Comportements de subsistance des hominines du Pléistocène inférieur en Afrique du Sud

Historique des travaux menés à Cooper’s

          La découverte d’une dent attribuée à Plesianthropus transvaalensis (aujourd’hui synonyme d’Australopithecus africanus) en décembre 1939 par Julius Staz, et décrite par J. C. Middleton Shaw sur le terrain de la ferme de Mr. Cooper (Middleton Shaw, 1939 ; Berger et al., 1995) a ouvert la voie à de nombreuses recherches de terrain mais également de laboratoire, qui se poursuivent encore aujourd’hui. Au sein de cette région nommée aujourd’hui le Cradle of Humankind, la recherche était fortement marquée par les multiples découvertes de gisements plio-pléistocène ayant livré des fossiles d’hominines exceptionnels, comme le gisement de Sterkfontein en 1936 ou celui de Kromdraai en 1938 par R. Broom (1936, 1938). Les travaux menés à Cooper’s en 1954, dans une ancienne cavité minière (Brain, 1958), sont alors passés relativement inaperçus. Ces fouilles n’ayant pas livré de restes d’hominines, le site a été fermé après deux mois de terrain (ibid).

Ce n’est qu’en 1995, lors de l’étude de restes provenant d’une boite étiquetée au nom du site Cooper’s A au sein du Transvaal Museum de Pretoria, provenant des prélèvements effectués soit par Middleton Shaw soit lors des fouilles de C. K. Brain, que Martin Pickford et Francis Thackeray ont découvert une incisive attribuée au genre Autralopithecus ou aux premiers représentants du genre Homo (Berger et al., 1995). La difficulté rencontrée par ces auteurs pour localiser et différencier les localités de Cooper’s A et B les conduit à conclure qu’il s’agissait du même site (ibid). En 2001, de nouvelles recherches de terrain ont été entreprises au sein d’un nouveau gisement nommé Cooper’s D, distinct des localités Cooper’s A et B, constitué de remplissages décalcifiés de brèche dolomitique (Berger et al., 2003). Ces fouilles ont permis de mettre au jour de nouveaux restes d’hominines attribués à Paranthropus robustus (Tab. 1), dont trois dents isolées, un fragment de mandibule et une vertèbre lombaire mais également un matériel faunique abondant et des outils lithiques (Berger et al., 2003 ; Kuman, 2003, 2007 ; De Ruiter et al., 2009).

Les hominines contemporains du gisement de Cooper’s D en Afrique du Sud

                 Durant la période 1,5 – 1,4 Ma d’accumulation de la majeure partie du dépôt de Cooper’s D, deux genres d’hominines sont présents en Afrique du Sud. On distingue alors l’espèce Paranthropus robustus de celles du genre Homo, qui regroupe des fossiles dont l’attribution diffère selon les auteurs entre Homo habilis et Homo ergaster.
Homo sp. (2,0 Ma – 1,0 Ma)1– En Afrique du Sud, des fossiles attribués aux premiers représentants du genre Homo sont retrouvés dans le membre 5 (West et Stw53 breccia) de Sterkfontein (Brain, 1981 ; Pickering, 1999 ; Kuman & Clarke, 2000 ; Pickering et al., 2000), à Drimolen (Keyser, 2000 ; Keyser et al., 2000), ainsi que dans les membres 1 à 3 de Swartkrans (Brain, 1981, 2004 ; Gibbon et al., 2014 ; Wood & Boyle, 2016). Les premiers représentants du genre Homo montrent une importante variabilité morphologique, tant au niveau  de la denture que du volume endocrânien, compris entre 500 et 800 cm3 (Wood & Boyle, 2016). Les analyses du ratio Sr/Ca et Ba/Ca indiquent un régime alimentaire moins varié que chez Australopithecus africanus mais une consommation de viande relativement importante (Balter et al., 2012). Les analyses des micro-usures dentaires indiquent, quant à elles, une certaine variabilité dans le régime alimentaire des premiers Homo (Ungar et al., 2006). En effet, les auteurs ont mis en évidence l’existence de « deux groupes », l’un (Homo ergaster et Homo sp. de Swartkrans) se nourrissant d’aliments plus durs que l’autre (Homo habilis de Sterkfontein).

Paranthropus robustus (2,0 – 1,0 Ma) – Espèce endémique et seule représentante du genre Paranthropus en Afrique du Sud, P. robustus a été mis au jour dans 6 sites au total : Kromdraai B (Broom, 1938 ; Brain, 1981), le membre 5 (Oldowan Infill) de Sterkfontein (Pickering, 1999 ; Kuman & Clarke, 2000 ; Pickering & Dominguez-Rodrigo, 2006), Drimolen (Keyser, 2000 ; Keyser et al., 2000), les membres 1 à 3 de Swartkrans (Brain, 1981, 2004), Gondolin (Grine et al., 2012 ; Herries & Adams, 2013) et Cooper’s (Berger et al., 2003 ; Steininger et al., 2008 ; De Ruiter et al., 2009). La première apparition de P. robustus dans le registre fossile provient du membre 1 de Swartkrans, daté aux alentours de 2,19 Ma, et sa dernière apparition provient du membre 3 de Swartkrans, daté aux alentours de 1,0 Ma (Gibbon et al., 2014). P. robustus possède un volume endocrânien compris entre 500 et 550 cm3 , avec des dents jugales massives, des canines et incisives plus petites que A. africanus (Brain, 1981 ; Wood & Boyle, 2016). Les restes postcrâniens indiquent une locomotion essentiellement bipède ainsi qu’une faible adaptation à l’arboricolie (Susman, 2004). Les os de la main indiquent également une capacité à fabriquer et utiliser des outils (Susman, 1991), bien que la majorité des auteurs s’accordent sur le fait que P. robustus était probablement plus un utilisateur d’outils qu’un artisan (Susman, 2004 ; Pickering, 2006 ; Pickering & Dominguez-Rodrigo, 2006).

Il faut également mentionner que des pièces d’industrie lithique (oldowayenne et acheuléenne), des outils en os ainsi que des restes osseux présentant des marques de découpe ont été retrouvés dans les mêmes niveaux que P. robustus (Kuman & Clarke, 2000 ; Backwell & d’Errico, 2001a, 2001b, 2003, 2004, 2014 ; Brain, 2004 ; Susman, 2004 ; Pickering, 2006 ; Pickering & Dominguez-Rodrigo, 2006 ; Kuman, 2007 ; Caruana et al., 2013). Le croisement des données sur le paléorégime alimentairede P. robustus montre une importante variabilité, bien que ce taxon ait été fréquemment décrit comme un végétarien spécialisé (Robinson, 1954). L’analyse du ratio Sr/Ca et Ba/Ca n’indique pas de régime omnivore (Sponheimer et al., 2005a) et tend à indiquer une alimentation basée sur des plantes d’environnement boisé (Balter et al., 2012), tandis que les données des isotopes du carbone (C13/C12) indiquent un régime alimentaire varié, basé sur la consommation de plantes en C4 ou d’animaux les consommant eux-mêmes (Sponheimer et al., 2006).

Il a également été fait mention de l’importance de la consommation d’insectes dans le régime alimentaire de P. robustus, dont la part aurait pu largement influencer les données obtenues pour les isotopes du carbone (Sponheimer et al., 2005b). L’analyse des micro-usures dentaires sur les dents jugales indique la consommation d’aliments durs (Grine, 1986) tandis que les microusures présentes sur les canines indiquent la consommation d’aliments plus tendres (Ungar & Grine, 1991). P. robustus montre une très grande variation des micro-usures dentaires et cela pourrait indiquer une capacité à consommer des aliments durs en cas de besoin, lorsque la nourriture préférentielle n’est plus disponible (Ungar & Sponheimer, 2011).

Discussion

                Certaines caractéristiques de la liste taxinomique permettent d’émettre une première hypothèse taphonomique à propos de l’accumulation osseuse de Cooper’s D. D’une part, on observe l’abondance de suidés et de canidés, taxons habituellement considérés comme rares dans les gisements de la région comme les suidés et les canidés (Berger et al., 2003) ; ce sont des proies rarement observées au sein des tanières de félidés, mais plus souvent retrouvées au sein des tanières de hyènes, particulièrement la hyène brune (Parahyaena brunnea) pour les canidés (Kuhn et al., 2010). D’autre part, on note que l’abondance relative du springbok (Antidorcas marsupialis), des gnous (Connochaetes), des canidés (Canis mesomelas), des cercopithécidés (Theropithecus, Papio et Gorgopithecus), des suidés (Metridiochoerus), puis la diversité relative des carnivores avec la présence de petits taxons (viverridés et mustélidés) au sein de l’assemblage, correspondent aux proies préférentielles de la hyène brune (Parahyaena brunnea), d’après les observations de tanières actuelles (Brain, 1981, Tab. 40 et 41) et fossiles comme dans le Membre 5 du site de Sterkfontein (Pickering, 2002). Le ratio calculé du NMI des carnivores (41) par rapport au NMI des ongulés + carnivores (156) est supérieur à 20 % (26,28 %) ; cette valeur, en adéquation avec celle publiée auparavant (De Ruiter et al., 2009), correspond à celle d’une accumulation par la hyène brune (selon Kuhn et al., 2010). Cette hypothèse peut être nuancée par la présence plus importante du léopard (Panthera pardus) et de la hyène tachetée (Crocuta crocuta) en termes de NMI, qui ont pu participer à l’accumulation de l’assemblage par une succession d’occupations alternées, ce qui rejoint les précédentes observations faites sur l’assemblage des primates (Val et al., 2014). Le ou les agents accumulateurs possibles de l’assemblage de Cooper’s D seront détaillés par la suite, à l’aide de l’analyse de la représentation squelettique et des modifications taphonomiques.

Régime alimentaire

                  L’histogramme des régimes alimentaires est marqué par l’abondance des zoophages (≈ 45 %) ainsi que des herbivores hypsodontes (> 35%). On observe également la présence d’herbivores brachyodontes (< 10 %), de quelques frugivores (> 5 %), d’omnivores (< 5 %) et d’entomophages (< 5 %), qui semblent indiquer l’existence de quelques zones boisées probablement parsemées. Ce profil de distribution correspond aux environnements ouverts de savanes sèches observés dans le Serengeti au nord de la Tanzanie.

Discussion

                 L’absence des os denses et compacts (carpiens, tarsiens et phalanges) de bovidés pourrait être interprétée comme résultant d’une accumulation par la hyène (Cruz-Uribe, 1991 ; Lyman, 1994). Cependant, la représentation squelettique ne peut caractériser à elle seule l’origine d’un assemblage, d’autant que ce critère est à l’heure actuelle remis en question. En effet, des études actualistes faites sur des repaires de hyènes ont pu montrer que les os denses et compacts pouvaient très bien résister à la digestion des hyènes et parfois même dominer l’assemblage postcrânien (Pickering, 2002 ; Kuhn et al., 2010). D’après l’étude de repaires de hyènes modernes et fossiles (Fourvel, 2013), l’importante variabilité de la représentation squelettique des ongulés au sein des repaires de grands carnivores (hyénidés, félidés, canidés) ne permet pas la distinction spécifique. L’absence de restes retrouvés en connexion ou de squelettes partiellement complets à Cooper’s D permet notamment d’écarter en partie le rôle accumulateur éventuel du léopard ou le contexte d’un aven-piège (De Ruiter & Berger, 2000 ; Dominguez-Rodrigo & Pickering, 2010 ; Val et al., 2014). De plus, l’absence d’os longs complets ne correspond pas à la signature taphonomique de l’action du léopard (Dominguez-Rodrigo & Pickering, 2010).

Le ratio décroissant des restes crâniens/postcrâniens par rapport à la taille des ongulés est cependant un critère fréquemment invoqué pour caractériser les accumulations de hyènes (Cruz-Uribe, 1991 ; Kuhn et al. 2010). Cependant, qu’il soit vérifié ou non (Pickering, 2002 ; Fourvel, 2013) ce caractère ne s’applique pas aux restes de bovidés de Cooper’s D, puisque l’on observe bien que chaque classe de taille est majoritairement représentée par des restes crâniens (Fig. 11). Il semble donc difficile de pouvoir attribuer l’origine de l’accumulation des restes de bovidés de Cooper’s D à un seul agent spécifique sur le seul argument de la représentation squelettique. En ce qui concerne les suidés, on observe une tendance à la surreprésentation des os les plus denses et compacts comme les phalanges, le talus, la mandibule, le tibia et les métapodiens, qui sont des parties squelettiques considérées comme traduisant une forte « estimation du potentiel de survie » (Brain, 1981).

Cette distribution peut être due à un phénomène naturel de conservation différentielle ou à l’action d’un agent modificateur tel qu’un carnivore. La différence entre le spectre de représentation squelettique des suidés et celui des bovidés nous amène à minorer l’action de conservation différentielle. La conservation des os les plus denses et compacts serait alors due à l’action d’un ou plusieurs prédateurs, qui auraient fait disparaître les os les plus fragiles (suivant Brain, 1981 ; Pickering, 2002). Les os longs fragmentés sont majoritaires (> 82 % du NRdt), ce qui peut signaler une action possible de la hyène, tandis que la surreprésentation des petits os denses et compacts peut se rapporter à l’action du léopard (Dominguez-Rodrigo & Pickering, 2010). Pour mieux identifier le ou les agents à l’origine de l’assemblage, il est nécessaire d’observer les modifications taphonomiques.

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Table des matières

1) Introduction
2) Etat de l’art et problématique
3) Contexte géologique, chronologique et archéologique
3.1. Historique des travaux menés à Cooper’s
3.2. Contexte géologique et datation
3.3. Contexte archéologique
3.4. Les hominines contemporains du gisement de Cooper’s D en Afrique du Sud
4) Matériel et méthodes
4.1. Matériel
4.2. Méthodes
5) Résultats
5.1. Spectre faunique
5.2. Paléoécologie
Diversité taxinomique
Masse corporelle
Mode de locomotion
Régime alimentaire
Bilan
5.3. Ages individuels des suidés
5.4. Représentation squelettique
5.5. Modifications taphonomiques
Etat général de conservation
Agents climato-édaphiques
Agents biologiques non-humains
Agent anthropique
Discussion
6) Distribution spatiale
7) Discussions, conclusions et perspectives
7.1. Agents taphonomiques impliqués dans l’accumulation de l’assemblage osseux de Cooper’s D
7.2. Comportements de subsistance des hominines du Pléistocène inférieur en Afrique du Sud
7.3. Conclusion générale et perspectives
Bibliographie
Annexes
Résumé
Abstract

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