Séquences de précipitation β → α
La microstructure est conditionnée par l’histoire thermomécanique qu’a subi l’alliage. Lorsque l’on refroidit à partir du domaine β, plusieurs morphologies de phase α peuvent apparaître. Les diagrammes TTT (Temps-Température-Transformation), qui peuvent être déterminés à partir de courbes de résistivité électrique, permettent de représenter simplement les différentes morphologies de précipités α qui peuvent apparaître lors de la transformation β → α, après mise en solution dans le domaine β. Ces diagrammes sont présentés par la suite pour le Ti5553 (Fig.1.11 – [Settefrati, 2012]) et le Ti17 (Fig.1.12 – [Da Costa Teixeira, 2005]).
• Pour un traitement isotherme à T<Tβ , la germination va commencer préférentiellement aux joints de grains β. Des liserés assez épais vont croître, en accord avec les relations cristallographiques d’un des deux grains β concernés. La croissance longitudinale va progressivement diminuer au profit de l’épaisseur, formant ainsi une bande le long des joints de grains β. Dans la littérature, on appelle cette première morphologie αGB (Grain Boundary).
• A l’aplomb de cette première bande de précipités αGB, des colonies de lamelles parallèles vont se développer, perpendiculairement ou à 120 degrés par rapport à la bande αGB, de manière à minimiser l’énergie élastique globale. Cette morphologie est appelée αWGB (Widmanstätten Grain Boundary). La précipitation de αGB et de αWGB se fait par diffusion des éléments d’alliage. De fait, entre les lamelles αWGB, la phase β est enrichie en éléments bêtagènes.
• Si la température de traitement est encore plus basse, la force motrice de germination peut atteindre une valeur seuil, pour laquelle la germination intragranulaire est possible. Des précipités très fins et très enchevêtrés apparaissent, la microstructure devenant de plus en plus dense avec la baisse de température. On appelle ce type de morphologie αWI (Widmanstätten Intragranulaire). Il a été observé par [Settefrati, 2012] que pour des températures inférieures à 410◦C dans le Ti5553, le processus de transformation fait intervenir une phase intermédiaire de structure orthorhombique, la phase α”. Lors de la précipitation intragranulaire, on peut constater que les précipités optent parfois pour un arrangement en “triangle” selon le plan de coupe (cf. micrographies à 550◦C de la figure 1.11). Des travaux récents en champs de phases [Settefrati, 2012] montrent que ces précipités αWI ont en réalité une forme d’ellipsoïdes aplatis (Fig.1.13), dont l’orientation morphologique est théoriquement gouvernée par la configuration cristallographique (variants). L’arrangement en triangle des précipités α est alors retrouvé lorsque l’on les observe dans le plan de coupe {111}β , voisin du plan d’habitat {334}β . On peut donc supposer que les variants α en présence dans ces microstructures particulières partagent le même plan de type {111}β .
Influence des traitements thermomécaniques
• La déformation du matériau lors d’un traitement thermomécanique est par exemple utilisée dans le cas du Ti5553 pour créer une morphologie nodulaire (Fig.1.16), ce qui permet d’étendre la ductilité de l’alliage. Les nodules sont donc issus d’un corroyage dans le domaine α + β, à la suite d’un refroidissement à partir du domaine β. Les précipités α, fragmentés lors du corroyage, vont se dissoudre et coalescer lors du recuit pour former des nodules. Il est également possible de les obtenir lors des traitements thermiques, par germination aux joints de grains β ainsi qu’aux sous-joints de grains.
• Dans les alliages de titane, on a rappelé précédemment que la précipitation de la phase α commençait de manière préférentielle aux joints de grains. Cette précipitation est souvent grossière, ce qui en fait des zones fragiles, notamment en fatigue. De plus, il s’agit éventuellement des zones les plus écrouies puisque les mouvements des dislocations sont souvent gênés par leur présence. Pour cette raison, on cherchera à transformer la microstructure des joints de grains lors des traitements thermomécaniques. Dans le Ti5553, la microstructure aux joints de grains se caractérise souvent par des liserés de nodules, ce qui rend cette partie de la microstructure plus ductile. Dans d’autres alliages de titane, comme le Ti6242 et le TA6V, la précipitation aux joints de grains peut conduire à des défauts plus critiques : les macrozones. Il s’agit de groupes de précipités α ayant en commun configuration géométrique et orientation cristallographique. Lorsque la précipitation a lieu de part et d’autre d’un joint de grain β, un élément microstructural en forme de plume pouvant atteindre plusieurs millimètres de longueur est obtenu (Fig.1.17). Du fait de la différence d’orientation cristallographique entre les deux macrozones, les “plumes” sont des sites préférentiels d’amorçage de fissures en fatigue, et notamment pour l’effet “Dwell”, qui peut apparaître en fatigue avec temps de maintien. On notera qu’une récente étude a cherché à simuler les contraintes qui peuvent apparaître dans ces macrozones pour comprendre leur rôle [Kuzmenkov, 2012].
• Lorsqu’au travers de traitements thermomécaniques on parvient à faire disparaître la microstructure particulière qui peut se trouver aux joints de grains β, cela ne signifie pas que l’on a effacé également le joint de grain. Ce dernier reste le lieu de transition entre deux orientations cristallographiques distinctes. On constate également que même si des zones de désorientation peuvent apparaître lors du forgeage, la matrice β conserve globalement la même orientation cristalline (Fig.1.18). On montrera par la suite que cette différence d’orientation entre deux ex-grains β peut provoquer d’importantes déformations aux joints de grains (Fig.1.34). Dans le cadre du projet PROMITI, on a cherché à relier les différentes microstructures présentées en section 1.3.1 et 1.3.2 aux propriétés mécaniques. Pour cela des traitements thermiques spécifiques ont été proposés pour créer des microstructures de Ti5553 et de Ti17 plus simples et plus facilement étudiables (B.Denand, A. Settefrati – IJL). Pour chaque microstructure, un essai de traction uniaxiale a été effectué, ce qui permet de faire le lien entre les tailles, les formes et les fractions volumiques de phase, et certaines propriétés mécaniques telles que le module d’Young, la limite d’élasticité, la ductilité ou encore l’écrouissage. Ces considérations pourront ensuite être utiles pour appréhender les microstructures industrielles qui sont plus complexes.
Lois de transition d’échelles
Lorsqu’on s’intéresse aux différentes échelles d’un matériau, on doit considérer ses hétérogénéités de structure et de propriété. Le matériau doit donc être discrétisé en une collection de domaines représentatifs, ou “phases” ( I ), qui posséderont un comportement local spécifique (en raison de la chimie ou de l’orientation cristallographique par exemple). Le “volume élémentaire représentatif” du matériau (VER) devra contenir par définition un nombre suffisant de sous-domaines de façon à ce que les propriétés homogénéisées soient indépendantes de la réalisation. La géométrie du VER peut être explicitement représentée, en résolvant par la suite le problème à l’aide de méthodes Eléments Finis ou FFT, mais cela peut se révéler très coûteux en temps de calcul et parfois inadapté au problème, notamment si la morphologie des phases est très complexe. Il peut donc être judicieux d’adopter des modèles micro-mécaniques plus grossiers, dits à “champs moyens”, le VER nous donnant dans ce cas une réponse macroscopique obtenue par “homogénéisation” des comportements non-linéaires attribués aux différents constituants. Dans ce contexte, les modèles les plus élémentaires sont basés sur des lois de mélange [Voigt, 1887], [Reuss, 1929], [Tamura et al., 1973]. Mais des solutions plus complètes d’un point de vue théorique sont aussi très répandues. Dans un modèle à champs moyens la résolution passe par trois étapes essentielles, localisation, application de la loi de comportement local, homogénéisation. On peut trouver ainsi les étapes suivantes :
1. localisation des contraintes : les contraintes locales dans chaque phase sont calculées à partir de la contrainte globale imposée (Σ∼) ;
2. calcul des déformations locales ;
3. homogénéisation des déformations : la réponse en déformation globale est reconstruite à partir des déformations locales.
Les relations entre les différentes échelles se font au travers de tenseurs de transition d’échelles qui peuvent être de localisation ou bien d’accommodation. Pour relier une variable quelconque X∼ à ses variables locales équivalentes x∼I , on peut écrire :
• Localisation : x∼I = A∼∼I: X∼(2.125)
• Accommodation : x∼I = X∼ +K∼ I(2.126)
Les lois de concentration, qui permettent de localiser les contraintes, sont construites à partir d’un tenseur d’accommodation.
Schémas auto-cohérents en élasto-viscoplasticité
L’homogénéisation des comportements élasto-viscoplastiques est un sujet complexe à traiter : la présence simultanée des mécanismes instantanés de l’élasticité et de ceux dépendants du temps de la viscoplasticité conduit à des relations complexes qui peuvent être difficiles à modéliser. Il est donc plus simple de traiter des problèmes élasto-plastiques comme vu précédemment, ou bien des problèmes purement viscoplastiques avec par exemple le modèle incrémental de [Hutchinson, 1966], repris par la suite de manière non-incrémentale par [Molinari et al., 1987]. Le premier a étendu le schéma auto-cohérent de Hill aux déformations viscoplastiques pour simuler le comportement en fluage des polycristaux, tandis que le second modèle a été repris par Lebensohn et Tomé [Lebensohn et Tomé, 1993], [Lebensohn et Tomé, 1994] pour simuler en grandes déformations le comportement de plusieurs classes d’alliages métalliques. En première approche, certains auteurs proposent de remplacer de manière abrupte la déformation plastique ε∼p par son équivalent viscoplastique ε˙∼vp dans les lois de concentration. Weng [Weng, 1982] justifie ce choix en faisant remarquer que pour un incrément de temps donné, la dérivée de la déformation viscoplastique peut être calculée à partir de l’état de contrainte et non de la vitesse de contrainte. Il en déduit que contrairement au cas de la plasticité, l’écoulement viscoplastique peut être considéré comme une déformation libre et que, par conséquent, sa prise en compte s’effectue simplement par le problème d’Eshelby. Il propose donc de reprendre le modèle KBW avec des déformations viscoplastiques. D’autres auteurs [Nemat-Nasser et Obata, 1986] vont également s’intéresser à l’hypothèse de viscoplasticité comme déformation libre. Dans un contexte de grandes déformations, ils proposent de résoudre le problème d’Eshelby, à travers les fonctions de Green comme pour le modèle de Hill, en imposant une vitesse de déformation viscoplastique uniforme à la matrice. Ce modèle fut ensuite implémenté par Harren [Harren, 1991], pour simuler par une méthode Eléments Finis la déformation de polycristaux 3D. Les résultats montrent une réponse en déformation du modèle très proche de celle obtenue avec le modèle de Taylor, notamment dans le cadre des grandes déformations (Fig.2.3). Dans la pratique, il n’est néanmoins pas rare de retrouver ce type de substitution car il s’agit de modèles faciles à implémenter. La surestimation des contraintes internes liée au modèle est alors compensée numériquement au travers des paramètres matériau, ou bien par l’utilisation d’une règle en β, qui permet au travers de ses paramètres DI de forcer le modèle à s’accommoder plastiquement. Comme le soulignent Zaoui et Masson [Zaoui et Masson, 1998], en accord avec les remarques antérieures faites par [Zaoui et Raphanel, 1991] et [Kouddane et al., 1993], l’hypothèse de Weng selon laquelle la viscoplasticité est un phénomène indépendant de la contrainte n’est pas valide. L’introduction de la viscoplasticité en tant que déformation libre dans la solution classique du problème d’Eshelby n’est donc pas admissible. Pour des raisons similaires, dans le problème d’Eshelby proposé par Nemat-Nasser et Obata, la matrice possède un comportement élastique et subit une déformation E˙∼vp. Les interactions entre phases restent donc purement élastiques, ce qui conduit à une surestimation de l’opérateur tangent global, comme dans le cas du modèle de Taylor.
Application au modèle de Sabar et al. en plasticité anisotrope
On a vu que le modèle précédent était prometteur pour prédire les propriétés en traction d’un grand nombre de microstructures d’alliage de titane β-métastable. Néanmoins, l’utilisation du critère de von Mises conduit à une plasticité équivalente pour chaque inclusion, ce qui est d’ailleurs flagrant sur la figure 3.38. Une des limites du modèle est donc de pouvoir représenter uniquement les matériaux isotropes, ce qui était le cas pour toutes les microstructures étudiées jusqu’à présent. Dans cette section, on va explorer une méthode alternative qui permettra de représenter également les matériaux texturés, tout en conservant les fonctions polynomiales décrites précédemment. La manière la plus rigoureuse pour représenter l’anisotropie plastique serait bien entendu de reprendre les modèles en plasticité cristalline présentés dans la section précédente (p.3.1.6 et p.3.1.6), en introduisant les fonctions polynomiales décrivant les relations microstructure– propriétés mécaniques dans les paramètres matériau des systèmes de glissement. Néanmoins, les solutions envisagées ici se veulent rapides en temps de calcul, et donc plus à même d’être réutilisées dans un cadre industriel. On s’oriente donc vers une solution alternative qui consiste à utiliser le critère de Hill (cf. (2.36)). La question est à présent de savoir quel élément représentatif de l’anisotropie plastique peut être choisi. A ce titre, le grain β transformé semble être le choix le plus pertinent. Cependant, on sait que suivant les variants α que l’on considère, la réponse en déformation du grain β transformé peut beaucoup varier. Par défaut, l’inclusion considérée dans le schéma auto-cohérent sera une sphère ayant le comportement cubique de l’ex-grain β composé de la matrice β et des 12 variants α (Fig.3.27). On pourra alors utiliser le modèle de Sabar et al. pour les calculs, en considérant que pour un agrégat de grande taille, prendre 5 à 7 variants par ex-grain β ou les 12 variants conduit à la même réponse effective isotrope.
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Table des matières
Introduction
1 Observations et caractérisations expérimentales des alliages de titane βmétastable
1.1 Généralités sur les alliages de titane
1.1.1 Structures cristallines du titane
1.1.2 Classification des alliages de titane
1.2 Mécanismes de déformation dans les alliages de titane
1.2.1 Elasticité
1.2.2 Plasticité
1.2.3 Systèmes de glissement dans la phase α
1.2.4 Systèmes de glissement dans la phase β
1.2.5 Désorientation entre les phases α et β
1.3 Microstructures
1.3.1 Séquences de précipitation β → α
1.3.2 Influence des traitements thermomécaniques
1.3.3 Présentation des microstructures du Ti17
1.3.4 Présentation des microstructures du Ti5553
1.4 Relations entre propriétés mécaniques et microstructures
1.5 Observations expérimentales multi-échelles de la déformation plastique
1.5.1 Echelle microscopique
1.5.2 Echelle du grain β transformé
1.6 Conclusions partielles
2 Comportement mécanique et homogénéisation des matériaux hétérogènes
2.1 Elasticité
2.1.1 Forme générale de l’élasticité linéaire
2.1.2 Décomposition d’un tenseur d’élasticité isotrope
2.1.3 Décomposition d’un tenseur d’élasticité cubique
2.2 Plasticité macroscopique
2.2.1 Présentation générale
2.2.2 Ecrouissage et fonction de charge
2.2.3 Ecoulement plastique
2.2.4 Ecoulement viscoplastique
2.3 Plasticité cristalline
2.3.1 Ecrouissage et fonction de charge
2.3.2 Ecoulement plastique
2.3.3 Ecoulement viscoplastique
2.4 Composantes de la matrice jacobienne
2.4.1 Critère de von Mises
2.4.2 Critère de plasticité cristalline
2.5 Lois de transition d’échelles
2.5.1 Premiers travaux
2.5.2 Schéma auto-cohérent de Hill en élasto-plasticité
2.5.3 Approximations du schéma auto-cohérent de Hill
2.5.4 Modèles basés sur la règle en β
2.5.5 Schémas auto-cohérents en élasto-viscoplasticité
2.6 Conclusions partielles
3 Homogénéisation du comportement élasto-viscoplastique des alliages de titane β-métastable à température ambiante
3.1 Simulation du comportement mécanique des microstructures industrielles de Ti5553 et de Ti17 à partir de modèles à champs moyens
3.1.1 Stratégie d’identification
3.1.2 Comportement élastique de la phase β
3.1.3 Comportement viscoplastique de la phase β
3.1.4 Stratégie de modélisation du comportement α/β
3.1.5 Comportement élastique de la phase α
3.1.6 Comportement viscoplastique α/β
3.2 Relations microstructure – propriétés mécaniques
3.2.1 Dépendance du seuil de plasticité et de l’écrouissage en fonction de la microstructure
3.2.2 Application au modèle des champs translatés en plasticité de von Mises
3.2.3 Application au modèle de Sabar et al. en plasticité anisotrope
3.3 Discussion
3.4 Conclusions partielles
4 Homogénéisation locale du grain β transformé, couplage avec les éléments finis
4.1 Présentation de l’étude numérique
4.1.1 Description de l’expérience et de son adaptation dans un calcul EF
4.1.2 Homogénéisation des ex-grains β
4.2 Résultats du calcul EF
4.2.1 Champs de déformation
4.2.2 Champ de déplacement hors-plan
4.3 Discussion
4.4 Conclusions partielles
Conclusion générale et perspectives
A Notations utilisées dans le manuscrit
A.1 Abréviations
A.2 Vecteurs, tenseurs, matrices,
A.3 Opérateurs
B Etude des microstructures du Ti17 et du Ti5553 : courbes de traction expérimentales et simulées
B.1 Alliage Ti17
B.2 Alliage Ti5553
C Méthodes numériques d’intégration des équations différentielles
C.1 Méthode de Runge-Kutta
C.2 θ-méthodes
D Problème de l’inclusion dans un milieu homogène infini
E Détermination du tenseur d’élasticité et du tenseur d’Eshelby
E.1 Relations entre constantes élastiques pour un matériau isotrope
E.2 Calcul numérique du tenseur d’Eshelby : Exemples
E.2.1 Inclusion sphérique dans un milieu isotrope
E.2.2 Disque (a3 → 0) dans un milieu orthotrope
E.2.3 Cylindre infini (ρ =a1a2= 0.4, a3 → ∞) dans un milieu isotrope transverse
E.3 Tenseur d’Eshelby dans le cas d’une inclusion aplatie (a3 << a2 < a1) dans un HEM isotrope [Mura, 1987]
F Calcul des déformations plastiques lors d’un traitement thermique
F.1 Présentation du problème
F.2 Evolution des propriétés mécaniques de la phase α avec la température
F.2.1 Elasticité
F.2.2 Viscoplasticité
F.3 Evaluation des contraintes liées à la dilatation thermique de la phase α
F.4 Calcul des coefficients de dilatation de la phase α
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