À partir des années 1980, le développement des nanosciences [Dre86] a permis l’observation et la manipulation d’objets de taille nanométrique. Cela a ouvert la voie à une révolution technologique majeure. La fabrication, le contrôle et la compréhension des fonctionnalités des nano-objets est au cœur de la science du 21e siècle. L’objectif des nanosciences est de rechercher de nouvelles propriétés de la matière tout en réduisant les dimensions des dispositifs.
Parmi les différents nanomatériaux existants, nous nous intéressons aux nanocomposites, c’est-à-dire aux systèmes solides composés de plusieurs constituants dont l’un a au moins une dimension nanométrique. Un exemple représentatif en est donné par une couche mince contenant des nanoparticules (NPs). Mon travail s’est orienté vers les matériaux nanocomposites du type métal-silice, dont les propriétés sont conditionnées par la taille, la forme, la concentration, la distribution spatiale et l’environnement chimique des NPs enfouies. Ce type de nanocomposites est intéressant en raison de ses propriétés optiques particulières : plasmons, optique non linéaire, etc.
Aujourd’hui, il existe de nombreuses techniques permettant de fabriquer des nanocomposites [Aja03] en utilisant différentes approches soit du type bottom-up – citons la croissance des nanotubes de carbone par Chemical Vapor Deposition, ou la chimie colloïdale – soit du type top-down – comme la lithogravure qui inclut la photolithographie et l’électrolithographie pour l’électronique. Je me suis plus particulièrement intéressé aux techniques utilisant les faisceaux d’ions.
IRRADIATION AUX IONS LOURDS
L’utilisation de l’irradiation aux ions lourds comme outil de recherche est en quelque sorte emblématique de la méthodologie de travail de la physique entière. En effet, l’histoire de la physique est parsemée d’exemples d’évolutions que l’on peut décrire de la façon suivante. D’abord un nouveau phénomène physique est découvert. Suit alors une mobilisation intense de la communauté scientifique, dans le but de comprendre le nouveau phénomène. Quand ces études arrivent à maturité et se cristallisent dans une compréhension exhaustive du phénomène, celui-ci peut ensuite devenir lui-même un outil de recherche pour étudier d’autres phénomènes physiques dont l’extension peut transcender largement le domaine initial. L’utilisation que l’on fait de nos jours de l’irradiation aux ions lourds au GANIL (Grand Accélérateur National d’Ion Lourds) ou aux électrons au LSI (Laboratoire des Solides Irradiés), illustre parfaitement une telle évolution. Elle a commencé par la découverte de l’ionisation de la matière par des particules chargées. Ce sont leurs effets sur des plaques ou émulsions photographiques qui ont permis de découvrir ces rayonnements ionisants ainsi que leurs sources naturelles, par exemple, dans les cas du rayonnement cosmique et de la radioactivité. Aujourd’hui, on ne se contente plus de ces sources naturelles et ces particules sont produites artificiellement et de façon mieux maîtrisée dans le but de les utiliser comme outil de recherche ou d’en tirer profit dans une application. Comme exemples de domaines d’application de l’irradiation on peut citer la microélectronique (implantation d’ions) ou la médecine (traitement des cancers).
En particulier, l’irradiation aux ions lourds peut être utilisée pour contrôler les propriétés des matériaux, par exemple des structures de taille nanométrique qui ont de nombreuses applications. Parmi les nanomatériaux existants, les nanocomposites constitués de nanoparticules enfouies dans une matrice hôte de silice [Pav06] ont des propriétés optiques et électroniques intéressantes [Pav00, Khr01, Cat09]. En raison de l’importance de ce type de matériaux, je vais décrire dans ce chapitre l’état de l’art de leur irradiation par des ions lourds.
Collisions élastiques
Les collisions élastiques entre un ion et un matériau sont caractérisées par la conservation à la fois de l’énergie cinétique totale et de la quantité de mouvement du système. Elles sont dominantes dans le régime de basse énergie de l’ion, v << v0. L’ion se déplace à travers l’échantillon et subit des collisions avec des atomes de la cible qui le dévient de sa direction initiale. Ces collisions sont traitées comme des chocs élastiques entre deux masses ponctuelles qui peuvent être décrits par les lois de la mécanique classique. Elles sont également appelées collisions nucléaires. En réalité, l’ion incident et les atomes de la cible sont des particules chargées. Ils interagissent à travers le potentiel coulombien correspondant à la répulsion des deux noyaux à laquelle se superpose l’effet d’écran des électrons. Si la distance d’approche des deux noyaux est faible par rapport au rayon d’écran de Bohr, r << a, la répulsion coulombienne des noyaux domine l’interaction. Si au contraire r >> a, l’atome de la cible est ressenti par l’ion comme un atome neutre, et l’interaction est celle se produisant entre deux sphères dures. Dans le cas intermédiaire, r ~ a, le traitement de la collision est plus complexe, il faut alors prendre en compte l’effet d’écran.
En subissant un choc élastique, l’ion incident d’énergie initiale E transfère une énergie T à l’atome dans la cible et perd une énergie dE, appelée perte d’énergie nucléaire. Si T est inférieure à une énergie seuil de déplacement Td, l’atome quitte sa position d’équilibre mais ne peut pas sortir d’un volume appelé volume de recombinaison, et revient à sa position initiale en dissipant son énergie par vibration thermique. Si au contraire T > Td, cette énergie est suffisante pour déplacer l’atome en position interstitielle et laisser une lacune sur le réseau (paire de Frenkel). Cette énergie de déplacement est de l’ordre de 43 eV pour l’or par exemple [Nas06], mais elle dépend fortement de la direction d’éjection de l’atome [Nas96]. Si l’énergie de l’atome éjecté de son site est suffisante, T > 2Td, celui-ci peut en éjecter un second et ainsi de suite. Il se produit alors des déplacements successifs qui donnent lieu à une cascade de déplacements. La forme et l’étendue d’une telle cascade [Ant15] dépendent à la fois les paramètres d’irradiation et des propriétés physico-chimiques des atomes de la cible.
Collisions inélastiques
Si pendant l’interaction entre l’ion et l’atome de la cible, l’énergie cinétique du système n’est pas conservée, le processus est inélastique. Cela est dominant dans le régime de haute énergie de l’ion, v >> v0.
Dans ce cas, les interactions ne peuvent pas être décrites par de simples collisions entre deux masses ponctuelles, car l’ion incident interagit également avec des électrons qui sont liés au noyau de l’atome de la cible. On parle alors de collisions inélastiques ou de collisions électroniques. Un électron entrant en collision avec l’ion incident reçoit de l’énergie de celui-ci, ce qui lui permet de changer de niveau énergétique ou de quitter son noyau. L’énergie ainsi perdue par l’ion au cours de ces collisions inélastiques, partagée donc entre l’excitation et l’ionisation des atomes de la cible, s’appelle la perte d’énergie électronique.
Les électrons éjectés lors des collisions inélastiques vont céder leur énergie au matériau. Si cette énergie vaut quelques KeV/amu, ces électrons vont exciter ou ioniser les atomes en créant des électrons secondaires d’ionisation. Ces excitations électroniques sont des processus individuels, la probabilité de déplacement un atome des électrons est donc faible. Si l’énergie des électrons est plus élevée qu’une valeur seuil (quelques MeV/amu), le processus d’excitation devient collectif et permet de créer une trace. Il existe deux modèles pour décrire ce qui se passe dans les matériaux dans le régime de dépôt d’énergie électronique : 1) le modèle de l’explosion Coulombienne et 2) le modèle de la pointe thermique.
Le modèle de l’explosion colombienne a été introduit par Fleischer et coll. en 1965 [Fle65]. Son mécanisme repose sur la force de répulsion coulombienne entre les particules qui ont la même charge électrique. Cette force peut casser les liaisons entre les atomes dans le solide. Lorsque l’ion incident traverse la cible, il crée un état chargé d’atomes ionisés autour de sa trajectoire. Cela conduit à des forces de répulsion entre les atomes ionisés. Il en résulte la création d’une trace qui est une région cylindrique endommagée. Le paramètre clé du modèle est la durée de vie de cette zone chargée. Il est lié à l’énergie acquise par chaque ion. Dans les isolants, cette énergie est de l’ordre de 10 eV et est suffisante pour créer une trace [Sei80]. Dans un métal, la durée de vie de la zone chargée est limitée par le temps de réponse, τe, du système d’électrons perturbés. Ce temps τe, qui est relié à la pulsation plasma du gaz d’électrons ωp (~ 10- 16 s), est très petit devant la période de vibration des phonons (~ 10-13 s [Sei56]). Selon Klaumünzer, les atomes présents à l’intérieur du cylindre reçoivent une impulsion radiale instantanée qui correspondrait à une très faible énergie de l’ordre de 0.1 eV [Kla86]. Cela ne serait alors pas suffisant pour créer une trace, ce qui semblerait avoir été confirmé par spectroscopie d’électrons d’Auger [Sch92, Sch03, Sch04, Xia96, Xia97]. Au contraire, selon Lesueur et coll. l’énergie nécessaire pour obtenir une telle modification structurale serait beaucoup plus faible dans un processus collectif que l’énergie seuil de déplacement (25 eV) associée au transfert d’énergie individuel direct [Dun92, Les93, Dam96]. Ce qui rendrait alors possible la création de la trace dans le métal.
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Table des matières
I. Introduction générale
II. Irradiation aux ions lourds
II.A. Interaction ion-matériau
II.A.1. Collisions élastiques
II.A.2. Collisions inélastiques
II.A.3. Pouvoir d’arrêt
II.B. Comportement des nanostructures enfouies sous irradiation dans le régime de dépôt d’énergie nucléaire
II.B.1. Techniques de fabrication par faisceaux d’ions
II.B.2. Les driven systems
II.B.3. Coefficient de diffusion sous irradiation
II.B.4. Évolution cinétique des NPs sous irradiation de 4 MeV
II.B.5. Dissolution des NPs sous irradiation de 4 MeV
II.C. Sculpture de nano-objets enfouis par faisceau d’ions dans le régime de dépôt d’énergie électronique
II.C.1. Histoire de la mise en forme de NPs
II.C.2. Résultats expérimentaux de la mise en forme de NPs
II.C.3. Vers une description phénoménologique de la mise en forme
III. Méthodes
III.A. Simulation par Monte Carlo Cinétique
III.A.1. Méthode de Monte Carlo : principe général
III.A.2. Méthode de Monte Carlo Metropolis
III.A.3. Méthode de Monte Carlo cinétique
III.A.4. Modèle pour étudier Au-Si02 sous irradiation
III.B. Simulation par Dynamique Moléculaire
III.B.1. Principe général
III.B.2. Énergie potentielle d’interaction
III.B.3. Étude de la dilatation de l’or
III.C. Théorie analytique de Frost-Russell
IV. Mûrissements D’ostwald direct et inverse
IV.A. Analyse et validation du modèle de simulation
IV.A.1. Rôle de l’échange de matière
IV.A.2. Influence de la cohésion
IV.A.3. Rôle de la force d’irradiation
IV.B. Caractérisation de l’évolution des NPs sous irradiation
IV.B.1. Évolution de la taille des NPs
IV.B.2. Évolution de la densité des NPs
IV.B.3. Évolution de la distribution de tailles
IV.C. Discussion
IV.C.1. Comparaison avec les modèles unidirectionnels
IV.C.2. Comparaison avec les modèles de Full account of forced mixing
IV.D. Conclusions
V. Dissolution sous irradiation
VI.Conclusion
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