4
2 SiC(s) + SiO2(s) ➜ 3 Si(s) + 2 CO(g) Équation 5
La couche de silice en surface permet la diffusion de l’oxygène vers SiC et C, conduisant à la formation de CO(g), SiO(g) ou SiO2(s,l) à l’interface SiC/SiO2. L’accumulation des gaz à l’interface peut créer une décohésion de la couche protectrice qui génère une oxydation localement accélérée. Des transitions entre les régimes d’oxydation active et passive peuvent avoir lieu entre 1500 et 2200°C [OPEKA, 2004].
Pour se rapprocher des conditions de service, des essais d’oxydation sous torche oxyacétylénique sont souvent réalisés. Pour une même température de test, la résistance à l’oxydation de composites Cf/C-SiC augmente avec le temps. Cette amélioration est imputée à l’accumulation des produits d’oxydation (solides et liquides) en surface [LIU, 2013]. Pour des essais cyclés, la vitesse d’ablation linéaire diminue avec l’augmentation du nombre de cycles et atteint une valeur palier qui peut être liée à l’équilibre entre production et consommation des produits d’oxydation. Lorsque la température est supérieure à 1900°C, l’évaporation de la silice est accélérée.
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Table des matières
Introduction générale
CHAPITRE I – SYNTHÈSE BIBLIOGRAPHIQUE
I. Introduction
II. Protections anti-oxydation et anti-corrosion pour T>2000°C
II.1. Cahier des charges d’un revêtement protecteur
II.2. Choix des constituants : les céramiques ultra réfractaires
II.3. Protection optimisée : vers la combinaison de plusieurs constituants
II.4. Bilan intermédiaire sur la composition chimique de la protection
III. Élaboration de matrices protectrices
III.1. Procédés en voie liquide
III.2. Vers une combinaison de procédés
IV. Comparaison des moyens d’essais à T>2000°C
IV.1. Tests au four solaire
IV.2. Tests sous torche plasma
IV.3. Tests sous torche oxyacétylénique
V. Conclusion
CHAPITRE II – TECHNIQUES EXPERIMENTALES ET MATERIAUX
I. Introduction
II. Démarche globale
III. Présentation des matériaux initiaux
III.1. Préformes fibreuses Cf/C
III.2. Matériaux précurseurs de la matrice UHTC
IV. Élaboration de composites Cf/C-UHTC à partir de procédés en phase liquide
IV.1. Étape de comblement par les poudres
IV.2. Étape de densification par infiltration réactive d’un métal fondu
V. Caractérisation des composites Cf/C-UHTC
V.1. Porosité résiduelle après densification par RMI
V.2. Observations morphologiques
V.3. Identification des phases
VI. Évaluation du comportement de composites Cf/C-UHTC en conditions proches de la propulsion spatiale : tests sous torche oxyacétylénique
VI.1. Choix de la méthode d’essai et contraintes pour les essais
VI.2. Paramètres issus de la littérature
VI.3. Conditions sélectionnées pour les essais
VII. Conclusion
CHAPITRE III – COMPOSITES Cf/C-UHTC DENSIFIÉS PAR INFILTRATION RÉACTIVE DE SILICIUM LIQUIDE
I. Introduction
II. Présentation du système réactionnel
II.1. Approche thermodynamique : calculs des équilibres thermodynamiques
II.2. Approche théorique : calcul des coefficients de variation volumique
III. Optimisation de la densification de composites Cf/C-UHTC à partir de ZrB2, C et Si
III.1. Comblement de la porosité par les poudres
III.2. Infiltration réactive de silicium fondu
III.3. Identification et répartition des phases après RMI
IV. Essais sous torche oxyacétylénique sur composites Cf/C-ZrB2-SiC-Si
IV.1. Évolution de la température en cours d’essai
IV.2. Influence des paramètres d’essais sur les couches d’oxydes formées en surface
IV.3. Efficacité de la protection apportée par la matrice ZrB2-SiC-Si au composite Cf/C
IV.4. Comparaison avec un matériau de référence
IV.5. Fiabilité et reproductibilité des essais
V. Conclusion
CHAPITRE IV – OPTIMISATION DE LA COMPOSITION CHIMIQUE DE LA MATRICE ET DE LA DENSIFICATION DE COMPOSITES Cf/C-UHTC
I. Introduction
II. Sélection des systèmes réactionnels
II.1. Scenarii de densification
II.2. Équilibres thermodynamiques et coefficients de variation volumique des réactions mises en jeu
II.3. Évaluation des compositions chimiques finales et choix des conditions d’élaboration
III. Évaluation de l’état de densification de composites Cf/C-UHTC après RMI
III.1. Protection in situ des fibres vis-à-vis de l’étape de RMI : intérêt de SiB6
III.2. Élaboration de composites Cf/C à matrice UHTC par RMI d’une phase métallique Si-Zr
III.3. Influence des précurseurs sur la microstructure des composites obtenus après densification par RMI
IV. Phénomènes mis en jeu lors de l’infiltration
IV.1. Scenarii d’infiltration
IV.2. Capacité d’infiltration du métal liquide et angle de mouillage
V. Optimisation des proportions et de la répartition des phases matricielles
VI. Conclusion
CHAPITRE V – ÉVALUATION DU COMPORTEMENT EN OXYDATION/CORROSION A T>2000°C DE COMPOSITES Cf/C-UHTC OPTIMISÉS
Conclusion générale