Les zones inondables sont des étendues de terre susceptibles d’être inondées en période de hautes eaux, à savoir durant une crue. Une crue correspond à la sortie d’un cours d’eau hors de son lit mineur suite à une augmentation de son débit et de la hauteur de sa lame d’eau. De ce fait, ces zones sont souvent considérées comme des zones à risques qu’il est préférable d’éviter. En effet, l’occurrence des crues ainsi que leur violence sont variables, et peuvent fortement impacter les habitations présentes sur le secteur concerné. Toutefois, les zones inondables ne se résument pas simplement à de simples nuisances, mais bien à des espaces présentant une richesse biologique. Ces zones assurent aussi de nombreuses fonctions écologiques comme la limitation de l’impact des crues puisqu’elles se comportent comme des zones d’expansion de crue. Enfin, de nombreuses espèces de poissons viennent trouver, dans ces espaces inondés, une zone de reproduction présentant des conditions favorables au développement des œufs et des alevins.
Présentation du site d’étude – le delta du Niger
Contexte hydrologique
Le delta intérieur du Niger, aussi appelé delta central du Niger, est formé par le fleuve Niger et son affluent le Bani. Le delta est traversé par le canal du Sahel. Le delta s’étend de Tombouctou à Djenné sur une distance de 390 kilomètres. De manière générale, le delta est essentiellement constitué de réseaux de canaux, de marécages et de lacs (lac Débo en son centre). C’est durant la saison des crues simultanées du Niger et du Bani, que les plaines du Delta se retrouvent inondées. Les inondations recouvrent de très grandes surfaces (35 000 km2 en année humide contre 7 000 km2 en année sèche) et leur intensité est très importante, en effet le niveau des eaux peut atteindre jusqu’à 7 mètres de différence. Les eaux d’inondations proviennent essentiellement du fleuve. Les eaux montent en juin et novembre / décembre, puis se retire en avril / mai.
Les zones impactées par les inondations sont essentiellement des plaines. Les surfaces recouvertes par les eaux sont si importantes que le delta intérieur du Niger constitue la plus vaste zone humide d’Afrique de l’Ouest (De Nauray, 2003). Les écosystèmes présents sont d’une grande importance écologique, de plus le site est fréquenté par une diversité ethnique importante.
Les zones humides, d’après la définition donnée par la Convention de Ramsar, sont « des étendues de marais, de fagnes, de tourbières ou d’eaux naturelles ou artificielles, permanentes ou temporaires, où l’eau est stagnante ou courante, douce, saumâtre ou salée, y compris des étendues d’eau marine dont la profondeur à marée basse n’excède pas six mètres. » .
Les plaines inondables du delta se présentent suivant deux modèles différents, à savoir des plaines longitudinales, ces dernières longent le fleuve et en sont incomplètement séparées par des berges. Leur alimentation se fait via de larges seuils. D’autres plaines sont éloignées du fleuve et sont alimentées par des chenaux. Les plaines du delta sont plus basses que le fleuve lui-même, par conséquent, seul le remplissage peut s’effectuer (absence de vidange et disparition de l’eau par évaporation et infiltration).
La végétation des plaines inondables
Les plaines du delta sont essentiellement recouvertes par des herbacées. Il est nécessaire de distinguer deux types de végétation, à savoir celle qui subit la crue, car située sur les points bas et celle qui ne la subit pas en raison de sa position sur des points hauts. Durant notre étude, nous nous intéresserons uniquement à la végétation soumise à une variation du niveau d’eau. Ces plaines herbeuses (essentiellement des graminées et des cypéracées pérennes) constituent des pâturages pour le bétail. Par conséquent, la végétation est soumise à deux pressions distinctes, à savoir l’occurrence des crues (niveau d’eau, durée d’inondation…) et la pression exercée par le bétail (consommation, piétinement…). L’alternance des crues saisonnières et des périodes sèches permet un dépôt important de limons et de nutriments apportés lors de la montée des eaux. Le sol se trouve alors enrichie et assure une croissance rapide du couvert végétal. Les formations herbeuses, une fois submergées, assurent un rôle d’abri et de source de nourriture pour les poissons ayant rejoint les plaines inondées afin de s’y reproduire. La forte concentration de poissons au niveau de ces étendues d’eau temporaires entraîne des déplacements de populations venues pêcher les poissons. Ainsi une forte activité de pêche par les hommes s’exerce sur ces zones de reproduction.
La vie des hommes en zone inondable
Le delta intérieur du Niger présente bien des risques notamment les crues qui peuvent menacer les habitations. Cependant, malgré ces risques, la population trouve aussi dans les plaines inondables une véritable source de revenu et de nourriture. La vie des hommes s’est organisée autour du phénomène saisonnier des crues du delta. En effet, suivant la période de l’année, on observe un va et vient des populations humaines en fonction des activités qu’elles pratiquent. C’est durant la montée des eaux et de la décrue que les populations de poissons pénètrent / quittent les plaines inondées en bancs serrés. C’est à ce moment que les pêcheurs mettent en place leurs filets. De petits villages deviennent alors le théâtre d’une concentration humaine importante suite à l’arrivée de nombreuses familles, venus participer à l’effort de pêche.
Afin d’assurer la pérennité de la pêche pour les années à venir, les pêcheurs ont appris à utiliser des filets possédants de plus grandes mailles afin de laisser passer les jeunes poissons (De Nauray, 2003).
La pêche n’est pas la seule activité pratiquée dans le delta intérieur du Niger. Hors période des hautes eaux, c’est l’élevage et l’agriculture qui sont les deux activités principales dans les plaines du delta. De manière générale, chaque peuple est caractérisé par son activité principale. Ainsi les Bozos se tournent exclusivement vers l’exploitation du fleuve, les Peul (nomades) et leur bétail investissent les plaines durant les périodes de pâturages. L’agriculture peut être exercée par chacun à moyen terme, notamment les Marka. Dans la région de Tombouctou, dans le delta central du Niger, on y pratique la culture du riz rouge (Oryza glaberim et Oryza sativa). Ce dernier est cultivé en riziculture inondée, sa germination débute avec les premières pluies, puis sa croissance se poursuit lors des inondations.
La végétation du delta central du Niger
Typologie de la végétation suivant l’intensité de la submersion
Dans les zones touchées par les submersions importantes (2 à 5 mètres) et longues (6 à 7 mois) les plantes adaptées à la vie en zone inondable forment des couverts verdoyants. Ainsi se forment ce qu’on appelle les bourgoutières, peuplées par le « bourgou » nom donné à Echinochloa stagnina. Il s’agit d’une plante à tige flottante, la tige est spongieuse (présence d’aérenchymes). Ces formations végétales constituent des pâturages fréquentés par le bétail durant la saison sèche, mais aussi par la faune aquatique hors période sèche comme les lamantins et les hippopotames. On distingue aussi les zones faiblement inondées (1.2 à 1.5 mètres) et pendant de courtes durées (5 mois). Ces mares à nénuphars sont caractérisées par Nymphea, une hydrophyte enracinée à feuilles flottantes. Les zones faiblement touchées par la crue (moins de 2 mètres de profondeur et moins de 3 mois de l’année) sont appelées les orizaies. Ces espaces sont marqués par la présence du riz sauvage (Oriza longisminata) et de graminées. On distingue des zones de transition entre les zones présentées précédemment. Ces espaces sont localisés au niveau des levées sableuses ou le long des petites mares. Les espèces principales sont le Vivier (Vetivera nigritana) et le Mimosa pigra. Enfin, on peut aussi citer les forêts inondées (2 à 3 mètres d’eau), la densité de ces forêts varie d’un couvert plutôt ouvert à dense. La végétation est principalement marquée par Acacia kirkii et Ziziphus mauritiana. Ces espaces, une fois inondés forment des lieux de nidification pour de nombreuses espèces d’oiseaux (importantes colonies).
Croissance et développement des végétaux en zone inondable
Parmi les graminées observées sur le terrain, 4 groupes bio morphologiques différents ont été identifiés, et chaque groupe ne réagit pas de la même façon lors de la montée des eaux. Il est alors possible d’identifier différentes stratégies adoptées par la végétation présente en plaine inondable. Les graminées à tiges flottantes présentent une remarquable adaptation au plaine inondée puisqu’elle peut supporter une hauteur d’eau allant jusqu’à 4 mètres. La croissance des parties aériennes est alors « réglée » sur la montée du niveau des hautes eaux. Cependant, si la montée des eaux est trop rapide, la croissance de ces plantes est alors insuffisante. Les graminées gazonnantes forment des pelouses sur le sol par réenracinement des tiges. Ces plantes ne supportent qu’une submersion brève et faible. Leur multiplication végétative les rend particulièrement résistante à la pression exercée par le bétail. Les graminées cespiteuses présentent deux comportements différents. Dans un premier cas, la plante est recouverte par les eaux et cesse toute croissance. Celle-ci reprendra à la décrue. Dans un second cas, la plante se développe à l’approche des premières pluies (absence de crue / plante non recouverte) puis subira la crue si cette dernière s’est faîte plus tardivement (le niveau d’eau ne dépasse pas le 30 cm). Les graminées / cypéracées rhizomateux peuvent cesser leur croissance pendant la crue puis la reprendre à la décrue à l’instar des graminées cespiteuses. Elles peuvent aussi exploiter les réserves accumulées dans les rhizomes afin de « monter » en parallèle de la crue (Diara & Hiernaux, 2002). Le bétail élevé par les populations humaines trouve dans les plaines inondables d’excellents pâturages et ce en raison des difficultés alimentaires de la région. En effet, lorsque les autres sources d’eau et de verdures se font plus rares durant la période sèche (mai-juin), les zones ayant été inondées reverdissent rapidement et offrent de nouveaux espaces de pâturage (Scholte, 2006).
Une étude menée dans le delta intérieur du Niger a réalisé un inventaire sur l’axe de transhumance des éleveurs et de leur bétail. Sur les 58 espèces inventoriées, pas moins de 24 sont appréciées du bétail. Il s’agit de graminées pérennes. De plus le fourrage ligneux des zones inondables, bien que simple complément pour les ovins, constitue jusqu’à 60 – 100 % du régime alimentaire des camelins et des caprins (Scholte, 2006).
Présentation de stratégies de vie de la végétation des plaines inondables
La végétation, de par sa définition même est contrainte à subir la crue. Il apparaît que la répartition des communautés végétales dépend de la durée et de l’importance de la submersion (profondeur). Globalement, il ressort de cette étude que la végétation peut adopter plusieurs stratégies de vie en zone inondable :
– Croissance des parties aériennes synchronisée en fonction de la montée du niveau d’eau (Graminées à tiges flottantes et Cypéracées rhizomateux). Toutefois cette stratégie n’assure pas la survie de la plante si la montée du niveau d’eau excède la vitesse de la croissance de ses parties aériennes.
– Arrêt de toute croissance pendant la submersion puis reprise à la décrue (Graminées gazonnantes). Les plantes ne supportent toutefois qu’une submersion brève et de faible amplitude.
Les graminées à tiges flottantes présentent une structure particulière localisée dans la tige elle-même. Ces tissus particuliers sont appelés aérenchymes, il s’agit de tissus creux dont la cavité est remplie d’air.
Cette structure assure plusieurs rôles chez les plantes aquatiques :
– Joue le rôle de « squelette » hydrodynamique procurant à la tige une souplesse et une élasticité. Ces caractéristiques permettent aux plantes aquatiques de supporter les courants du milieu.
– Assure la flottabilité et le port vertical des parties immergées.
– La réserve gazeuse assure l’alimentation en gaz des processus de respiration et de photosynthèse (faible solubilité du CO2 et d’O2 dans l’eau).
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Table des matières
Introduction
I. Présentation du site d’étude – le delta du Niger
1. Contexte hydrologique
2. La végétation des plaines inondables
3. La vie des hommes en zone inondable
II. La végétation du delta central du Niger
1. Typologie de la végétation suivant l’intensité de la submersion
2. Croissance et développement des végétaux en zone inondable
3. Présentation de stratégies de vie de la végétation des plaines inondables
III. Les populations halieutiques du delta intérieur du Niger
1. L’évolution de la production halieutique suivant l’importance des surfaces inondées
2. Les plaines inondables, siège d’importantes migrations piscicoles
3. Une pêche importante s’exerçant sur les populations piscicoles
4. Les stratégies de reproduction en plaine inondable
IV. Les plaines inondables, des milieux aquatiques temporaires
1. Une croissance accélérée du stade larvaire
2. La stratégie de fuite, conséquence de la décrue
3. Les stratégies de vie adoptées par les espèces ne quittant pas le milieu à la décrue
V. L’alternance des activités humaines au rythme des crues
1. La pêche, une activité dépendant directement du rythme des crues
2. Les activités pratiquées après la décrue
Conclusion
Références bibliographiques
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