L’exigence croissante du client sur la dimension des tôles métalliques, notamment pour les applications dans les domaines du transport et de l’énergie, demande une excellente maîtrise des procédés de la mise en forme. Pour le produit plat issu d’un train finisseur de laminage à chaud, une grande précision sur la largeur du produit est l’une des qualités importantes. Néanmoins, les variations de la largeur des tôles sont imparfaitement contrôlées aujourd’hui à cause de la déformation viscoplastique du matériau entre les cages du laminoir. De ce fait, les fabricants aujourd’hui prévoient toujours une largeur supérieure à la largeur demandée. Cette surlargeur introduit un surcoût considérable chaque année, Afin de réduire ce surcoût, une meilleure prédiction de la variation de la largeur des produits est nécessaire.
Problématique scientifique
Pendant la recristallisation sous faibles contraintes, une accélération de la déformation viscoplastique liée à la recristallisation a déjà été observée. Ce phénomène, connu sous le terme anglais de « Recrystallisation-Induced Plasticity » (RIP), repose sur des mécanismes qui ne sont pas clairement identifiés. Il convient de distinguer ce RIP de la déformation viscoplastique assistée par la recristallisation dynamique. Cette dernière est abondamment documentée dans la littérature. La différence essentielle entre les deux phénomènes est liée à la force motrice de la recristallisation : la force motrice du RIP provient de la pré-déformation et celle dans le cas de la recristallisation dynamique provient de la déformation instantanée.
Le phénomène RIP consiste en un couplage entre la déformation viscoplastique et l’évolution microstructurale associée à la recristallisation. Pendant la recristallisation, les nouveaux grains grossissent aux dépens des anciens grains, résultant en un changement statistique des caractéristiques microstructurales, telles que la taille de grains, la densité de dislocations et en un aspect dynamique lié à la migration des joints de grains. A cause de l’évolution microstructurale, la déformation viscoplastique pourrait se produire d’une manière différente sous une même sollicitation mécanique. Par exemple, la déformation viscoplastique pourrait être dominée par la diffusion lorsque la taille des grains recristallisés est petite, ou par le glissement et la montée des dislocations sous certaines conditions. De plus, la migration des joints de grains pourrait probablement contribuer en partie à la déformation. De ce fait, le phénomène RIP pourrait être un résultat de la coexistence de plusieurs mécanismes, qui sont associés à l’évolution des caractéristiques microstructurales pendant la recristallisation.
A ce jour, les données expérimentales liées au couplage entre la déformation viscoplastique et la recristallisation sont relativement limitées dans la littérature. Le(s) mécanisme(s) prépondérant(s) n’est (ne sont) pas encore clair(s) et, par conséquent, aucun modèle n’est disponible.
Objectifs
Cette étude a comme objectifs principaux la compréhension de ce phénomène RIP dans des alliages austénitiques et le développement des cadres constitutifs de modélisation basés sur les mécanismes physiques identifiés. Pour cela, une étude expérimentale est nécessaire pour la mise en évidence du phénomène RIP et la caractérisation des microstructures qui lui sont associées. Les résultats expérimentaux doivent permettre de formuler au premier ordre les hypothèses quant aux mécanismes sous-jacents au RIP. Compte tenu des résultats expérimentaux, le développement des modèles est ensuite entrepris, en vue de l’interprétation du phénomène RIP et de la quantification des contributions des mécanismes considérés.
Revue bibliographique
Mise en évidence et interprétation actuelle du phénomène
Le phénomène RIP n’est pas nouveau et la littérature montre que, sous certaines conditions, le RIP est observable sur de nombreux métaux, tels que le plomb, le nickel, l’or, certains aciers et l’aluminium. Les premières mises en évidence publiées remontent aux années 50 et 60 [Gifkins, 1958, Hardwick et al., 1961, Richardson et al., 1966]. A cette époque, ce phénomène a été identifié lors d’essais de fluage. Il s’exprime par une accélération de la déformation viscoplastique pendant le fluage en régime stationnaire sur un matériau recuit (partiellement ou complètement). A partir de l’étude du comportement macroscopique et d’observations microstructurales, il est prouvé que cette accélération de la déformation est associée à la recristallisation. L’interprétation la plus représentative est celle donnée par Gifkins [Gifkins, 1958], qui en conclut que le comportement viscoplastique des grains recristallisés dans le domaine transitoire joue un rôle important, cependant aucun modèle n’est présenté.
Plus récemment, plusieurs études abordent ce sujet à nouveau parce que le phénomène RIP est incontournable lors du chauffage sous charge des matériaux écrouis [Yin et Zhou, 1990, Han et al., 2005, Estrin, 2006, Hutchinson et al., 2010, Vu et Pineau, 2010, Huang et al., 2012]. La déformation (visco)plastique produite par la recristallisation statique est, pour la première fois, officiellement nommée « Recrystallisation-Induced Plasticity (RIP) » dans l’étude de Yin [Yin et Zhou, 1990]. Pour la plupart des auteurs, l’écoulement par diffusion de matière est considéré comme la principale cause du phénomène RIP.
Observations expérimentales
L’étude de Gifkins [Gifkins, 1958] a porté sur le plomb pur, qui a été déformé par extrusion à la température ambiante puis recuit partiellement à différents niveaux sur différentes durées à 100°C. Juste après, des essais de fluage sont effectués, toujours à 100°C, sous une contrainte nominale de 2,7 MPa. A cause de la différence d’énergie emmagasinée après ces recuits partiels avant les essais de fluage, la recristallisation a dû être déclenchée à des moments différents lors des essais de fluage. Comme le montre la Figure II.1 (a), les courbes de fluage sont similaires au début des essais même si les niveaux de recuit ne sont pas identiques. Ensuite, l’accélération de la déformation apparaît après l’établissement du régime stationnaire de fluage ; le démarrage de l’accélération diffère de l’un à l’autre selon le temps de pré-recuit. On peut constater que plus le temps de pré-recuit est long, plus l’accélération démarre tard. En fait, à cause de l’énergie emmagasinée plus faible après un long pré-recuit, l’incubation de la recristallisation doit être plus longue. Ceci confirme que l’accélération de la déformation pourrait être liée à la recristallisation pour ces conditions. Par ailleurs, les données expérimentales montrent également que les pré-recuits à différents niveaux modifient faiblement le comportement en fluage dans le régime transitoire.
Afin de comprendre cette déformation accélérée, d’autres essais comparatifs ont été conçus et réalisés dans cette même étude. La Figure II.1 (b) représente un essai de fluage (courbe ABCD) suivi par un autre essai de fluage (FGH) sur une même éprouvette, sous la même sollicitation mais dans deux états différents. Dans le premier essai de fluage, une éprouvette avec un état partiellement recuit présente un régime de fluage transitoire (AB), ensuite un régime stationnaire (BC) suivi par l’accélération de la déformation (CD). La courbe CE est l’extrapolation de la courbe BC et l’écart (DE) entre les courbes CD et CE est associé à l’effet de la recristallisation. Lorsque la déformation a atteint le point D, l’éprouvette a été déchargée et complètement recuite sans charge à 100°C pendant 6 heures. Après cela, un deuxième essai de fluage a été effectué sur cette éprouvette et la réponse macroscopique consiste en un comportement de fluage transitoire (FGH). En comparant le niveau de la déformation DE avec celui de FGH, l’auteur remarque que la déformation supplémentaire produite pendant la recristallisation (DE) possède un ordre de grandeur similaire à celui du fluage transitoire observé sur l’état complètement recuit (FGH). De ce fait, l’auteur conclut que les grains recristallisés induisent un régime de fluage transitoire, qui est la principale cause de l’accélération de la déformation. De plus, à partir de ces résultats, on peut remarquer sur la Figure II.1 (b) que la vitesse de déformation moyenne dans la phase d’accélération est supérieure d’environ 7 fois par rapport à celle de fluage secondaire.
Les autres essais [Hardwick et al., 1961] relèvent le même type d’accélération de la déformation sur l’or pur (99,99%) et le nickel pur (99,96%). L’accélération de la déformation a été mise en évidence lors d’essais de fluage en compression sur l’état recuit. Sur les Figure II.2 (a) et (b), les courbes sur l’or et sur le nickel sont en vitesse de déformation, non comparables directement à celles sur le plomb, exprimées en déformation. On peut voir qu’un pic de l’accélération de la déformation est identifié pour l’or et quatre au total le sont pour le nickel lorsqu’une déformation totale de 16% est atteinte. La vitesse de fluage maximum (valeur de pic) peut atteindre des valeurs supérieures d’un ordre de grandeur par rapport à la vitesse juste avant accélération. Pour l’or, on constate que le régime de fluage stationnaire n’est pas réellement atteint, sauf sous 1,4 MPa. Pour le nickel pur, la vitesse juste avant les accélérations n’est pas toujours la même. Les informations de la variation de la section de l’éprouvette ne sont pas communiquées. Dans cette étude, ni examen métallographique ni interprétation physique concernant l’évolution de la vitesse de déformation ne sont mentionnés.
Une autre mise en évidence du phénomène RIP a été réalisée lors d’essais de fluage en compression sur le nickel pur recuit avec une taille de grains moyenne de 200 μm [Richardson et al., 1966]. L’intervalle de température entre 800 et 965°C et plusieurs valeurs de contrainte constante entre 12 et 27 MPa ont été choisis. La Figure II.3 présente le stade de fluage stationnaire interrompu par l’accélération de la déformation. Des observations menées par microscopie optique et par microscopie électronique en transmission, sur les éprouvettes traitées à 900°C, révèlent que l’accélération de la déformation est associée à l’évolution microstructurale pendant la recristallisation. De plus, les nouveaux grains se trouvent seulement aux joints des grains écrouis, indiquant que la recristallisation discontinue est prédominante (section II.2.1). Aucun petit germe n’a été observé par microscopie électronique en transmission à la limite de grandissement. Les effets d’impureté sur la cinétique de recristallisation et la migration des joints de grains sont considérés comme importants, mais les mécanismes régissant l’accélération de la déformation ne sont pas abordés.
Les trois études présentées ci-dessus impliquent la mise en évidence du phénomène RIP par des essais de fluage et les informations comparatives sont rassemblées dans le Tableau II.1. On peut constater que toutes les études ont été faites sur des métaux austénitiques avec une taille de grains relativement grande : de 0,13 à 5 mm. L’intervalle de température des essais se trouve entre 0,6 et 0,85 fois de la température de fusion. Les contraintes appliquées sont assez faibles pour que la mise en charge soit effectuée dans le régime élastique.
Les études suivantes ont mis en évidence le phénomène RIP avec une autre approche expérimentale. Il s’agit d’essais de chauffage sous charge constante d’un matériau écroui. Le matériau est préalablement déformé à froid et il n’est pas stable aux températures intermédiaires ou élevées grâce à l’énergie emmagasinée importante. Par conséquent, le matériau recristallise au cours du chauffage.
L’étude de Yin [Yin et Zhou, 1990] a porté sur un acier maraging 18Ni dans le domaine austénitique, qui a été recuit à 820°C pendant une heure pour effacer la structure écrouie initiale. Ensuite, les éprouvettes ont été déformées à froid avec des niveaux d’écrouissage différents : 40, 60 et 70% (correspondant aux courbes a, b et c sur la Figure II.4). Ensuite, les éprouvettes sont chauffées sous une contrainte nominale constante de 55 MPa. La contrainte d’écoulement dans les conditions de sollicitation n’est pas communiquée. La Figure II.4 présente la variation de la température et la variation de la longueur des éprouvettes. Les températures d’austénitisation et de recristallisation ont été respectivement identifiées à 720°C et 730°C pour toutes les éprouvettes, quel que soit le taux d’écrouissage. À l’aide de cette information, les courbes de la variation de la longueur peuvent être interprétées comme suit : la partie de α à γ correspond à la dilatation thermique, la partie de γ à G est associée à la déformation assistée par la recristallisation, et la dernière entraîne une accélération de la déformation assez abrupte. L’auteur a souligné que plus le niveau initial de l’écrouissage est important, plus l’augmentation de la longueur de l’éprouvette est grande.
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Table des matières
CHAPITRE I : INTRODUCTION
I.1. CONTEXTE INDUSTRIEL
I.2. PROBLEMATIQUE SCIENTIFIQUE
I.3. OBJECTIFS
I.4. STRUCTURE DU MANUSCRIT
CHAPITRE II : REVUE BIBLIOGRAPHIQUE
II.1. MISE EN EVIDENCE ET INTERPRETATION ACTUELLE DU PHENOMENE
II.2. PHENOMENES ET MECANISMES PHYSIQUES ASSOCIES
II.3. MECANISMES POTENTIELS DU RIP
II.4. CONCLUSIONS DE L’ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE
CHAPITRE III : METHODOLOGIE
III.1. MATERIAUX ET CONDITIONS DE SOLLICITATION
III.2. ÉTUDE EXPERIMENTALE
III.3. CONCLUSIONS
CHAPITRE IV : ÉTUDE EXPERIMENTALE DU PHENOMENE RIP
IV.1. ÉTUDE DU RIP SUR LES MATERIAUX ECROUIS A FROID
IV.2. ÉTUDE DU RIP APRES LA PRE-DEFORMATION A CHAUD
IV.3. DISCUSSION DES RESULTATS EXPERIMENTAUX
IV.4. CONCLUSIONS DE L’ETUDE EXPERIMENTALE
CHAPITRE V : MODELISATION
V.1. LOI DE COMPORTEMENT PHENOMENOLOGIQUE
V.2. LOI DE COMPORTEMENT A VARIABLES INTERNES
V.3. DISCUSSIONS ET CONCLUSIONS
CHAPITRE VI : CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
VI.1. CONCLUSIONS
VI.2. PERSPECTIVES
ANNEXE
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