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Eléments de mécanique de la rupture
Les avancées technologiques ont souvent été associées à un contexte historique. La deuxième guerre mondiale est fréquemment citée comme étant un élément déclencheur de nombreuses avancées technologiques. L’urgence dans laquelle se font les innovations (que ce soit pour gagner une guerre ou conquérir un nouveau marché) peut entraîner des erreurs. L’évolution, au cours de la deuxième moitié du vingtième siècle, des thématiques de recherche liées à la fissuration a ainsi été rythmée par une série d’accidents industriels.
A l’été 1941, la préparation du débarquement débute. La course à la réduction des temps de production amène à produire les « Liberty Ships », des navires de 440 mètres et 10000 tonnes en des temps record de l’ordre de quelques jours ! Pour cela, la solution d’assemblages boulonnés ou par rivets est abandonnée au profit d’assemblages soudés ; induisant des contraintes internes et modifiant les propriétés du matériau dans la zone affectée thermiquement, notamment la résistance à la fissuration. Les défauts de soudure, présents dès la phase de fabrication, ont conduit à la rupture brutale de 30% de la flotte (Figure 4), provoquant par la suite de nombreuses études sur la prise en compte des défauts initiaux et l’introduction du concept de ténacité par George Irwin.
Hypothèses géométriques et cinématiques
Dans le cadre de la mécanique de la rupture, la fissure est supposée localement plane, à front droit, avec une extrémité parfaitement aigüe. La fissure présente alors un plan de symétrie local (Figure 7). Le mouvement peut être décomposé vis-à-vis de ce plan de symétrie en 3 composantes cinématiques élémentaires (Figure 8) correspondant aux 3 modes de rupture (Figure 8).
– Le mode I dit « d’ouverture » : correspond à la partie symétrique du champ de vitesse par rapport au plan de la fissure.
– Le mode II dit « de cisaillement » : correspond à la partie antisymétrique du champ de vitesse par rapport au plan de la fissure.
– Le mode III dit « de déchirure » : à la partie anti-plane du champ de vitesse par rapport au plan et au front de la fissure.
Solutions de Westergaard & Facteur d’intensité des contraintes
En élasticité linéaire, Il a été montré par Williams [WIL59] que les champs mécaniques (contrainte ou déformation) au voisinage de son front s’écrivent asymptotiquement comme une somme de termes en où λ est l’ordre de la singularité et k l’ordre du terme du développement considéré. En se limitant, au premier terme du développement de Taylor, le champ de déplacement s’écrit comme une combinaison de trois champs de déplacement de référence. Le champ de contrainte s’écrit alors : 18 √ √ √ Eq.1.1.
Westergaard a formulé, dès 1939, la solution exacte pour chaque mode pour un milieu élastique linéaire fissuré [WES39]. La propriété remarquable de cette solution est quelle peut être exprimée comme le produit d’un même facteur multiplicatif pour tous les termes et d’une distribution spatiale pour chaque terme. La forme de la distribution spatiale des composantes des tenseurs des contraintes et des déformations est indépendante de la dimension de la fissure ou du niveau de chargement appliqué.
En élasticité linéaire, la forme de la distribution spatiale étant fixée pour chaque mode, les seuls degrés de libertés restant sont les 3 facteurs d’intensité des contraintes, qui pourront alors être utilisés comme quantités d’intérêt dans les critères de rupture [IRW57]. C’est un résultat important, puisque le nombre de paramètres d’un critère (et donc le nombre d’essais de caractérisation à réaliser pour identifier ces paramètres) est a priori une fonction puissance du nombre de variables qui interviennent dans le critère. A ces trois facteurs d’intensité, il faudrait ajouter les 3 contraintes T (T33, T11 et T31), qui sont généralement négligées pour les fissures longues.
La solution en contrainte (Eq.1.2-1.4) ou en déplacement (Eq.1.5-1.7), est fournie ici pour une fissure dans un plan de normale 2, avec un front dirigé selon 3. Elle est donnée en déformations planes pour les modes I et II, on peut généraliser au cas des déformations planes généralisées, en ajoutant une contrainte T33.
Densité d’énergie totale et densité d’énergie de dilatation
Ce critère proposé par Sih [SIH74a], [SIH91] utilise la densité locale d’énergie totale (Eq.1-12) calculée avec les équations de Westergaard. Tandis que Theocaris et Andrianopoulos [THE84] excluent la part de cisaillement de la densité d’énergie et ne considèrent que la densité d’énergie de dilatation. La fissure est alors supposée se propager dans la direction où la densité locale d’énergie totale, S, est minimale ou bien dans la direction qui maximise la densité d’énergie de dilatation. Ce dernier choix est à nouveau bien adapté à la rupture par clivage.
Pour un chargement de mode III pur, la densité d’énergie totale est indépendante de l’angle et celle de dilatation est nulle, ce qui ne permet donc pas de définir une direction préférentielle de propagation. Par la suite Wong [WON87] a proposé d’étendre le nombre de termes de Westergaard présents dans le critère via l’expression des champs de contrainte en pointe de fissure.
Critère de « symétrie locale »
Ce critère proposé par Goldstein [GOL74] et Buy [AME79] utilise la distribution radiale des contraintes. La prédiction de la direction de propagation est déterminée par l’angle pour lequel le facteur d’intensité des contraintes de mode II (cisaillement) du futur plan de propagation, noté est nul. Ainsi les champs obtenus suivant le plan de fissuration locale respectent une « symétrie locale ».
Critère de type « MTS » et « MTSR »
Ces deux critères, « MTS » pour Maximum Tangential Stress et « MTSR » pour Maximum Tangential Stress Range, ont été examinés par Dahlin et Olsson [DAL03]. Leur démarche, très intéressante, a été de tester une série de critères pour un éventail de matériaux aux comportements différents avec un panel de chargement de mode mixte. Ils concluent à l’impossible unicité d’un critère pour un éventail de matériaux répondant à des lois de comportement bien distinctes (mettant en avant notamment la propriété de ductilité) ainsi que l’extrême importance du rôle joué par la déformation plastique dans l’évolution de la direction de propagation de la fissure.
Critère de Li – Vecteur discontinuité du déplacement CTD
Ce critère proposé par Li [LI89] propose de considérer le vecteur de discontinuité du déplacement CTD comme la source de la propagation de la fissure. Ici, le vecteur CTD est la somme des vecteurs CTOD « Crack Tip Opening Displacement » et CTSD « Crack Tip Sliding Displacement ». Ce critère a montré un bon accord avec les données expérimentales d’un des cas test de Yokobori & al. [YOK85]. Ce critère est extrêmement simple et définit la formation de nouvelles surfaces fissurées de manière géométrique. Cependant, il est difficile à utiliser dans un modèle, les vecteurs CTOD et CTSD n’étant généralement pas connus.
La fatigue à amplitude constante – Loi de Paris [PAR61]
Des séries d’essais de fissuration par fatigue ont montré qu’il existait une relation simple (Eq.1.12) entre le taux de croissance par cycle de la fissure et la variation du facteur d’intensité des contraintes nominal (Figure 10). Dans un diagramme bi-logarithmique, la courbe présente trois régimes, le régime II – dit de Paris – pour lequel la vitesse de fissuration est une fonction puissance de l’amplitude du facteur d’intensité des contraintes. Au-delà de ce régime, la vitesse de propagation (régime III) est supérieure à celle prévue dans le régime de Paris car d’autres mécanismes de rupture interviennent (rupture ductile par exemple). En deçà du régime II, la vitesse de propagation est inférieure à celle de Paris (régime I). Dans ce régime, la vitesse diminue rapidement quand ΔK diminue et la fissure finit par présenter des vitesses de fissuration difficilement détectables. La loi de Paris, définie pour le régime II de propagation, est la suivante : Eq.1.12 où ΔK est l’amplitude du facteur d’intensité des contraintes nominal au cours d’un cycle, N le nombre de cycles, et a la dimension de la fissure, C et m sont des constantes propres au matériau.
Influence de séquences de mode mixte I+II
D’autres essais comportant des séquences de chargement en mode I puis en mode II ont été menés. L’étude de la bibliographie montre des divergences importantes entre les résultats obtenus par les différents auteurs : certains essais de séquence mode I/II/I conduisant à un accroissement de la vitesse de fissuration en mode I [NAY87] après une séquence de mode II, d’autres à une réduction de celle-ci [GA096]. Ce constat soulève plusieurs interrogations et met en lumière l’existence d’une compétition entre plusieurs phénomènes.
Certains auteurs se sont donc attachés à explorer l’influence de séquences périodiques de mode II sur la propagation en mode I [DAH08]. Les résultats obtenus montrent une dépendance principalement à 4 paramètres : KI, le rapport de charge R de mode I, l’amplitude du mode II et la période d’application du mode II qui sera notée M (M = nombre de cycles de mode I par cycle de mode II). Le niveau d’application du mode II doit être suffisamment important afin de créer un déplacement tangentiel résiduel des faces de la fissure sans quoi aucun n’effet n’est observé. Deux mécanismes, au moins sont présents avec des effets opposés :
– L’application de mode II provoque des fermetures de fissures qui réduisent la vitesse de propagation en mode I. Ce phénomène porte sur une longue distance.
– Un autre mécanisme accroît la vitesse de propagation temporairement à chaque application du mode II. Ce phénomène porte sur une courte distance.
Les résultats obtenus montrent qu’il existe une vitesse de fissuration minimum à une certaine fréquence M, pour un couple d’amplitude de chargement de mode I et II donné. Pour des chargements à haute valeur du rapport de charge de mode I, le phénomène de fermeture disparaît mais celui d’accélération transitoire reste actif. Ce phénomène doit simplement être lié à l’avancée physique de la fissure induite par l’application du mode II, d’où le fait qu’il reste actif quel que soit le niveau de R.
Durcissement & Adoucissement cyclique
Parmi les caractéristiques du comportement d’un matériau, il est intéressant de relier l’amplitude (crête-à-crête) de déformation Δε à l’amplitude (crête-à-crête) de contrainte Δσ. Lors de chargements périodiques, on constate que cette loi évolue au cours des cycles pour atteindre un niveau de saturation. On parle alors de « courbe d’écrouissage cyclique stabilisée », lieu des sommets des cycles stabilisés (σm, εm) dans le graphe (σ, εp). Cette courbe d’écrouissage cyclique peut se trouver « au-dessus » de la courbe d’écrouissage monotone, on parle alors de durcissement cyclique (Figure 26); le cas inverse correspondant au phénomène dit d’adoucissement cyclique.
Démarche d’identification du comportement
La procédure d’identification des paramètres du modèle condensé de fissuration nécessite la détermination du comportement élasto-plastique cyclique du matériau. Les paramètres du modèle de comportement choisi sont alors identifiés en s’appuyant sur les résultats d’essais de traction-compression réalisés au laboratoire.
De nombreuses études ont été menées sur le comportement élasto-plastique cyclique de l’acier 316L. Ces études montrent que pour représenter certains effets (tels que le sur-écrouissage cyclique du matériau sous chargement non-proportionnel, par exemple) des modèles de comportement adéquats doivent être utilisés. Malheureusement, ces modèles ne sont pas actuellement disponibles dans les codes de calculs standards, tel que le code Abaqus qui a été utilisé pour ces travaux. Il est possible d’implanter (via une routine Fortran – UMAT) un modèle de comportement plus élaboré que celui qui a été utilisé pour ces travaux, mais comme ce n’était pas le sujet principal de la thèse, le choix a été fait d’utiliser un modèle déjà implanté dans le code Abaqus.
Comme ce modèle est identifié en vue d’être utilisé pour modéliser le comportement cyclique d’une pièce fissurée, les essais réalisés doivent être compatibles avec les types de chargement vu dans la zone plastique de la fissure. On réalise donc des essais de comportement cyclique, en déformation imposée (la zone plastique étant supposée confinée), avec des paliers d’amplitude de déformation croissante et pour chaque palier un nombre de cycles suffisant pour que la boucle d’hystérésis soit stabilisée.
Il est à noter que pour les applications de type « durée de vie » en fatigue oligocyclique, les lois de comportement sont identifiées pour des amplitudes de déformation plastique par cycle très faible, mais pour l’application visée dans cette étude, le comportement cyclique du matériau doit être identifié correctement pour toute la gamme d’amplitude de déformation plastique accessible sur les éprouvettes, y compris des amplitudes de déformations plastiques de l’ordre de 10-2.
Essai à amplitude variable (1) – MEB
Afin de mieux comprendre les phénomènes conduisant à l’effet retard observé, une étude plus locale de l’évolution de la vitesse de propagation a été menée à l’aide du MEB.
Dans un premier temps, nous avons pu comparer à une échelle équivalente, et pour une même longueur de fissure, les faciès de rupture des deux essais. On note immédiatement que la surface de rupture est beaucoup plus régulière dans le cas du chargement à amplitude constante que dans le cas d’un chargement à amplitude variable. De larges zones de propagation « à stries » sont visibles dans le cas du chargement à amplitude constante, leur orientation est assez uniforme et cohérente avec la direction de propagation macroscopique de la fissure (Figure 38.a). A contrario, le faciès de rupture correspondant au chargement à amplitude variable apparaît très chaotique. Les zones de propagation « à stries » sont plus réduites et la direction des stries n’est pas uniforme (Figure 38.b).
Essai à amplitude variable (3) – effet courte distance
L’essai avec la séquence de chargement (3) comportant 1 surcharge tous les 200 cycles ayant été réalisé sur une éprouvette CT à une gamme de facteur d’intensité des contraintes différente, on se place dans un diagramme de Paris (Figure 42) pour pouvoir comparer les différentes vitesses de propagation. On constate que lorsque les surcharges sont très rapprochées, un effet de retard est observé pour 1 surcharge tous les 200 cycles mais pas pour 10 surcharges tous les 200 cycles (Figure 42). On peut simplement expliquer cet effet par le fait que l’émoussement produit par 10 surcharges est plus grand que celui produit par 1 surcharge, et par conséquent l’étendue de la zone dans laquelle la tri-axialité des contraintes aura chuté (qui est comparable au rayon d’émoussement) est plus petite pour 1 surcharge que pour 10 surcharges, ce qui limite la contribution des effets d’accélération.
Essai à amplitude variable (2)
Cet essai permet de montrer qu’augmenter la fréquence d’application du bloc de 10 surcharges (en passant donc de tous les 10000 cycles à tous les 200 cycles) diminue la durée de vie et tend à rapprocher celle-ci de la valeur obtenue pour un chargement ne comportant aucune surcharge. Ce résultat montre que le modèle proposé par Wheeler [WHE72] est insuffisant. En effet, lorsque la fréquence d’application des blocs de surcharges est augmentée, ce modèle prévoit une augmentation puis une saturation du retard (Eq.1.13-14).
Essai à amplitude variable (3) et Essai [POM02]
Ces essais permettent de montrer qu’augmenter le nombre de surcharges dans un même bloc conduit à augmenter la vitesse de fissuration pour les effets « courte distance » et à la diminuer pour les effets « longue distance » (Figure 42 et Figure 43).
Aucun des modèles proposés dans la littérature ne permet de représenter les effets « courte distance ». En ce qui concerne les effets « longue distance », ni le modèle de Wheeler [WHE72], ni celui de Willenborg [WIL71] ne permettent de les représenter puisqu’ils ne tiennent compte que de la taille de la zone plastique et donc du niveau de la surcharge seulement et pas du nombre de surcharges. La méthode des « Strip Yield » issue du modèle de Dugdale et Barrenblatt peut éventuellement permettre de représenter ces effets si une loi d’écrouissage est incorporée dans le comportement des « Strip Yield ».
Remarque 12 : La Figure 42 montre aussi que l’effet de retard, à même rapport de surcharge (1.34) dépend de K. Par ailleurs, à même K l’effet de retard dépend aussi du rapport de surcharge. Lorsque le chargement est variable, la vitesse de fissuration dépend donc, via plusieurs mécanismes antagonistes de : K, Kmax, du taux de la dernière surcharge, du nombre de surcharges, de la distance entre deux surcharges…
Remarque 13 : On constate bien, et c’est le but de ces investigations expérimentales préliminaires, qu’il semble pour le moins ambitieux d’établir un critère de prédiction du taux de fissuration pour des chargements à amplitude variable en fondant l’approche sur la description des cycles de chargement appliqués dans la vie de la pièce. Ces observations expérimentales suggèrent plutôt de s’orienter vers une approche incrémentale à variables internes.
Effets d’histoire dus à un chargement de mode mixte séquentiel
Lorsque des conditions de chargements non proportionnels sont rencontrées, le contact et la plasticité sont couplés. En utilisant des micros grilles, Doquet et Pommier [DOQ04] ont suivi la discontinuité du champ de déplacement des lèvres de la fissure dans un acier ferrito‐perlitique quand des chargements séquentiels (mode I / mode II) sont appliqués. La discontinuité du champ de déplacement au passage des faces de la fissure dérive progressivement au cours des cycles, du fait d’un effet de rochet dans la zone plastique de la fissure. Cet effet provoque une suppression progressive de la force de friction le long des faces de la fissure qui rend le cycle de mode II plus efficace. On constate alors que la vitesse de fissuration en mode mixte séquentiel (un cycle de mode I suivi d’un cycle de mode II) est plus rapide que la somme des vitesses de fissuration obtenue sous chargement cyclique de mode I seul ou de mode II seul.
A l’image des résultats présentés lors du chapitre précédent, de fortes variations de vitesse sont observées lorsque des chargements séquentiels en mode mixte sont appliqués. Certains résultats, apparemment contradictoires, montrent des accélérations de la fissuration en mode I suite à l’application d’une séquence de chargement en mode II [NAY 87], d’autres montrent des ralentissements [GAU 96]. Dahlin, par exemple, ayant relevé cette apparente contradiction, s’est attaché à étudier l’influence d’une séquence de chargement en mode II, sur la propagation en mode I. Une influence de la séquence de cycles de mode II a été observée [DAH 04], tant sur la vitesse (ralentissement) que sur le trajet de fissuration (bifurcation de quelques degrés). De même Choi [CHO09] observe différents types de retard (essais de fissuration en mode mixte I+II, avec insertion de séquences de chargements en mode I+II, avec un taux de mixité différent) et note la grande dépendance de ceux-ci au comportement du matériau en précisant que, plus le matériau présente un écrouissage cyclique élevé, plus les phénomènes observés sont intenses. Il précise également que selon ses résultats, un raisonnement fondé uniquement sur des effets de fermeture ne saurait rendre compte avec pertinence des retards observés.
Remarque 14 : Par rapport aux conclusions de Choi [CHO09] sur l’influence de l’écrouissage cyclique sur les effets d’histoire dûs au chargement de mode mixte, on remarquera que le matériau étudié, l’acier 316L, est un candidat intéressant pour l’analyse des effets d’histoire puisque développant un écrouissage cyclique important.
Difficultés spécifiques au mode III
De nombreuses questions ont été soulevées par le mode III, notamment sur sa capacité à faire propager une fissure et donc sur l’existence même de mécanismes de propagation des fissures par fatigue relatifs à ce mode de sollicitation [VAZ05].
Pour solliciter une fissure en mode III, on utilise généralement une éprouvette cylindrique entaillée que l’on soumet à un effort de torsion alterné (Figure 44.A). La fissure est donc sollicitée macroscopiquement en mode III (Figure 44.B-C). Cependant, on observe généralement que le front de la fissure se segmente et que le mode de sollicitation local est alors mixte et tend à n’être alors plus du mode III mais se propage en fait en mode mixte (Figure 44.D). La surface de rupture forme alors des toits d’usine (« Factory roof »), avec deux pentes différentes. Des travaux récents de Lazarus & Leblond [LEB01], [LEB11] s’attachent, par des considérations liées à la mécanique linéaire de la rupture, à définir l’orientation des facettes et à montrer pourquoi la fissure prend une forme en toit d’usine et pas une forme symétrique.
Conditions aux limites
La gestion des conditions aux limites est un paramètre important pour cet essai. En effet, nous utilisons des plateaux rotulés qui permettent de bien connaître les conditions aux limites au niveau du plateau, mais pas au niveau des appuis. En effet, l’effort est appliqué sur les éprouvettes via des roulements à aiguilles dont l’axe est maintenu grâce à un cadre en aluminium. On fait l’hypothèse que le moment est nul pour connaître les efforts appliqué sur chaque appui, mais on ne connait pas la distribution de l’effort de contact le long de l’appui, qu’on suppose uniforme. Comme en mode III, la longueur de contact est grande, cette hypothèse doit être vérifiée. Expérimentalement, la mesure du déplacement relatif des lèvres de la fissure permet d’avoir accès au facteur d’intensité des contraintes de mode III (à dimension d’éprouvette connue) (Eq.3-5) et de vérifier la pertinence des hypothèses sur les conditions aux limites utilisées lors des simulations numériques.
Etude de la plasticité en mode mixte I+II+III par simulations par éléments finis
Les deux chapitres précédents ont permis de mettre en lumière l’importance de l’étude de la plasticité pour la prévision de la fissuration par fatigue. Des effets transitoires, à courte ou à longue distance, sont observés après une variation du niveau (chapitre 2) ou de la direction (chapitre 3) du chargement appliqué. Ce chapitre porte donc sur l’étude de la plasticité par calculs numériques par éléments finis.
Les calculs par éléments finis 3D permettent de calculer les champs de contrainte et de déformation autour du front de la fissure en tenant compte des particularités du comportement non-linéaire du matériau (chapitre 2-1-3). Il reste alors à analyser tous ces résultats pour en extraire les informations utiles pour la prévision de la fissuration par fatigue en mode mixte.
Pour cela, diverses approches ont été explorées dans la littérature. La plupart de ces approches utilisent directement les quantités calculées dans chaque élément fini. Soit pour appliquer un critère local de fatigue multiaxiale, soit pour effectuer des calculs de moyenne et/ou de gradients en vue d’utiliser un critère de fatigue non-local. Par exemple, Doquet et al [DOQ07] se donnent une distance critique au front de la fissure et calculent des moyennes par plan sur cette distance, afin de déterminer les plans critiques maximisant deux critères de fatigue, l’un en cisaillement, l’autre en traction. Mais déterminer une distance critique ou un plan critique est déjà une difficulté en soi, lorsque les chargements appliqués sont non-proportionnels, avec un niveau et une direction variables au cours du temps.
La démarche proposée ici, est différente, elle consiste à post-traiter d’abord les résultats des calculs par éléments finis afin de n’en retenir que le strict minimum d’informations utiles pour représenter l’évolution de la plasticité autour du front de la fissure. Pour cela, une technique de réduction de modèle est utilisée. La méthode a été mise en place dans la thèse de Rami Hamam [HAM06] pour la prévision de la fissuration en mode I sous chargement variable, puis étendue à la fissuration en mode mixte I+II dans la thèse de Pierre-Yves Decreuse [DEC10]. Dans cette étude, la méthode a été étendue aux cas des chargements en mode mixte I+II+III [FRE11]. La démarche employée est la même que dans les études précédentes, mais l’ajout du mode III a imposé d’utiliser un maillage volumique, ce qui a représenté un saut important en termes de temps de calcul et de quantité de données à traiter. Plusieurs modèles éléments finis et deux codes différents (ASTER et Abaqus) ont été utilisés. La version qui est présentée ici conduit à des temps de calcul raisonnablement courts (mise en oeuvre sous Abaqus).
Ce chapitre est subdivisé en trois sous-parties.
– La première présente le modèle éléments finis, les conditions aux limites et la méthode employée pour post-traiter les calculs.
– La seconde porte sur les calculs par éléments finis qui ont été réalisés pour étudier le comportement élasto-plastique cyclique de la région entourant l’extrémité de la fissure et pour motiver les choix de modélisation qui seront exposés dans le chapitre 6 de cette thèse.
– Enfin, dans la troisième partie, les calculs par éléments finis sont utilisés pour tester numériquement divers trajets de chargement de mode mixte I+II+III et retenir ceux qui sont identifiés comme les plus discriminants pour réaliser des essais de fissuration par fatigue en mode-mixte non proportionnels. Le protocole expérimental et les résultats de ces essais, réalisés sur la machine triaxiale ASTREE, sont présentés dans le chapitre 5.
Modèle numérique et post-traitement des résultats
L’objectif de ces calculs est de simuler le comportement élast-plastique cyclique d’une « section représentative de front de fissure » en conditions de plasticité confinée en fonction des chargements nominaux, , et qu’elle subit. Le modèle réalisé ne cherche donc pas à être représentatif d’une éprouvette ou d’un cas de rupture de pièce particulier.
Modèle et conditions aux limites
Le modèle éléments finis retenu est une plaque 3D carrée (2m x 2m). La plaque contient une fissure centrale traversante de longueur 2a=20 mm. Des conditions aux limites de périodicité sont imposées de manière à ce que les deux faces carrées de la plaque présentent le même champ de déplacement. Cette contrainte de périodicité selon l’épaisseur permet de superposer des sollicitations de mode mixte I+II en déformation plane et une sollicitation de mode III. Ce modèle permet de réaliser des calculs élasto-plastiques en mode I+II+III avec un nombre d’éléments (Figure 63) et des temps de calcul raisonnables.
Le maillage de la plaque est symétrique par rapport au plan situé à mi-épaisseur. Autour du front de la fissure, le maillage est raffiné dans une zone de rayon égal à 2 mm autour du front de la fissure et un maillage structuré a été mis en place dans un domaine situé entre r=1mm et r=50 m du front de la fissure. On utilise des éléments continus 3D linéaires. Le domaine d’intérêt D est constitué de tous les noeuds situés, sur le plan à mi-épaisseur de la plaque, dans la zone de maillage structuré. A chaque pas de temps, on enregistre les vecteurs déplacements de tous les noeuds du domaine D (Figure 63).
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Table des matières
1. Bibliographie
1.1. Introduction
1.1. Motivations industrielles de cette étude
1.2. Eléments de mécanique de la rupture
1.2.1. « Historique »
1.2.2. Hypothèses géométriques et cinématiques
1.2.3. Solutions de Westergaard & Facteur d’intensité des contraintes
1.2.4. Critères de bifurcation
1.2.4.1. Critère de Erdogan et Sih ou « MTS »
1.2.4.2. Densité d’énergie totale et densité d’énergie de dilatation
1.2.4.3. Critère de « symétrie locale »
1.2.4.4. Critère de type « MTS » et « MTSR »
1.2.4.5. Critère de Li – Vecteur discontinuité du déplacement CTD
1.2.4.6. Critère de Hourlier et Pineau
1.3. La Fissuration par fatigue
1.3.1. La fatigue à amplitude constante – Loi de Paris [PAR61]
1.3.2. Les mécanismes usuels de propagation
1.3.3. Les effets d’histoire en mode I
1.3.4. Modèles de fissuration par fatigue avec effet retard
1.4. La Fissuration en mode mixte
1.4.1. Influence d’une charge de mode mixte II
1.4.2. Influence de séquences de mode mixte I+II
1.5. Modèle de plasticité condensé – Pommier
1.5.1. Démarche
1.5.2. Evolutions du modèle
1.6. Le matériau d’étude – 316L
1.6.1. Caractéristiques
– Composition
– Propriétés & Microstructure
1.6.2. Comportement cyclique – aspects phénoménologiques
1.6.2.1. Effet Bauschinger
1.6.2.2. Durcissement & Adoucissement cyclique
1.6.2.3. Effet d’amplitude et effet mémoire
1.6.2.4. Effet de rochet
1.6.2.5. Effet de forme
1.7. Conclusions intermédiaires
2. Fissuration par fatigue en Mode I sous chargement variable
2.1. Identification de la loi de comportement du matériau
2.1.1. Matériau d’étude
2.1.2. Démarche d’identification du comportement
2.1.3. Modèle de comportement
2.1.4. Jeu de paramètres
2.2. Essais de fissuration par fatigue en mode I
2.2.1. Dispositif expérimental
2.2.2. Essais réalisés
2.2.3. Résultats
2.3. Observations des surfaces de rupture – MEB
2.3.1. Mécanismes de fissuration
2.3.2. Essai à amplitude variable (1) – MEB
2.4. Extension : Essais supplémentaires
2.4.1. Chargement
2.4.2. Résultats
2.4.2.1. Essai à amplitude variable (2) – effet longue distance
2.4.2.2. Essai à amplitude variable (3) – effet courte distance
2.4.2.3. Essai [POM02a] – effet de relaxation de la contrainte moyenne
2.4.3. Mise en perspective de ces résultats
2.4.3.1. Essai à amplitude variable (2)
2.4.3.2. Essai à amplitude variable (3) et Essai [POM02]
2.5. Conclusions intermédiaires
3. Fissuration en mode mixte séquentiel : influence d’un chargement de mode III sur la fissuration en mode I
3.1. Bibliographie spécifique
3.1.1. Effets d’histoire dus à un chargement de mode mixte séquentiel
3.1.2. Difficultés spécifiques au mode III
3.1.3. Effets d’histoire dus à un chargement de mode I+III
3.2. Essais de fissuration en mode I + séquences de mode III
3.2.1. Dispositif
3.2.2. Simulations numériques
3.2.3. Conditions aux limites
3.2.4. Déroulement des essais
3.2.5. Résultats expérimentaux
3.3. Essais complémentaires
3.4. Observations MEB
3.5. Conclusions intermédiaires
4. Etude de la plasticité en mode mixte I+II+III par simulations par éléments finis
4.1. Modèle numérique et post-traitement des résultats.
4.1.1. Modèle et conditions aux limites
4.1.2. Hypothèses pour le post traitement des simulations numériques
4.1.3. Construction de la base de champs ,
4.1.4. Extraction des facteurs d’intensité
4.1.5. Indicateurs de qualité de l’approximation
4.1.5.1. Non-confinement de la zone plastique
4.1.5.2. Fermeture de la fissure
4.1.5.3. Domaine d’élasticité
4.2. Simulations numériques pour la modélisation
4.2.1. Seuil de plasticité
4.2.2. Evolution du domaine d’élasticité
4.3. Utilisation pratique pour choisir des essais pertinents
4.3.1. Illustration sur un cas mode mixte I+II non proportionnel
4.3.2. Etude de trajets de chargement en mode mixte I+II+III
4.3.2.1. Chargement proportionnel I+II+III
4.3.2.2. Chargement « Cube »
4.3.2.3. Chargement « Etoile »
4.3.3. Comparaisons & discussion.
4.3.4. Discussion sur le rôle du Mode III
4.4. Conclusions intermédiaires
5. Essais de fissuration en Mode I+II+III
5.1. Objectifs & Etat de l’Art
5.1.1. Objectifs de l’étude expérimentale
5.1.2. Etat de l’Art
5.1.2.1. Machine Astree
5.1.2.2. Fissuration I+II+III – revue de littérature
5.2. Dispositif expérimental & Protocole d’essai
5.2.1. Machine Astree
5.2.2. Eprouvette
5.2.3. Dispositif de sollicitation pour la fissuration en mode mixte I+II+ III
5.2.4. Relations entre les facteurs d’intensité et les efforts pour le pilotage de l’essai en facteur d’intensité
5.2.5. Dispositif de suivi de fissure par stéréo-corrélation
5.2.6. Mesures – Stéréo corrélation
5.2.6.1. Principe
5.2.6.2. Etalonnage
5.2.6.3. Mesure & Détermination de la position de la pointe
5.2.7. Trajets de chargements considérés
5.3. Résultats
5.3.1. Champs de déplacement en pointe de fissure
5.3.2. Détermination des vitesses de fissuration
5.3.2.1. Comparaison des vitesses de fissuration en mode mixte I+II.
5.3.2.2. Comparaison des vitesses de fissuration en mode mixte I+II+III.
5.3.2.3. Contribution du mode III à la fissuration par fatigue.
5.3.3. Chemin de fissuration
5.3.3.1. Utilisation de l’appareil Keyence.
5.3.3.2. Comparaison des chemins de fissuration en mode mixte I+II.
5.3.3.3. Comparaison des chemins de fissuration en mode mixte I+II+III.
5.3.4. Exploration des surfaces de rupture en MEB.
5.3.5. Contribution du mode III.
5.4. Simulations numériques / résultats expérimentaux
5.4.1. Evaluation des vitesses de fissuration
5.4.1.1. Confrontation essais/calculs en mode mixte I+II.
5.4.1.2. Confrontation essais/calculs en mode mixte I+II+III.
5.4.2. Trajet de fissuration
5.4.3. Mesure expérimentale des champs élastiques et complémentaires
5.5. Conclusions intermédiaires
6. Discussion & Modélisation
6.1. Objectifs
6.2. Généralités
6.3. Loi de Propagation
6.3.1. Mécanisme élémentaire de propagation
6.3.2. Propagation en mode I, II ou III
6.3.3. Taux de restitution d’énergie
6.4. Hypothèses sur le mouvement
6.4.1. Partition du champ de vitesse en modes
6.4.2. Invariance par changement d’échelle
6.4.2.1. Algorithme de Karhunen-Loeve (KL)
6.4.2.2. Application – cas de l’élasticité linéaire
6.4.3. Hypothèses relatives à la plasticité.
6.5. Effet du comportement du matériau
6.5.1. Construction et forme de .
6.5.2. Effet de sur la forme de
6.6. Modélisation du comportement
6.6.1. Cas de la fissuration par fatigue en mode I [HAM06].
6.6.2. Modélisation de la plasticité en mode mixte I+II+III
6.7. Domaine d’élasticité
6.7.1. Critère de von Mises local
6.7.2. Critère de von Mises pour une fissure
6.8. Règle d’écoulement
6.8.1. Eléments de thermodynamique
6.8.2. Directions d’écoulement
6.9. Loi d’écrouissage
6.9.1.1. Ecrouissage cinématique linéaire
6.9.1.2. Ecrouissage cinématique linéaire anisotrope
6.9.1.3. Ecrouissage cinématique non-linéaire anisotrope
6.10. Simulations numériques avec le modèle condensé.
6.10.1. Comparaisons entre les simulations EF et le modèle simplifié
6.10.1.1. Trajets de chargements en mode mixte I+II
6.10.1.2. Trajets de chargements en mode mixte I+II+III
6.10.2. Prédiction des taux de fissuration et de bifurcation
6.10.3. Discussion – chargement proportionnel I+II, stade I ou stade II
6.10.4. Discussion – autour de l’article de Plank et Kuhn [PLA99]
6.10.5. Discussion – autour de l’article de Leblond et Lazarus [LEB11]
6.11. Conclusions intermédiaires
7. Conclusions & Perspectives
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