Complexes de ruthénium à ligand phosphinidène terminal

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Réactions de déshydrohalogénation

Cette méthode a été décrite pour la première fois en 2002 par Lammerstma et al. et a été utilisée pour la synthèse de complexes des groupes 8 (Ru, Os) et 9 (Co, Rh, Ir). Elle fait intervenir un complexe dans lequel la phosphine primaire est complexée au métal et une base forte telle que le 1,8-diazabicyclo [5,4,0] undec-7-ène (DBU : pKb (THF) = 16.8) ou le tert butyliminotripyrrolidinophosphine (BTPP : pKb (THF) = 20.2) [44; 45; 55-57].
Ainsi, la réaction des complexes du type MCl2Ar(PH2R) avec deux équivalents de DBU en  résence d’un ligand (L) donneur à deux électrons conduit, après abstraction de deux molécules de HCl, aux complexes phosphinidènes correspondants avec généralement des rendements supérieurs à 50% (Equation 16).

Activation d’une double liaison P = C

Cette méthode élégante a été développée par Cowley et al. au début des années 90. Elle s’inspire de travaux antérieurs de Mayer et al. sur l’activation d’hétérocumulènes par des complexes de tungstène [61 ; 62].
La réaction du phosphacétène Mes*P=C=O avec le complexe insaturé dichloré de tungstène WCl2(PMePh2)4 conduit au complexe WCl2(CO)(PMePh2)2(=PMes*), avec un rendement de 55%, après la libération d’un unique sous-produit PMePh2. De plus, ce composé possède une bonne stabilité thermique (décomposition à 178°C) et n’est que modérément sensible puisqu’il ne se décompose qu’après quelques heures à l’air [63].
Une variante de cette synthèse basée sur le même principe met en jeu Mes*P=C=NPh et conduit au complexe analogue WCl2(CNPh)(PMePh2)2(=PMes*) [63]. Cependant, ce dernier présente une stabilité limitée et se décompose en quelques heures à 25°C (Equation 23).

Modification du substituant porté par le phosphinidène

Cette méthode s’appuie sur la réactivité du substituant porté par le phosphinidène du complexe Ta[N3N](=PPh) (avec N3N = (Me3SiNCH2CH2)3N) (Equation 8). L’action de lithium sur ce dernier conduit à la formation du complexe lithié Ta[N3N](=PLi). Ce composé offre l’opportunité d’introduire une variété de substituants par réaction avec un halogénure d’alkyle ou silicié [64] (Equation 24).
[N3N]TaPPh + 2 RX[N3N]TaPR2 Li / – 35°C- 2 LiX/ – PhR R = Me (38), n-Bu (39), SiMe3 (40), SiMe2Ph (41).
Il est particulièrement intéressant de souligner que ces complexes font partie des rares exemples pour lesquels les substituants portés par le phosphinidène sont peu encombrés. L’origine de cette spécificité réside vraisemblablement dans la protection stérique du ligand N3N.

Mode de liaison métal-phosphinidène, électrophilie et nucléophilie

Fortement inspiré par l’analogie formelle entre phosphinidène et carbène, le premier formalisme utilisé pour décrire le mode de liaison métal-phosphinidène s’appuie sur le même type de description que les complexes carbéniques. Il est le plus souvent fait en terme de complexes électrophiles (complexes de type Fischer) ou nucléophiles (complexes de type Schrock) dont la différence de réactivité a été rationalisée à partir de la multiplicité (singulet ou triplet) des fragments organométalliques et phosphorés correspondants [65] (Schéma 10).

Electrophilie et Nucléophilie

L’équipe de Lammerstma [71] s’est attachée, dans une étude récente, à éclaircir l’origine des caractères électrophile et nucléophile. La principale conclusion de ses travaux est que la réactivité n’est influencée en rien par la multiplicité (S ou T) des fragments métalliques et phosphorés mais qu’elle dépend en réalité de deux facteurs :
1) la charge partielle portée par l’atome de phosphore (contrôle de charge).
2) l’énergie des orbitales frontières du complexe phosphinidène (contrôle orbitalaire).
Les deux complexes examinés en détail dans ces travaux sont CrCp2(=PH) et Fe(CO)4(=PH) qui présentent respectivement des comportements nucléophile et électrophile. Dans un premier temps, il est intéressant de souligner que ces deux complexes résultent de la combinaison de fragments métalliques (CrCp2 et Fe(CO)4) et phosphorés (PH) présentant tous trois un état fondamental triplet.
Dans le cas du complexe CrCp2(=PH), PH joue le rôle d’accepteur d’électrons (l’énergie du fragment CrCp2 est supérieure d’environ 1,4 eV à celle de PH) conduisant à un transfert de charge conséquent du métal vers l’atome de phosphore. Cette situation est totalement différente pour le complexe électrophile Fe(CO)4(=PH) puisque les orbitales à considérer présentent des énergies similaires (5,47 eV pour PH et 5,20 eV (dz2) et 5,60 eV (dxy) pour Fe(CO)4) et suggèrent que le transfert de charge, s’il existe, est négligeable comparée au cas précédent (Schéma 13).

Caractérisation des complexes phosphinidènes

Parmi les techniques d’analyse classiques, deux d’entres elles se révèlent plus pertinentes et apportent des résultats sans équivoque quant à la présence d’un ligand phosphinidène : la diffraction des rayons X et la Résonance Magnétique Nucléaire du phosphore 31. Cette dernière est la méthode la plus performante et la mieux adaptée car elle est sensible et facile à mettre en oeuvre, permettant ainsi une analyse de routine.

Par résonance magnétique nucléaire (RMN)

La première preuve spectroscopique de l’existence d’un ligand phosphinidène terminal a été apportée en 1984 pour le complexe [FeCp*(CO)2(=PN(i-Pr2))]AlCl4 (2a) avec un déplacement chimique du phosphore à 965.0 ppm. En effet, cette valeur se situe dans une zone très différente de tous les produits organophosphorés connus jusqu’alors en particulier ceux possédant des phosphores de basse coordinence.
Trois facteurs ont une influence importante sur le déplacement chimique du phosphinidène :
– La géométrie (linéaire ou coudée) du ligand phosphinidène
– Les propriétés électroniques des ligands
– Le métal
Dans le cas de complexes à ligand phosphinidène terminal linéaire, même s’il est difficile de généraliser avec seulement quatre exemples, le phosphore du phosphinidène présente une résonance comprise entre 157.0 et 237.0 ppm respectivement pour les complexes Ta[N3N](=PMe) (38) [64] et Ti(PNP)(CH2(t-Bu))(=PTrip) (18) [46]. Pour des composés de type coudé des déplacements chimiques compris entre 334.6 Ta(silox)3(=PPh) (35) [60] et 1007.5 ppm [MoCp*(CO)3(=PN(i-Pr2))]AlCl4 (19) [51] ont été trouvés.
Même s’il est difficile de quantifier précisément l’influence de la géométrie (linéaire ou coudée) du phosphinidène, la comparaison entre le complexe linéaire Ta[N3N](=PPh) (10) et celui coudé Ta(silox)3(=PPh) (35) apporte quelques éléments de réponse. Ainsi, Ta(silox)3(=PPh) (35) possède un signal en RMN du phosphore 31 à 334.6 ppm [60] alors qu’on observe un pic à 159.0 ppm pour son analogue linéaire Ta[N3N](=PPh) (10) [43].
La synthèse d’une famille de complexes dérivés de fragments organométalliques identiques ou très similaires a permis de mettre en évidence l’influence relative des ligands et du métal. Ainsi, le groupe de Lammertsma [44; 56] a récemment synthétisé une série de composés de type MCp*L(=PMes*), L étant un ligand donneur à deux électrons (phosphine, phosphite, isonitrile, carbonyle) et M un métal du groupe 9 (Rh, Ir). Les déplacements chimiques sont présentés dans le Tableau 2.

Réactivité des complexes phosphinidènes électrophiles

La quasi-totalité des complexes phosphinidènes électrophiles possède un ligand aminophosphinidène qui, même s’il possède des substituants relativement encombrants, permet l’approche des réactifs. L’accessibilité de l’atome de phosphore électrophile est à la base de la réactivité de ces complexes et le premier exemple de ce type de comportement est la complexation de nucléophiles sur le phosphinidène.

Complexation sur le phosphinidène

Ce type de réactivité est relativement répandu puisque des exemples existent pour des complexes de métaux des groupes 6 (Mo) [75], 7 (Re) [53] et 8 (Fe) [31].
Historiquement, le premier cas est celui du complexe de fer 4 pour lequel une complexation intramoléculaire apporte une stabilisation supplémentaire au complexe phosphinidène transitoire (Schéma 15). Il est intéressant de souligner que les longueurs des deux liaisons P – N sont égales.
Dans le cas de complexes de rhénium et de molybdène, le nucléophile impliqué est une phosphine. Toutefois, la situation est différente selon le complexe et la phosphine utilisée. Pour les complexes de molybdène [75], la réaction à basse température (- 30°C) entre le complexe [MoCp*(CO)3(=PN(i-Pr2))]AlCl4 (19) et la phosphine PR3 (PR3 = PEt3 et Me2P(CH2)2PMe2) conduit rapidement au produit attendu [MoCp*(CO)3(=PN(i-Pr2)(PR3))]AlCl4. Le suivi de la réaction en RMN du phosphore 31 montre que le déplacement chimique du phosphore évolue de la zone caractéristique des phosphinidènes (1007.5 ppm) à celle des phosphores tétracoordinnés (78.9 et 97.2 ppm respectivement pour PR3 = PEt3 et Me2P(CH2)2PMe2). Les valeurs des constantes de couplage JPP (512 et 506 Hz) confirment la formation d’une liaison P–P. Cependant, ces produits ne sont stables qu’à basse température puisqu’ils se réarrangent lors du retour à température ambiante en perdant un ligand carbonyle (Schéma 17).

Réactivité des complexes phosphinidènes nucléophiles

Dans le cas des complexes phosphinidènes nucléophiles, l’étude de la réactivité a été essentiellement réalisée sur le complexe de zirconium ZrCp2(PMe3)(=PMes*) (8). Ce composé présente plusieurs caractéristiques qui conduisent à une réactivité riche et variée. Ainsi, outre le caractère nucléophile du phosphinidène, l’affinité du zirconium vis à vis des produits oxygénés, soufrés et halogénés ainsi que la labilité du ligand triméthylphosphine influent de manière notable sur la réactivité de ce complexe.

Addition sur la liaison M=P

Le premier aspect de la réactivité de 8 porte sur les réactions d’addition sur la double liaison Zr=P de réactifs protiques tels que le phénol, le thiophénol, l’aniline et les phosphines primaires. Ils s’additionnent rapidement à température ambiante sur la liaison M=P du complexe de zirconium ZrCp2(PMe3)(=PMes*) [78] (Equation 29).
– PMe3ZrCpCpPMes*PMe3+ REHZrCpCpPHMes*ER RE = PhO, PhS, PhNH, R’PH.

Insertion dans la liaison M=P

La labilité de la triméthylphosphine permet également à ce complexe de réagir avec des molécules insaturées telles que des nitriles ou des diimides. En effet, la réaction avec ces composés riches en électrons nécessite une activation préalable provenant très vraisemblablement de la complexation au le métal. Ainsi, l’addition du benzonitrile conduit à l’insertion formelle du nitrile dans la liaison Zr=P. Cette réaction peut également être décrite comme un transfert intramoléculaire du groupement phosphinidène sur l’atome de carbone des nitriles [40] (Equation 30).

Résonance Magnétique Nucléaire (RMN)

Ce composé, qui est obtenu sous forme de poudre verte, a été caractérisé par les RMN du phosphore 31, du proton et du carbone 13. Des expériences de RMN bidimensionnelle (HSQC et HMBC) ont été également effectuées pour une attribution rigoureuse des signaux des protons et des carbones.
Les données caractéristiques pour ce type de complexe sont surtout le déplacement chimique du phosphore du phosphinidène qui est, de manière générale, très déblindé. Cette valeur est de 812.9 ppm pour 45a. Elle est comprise dans la fourchette des déplacements chimiques connus pour les phosphinidènes (157.0 ppm [6] – 1007.5 ppm [1]). Le signal de PCy3 (35.3 ppm) résonne dans la zone classique pour un phosphore tétracoordinné. Nous avons observé une constante de couplage JPP de 15 Hz qui suggère une configuration cis du complexe phosphinidène (Figure 1).

Diffraction des rayons X

Les caractéristiques structurales de ce même complexe ont aussi été étudiées grâce à la détermination de la structure par diffraction de rayons X. La structure RX est représentée à la figure 3 et les distances ainsi que les angles les plus caractéristiques sont regroupés dans le tableau 1. Le complexe présente une géométrie de type tabouret de piano à deux pieds qui est relativement rare dans la chimie du ruthénium. Sur la vue de dessus (Figure 3a), nous pouvons voir que les atomes Ru, P(1) et P(2) forment un plan quasi-perpendiculaire au cycle p-cymène (87.03 °). Il est également intéressant de souligner que les substituants iso-propyle et méthyle du ligand arénique sont orientés perpendiculairement au plan P(1), Ru, P(2) vraisemblablement pour minimiser les répulsions stériques. Les effets stériques semblent également être à l’origine du décalage du p-cymène par rapport au ruthénium. En effet, les carbones C(2) et C(3) sont significativement plus proches du ruthénium que C(1), C(4), C(5).

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Table des matières

CHAPITRE 1 : Rappels bibliographiques : les complexes à ligand phosphinidène terminal
I : Introduction
1) Structure électronique
2) Les phosphinidènes libres
3) Stabilisation des phosphinidènes
II : Synthèse de complexes phosphinidènes
1) Réactions de transmétallation
1. a/ « Double » transmétallation
1. b/ Transmétallation et élimination
1. c/ Transmétallation et migration en α d’un hydrogène
1. d/ Transmétallation et abstraction d’un substituant
2) Réaction de déhydrohalogénation
3) Réaction de déhydrogénation
4) Activation d’une double liaison P=C
5) Modification du substituant porté par le phosphinidène
III : Mode de liaison métal-phosphinidène, électrophilie et nucléophilie
1) Mode de liaison
2) Electrophilie et nucléophilie
IV : Caractérisation des complexes phosphinidènes
1) Par résonance magnétique nucléaire (RMN)
2) Par diffraction des rayons X
V : Réactivité des complexes phosphinidènes
1) Réactivité des complexes phosphinidènes électrophiles
1. a/ Complexation sur le phosphinidène
1. b/ Addition sur la liaison métal-phosphinidène (M=P)
1. c/ Réaction avec les alcynes
2) Réactivité des complexes phosphinidènes nucléophiles
2. a/ Addition sur la liaison M=P
Sommaire
2. b/ Insertion dans la liaison M=P
2. c/ Transfert de phosphinidène
2. d/ Echange de substituant R porté par le phosphinidène
2. e/ Insertion et transfert
V : Conclusion
Bibliographie
CHAPITRE 2 : Complexes de ruthénium à ligand phosphinidène terminal
I : Synthèse et caractérisation des complexes phosphinidènes Ru(η6-Ar)L(=PMes*)
1) Synthèse
1. a/ Transmétallation
1. b/ Déhydrohalogénation
2) Caractérisation de Ru(η6-p-cymène)(PCy3)(=PMes*)
2. a/ Résonance magnétique nucléaire
2. b/ Diffraction des rayons X
II : Etude de l’influence des propriétés électroniques et stériques du fragment organométallique
1) Synthèse
2) Caractéristiques spectroscopiques et structurales
2. a/ Etude par RMN
2. b/ Etude par diffraction des rayons X
III : Etude de l’influence du substituant du phosphinidène
1) Synthèse et caractérisation des complexes à ligands phosphures et phosphinidènes dérivés de PhPH2 et FcCH2PH2
1. a/ A partir du complexe RuCl2(η6-p-cymène)(RPH2)
1. b/ A partir du complexe RuCl2(η6-p-cymène)(PCy3)
2) Propositions de mécanismes
2. a/ A partir du complexe RuCl2(η6-p-cymène)(RPH2)
2. b/ A partir du complexe RuCl2(η6-p-cymène)(PCy3)
IV : Conclusion
Partie expérimentale
Bibliographie
Sommaire
CHAPITRE 3 : Réactivité des complexes de ruthénium à ligand phosphinidène terminal
I : Réaction avec les électrophiles
1) Acide de Brönsted
2) Acide de Lewis
3) Halogénure d’alkyle
II : Réaction avec les oxydants
1) Synthèse de complexes métaphosphonates (ou dioxophosphoranes)
2) Synthèse de complexes dithiooxophosphoranes
3) Nitrobenzène
III : Réaction avec les alcynes
IV : Conclusion
Partie expérimentale
Bibliographie

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