Comportement des sols non saturés
Les sols sont formés de particules de sable, de limon, d’argile, d’oxydes colloïdaux et, si le sol se situe à une profondeur faible, de matière organique (Pedro 1976). L’assemblage de ces particules comporte nécessairement des vides (pores). L’existence de cette porosité, qui peut être remplie par un ou plusieurs fluides, confère aux sols un comportent géomécanique particulier. L’eau coexiste avec l’air dans le cas des sols non saturés et l’interface entre l’air et l’eau est constitué de ménisques eau-air qui engendrent un état de succion (ou pression négative) de l’eau dans le sol. La distribution des ménisques dans l’ensemble des contacts n’est pas uniforme et la succion est une contrainte locale. Ainsi, lorsqu’on applique un chargement mécanique sur un échantillon de sol non saturé, il n’existe pas de relation directe entre la contrainte externe appliquée et celle qui se produit entre les particules. La succion matricielle correspond localement à une contrainte agissant sur la surface du ménisque, normale au contact entre les grains. L’action de « collage » de la succion matricielle sur les contacts provoque l’augmentation de la résistance du sol (Jennings et Burland 1962). Si le sol est alors saturé, il perd cette résistance additionnelle due à la succion et l’on observe, pour certains types de sols suffisamment lâches, le phénomène dit d’effondrement (Jennings et Burland 1962) et qui correspond à des déformations volumiques contractantes et irréversibles.
Succion dans les sols
Buckingham (1907) fut le premier à étudier la capillarité dans les sols partiellement saturés. Richards (1928) a défini le potentiel total de l’eau dans les pores du sol comme la somme des potentiels capillaire et gravitationnel. Dans un profil de sol non saturé au-dessus de la nappe phréatique, le potentiel capillaire augmente linéairement à partir de zéro au niveau de la nappe. Le terme potentiel de l’eau, ou succion, concerne toutes les forces capables de retenir l’eau dans la structure du sol. Le potentiel d’eau dans le sol joue un rôle important dans la compréhension du comportement mécanique des sols partiellement saturés et des sols saturés (Alonso et al. 1987).
Le potentiel total de l’eau Ψt est défini comme la somme de quatre éléments: le potentiel de pression externe ΨP, le potentiel gravitationnel Ψg, les potentiels capillaire et d’adsorption dont la somme forme le potentiel matriciel Ψm et, le potentiel osmotique Ψo (Aitchison 1965a, Alonso et al. 1987, Delage et Cui 2000a). Ce concept peut être représenté comme suit: ψ t =ψ P +ψ g +ψ m +ψ o (1-1)
Le terme potentiel est plutôt associé au bilan d’énergie de l’eau dans le sol, tandis que le terme succion est lié à la pression de l’eau (pression négative). La succion matricielle est représentée par la différence (ua – uw) entre la pression de l’air et la pression de l’eau dans les pores du sol.
Les phénomènes de capillarité se produisent à l’interface entre deux fluides, car les molécules y sont soumisses à un ensemble de forces d’interactions non-équilibrées, à la différence d’une molécule située au sein du fluide. Une molécule d’eau au sein d’une masse d’eau est soumisse à des actions de même nature, alors que celle à l’interface entre deux fluides, eau-air par exemple, est soumisse à des actions différentes : actions dues à l’eau et actions dues à l’air. Les molécules d’eau à l’interface eau-air sont ainsi attirées vers la masse d’eau et la surface de l’eau est soumisse à une force perpendiculaire à la surface libre. Il est cette attraction qui engendre une tension de surface T à l’interface eau-air (Delage et Cui 2000a).
La succion osmotique est due aux effets des sels dissous dans l’eau du sol. D’après Alonso et al. (1987), il est important de déterminer les composantes du potentiel hydraulique qui influencent le comportement mécanique des sols partiellement saturés. Généralement, la succion matricielle est l’élément principal mais la succion osmotique reste une composante à considérer.
La succion est mesurable à travers plusieurs méthodes expérimentales. Chacune couvre une gamme différente de succions.
De nombreuses techniques de mesure reposent sur l’utilisation de pierres poreuses céramiques de haute valeur d’entrée d’air. Elles ne peuvent être désaturées que sous des succions beaucoup plus fortes que celles présentes dans le sol. Ces pierres doivent en effet rester saturées, même si elles sont soumises à des pressions négatives. Cela permet d’assurer le passage de l’eau entre la pierre et le sol (Fredlund and Rahardjo 1993, Delage et Cui 2000a). Ridley et Wray (1996) donnent une description complète de ces méthodes de mesure de succions. Le développement du tensiomètre de haute capacité par Ridley et Burland (1993) a représenté un avancement significatif dans la mesure des succions matricielles jusqu’à 1500 kPa. De nombreux capteurs similaires ont été développés à partir de ce premier concept avec quelques améliorations techniques (Tarantino 2004, Mahler et Diene 2007, Marinho et al. 2008). Ce dispositif est intermédiaire entre le tensiomètre classique (jusqu’à 80 kPa) et les psychromètres à miroir (1 – 60 MPa) ou du type SMI (1 – 70 MPa).
Courbe de rétention d’eau
Le comportement des sols non saturés est fortement lié à la relation entre la succion et la teneur en eau, qui conditionne également les variations de la conductivité hydraulique non saturée avec la teneur en eau et, plus généralement, la réponse hydromécanique des sols non saturés. La relation entre la succion et la teneur en eau définit la courbe de rétention d’eau qui est caractérisée, entre autres choses, par les aspects suivants:
– Une zone aux forts degrés de saturation où la phase d’air n’est pas continue, la phase d’eau continue et le sol reste quasi-saturé. Les lois de comportement qui s’appliquent aux sols saturés peuvent être utilisées (Fredlund et Rahardjo 1993). Dans cette zone, le sol est soumis à des valeurs de succion inférieures à la pression d’entrée d’air (« air entry value », AEV) ;
– Une deuxième zone où les phases air et eau sont continues, rencontrée quand la succion devient supérieure à la pression d’entrée d’air et que la teneur en eau diminue significativement. L’air peut ainsi entrer dans les pores lors de l’augmentation de la succion. Les effets de l’hystérésis caractérisent cette section ;
– Une zone résiduelle où la phase d’eau est discontinue et où les transferts d’eau en phase gazeuse deviennent prépondérants. Dans cette région, de faibles variations de teneur en eau peuvent correspondre à de forts changements de la succion (Croney et Coleman 1954).
Contraintes dans les sols non saturés
Les rôles de la contrainte totale et de la succion sur l’état de sollicitation auquel est soumis un sol non-saturé et la question de la validité de la notion de contrainte effective dans les sols non saturés sont des points encore largement débattus. La contrainte effective pour les sols saturés a été formulée par Terzaghi et Fröhlich (1936) : “all the measurable effects of a change in stress, such as compression, distortion, and a change in shearing resistance are exclusively due to changes in the effective stress”. En français: “tous les effets mesurables d’un changement de contrainte, comme une compression, une distorsion, et un changement dans la résistance au cisaillement, sont dus exclusivement aux variations de la contrainte effective ”. Bishop (1959) a souligné les implications les plus importantes du principe de contrainte effective : “(1) that volume change and deformation in soils depend not on the total stress applied, but on the difference between the total stress and the pressure set up in the fluid in the pore space”. En français: “le changement de volume et la déformation dans les sols ne dépendent pas de la contrainte totale appliquée, mais de la différence entre la contrainte totale et la pression du fluide présent dans l’espace poreux ”. “(2) that shear strength depends, not on the total normal stress on the plane considered, but on the effective stress”. En français: “la résistance au cisaillement ne dépend pas de la contrainte normale totale sur le plan envisagé, mais de la contrainte effective ”. Ces concepts prennent en compte l’interaction entre la contrainte totale, la pression de l’eau et la contrainte intergranulaire. On considère que la contrainte effective agit sur le contact des particules du sol. on présente un schéma détaillé des forces qui agissent sur les contacts des particules.
Dans les sols non saturés, la façon dont les contraintes existantes agissent sur chacune des trois phases (solide, fluide et gaz) dépend de différents facteurs. Dans les sols grenus non saturés, la capillarité engendre une attraction entre les grains qui n’agit que sur la surface mouillée des grains, qui diminue lorsque la succion augmente. Comme souligné par Jennings et Burland (1962), la succion est une contrainte locale et perpendiculaire aux contacts entre les grains qui dépend de la géométrie des contacts intergranulaires. Dans les sols fins non saturés, en plus de la capillarité, on doit tenir compte des forces d’adsorption dans la phase argileuse.
Points faibles du concept de contrainte effective
Des analyses faites à partir de travaux expérimentaux réalisés par Jennings et Burland (1962), montrent un certain nombre de points faibles du concept de contrainte effective appliqué aux sols non saturés. On analyse maintenant le paramètre χ et on présente des anomalies liées à son utilisation dans la description du comportement hydromécanique des sols non saturés.
Analyse à partir de la « contrainte intergranulaire »
D’après Jennings et Burland (1962), on considère le principe de contrainte effective, plus comme une contrainte calculée à partir de la moyenne des forces intergranulaires, que comme une loi fondamentale du comportement mécanique des milieux poreux multiphasiques. Aitchison et Donald (1956) ont analysé les effets de changement de la teneur en eau dans la variation de la contrainte effective intergranulaire. Lors d’un processus de séchage, on estime que le réseau poreux du sol commence à drainer l’eau lorsque la succion dépasse la valeur de la pression d’entrée d’air, qui est associée à la géométrie des pores et au type de sol. La succion engendre l’apparition de ménisques, distribués de manière irrégulière au sein de l’arrangement de grains. Aitchison et Donald (1956) considèrent qu’à chaque étape du processus de séchage, il existe deux composantes de la contrainte intergranulaire: les forces existantes dans les ménisques du réseau drainé et la pression isotrope d’eau dans le réseau poreux toujours saturé. Pour eux, la somme des ces deux composants représente la contrainte effective intergranulaire. Aitchison et Donald (1956) ont aussi analysé expérimentalement la variation de la contrainte intergranulaire par rapport à la succion et à la teneur en eau, sur quatre sables ayant différentes compositions granulométriques. Alonso et al. (1987) ont redessiné les courbes originales en fonction de la contrainte effective intergranulaire et de la succion .
Ils ont remarqué une tendance linéaire pour les quatre sables aux faibles succions et une déviation de la relation initiale linéaire au moment où on dépasse la valeur d’entrée d’air de chaque sable. A partir de cette valeur, il n’existe pas de relation fixe entre la succion capillaire et la contrainte effective intergranulaire ; cette relation dépend de la valeur courante de succion et du type de sol.
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Table des matières
Introduction Générale
Chapitre 1. Comportement des sols non saturés – Application aux lœss naturels
1.1 Introduction
1.2 Comportement des sols non saturés
1.2.1 Succion dans les sols
1.2.2 Courbe de rétention d’eau
1.2.3 Contraintes dans les sols non saturés
1.2.4 Points faibles du concept de contrainte effective
1.2.5 Variables d’état dans les sols partiellement saturés
1.2.6 Structure des sols partiellement saturés
1.2.7 Aspects du comportement mécanique des sols non saturés
1.2.8 Couplage hydromécanique
1.3 Le Lœss
1.3.1 Le lœss de Bapaume
1.4 Le phénomène d’effondrement
1.4.1 L’effondrement lié aux caractéristiques spéciales des dépôts lœssiques naturels
1.4.2 Caractéristiques de la structure
Chapitre 2. Propriétés de rétention d’eau
2.1 Introduction
2.2 La courbe de rétention d’eau
The water retention properties of a natural unsaturated loess from Northern France
Introduction
Results and discussions
Conclusions
2.3 Effet des cycles d’humidification et de séchage sur la microstructure
A microstructure analysis of the hysteresis of the water retention curve of a natural
loess
Introduction
Tested material, equipment and procedures
Tests results
Discussion
Multiscale modelling of the water retention curve
Conclusions
Chapitre 3. Dispositifs expérimentaux
3.1 Introduction
3.2 Mesure de la teneur en eau: Nouvelle sonde de résistivité électrique
Measurement of the water content of a natural unsaturated loess by a new resistivity
probe
Introduction
Elements of electrical resistivity in soils
Material and experimental setup
Experimental investigation on natural unsaturated loess
Analysis and discussion of the resistivity data
Conclusions
3.3 Dispositif triaxial pour les sols non saturés : mesure locale de la déformation, la
succion et la teneur en eau
Triaxial testing of a natural unsaturated loess with complete local monitoring
Introduction
Tested loess
Triaxial apparatus
Testing procedures and results
Discussion
Conclusions
Chapitre 4. Comportement hydromécanique
4.1 Introduction
4.2 Caractérisation de la compressibilité et du phénomène d’effondrement
Some aspects of the compression and collapse behaviour of an unsaturated natural
loess
Abstract
Introduction
Experimental programme
Time dependent behaviour
Collapse behaviour
Discussion
Conclusions
4.3 Caractérisation du comportement hydromécanique du Loess de Bapaume
Hydromechanical behaviour of a natural unsaturated loess
Introduction
Material and experimental setup
Experimental results
Effects of moisture changes on the mechanical behaviour
Impact of loading on microstructure and on water retention properties
Conclusions
Conclusion Générale