La compensation de dose
Comme nous venons de le voir en préambule, l’intensité de la transcription ainsi que le moment où celle-ci se déroule sont primordiaux pour obtenir le transcriptome souhaité, ceci étant vrai quel que soit le sexe de l’individu. Or, chez les métazoaires, la différence entre les sexes se fait à travers la présence de gonosomes hétéromorphes soit chez les mâles (par exemple : XY chez l’homme) soit chez les femelles (ZW chez les oiseaux), le sexe opposé ayant deux gonosomes homologues (XX chez la femme, et ZZ chez l’oiseau mâle). Le fait qu’une paire de chromosomes soit différente entre les sexes engendre des complications relatives au transcriptome: certains gènes devraient alors se trouver deux fois plus exprimés chez les individus du sexe possédant des chromosomes sexuels homologues. De plus, comme nous le verrons par la suite, il est aussi nécessaire d’avoir un équilibre transcriptionnel entre gonosomes et autosomes. À travers l’évolution, l’ensemble des métazoaires a donc trouvé diverses manières de réguler cette différence du nombre de transcrits engendrée par les différences de sexe (Figure 1), ces régulations transcriptionnelles au niveau des chromosomes sexuels sont regroupées sous le terme de compensation de dose.
Compensation de dose entre les chromosomes sexuels
Chez les mammifères la détermination sexuelle est indépendante du processus de compensation de dose, le choix du sexe se déroulant au moment de la fécondation : à savoir si le spermatozoïde qui participe à la création du fœtus porte un chromosome X ou Y. Les euthériens ont un système de compensation de dose, qui diverge des autres métazoaires, étant donné que parmi les deux chromosomes X, l’un d’entre eux (le choix est fait de manière théoriquement aléatoire) va être inactivé autour de 5jpc (Jours Post-Coïtum) dans l’embryon. Cette inactivation est principalement médiée par un gène se trouvant lui-même sur le chromosome X : le gène XIST/Xist (« X-Inactive Specific Transcript »). XIST/Xist est un transcrit non codant dont l’expression est spécifique au Xi (chromosome X Inactif) et qui va recouvrir la quasi-intégralité de ce chromosome en cis (Brown et al., 1992), induisant son extinction transcriptionnelle quasi-totale. Cette inactivation est exercée dans toutes les cellules, donnant lieu à un individu mosaïque quant à l’origine du chromosome X inactivé et elle est maintenue tout au long de la vie de l’individu. Afin de savoir combien de chromosomes elle doit inactiver, la cellule effectue donc un comptage, comme chez les autres espèces, afin d’établir un ratio X:A. Ainsi, la cellule ne maintient actif qu’un chromosome X par lot d’autosomes (Lyon, 1962 ; Ohno et al., 1964) ce phénomène étant particulièrement observable dans le cas des maladies génétiques comme le syndrome de Klinefelter où mâles (XXY) et femelles (XXX) ne gardent qu’un seul chromosome X actif.
Le phénomène de compensation de dose chez les mammifères femelles passe donc par l’inactivation transcriptionnelle d’un des deux chromosomes X. Cependant, cette inactivation n’est pas totale et la quantité de gènes échappant à celle-ci peut varier d’une espèce à une autre. Ainsi, chez les souris, il a été estimé qu’environ 3% des gènes du chromosome X échappaient à l’inactivation (Yang et al., 2010), tandis que chez l’homme ce phénomène serait beaucoup plus répandu en atteignant 15% auxquels viendraient s’ajouter 10% de gènes dont l’état actif/inactif varierait en fonction du tissu ou de l’individu étudié (Carrel & Willard, 2005) (pour revue voir Prothero et al., 2009, Heard & Disteche, 2006, Disteche et al., 2002).
Compensation de dose avec les autosomes
Comme nous venons de le voir, le phénomène de compensation de dose a donc comme but de réduire les inégalités en terme de quantité de transcrits dues à la présence d’un système à gonosomes hétéromorphes. Bien que l’objectif principal soit atteint, la mise en place de ce mécanisme engendre l’apparition d’un nouveau déséquilibre transcriptionnel : une différence de la quantité de transcrits entre les gonosomes et les autosomes chez les mammifères et les nématodes, les rendant donc fonctionnellement aneuploïdes par rapport aux autosomes (ratio X:AA ou XX:AA de 0,5). Pour pallier à cette différence transcriptionnelle, induite soit par l’hémizygotie (chez les mâles) soit par la compensation de dose (chez les femelles), les espèces abaissant leur niveau de transcrits chez les femelles compensent en sur-exprimant le chromosome X chez les mâles, (le chromosome X actif chez les mammifères ou bien les deux chromosomes X partiellement réprimés chez le nématode) d’un facteur deux, afin que les gonosomes atteignent dans tous les cas le niveau transcriptionnel d’une paire d’autosomes (soit un ratio X:AA et XX:AA égal à 1) (Gupta et al., 2006 ; Nguyen & Disteche, 2006). Bien que complexifiant considérablement l’idée que l’on se fait de la compensation de dose, cette adaptation par rapport aux autosomes est indispensable pour la survie de l’individu, l’haploïdie pour seulement 1% du génome réduisant considérablement la viabilité et 3% induisant la léthalité de l’organisme (Lindsley et al., 1972). Le mode d’action de cette sur-expression est encore inconnu, mais il pourrait s’agir d’un mécanisme actif impliquant des modifications épigénétiques similaires au système présent chez la mouche, et pourrait être impliqué soit dans l’accessibilité des promoteurs pour l’ARN polymérase, soit dans l’élongation des transcrits soumis à compensation de dose (Smith et al., 2001).
L’inactivation d’un des deux chromosomes X au sein de toute cellule femelle ainsi que la suractivation transcriptionnelle du X actif (aussi bien chez les femelles que chez les mâles) est donc la manière dont les euthériens parviennent à compenser leur nombre de transcrits émanant des gonosomes mais aussi par rapport au reste des chromosomes non-sexuels. Les mécanismes gouvernant l’inactivation du chromosome X sont très complexes, mais je vais tout de même tenter de donner au lecteur une appréciation globale du fonctionnement de ce paradigme épigénétique à travers ces prochains chapitres. Dans ce dessein nous nous focaliserons sur le modèle murin, espèce, chez qui ce phénomène a été le plus étudié et le mieux décrit bien qu’il y existe encore de très nombreuses zones d’ombres .
L’Inactivation du chromosome X chez Mus musculus
Comme nous venons de l’entrapercevoir, l’inactivation du chromosome X est le fruit de son extinction transcriptionnelle quasi-globale lors des phases précoces du développement embryonnaire afin d’atteindre un équilibre transcriptionnel entre les deux sexes. Cependant chez la souris (Mus musculus), cette inactivation existe sous plusieurs formes qui s’établissent au cours de vagues successives et de manières différentes en fonction du type cellulaire étudié. Dans un premier temps, nous allons donc voir de quelle manière l’inactivation est établie à différents stades cellulaires permettant ainsi d’avoir un aperçu préliminaire de l’importance du développement au cours de ce processus particulier (Figure 2). Ensuite, nous nous attacherons à définir la façon dont la cellule femelle arrive à compter puis à choisir le chromosome X à inactiver, ainsi que les caractéristiques épigénétiques de cet X inactif. Et enfin, nous nous pencherons dans le détail sur les deux ARNs non-codants au centre de la mise en place de l’inactivation : Xist et son anti-sens Tsix.
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Table des matières
CHAPITRE I : INTRODUCTION
I. La compensation de dose
a. Compensation de dose entre les chromosomes sexuels
b. Compensation de dose avec les autosomes
II. L’inactivation du chromsomes X chez Mus musculus
a. Inactivation méiotique des chromosomes sexuels 8
b. L’inactivation empreintée suite à la fécondation
c. Réactivation du chromosome X dans les blastocystes
d. L’inactivation aléatoire du chromosomes X
i. Le comptage
ii. Le choix
e. Réactivation du Xi dans la lignée germinale
III. Les Modèles Cellulaires
IV. Les caractéristiques du X inactif
a. L’ARN non-codant Xist
i. Propagation de Xist et l’extinction transcriptionnelle
ii. Xist au fil du temps
b. Suite de l’extinction transcriptionnelle
c. Les modifications d’histones
i. Généralités
ii. Modifications d’histones sur le Xi
d. Autres modifications épigénétiques liées à l’Xi
i. MacroH2A
ii. Méthylation de l’ADN
iii. Divers
iv. Réplication asynchrone
v. Conclusions sur les différentes marques épigénétiques
V. Les principaux acteurs de l’inactivation du chromosome X : Xist et son antisens Tsix
a. Le XIC
i. Définition Cytogénétique et transgénèse
ii. Unités fonctionnelles du XIC
iii. « Point chaud » de modifications épigénétiques en 5’ de Xist
b. Xist, Tsix : généralités
i. Xist
ii. Tsix
iii. DxPas34
iv. Xite
VI. Régulation de Xist
Revue : Andrew Oldfield et Claire Rougeulle, X-plications sur le contrôle de l’inactivation : la régulation du gène Xist. Biotur, n°304, Novembre 2009
a. Régulation de Xist par Tsix
i. Régulation post-transcriptionnelle
ii. ARNi
iii. Modification du paysage épigéntique au promoteur de Xist
iv. Modification du paysage épigénétique le long du locus Xist/Tsix
v. Effet de Xist sur Tsix
b. Couplage entre la régulation de l’expression de Xist et la pluripotence
c. Régulation en trans de Xist par divers facteurs
i. Les répresseurs
ii. Les activateurs
CHAPITRE II : PROJET DE THÈSE
CHAPITRE III : RÉSULTATS ET DISCUSSIONS
I. L’étude du réseau transcriptionnel régulant l’expression de Xist chez la souris et sa conservation chez l’homme
a. CTCF
i. Fonction activatrice/répressive
ii. Fonction d’insulateur
iii. Rôle dans la méthylation de l’ADN
iv. Formation de structures tridimensionnelles
b. YY1
i. Protéines PcG
ii. Formations de structures tridimensionnelles
iii. Rôle dans la méthylation de l’ADN
c. Résultats
i. Fixation de CTCF le long du locus Xist/Tsix
ii. Fixation de YY1 en 5’ de Xist
iii. Corrélation entre fixation de CTCF et YY1 et surexpression de Xist en cours de différenciation
iv. Un rôle pour les autres pics de CTCF ?
v. Conservation des fixations de CTCF, YY1 et Rad21 chez l’homme…134
d. Discussion
i. Nos données sont corrélées par la littérature
ii. Situation dans les cellules ES non-différenciées
iii. Différents mutants de Tsix ont différents effets sur l’expression de bbbbbbbbXist
iv. Interaction entre CTCF & YY1 ?
v. De quelle manière l’activation de Xist est-elle obtenue ?
vi. CTCF et YY1 impliquées dans la méthylation de l’ADN du promoteur bbbbbbbde Xist ?
vii. Recrutement de Rad21
viii. Interactions 3D ?
ix. Un rôle dans le kissing ?
x. Un rôle pour le pic CTCF/Cohésine situé en amont de Tsix
xi. Conservation
xii. Conclusion
II. La caractérisation fonctionnelle des sites de fixation pour les protéines CTCF et YY1 dans la région promotrice de Xist chez la souris
a. Introduction
b. Le vecteur
c. L’électroporation
d. Le criblage
e. Le bilan
f. Perspectives
III. L’étude du réseau transcriptionnel régulant Xist au sein de cellules germinales embryonnaires de souris
a. Introduction
b. Résultats
i. Expression de Xist, Tsix, Oct4 et Nanog dans les EGs
ii. Mécanisme de répression de Xist dans les EGs
iii. Fixation de CTCF et YY1 le long de Xist/Tsix
c. Discussion
IV. Le couplage moléculaire de la régulation de Tsix et de la pluripotence cellulaire
a. Introduction
Article : P. Navarro, Oldfield A., Legoupi J., Festucia N., Dubois A., Attia M., Rougeulle C., Chambers I., and Philip Avner. Molecular coupling of Tsix regulation and pluripotency. Accepté dans Nature
b. Discussion
CHAPITRE IV : CONCLUSION
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