Complexes carbéniques nucléophiles de l’uranium

La chimie des composés métalliques comportant des liaisons multiples (double ou triple) entre les atomes de métal et d’oxygène, d’azote ou de carbone a fait l’objet d’une attention considérable durant ces dernières années et des exemples de telles espèces existent pour presque tous les éléments des séries d ou f. L’étude des structures et des réactions de ces composés, couplée de plus en plus souvent à des calculs théoriques, fournit des informations cruciales sur la nature de ces liaisons multiples métal-ligand via les orbitales mises en jeu, et permet d’appréhender le mécanisme des réactions qu’elles favorisent. Cet intérêt fondamental est de surcroît exacerbé, en particulier pour les complexes alkylidènes et imidures, par la forte implication de ces espèces dans une large gamme de procédés qui ont été industrialisés et qui engendrent des retombées économiques importantes. On peut citer, entre autres, les procédés Fischer Tropsch de conversion de gaz de gazéification du charbon en hydrocarbures ou en alcools, les procédés de métathèse des oléfines et de polymérisation de diènes acycliques, les nombreuses applications en synthèse organique à travers les transformations de groupes fonctionnels organiques et l’élaboration de molécules à hautes valeurs ajoutées… Au contraire de celle des métaux des séries d qui connait une expansion croissante, la chimie des composés des éléments f présentant des liaisons multiples métal-ligand terminales de type [Mf]=E (E = O, NR, S, PR et CR2 ) est beaucoup plus restreinte et reste à développer, aussi bien sur le plan de la synthèse que celui de la réactivité. Ces dernières années, néanmoins, des progrès notables ont été enregistrés avec la préparation et l’étude des réactions de complexes carbéniques et imidures des lanthanides et de l’uranium, à côté d’une poignée de composés oxo et phosphinidéniques. Ces développements spectaculaires ont été rendus possibles par la découverte de méthodes de préparation originales et l’accès à de nouveaux ligands permettant de former et stabiliser des composés à liaisons terminales [Mf]=E (E = NR, CR2).

Pour les complexes imidures terminaux, dont l’origine remonte aux travaux pionniers du groupe de R. Andersen qui, dès 1985, a préparé le premier complexe organométallique de l’uranium(V) [U(MeCp)3(=NR)] en oxydant le précurseur trivalent [U(MeCp)3(THF)] par l’azoture organique RN3, l’essentiel des découvertes provient des travaux des groupes de J. Boncella et J. Kiplinger à Los Alamos sur les ions U 4+, U5+ et U6+ .

Il n’existe à ce jour aucun complexe carbénique « classique » de type Fischer ou Schrock avec les ions des métaux f. Si l’on excepte les composés qui forment de simples adduits avec les ligands carbéniques N-hétérocycliques (NHC), considérés comme des bases de Lewis, il n’existe dès lors que de très rares espèces carbéniques, d’une nature particulière, comportant un groupe R2C 2− dianionique stabilisé par un ou deux substituants phosphorés pentavalents. C’est en 1981 que le groupe de J. Gilje isole et caractérise le premier complexe carbénique d’un élément f, [U(Cp)3(=CHPMe2Ph)], lors de la réaction de l’anion LiCH2P(CH2)Me(Ph) avec [U(Cp)3Cl]. Ainsi, la longueur d’une liaison double UIV=C, fut-elle déterminée peu de temps avant celle de la liaison double U=NR. Les premières analyses théoriques et les études de réactivité montrèrent que le centre carbénique est extrêmement nucléophile. Après une période de stagnation, l’engouement récent pour la chimie des carbènes provient de l’utilisation d’une famille de ligands polydentes particuliers, à savoir les molécules neutres {R2P(=X)CH2P(=X)R2} (X = S, NR’, O ; R = Ph, OiPr) qui comportent des groupements phosphorés en position α du groupe CH2, rendant les atomes d’hydrogène relativement acides, puis et surtout leurs dérivés dianioniques géminés {R2P(=X)CP(=X)R2}2− , qui sont stables en solution et parfois isolables en l’état solide.

Ainsi, par l’emploi de ce type de ligands, R. Cavell et al. caractérisent en 2000 le premier complexe carbénique d’un lanthanide, par double déprotonation de la molécule [Ph2P(=NR)CH2P(=NR)Ph2] (R = SiMe3) lors de sa réaction avec le tris-amidure de samarium [Sm(NCy2)3]. La réactivité de ce complexe carbénique n’a toutefois pas été étudiée et aucun calcul théorique ne permet de déterminer la nature de la liaison samarium-carbone. Une autre voie de synthèse vers ce type de complexes carbéniques consiste à faire réagir les sels des dianions géminés avec des précurseurs halogénures. La synthèse du dianion soufré {Ph2P(=S)CP(=S)Ph2}2–, ci-après noté SCS2–, par l’équipe de P. Le Floch à l’Ecole polytechnique en 2004 a permis d’isoler des complexes du samarium(III) et thulium(III) dont la réactivité est en cours d’étude.

Dans le cadre d’une collaboration entre le Laboratoire de Chimie de Coordination des Eléments f du CEA de Saclay et le Laboratoire « Hétéro-éléments et Coordination » de l’Ecole polytechnique, les recherches sur les composés carbéniques comportant le ligand SCS ont été étendues aux actinides et en particulier à l’uranium. Disponible en quantité, faiblement radioactif et manipulable dans des conditions normales, l’uranium est de loin l’actinide léger naturel le plus utilisé, notamment pour la variété de ses états d’oxydation (+3 à +6) qui le rend plus attractif que le thorium, limité essentiellement au degré d’oxydation +4. Le paramagnétisme de ses ions, en particulier U4+, constitue également un atout essentiel pour l’observation par RMN, en induisant des déplacements chimiques très grands (plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de ppm). Comme pour les lanthanides, la relaxation rapide du spin électronique conduit à des signaux de résonance fins (quelques hertz) permettant notamment la détection et la caractérisation des intermédiaires réactionnels. Enfin, la taille importante de l’uranium qui peut être coordiné par de nombreux ligands, et la disponibilité des orbitales 5f qui présentent l’énergie et l’extension spatiale parfois appropriées pour un recouvrement significatif avec les orbitales des ligands, offrent des avantages en chimie de coordination et en catalyse.

Les premiers complexes carbéniques de l’uranium furent obtenus par T. Arliguie et al, en 2008, par réaction de [U(BH4)4] avec le dianion SCS2–, conduisant aux composés [U(SCS)(BH4)2(THF)2] et [Li(Et2O)]2[U(SCS)3], qui ont été isolés et caractérisés par leur structure cristalline.

Contexte scientifique

Les complexes carbéniques des métaux de transition des séries d occupent une position éminente en chimie organométallique du fait de leurs aspects fondamentaux et leur utilisation extrêmement large dans les domaines de la synthèse organique et de la catalyse. Ces complexes [M]=CR2 sont classés en deux catégories : les carbènes de type Fischer et ceux de type Schrock, selon le caractère électrophile ou nucléophile du fragment R2C. Dans ces composés, le centre métallique et le fragment carbène apportent chacun deux électrons à la liaison double métal-carbone. En règle générale, les carbènes de Ficher, qui sont les plus stables et les plus accessibles sur le plan synthétique, comportent un métal dans un bas degré d’oxydation et un ou des substituants π-donneurs (OR, NR2…) sur l’atome de carbone, tandis que dans les complexes de type Schrock, le centre métallique est fortement oxydé et les substituants R sont des groupes alkyle (alkylidène). Cette distinction n’est toutefois pas aussi nette et il est parfois difficile de trancher sur la nature du carbène métallique tel que le complexe du rhénium [Re(Cp)(CO)2(=CHR)] qui réagit comme un électrophile (Fischer) et comme un nucléophile (Schrock).

Complexes de l’anion (NCNR)2–

En 1999, Les équipes de D. W. Stephan et R. G. Cavell décrivent, de façon indépendante, la synthèse et la caractérisation du dianion géminé {C(Ph2P=NTMS)2}2– (noté ensuite (NCNTMS)2–) par déprotonation de la molécule CH2(Ph2P=NTMS)2 (notée ensuite NCH2N TMS) par des alkyles lithiens (MeLi ou PhLi) dans le toluène ou le benzène. Les rendements sont de l’ordre de 60%, et la structure à l’état solide de ce composé stable montre un dimère non solvaté où les ions Li+ sont coordinés par les atomes d’azote.

Les premières études consacrées à l’utilisation de ce ligand en chimie de coordination ont suivi immédiatement sa synthèse et ont été réalisées principalement par le groupe de Cavell qui a à la fois popularisé ce dianion et incité d’autres groupes à préparer les dérivés dianioniques oxygénés et soufrés.  Ce ligand comportant des groupes iminophosphoranes, soluble et très stable dans les solvants organiques classiques (Et2O, THF…), a montré tout son potentiel en stabilisant de nombreux complexes carbéniques de divers métaux des séries d (Ti, Zr, Hf, Cr, Ru, Pt) et 4f avec le samarium(III). Les composés [MCl2(NCNTMS)] des ions Ti4+ et Zr4+, préparés à partir des précurseurs [MCl4] et du dianion, furent les premiers complexes carbéniques de ce type .

Les structures cristallines de ces complexes indiquent clairement un changement structural du ligand avec l’allongement des liaisons P=N et le raccourcissement des liaisons P–C par rapport à la molécule NCH2N TMS. Les auteurs attribuent ces modifications à une forte délocalisation de la densité électronique des électrons ? au sein du motif, dictée par la formation de la liaison métal–carbone. De plus, les distances Ti–C (2,008(4) Å) et Zr–C (2,190(8) Å) sont plus courtes que celles d’une simple liaison titane(IV)-alkyle ou zirconium(IV)-alkyle. Les «bras» azotés du ligand sont liés au métal et le fragment N−P−C−P−N−M adopte une géométrie de type « livre ouvert», les deux « pages » planes C−P−N−M formant un angle dièdre de 11,1(2)° (M = Ti) et 22,2(4)° (M = Zr). Les dérivés alkyles du zirconium(IV), [Zr(CH2Ph)2(NCNR )] (R = TMS, adamantyle), ont été isolés par la suite, en traitant [Zr(CH2Ph)4] par NCH2N R . L’encombrement stérique et l’effet électronique des substituants R jouent un rôle manifeste car si la réaction se déroule à la température ambiante avec NCH2N TMS, elle nécessite un chauffage à 70 °C avec la molécule moins acide NCH2N Ad. La distance Zr C(carbène) du complexe benzylique [Zr(CH2Ph)2(NCNTMS)] est légèrement plus grande (2,208(3) Å) que celle du complexe chlorure correspondant, et la géométrie du fragment carbénique est plane, se distinguant de celle du dérivé chloré.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction générale
Chapitre I : Contexte scientifique
Complexes de l’anion (NCNR)2–
Complexes de l’anion SCS2–
Chapitre II : Synthèse et caractérisation de précurseurs carbéniques de l’uranium(IV)
A. Synthèse et étude de la stabilité des mono- et dianions de H2C(Ph2P=S)2 (SCH2S)
• Synthèse du composé LiSCHS (1)
• Synthèse du dérivé potassique KSCHS (2)
o Par réaction de SCH2S et un excès d’hydrure de potassium (KH)
o Par réaction de SCH2S et un équivalent de benzyle potassium (KCH2Ph)
• Synthèse du composé Li2SCS (3)
• Synthèse des composés K2SCS (4) et K2[C(PhPS)2(C6H4)] (5)
• Synthèse du composé Tl2SCS (6)
B. Synthèse et caractérisation des complexes mono-, bis- et tris-carbéniques de l’uranium(IV)
• Synthèse du complexe tris-carbénique de l’uranium(IV) [Li(Et2O)]2[U(SCS)3] (7)
• Synthèse du premier complexe bis-carbénique de l’uranium [U(SCS)2(THF)2] (8)
o Redistribution de ligands entre [Li(Et2O)]2[U(SCS)3] (7) et UCl4
o Addition de LiCH2TMS au mélange de UCl4 et SCH2S
o Transmétallation entre Li2SCS (3) et UCl4 dans un mélange THF-toluène
o Protonolyse de la liaison uranium-amidure (U−NR2)
• Synthèse et caractérisation des complexes mono-carbéniques neutre [U(SCS)Cl2(THF)2]
(11) et anioniques [Li(THF)2][U(SCS)Cl3(THF)] (12) et [Li(THF)(Et2O)U(SCS)(µ-Cl)3]2
• Echange de ligands entre les complexes [Li(THF)2][U(SCS)Cl3(THF)] (12) et ZrCl4
Synthèse des complexes mono-carbéniques [U(SCS)(NEt2)2]
[U(SCS)(SCHS)(NEt2)] (15) et [U(SCS)(NEt2)(THF)3][BPh4] (16). Structures cristallines des complexes 15 et [Li(THF)2U(SCS)(NEt2)(µ-O)]2 (17)
Chapitre III : Complexes carbéniques de l’uranium(IV)
A. Synthèse et caractérisation de nouveaux composés carbéniques à partir des complexes mono-carbéniques de l’uranium(IV)
Composés cyclopentadiényliques
• Synthèse du complexe [Tl{U(Cp)(SCS)}2(µ-Cl)3] (18)
• Synthèse du complexe [U(Cp)2(SCS)] (19)
• Synthèse du complexe [U(Cp*)2(SCS)] (20)
o Réactivité du complexe 20 vis-à-vis de la benzophénone
Composés cyclooctatétraényliques
• Synthèse du complexe [U(COT)(SCS)(THF)] (21)
• Synthèse du complexe [Li(THF)2][U(COT)(SCS)Cl] (22)
• Tentatives de synthèse de complexes alkyle carbènes
Remarques sur les structures cristallines des complexes carbéniques de l’uranium
B. Etude théorique et comparative de complexes carbéniques de l’uranium(IV) et du zirconium(IV)
C. Essais de synthèse de complexes carbéniques de l’uranium(III) et (V)
• Tentatives d’oxydation et de réduction de complexes carbéniques de l’uranium(IV)
o Tentatives d’oxydation des complexes [Li(THF)2][U(SCS)Cl3(THF)] (12) et [U(SCS)2(THF)2]
o Tentatives d’oxydation et de réduction du complexe [Li(Et2O)]2[U(SCS)3]
o Tentatives d’oxydation du complexe [U(Cp*)2(SCS)]
• Essais de synthèse de complexes carbéniques de l’uranium à partir de précurseurs aux degrés d’oxydation +3 et +5
o Essais de synthèse de complexes carbéniques de l’uranium(III) à partir de [UI3(THF)4] et [U(Cp*)I2]
o Essais de synthèse de complexes carbéniques de l’uranium(V) à partir de [U(COT)(NEt2)3] et [U(COT)(NEt2)2][BPh4]
Chapitre IV : Complexes alkyles et carbénique de l’ion uranyle
A. Synthèse et caractérisation des complexes alkyles et carbénique de l’ion uranyle
• Synthèse des complexes [UO2(SCHS)(OTf)(L)] (L = Et2O (23), THF (24))
• Synthèse du complexe [UO2(SCHS)I(THF)]
• Synthèse du complexe [UO2(SCHS)(N{TMS}2)(THF)]
• Synthèse du complexe [UO2(SCHS)2]
• Synthèse du complexe [UO2(SCS)(py)2]
• Réactivité des complexes [UO2(SCS)(py)2] (28) et [UO2(SCHS)(OTf)(THF)]
B. Etude théorique des complexes mono-, bis-alkyles et carbénique de l’uranyle
Conclusion générale

Lire le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *