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LISTE DES SOLLICITATIONS CUTANÉES ASSOCIÉES AU TOUCHER
L’étude des différents types de mouvements associés au toucher et à la manipulation des objets de notre environnement permet de déterminer plusieurs types de sollicitations spécifiques de la peau et du derme associés à ces mouvements. Cette liste, illustrée par le tableau 2.1, regroupe les stimuli suivants :
– Transition contact – non contact : ce stimulus correspond à l’arrivée du doigt au contact des objets. Il précède l’ensemble des autres sollicitations de la peau et du derme.
– Mouvement normal de la pulpe par rapport au doigt : dès que l’on touche un objet, on exerce sur celui-ci une force normale (qui peut être accompagnée ou non d’une force tangentielle). On notera que la main ou le doigt peut être statique par rapport à l’objet touché, par exemple quand on porte un objet ou qu’on exerce une pression sur une surface rigide, ou mobile par rapport à ce dernier, par exemple quand on appuie sur une surface déformable pour déterminer sa dureté. Dans les deux cas, la compression de la pulpe et la surface de contact entre le doigt et l’objet augmentent avec la force appliquée.
– Mouvement tangentiel de la pulpe par rapport au doigt : ce phénomène apparait quand on appuie sur l’objet touché et qu’on exerce une force tangentielle. Comme dans le cas précédent, la main ou le doigt peut être statique ou mobile par rapport à l’objet touché. Cette déformation de la peau apparaît par exemple quand on parcourt une surface avec le doigt pour identifier sa texture (on est bien sûr limité par les dimensions de l’espace de travail du système). Le mouvement de la pulpe est d’autant plus important que la force tangentielle est grande, cette force étant elle-même proportionnelle à la force normale et au coefficient de frottement de la surface parcourue.
– Adaptation de la pulpe à la courbure globale de l’objet : lorsque l’on touche un objet convexe ou concave, la surface de contact avec la peau varie (zone et orientation), ce qui permet de déterminer la forme globale d’un objet. Ainsi, lorsque le rayon de courbure est très grand, la surface peut paraître plane si on ne se déplace pas. Seul le mouvement de la main permet d’en identifier la forme.
– Adaptation de la pulpe à la forme locale : lorsque l’on touche un objet, la peau se conforme aussi à sa géométrie locale (dans la limite de la déformabilité du derme), ce qui permet de sentir sa forme locale, et en particulier les rainures fines à sa surface ou ses coins.
– Vibrations globales : ce phénomène se produit par exemple quand on parcourt une surface uniformément texturée. Ce mouvement produit des vibrations de l’ensemble de la peau en contact avec l’objet touché.
– Vibrations localisées : lors du parcours d’une surface avec une texture fine, les vibrations des différents points de la peau ne sont pas identiques.
– Transfert thermique : tout contact avec un matériau entraîne un transfert thermique. Cela permet de distinguer des matériaux aux caractéristiques géométriques proches.
SIMULATION DES DIFFÉRENTES SOLLICITATIONS CUTANÉES
On trouve dans la littérature des interfaces haptiques capables de simuler l’ensemble des phénomènes évoqués précédemment. Comme nous allons le montrer ci-dessous, sans chercher à être exhaustifs, la plupart d’entre elles ont été développées pour reproduire une seule ou un nombre limité de types de sollicitations élémentaires.
Mouvement normal ou tangentiel de la pulpe par rapport au doigt
Les interfaces Sensable PHANToM Premium de la société Geomagic (www.geomagic.com) [Massie et Salisbury 1994] [Chen 1999], delta.3 et omega.3 de la société Force Dimension (www.forcedimension.com) [Grange et al. 2001], Virtuose de la société Haption (www.haption.com), dérivée des travaux du CEA [Gosselin et Riwan 2001], ou encore Freedom 6S de la société MPB Technologies (http://mpb-technologies.ca) [Demers et al. 1998] sont spécialisées dans le retour d’effort. Elles permettent à l’utilisateur de se déplacer librement dans l’espace (dans la limite de leur espace de travail) et sont capables d’appliquer un retour d’effort apte à produire un mouvement normal ou tangentiel de la pulpe des doigts servant à les manipuler. Le Freedom 6S, à titre d’exemple, peut générer un retour d’effort en 6D dans un espace elliptique de 22x24x22cm. Ce dispositif est composé d’une base à 3 degrés de liberté (DDLs), d’un bras équilibré à 3 DDLs pour la mise en position et d’un poignet à 3 DDLs. Il peut générer une force maximale continue de 0.6N et un couple maximal continu de 80mN.m. Il possède une résolution de 20µm en translation et 0.005rad en rotation, et ses frottements statiques sont très faibles (0,06N et 0,02N.m). On notera qu’il existe aussi des interfaces à retour d’effort multi-digitales et des exosquelettes à retour d’effort. Ces interfaces seront présentées plus en détails dans le paragraphe 3.
Simulation de plusieurs types de sollicitations élémentaires
La plupart des interfaces présentées précédemment se concentrent sur la reproduction d’un seul type de sollicitation de la peau, même si les interfaces à contacts intermittents permettent de simuler à la fois les transitions contact – non contact et les déformations locales de la pulpe dues à des efforts normaux ou tangentiels.
Pour enrichir les phénomènes simulables, il est nécessaire d’associer différents types d’interfaces. Nous en avons vu ci-dessus plusieurs exemples. L’interface CASR peut ainsi être montée sur un robot delta.3 pour que la surface de la pulpe en contact avec l’interface augmente avec l’effort appliqué. Le Fingertip Haptic Display de l’Université de Pise permet quant à lui de simuler l’arrivée au contact, puis les déformations normale, tangentielle et globales de la pulpe. Ce paragraphe présente quelques autres exemples d’interfaces autorisant la reproduction de différents types d’interactions.
[Declerck et Lenay 2010] ont par exemple couplé une interface à retour d’effort (kinesthésique), le Phantom [Massie et Salisbury 1994], avec une interface à retour tactile composée d’une matrice de 4×4 pines. Ils ont ensuite évalué ce couplage pour une tâche de suivi de contour. Parmi l’ensemble des participants, 84.5% réussissent la tâche avec le couplage contre 75% et 72.5% avec respectivement le retour d’effort seul et le retour tactile seul, ce qui montre l’intérêt d’un tel couplage.
L’interface développée par [Konyo et al. 2008] couple quant à elle un bras à retour d’effort avec une plaque piézoélectrique. Dans un premier temps, les auteurs analysent les vibrations dues au phénomène de glissement / adhésion lors du parcours d’une surface. Puis ils mettent en place ce dispositif pour simuler le frottement du doigt sur un objet sans utiliser de forces tangentielles. Leurs premiers résultats montrent qu’un utilisateur réussit à percevoir différentes frictions ainsi que leur augmentation. Dans un second temps, ils comparent cette méthode avec l’utilisation de forces tangentielles pour restituer le frottement. Leurs seconds résultats montrent qu’un septième des utilisateurs perçoit mieux la friction générée par les forces tangentielles qu’avec les vibrations.
IDENTIFICATION DES MODALITÉS D’INTÉRÊT
Pour choisir les phénomènes sur lesquels nous allons nous concentrer, nous proposons de les analyser sous deux angles. Nous essaierons de déterminer ceux qui sont les plus fréquemment mis en œuvre lors d’interactions manuelles. Puis nous consoliderons cette information en étudiant la corrélation entre ces interactions et la façon dont réagissent les différents types de capteurs cutanés.
Etude des mouvements d’exploration et de manipulation
Dans la littérature, on distingue en général deux types de mouvements : les mouvements d’exploration qui sont effectués pour identifier les caractéristiques des objets environnants et les gestes de manipulation utilisés pour les saisir et les déplacer.
Les mouvements effectués pour explorer l’environnement sont généralement classés en 6 catégories suivant les caractéristiques que l’on cherche à identifier [Jones et Lederman 2006] :
– Parcours de la surface des objets avec le doigt pour déterminer leur texture.
– Application d’une force normale pour connaître leur dureté.
– Contact statique pour déterminer leur température.
– Soupèsement pour connaître leur poids.
– Prise en main et parcours de leur contour pour mieux appréhender leur forme et leur volume.
– Suivi du contour de l’objet pour identifier plus précisément sa forme.
Géométrie et cinématique de la main et des doigts
Une interface haptique dextre doit être adaptée à la géométrie, aux mouvements et aux efforts de la main pour permettre à l’utilisateur d’interagir de manière naturelle avec un environnement virtuel. Pour son dimensionnement et sa conception, il est donc nécessaire de connaître les caractéristiques de la main. De nombreuses études ont été faites en ce sens, que ce soit en robotique ou dans le domaine de la psychologie [Brooks 1990] [Jones 1997] [Jones et Lederman 2006] [Gosselin 2000, 2012] [Samur 2012].
Chacun des doigts possède 4 degrés de liberté (DDLs) : un mouvement d’abduction/adduction à la liaison entre la paume et la phalange proximale et trois mouvements de flexion/extension à la jonction entre deux phalanges adjacentes. Le pouce possède un DDL couplé supplémentaire pour permettre un mouvement de mise en opposition par rapport aux autres doigts. Ces mouvements sont relativement complexes, les articulations physiologiques de la main étant comme les autres articulations du corps humain basées sur des surfaces qui roulent et/ou glissent les unes sur les autres, avec des axes variables en fonction de la configuration des articulations [Grebenstein et al. 2012] [Cai et al. 2010]. Dans la pratique cependant, elles sont souvent assimilées par souci de simplification à des liaisons pivot à axe fixe comme le montre la figure 2.15.
Les dimensions de la paume et des phalanges peuvent être obtenues à partir de données disponibles dans la littérature. Celles correspondant à un homme adulte de taille moyenne sont illustrées sur la figure 2.15 [Gosselin 2004].
Dynamique des mouvements de la main et des doigts
La littérature portant sur la dynamique des mouvements humains est moins importante que celle qui s’intéresse à la cinématique et à la taille de la main. Il est donc nécessaire pour la caractériser de rassembler et recouper des informations de domaines divers comme le sport (base-ball, Kung Fu, …) [Dun et al. 2007] [Hirashima et al. 2008] [Elgendi et al. 2012] [Zaremski et Krabak 2012] ou les arts (piano). Les auteurs de [Gonzalez et al. 2014] ont regroupé un nombre important d’articles sur ce sujet et en ont déduit les valeurs de vitesse et d’accélération de la phalange distale du pouce et des autres doigts lors de mouvements rapides :
– Flexion/extension du pouce : 0,14 à 0,21 m/s (6,75 m/s²).
– Abduction/adduction du pouce : 0,62 m/s (n/a).
-Flexion/extension d’un autre doigt : 1,01 à 1,26 m/s (24,5 m/s²).
– Abduction/adduction d’un autre doigt : 0,26 m/s (4 m/s²).
Il est bon de noter que la plupart de ces articles porte sur les vitesses et accélérations liées à des mouvements rapides et dont les valeurs sont nettement plus élevées que celles qui sont atteintes lors de mouvements de manipulation de précision par exemple.
Zones de la main utilisées lors des interactions dextres manuelles
Les interactions dextres ont pour objectif soit d’explorer l’environnement pour mieux connaître ses caractéristiques, soit de manipuler des éléments de cet environnement. Ces mouvements peuvent, dans certains cas, faire intervenir l’intégralité de la surface de la main. Il est cependant impossible, dans l’état actuel de la technique, de faire un retour haptique réaliste sur toute la surface de la main. Nous proposons donc d’étudier les zones de la main qui sont les plus sollicitées lors des différentes interactions du quotidien pour en déduire les parties où il serait le plus intéressant de stimuler la main.
Pour cette étude, nous reprendrons les résultats obtenus précédemment par le CEA LIST et l’ISIR [Gonzalez et al. 2013] [Gonzalez et al. 2014]. Les auteurs utilisent les taxonomies usuellement utilisées pour classifier les différents gestes de manipulation [Cutkosky 1989] [Feix et al. 2009] et d’exploration [Jones et Lederman 2006] pour déterminer un panel de 40 mouvements types liés aux interactions dextres, 34 pour la manipulation (en distinguant prises de précision et prises de puissance) et 6 pour l’exploration. Ils identifient ensuite pour chacune de ces prises la zone de la main utilisée, et y associent des fréquences d’utilisation issues d’une publication récente qui présente une procédure expérimentale qui a permis d’enregistrer et d’analyser les activités d’un individu dans son environnement de travail habituel pendant une durée relativement importante [Zheng et al. 2011]. Des personnes effectuant des tâches ménagères et des travaux d’atelier ont été enregistrées et les manipulations correspondantes ont été classées en utilisant les taxonomies de Cutkosky et de Feix et al., ce qui a permis de déterminer les fréquences d’utilisation des différentes prises. En mettant en corrélation les zones associées à chaque type d’interaction dextre et la fréquence d’utilisation du geste associé, les auteurs en déduisent la fréquence d’utilisation, exprimée en pourcents, de chaque zone de la main pour trois types de comportements différents :
– Lors de tâches ménagères, on réalise principalement des tâches de manipulation grossières impliquant des prises de puissance.
– Lors de travaux d’atelier, on réalise des activités techniques plus délicates avec à la fois des prises de puissance et de précision.
– Enfin, lors des gestes d’exploration on cherche à apprendre des informations sur notre environnement.
Les gestes du quotidien étant une combinaison de ces différents comportements, les auteurs combinent l’ensemble de ces données (avec un ratio variant de 25% à 50%) pour avoir un graphe représentant de façon synthétique la façon dont la main est utilisée dans la vie de tous les jours. Sur ce graphe, la fréquence d’utilisation de chaque zone de la main est représentée à la fois par une valeur chiffrée et par un niveau de gris associé.
Les exosquelettes haptiques
Ces exosquelettes permettent un retour d’effort sur chacune des phalanges de l’utilisateur, sur un ou plusieurs doigts, ce qui autorise la simulation d’une multitude d’actions différentes. Ces interfaces peuvent ainsi simuler à la fois des manipulations fines et en force. Ces capacités sont toutefois obtenues au prix d’une grande complexité mécanique qui peut conduire à un poids et un encombrement importants qui nuisent alors à l’expérience ressentie par l’utilisateur. Cette complexité peut également nuire à la transparence de ces interfaces, ce qui est critique dans le cadre de manipulations fines. En effet, pour un fonctionnement optimal, l’utilisateur doit pouvoir faire abstraction de l’interface et se concentrer sur la tâche à réaliser.
Les premiers exosquelettes haptiques ont été développés pour permettre de commander des mains robotiques de façon plus naturelle et plus facile qu’avec des interfaces de télé-opération ‘à poignée’. Les exosquelettes LRP Dextrous Hand Master [Turki et Coiffet 1995] et Sensor Glove 2.1 [Nishino et al. 1997] sont parmi les premiers gants à 5 doigts. Le premier possède quatorze degrés de liberté (trois pour chaque doigt et deux pour le pouce). Des mécanismes parallèles relient les phalanges entre elles. Les segments sont actionnés par un ensemble de câbles afin de déporter les moteurs à distance. Le second comporte vingt-et-un degrés de liberté et utilise des jauges de contraintes pour mesurer l’effort produit par l’utilisateur. Il peut appliquer un effort maximal de 1.5N suivant la normale au doigt. Les moteurs sont par contre fixés sur la paume, ce qui le rend lourd et encombrant. Les deux possèdent un espace de travail proche de celui de la main.
Plus récents, les exosquelettes à cinq doigts développés par l’université de Delft se basent sur un robot avec trois modules fixés séparément sur chaque phalange et glissant les uns par rapport aux autres [Lelieveld et al. 2006]. L’étude A utilise un retour d’effort couplé sur les phalanges d’un même doigt alors que l’étude B peut appliquer une force de 2N sur chacune des parties du doigt indépendamment. Afin d’alléger le système, les moteurs sont déportés sur chacune des interfaces. La cinématique couplée de l’étude A la rend sensible aux frottements, la force de friction allant jusqu’à 3.87N. Ces systèmes possèdent une résolution articulaire de 0.02° et 0.12° respectivement.
Les interfaces dextres à retour d’effort au bout des doigts
L’étude des interactions dextres nous a permis de conclure que les zones de la main où il est le plus intéressant de faire un retour haptique sont les phalanges distales et le côté extérieur de l’index. On ne s’étonnera donc pas qu’il existe aussi dans la littérature de nombreuses interfaces dextres autorisant un retour d’effort seulement sur le bout des doigts. En comparaison des gants exosquelettes qui sont plus complexes pour un gain de ressenti mineur, ces interfaces ont l’intérêt d’avoir une structure mécanique plus simple, ce qui permet d’en diminuer les frottements.
Parmi les premières interfaces de ce type, on trouve l’interface Rutgers Master II qui permet un retour d’effort sur les phalanges distales de quatre doigts [Bouzit et al. 2002]. L’actionnement se base sur des vérins pneumatiques placés au creux de la main, ce qui permet une cinématique et un montage simples, mais a l’inconvénient de réduire grandement l’espace de travail des doigts (la fermeture de la main est limitée à 55%). Cette interface peut générer une force allant jusqu’à 16N avec une raideur de 8N/mm. Sa cinématique simple et le faible nombre de pièces mécaniques permettent d’avoir un faible poids de 80 g, actionneurs inclus mais sans tenir compte des compresseurs qui sont déportés.
Une autre interface à retour d’effort au bout des doigts est le gant WHIPFI [Gosselin et al. 2005]. C’est une interface à deux doigts (pouce – index) conçue pour des manipulations fines. Il est composé de deux robots indépendants à six degrés de liberté dont trois motorisés. Chacun de ces robots est fixé à la phalange distale d’un doigt. Il permet un retour d’effort de 0.8N en continu et 4.7N en crête dans toutes les directions. Seuls les systèmes d’attache limitent l’espace de travail des doigts. Sa raideur apparente est de 0.9N/mm et sa masse est d’environ 1kg.
LES INTERFACES À CONTACTS INTERMITTENTS
PRINCIPE DE FONCTIONNEMENT
La plupart des interfaces haptiques existantes viennent se fixer sur le bras, la main ou les doigts de l’utilisateur qui ressent donc un contact résiduel même si aucun objet virtuel n’est en contact avec son avatar. Ce contact peut altérer les sensations de l’utilisateur et diminuer sa sensibilité. Il sera moins à même de distinguer s’il a touché un élément de l’environnement virtuel ou non puisqu’il touche en permanence un élément réel. Par ailleurs, si l’interface est attachée en permanence à l’utilisateur, il faut qu’elle soit très transparente, ce qui impose des contraintes de conception supplémentaires.
C’est pour contourner ces contraintes que les interfaces à contacts intermittents ont été développées. Le principe de base est de déconnecter l’utilisateur de l’interface quand son avatar se trouve en espace libre dans l’environnement virtuel, et de ne venir à son contact que quand ce dernier touche un objet virtuel. Ainsi, on peut appliquer un retour d’effort au contact de l’environnement tout en garantissant l’absence totale de contrainte extérieure (c’est-à-dire une transparence parfaite) s’il n’y a aucun contact avec les objets de l’environnement virtuel.
Comme l’illustre la figure suivante, il existe deux types de dispositifs à contacts intermittents :
– Les interfaces ‘encountered-type’, comme par exemple celle proposée par [Tachi et al. 1994], restent en permanence sur une surface représentative de celle de l’environnement virtuel (a). Elles se déplacent sur cette surface pour rester en son point le plus proche de l’utilisateur, en particulier lorsque le doigt s’en approche (b). Ainsi, lorsque son avatar atteint la surface virtuelle, l’utilisateur entre en contact avec le robot (c). On notera que pour que le contact soit réaliste, il faut que l’effecteur du robot ait une forme qui ressemble à celle des objets de l’environnement virtuel. Pour permettre différents types d’interactions, l’effecteur proposé par [Tachi et al. 1994] comporte différentes formes élémentaires comme des arrêtes ou des coins. [Hirota et Hirose 1995] ou [Bordegoni et al. 2010] vont plus loin en proposant une surface reconfigurable en fonction de la forme des objets virtuels. La variabilité des objets simulables est cependant limitée et on ne peut pas envisager des interactions génériques. Par ailleurs lorsque l’on simule des objets concaves, par exemple pour des tâches de type ‘peg-in-hole’, le robot peut être amené à faire de grands mouvements si l’utilisateur passe d’un côté à l’autre du trou, ce qui peut poser des problèmes de sécurité. Enfin si l’on a une interaction à plusieurs doigts, les différents robots peuvent entrer en collision entre eux. Dans ces conditions, ce genre de systèmes paraît difficilement adaptable à une interface dextre et ne peut pas être intégré à un gant à retour d’effort.
– Les interfaces ‘encounter-type’, introduites par [Yoshikawa et Nagura 1997] et [Yoshikawa et Nagura 1999], suivent au contraire en permanence le doigt de l’utilisateur sans rester sur la surface de l’objet virtuel (d). Ce suivi est effectué à distance. Pour cela, on utilise en général un effecteur creux muni de capteurs permettant de mesurer la position du doigt par rapport à celui-ci. Lorsque son avatar s’approche de l’environnement virtuel, l’effecteur s’arrête à sa surface (e). Si l’utilisateur continue à s’en approcher, il finit par entrer en contact avec le robot (f). Avec ce principe, la dynamique du robot est limitée à celle des doigts, qui se déplacent à vitesse relativement faible dans la plupart des tâches simulées en environnement virtuel. Par ailleurs, pour une interface multi digitale, les différents robots, tout comme les doigts, restent proches les uns des autres sans risque de collision (sauf si les doigts se croisent). Cette solution paraît donc plus adaptée et sera favorisée ici.
ÉTAT DE L’ART DES INTERFACES À CONTACTS INTERMITTENTS
Au vu de l’analyse précédente, nous ne parlerons ici que des interfaces à contacts intermittents de type ‘encounter-type’. Ces interfaces possèdent des avantages triviaux par rapport aux interfaces haptiques classiques. Le toucher est plus naturel puisqu’il sollicite les capteurs tactiles de la même manière que lors d’une interaction réelle. Il n’est donc pas étonnant de trouver de nombreux dispositifs utilisant ce principe.
Un premier exemple d’interface à contacts intermittents est le Touch Thimble [Kuchenbecker et al. 2008]. Cette interface fixe ne permet un retour d’effort que sur un seul doigt, ce qui limite son utilisation à des tâches d’exploration et exclut les tâches de manipulation. Elle relie un bras PHANToM [Massie et Salisbury 1994] au doigt à l’aide d’une capsule composée d’un anneau fixé sur le doigt et de ressorts. La raideur de ces derniers suffit pour que le doigt entraine le dispositif, mais elle reste faible par rapport à la raideur de l’environnement simulé. Lors d’un contact, l’utilisateur vient les déformer pour toucher le reste de la capsule. Si le rendu est amélioré par rapport à un bras PHANToM classique, l’utilisation d’un anneau intermédiaire ne permet pas une transparence totale en espace libre.
L’université de Pise a conçu plusieurs prototypes utilisant des solutions similaires, comme par exemple l’interface PERCRO PRESENCCIA [Solazzi et al. 2007] qui est composée d’un bras parallèle à trois degrés de liberté, relié à la phalange médiane, et d’un dispositif permettant de déplacer et d’orienter une plaque en face de la phalange distale pour simuler la présence d’un objet virtuel. Il est ainsi possible de simuler des surfaces ayant un grand rayon de courbure. Les auteurs ont amélioré ce principe en proposant une interface à deux doigts, toujours à base fixe, PERCRO PRESENCCIA 2 [Solazzi et al. 2010]. Le principe reste le même. Les bras robotiques sont fixés sur les phalanges médianes et un dispositif vient stimuler les phalanges distales. Elle peut restituer un effort de 1.97N en continu et 6.7N en crête. Si ces interfaces permettent un retour d’effort à contacts intermittents sur le bout du ou des doigts, elles souffrent du même défaut que le Touch Thimble, à savoir qu’elles utilisent un anneau fixé sur une autre partie du doigt pour assurer le suivi des mouvements de la main. Dans ces conditions leur transparence est limitée en espace libre. D’autres interfaces haptiques de ce type ont été développées sous la forme de gant à retour d’effort à contacts intermittents comme l’interface de l’Université de Tokyo [Nakagawara et al. 2005] [Sato et al. 2007] et l’interface du DLR/HIT [Fang et al. 2009]. Ces dispositifs plus complexes se basent sur les flexions couplées des doigts pour diminuer le nombre de moteurs nécessaires au retour d’effort. L’interface de l’Université de Tokyo est une interface portée sur le dos de la main, à cinq doigts. Chaque système pour un doigt est constitué de trois modules déplacés les uns par rapport aux autres au moyen de crémaillères.
Un seul degré de liberté par doigt est actionné. Chaque système suit à distance les mouvements du doigt auquel il est associé, en captant les déplacements relatifs du robot par rapport au doigt à l’aide d’une plaque réfléchissante plaquée sur l’ongle au moyen d’un ressort de faible raideur. L’interface du DLR/HIT fonctionne sur un principe similaire. Elle est constituée de trois modules liés les uns aux autres par un mécanisme parallèle. Un seul moteur permet de gérer le déplacement du système pour chaque doigt et de restituer un effort à l’utilisateur. Les mouvements des phalanges distales sont déduits des déplacements d’une plaque métallique reposant sur l’ongle. Il est capable de restituer un effort allant jusqu’à 8N. Dans les deux cas, la présence d’un contact résiduel avec l’ongle pour mesurer la position du doigt par rapport au robot ne permet pas une transparence parfaite.
Au contraire, l’interface du CEA et de l’ISIR [Gonzalez et al. 2015] reprend les principes proposés par [Yoshikawa et Nagura 1997] tout en améliorant la précision des mesures et la fréquence d’acquisition. Elle utilise un effecteur creux équipé de capteurs de distance infrarouges pour traquer l’extrémité d’un doigt dans un plan sans aucun contact avec ce dernier en espace libre. Elle permet aussi d’appliquer un retour d’effort, mais seulement quand cela est nécessaire. Son principal avantage par rapport aux autres interfaces présentées dans ce paragraphe est qu’il n’y a aucun contact, même résiduel, entre l’interface et l’utilisateur en espace libre. Sa principale limitation provient du fait qu’elle ne permet de traquer qu’un doigt, ce qui limite comme pour le Touch Thimble son utilisation à des tâches d’exploration et exclut les tâches de manipulation. Par ailleurs ce robot ne peut se déplacer que dans un plan.
Déformation locale de la pulpe du doigt
Il existe également des systèmes portables qui viennent déformer localement la pulpe du doigt pour simuler une arête, comme par exemple le dispositif de l’Université de Standford [Provancher et al. 2005] ou le LinkTouch de l’Université de Technologie de Toyohashi [Tsetserukou et al. 2014]. Pour limiter la complexité de ces interfaces, l’arête simulée ne peut se déplacer que suivant un seul axe. Cela évite l’intégration d’un étage d’actionnement supplémentaire servant à orienter le mécanisme. Même ainsi, ces systèmes sont souvent encombrants et nécessitent l’implantation de 2 à 3 DDLs motorisés supplémentaires par doigt. Comme précédemment, il parait difficile de les intégrer sur un gant à retour d’effort.
Déformations réparties de la pulpe du doigt
D’autres interfaces se basent sur une matrice tactile comme la souris augmentée Mouse KAT [Kyung et al. 2006], le dispositif VITAL [Benali-Khoudja et al. 2007] ou le module tactile de l’IIT [Sarakoglou et al. 2012]. Ces dispositifs utilisent tous une matrice de taxels (ou pixels tactiles) ayant un mouvement vertical permettant de produire différents motifs sur le doigt. Pour la conception de ce type d’interfaces, il est important de connaître la sensibilité du doigt humain afin d’en déduire la densité nécessaire d’actionneurs. L’étude [Garcia-Hernandez et al. 2011] permet de guider la création d’un dispositif se basant sur ce principe.
Du fait qu’il soit nécessaire d’avoir un actionneur par taxel, l’encombrement des interfaces proposant une matrice de déformation de la pulpe est conséquent. De ce fait, il est difficile d’intégrer ce genre de technologie à un gant à retour d’effort. De plus même si les utilisateurs sont capables de distinguer et d’interpréter les informations transmises par ces interfaces, les stimuli ne sont pas naturels.
UTILISATION D’ILLUSIONS HAPTIQUES
Une autre solution pour donner l’impression à l’utilisateur qu’on vient déformer la pulpe du doigt est d’utiliser une illusion haptique. L’une des illusions les plus connues est celle du Fishbone [Nakatani et al. 2006]. Elle utilise une pièce en plastique ayant la forme d’une arête de poisson. En suivant avec l’extrémité du doigt l’arête principale, on a l’impression que celle-ci est plus basse que les arêtes latérales alors qu’elles sont toutes à la même hauteur. L’illusion peut aussi être obtenue avec plusieurs surfaces vibrantes [Nakatani et al. 2008]. En stimulant les côtés du doigt, on perçoit une arête creuse, alors qu’en stimulant le centre, on a l’illusion de parcourir une arête saillante. Dans tous les cas Le but est d’utiliser des stimuli différents, souvent plus simples, mais qui sont interprétés comme les arêtes d’un objet par le cerveau.
Un récapitulatif des différentes illusions haptiques est fait par [Hayward 2008]. Cette approche a l’avantage d’être plus simple à réaliser techniquement que si l’on devait déformer réellement la pulpe du doigt. Elle nécessite cependant de trouver des illusions adaptées à chacun des phénomènes que l’on souhaite simuler. Il conviendrait par ailleurs de vérifier que ces illusions, souvent testées en laboratoire lors de tâches dédiées relativement simples, marchent toujours quand on réalise des tâches réelles plus complexes pendant lesquelles on ne se concentre pas spécialement sur ces illusions.
CONCLUSION SUR LA DÉFORMATION LOCALE DE LA PULPE
Nous avons pu voir dans un premier temps que l’on peut réellement déformer la pulpe des doigts. Cela requiert cependant l’ajout de nombreux degrés de liberté à notre système pour simuler par exemple de façon réaliste une surface ou une arête virtuelle. Cela aurait pour inconvénient d’augmenter grandement la complexité, l’encombrement et le poids de notre interface.
Dans un second temps, nous avons abordé les illusions haptiques qui permettent par exemple de simuler une arête dont l’orientation est fixe avec un seul degré de liberté supplémentaire. Par conséquent leur utilisation impacterait moins les critères cités précédemment. Cependant, ces illusions sont uniquement possibles lors de l’exploration d’un objet virtuel. En effet si le doigt est immobile sur l’arête, l’utilisateur trouvera étrange le fait que cette dernière vibre.
UN EFFECTEUR CONCAVE INSTRUMENTÉ
Il existe dans la littérature plusieurs dispositifs répondant partiellement à notre besoin :
– [Yoshikawa et Nagura 1997] ont proposé l’utilisation d’un effecteur circulaire creux intégrant sur son pourtour des capteurs optiques tout-ou-rien permettant de détecter la présence du doigt à leur regard. Cette solution très simple, qui évite tout marqueur ou système se fixant sur le doigt de l’utilisateur, permet, une fois montée à l’extrémité d’un robot à deux degrés de liberté, de mesurer et de suivre la position d’un doigt en 2D dans un plan. Elle a été étendue au cas 3D dans [Yoshikawa et Nagura 1999]. La capsule intègre pour cela un nombre plus élevé de capteurs disposés dans plusieurs plans le long de l’axe de la phalange distale du doigt, et elle est reliée à deux robots intégrant chacun 3 moteurs. Dans les deux cas cependant, la mesure est relativement peu précise. Par ailleurs, la capsule est relativement encombrante, ce qui rend son intégration sur une interface dextre difficile.
– La capsule proposée dans [Gonzalez et al. 2015] utilise pour obtenir une mesure plus précise des proximètres infrarouges placés tout autour du doigt. Cette interface est cependant limitée à des mouvements 2D, les proximètres étant intégrés dans un anneau circulaire. La mesure de la distance entre la peau de la phalange et l’effecteur permet, après calibration, de reconstruire précisément le contour de la section du doigt traversant l’anneau. On en déduit ensuite la position du doigt en 2D. Le diamètre intérieur a été dimensionné en prenant en compte les erreurs de suivi d’un doigt par une interface haptique PHANTOM Premium 1.5 [Massie et Salisbury 1994] utilisée comme référence. En tenant compte de la dynamique de cette interface et des vitesses et accélérations maximales de l’index par rapport à la paume, le diamètre intérieur de l’effecteur a été fixé à 24mm. Ces dimensions permettent au robot de suivre le doigt sans rentrer en contact avec lui.
En pratique, les auteurs ont intégré autant de capteurs que possible pour reconstruire précisément le contour du doigt, soit 16 compte tenu de la taille des capteurs. Les études menées avec cette interface ont cependant montré que la connaissance précise du profil du doigt permise par ces 16 capteurs n’est pas nécessaire pour suivre ses mouvements. Pour suivre le doigt en 2D, il n’y a aucun avantage à utiliser un modèle précis du doigt (par exemple elliptique). Le contour du doigt peut être simplement modélisé par un cylindre. Quatre capteurs, placés avantageusement à 90° les uns des autres, suffisent alors à estimer le centre et le rayon de la section du doigt [Gonzalez 2015]. Les auteurs basent leurs algorithmes sur les équations de [Chernov et Lesort 2005] et [Fitzgibbon et al. 1999] pour calculer le rayon et les coordonnées ( , ) du centre à partir des coordonnées ( , ) (i=1..4) des quatre points mesurés. Avec cette méthode, une erreur en position de 0.3±0.2mm et une erreur sur le rayon de 0.2±1 mm sont obtenues. Cela se montre suffisant en pratique pour une commande précise de l’interface.
La plupart des autres interfaces, comme par exemple celles de [Nakagawara et al. 2005] et [Fang et al. 2009], utilisent des systèmes qui introduisent un contact résiduel avec les doigts, ce qui réduit la transparence en espace libre.
Dans ces conditions, nous avons décidé de retenir comme dans [Gonzalez et al. 2015] l’utilisation d’un effecteur creux intégrant des capteurs de distance. Cette solution est étendue ici dans le cas général des interactions dextres nécessitant une mesure en 6D.
NOMBRE ET PLACEMENT DES CAPTEURS
Notre but est de mesurer la position et l’orientation de la phalange distale en 6D. Cette phalange est souvent modélisée par un cylindre avec une demi-sphère à son extrémité ou un cylindre elliptique avec un demi-ellipsoïde. En pratique, comme nous l’avons souligné ci-dessus, un modèle cylindrique, plus simple que le modèle elliptique, suffit pour assurer le bon fonctionnement d’une interface à contacts intermittents. Nous choisirons donc le modèle le plus simple pour limiter la complexité et le nombre de capteurs à intégrer. Ainsi nous pourrons avoir un effecteur plus compact, ce qui est très important pour deux raisons :
– Il est important de minimiser l’épaisseur sous le doigt afin d’éviter la collision entre les deux systèmes lors de la saisie et la manipulation de petits objets.
– Il est utile de minimiser la largeur des capsules dans l’optique de la conception future d’une interface à 3 ou 4 doigts.
Avec un modèle cylindrique, nous avons six paramètres à identifier : le rayon du cylindre et de la demi-sphère d’extrémité, les trois positions de l’une de ses extrémités, le tangage et le lacet (le cylindre étant une forme de révolution, il possède un axe de symétrie et reste invariant en roulis). On notera aussi qu’une telle mesure suivant 5 degrés de liberté est suffisante en pratique pour caractériser complètement la configuration des phalanges distales des doigts. En effet, la phalange distale de l’index ne tourne que marginalement autour de son axe lorsque l’on ferme la main. Pour le pouce, cette rotation nécessaire au mouvement d’opposition est couplée avec les autres mouvements du doigt. Dans ces conditions, on peut déduire la rotation autour de l’axe de la phalange distale des mesures précédentes. On obtient ainsi la configuration 6D des phalanges distales du pouce et de l’index.
Avec cette modélisation, la section du doigt est un cercle si l’axe de l’effecteur et celui du doigt sont parallèles. Comme précisé précédemment, la position de son centre dans un plan perpendiculaire à l’axe de la phalange peut facilement être obtenue à l’aide de quatre capteurs placés autour du doigt. En utilisant deux fois cette configuration, il est possible de mesurer les positions de deux points de l’axe du doigt et ainsi obtenir sa position et son orientation par rapport à l’axe de l’effecteur. Un autre capteur est nécessaire pour connaître la position du centre de la demi-sphère sur l’axe du cylindre (voir Figure 3.5). Par conséquent neuf capteurs sont suffisants pour connaître la configuration complète du doigt.
On notera que les capteurs sont avantageusement placés à 45° par rapport au plan sagittal de la phalange, ce qui permet de minimiser l’encombrement sous et sur le côté du doigt.
Carte d’acquisition et de traitement des données capteurs
Les capsules du pouce et de l’index comportent un nombre important de capteurs de proximité (9 par doigt soit 18 en tout). Ces capteurs communiquent via un bus série I2C. En théorie, on peut les relier ensemble à l’aide d’un seul bus de données. Dans la pratique cependant, leur adresse est fixée en usine et ne peut pas être changée. Dans ces conditions, si on les relit tous au même bus, on ne peut pas envoyer de trames à un capteur précis et on ne sait pas de quel capteur proviennent les données. Pour résoudre ce problème, il serait possible de les mettre en série avec un interrupteur pour les interroger les uns après les autres. Cela augmenterait toutefois sensiblement le temps nécessaire à l’interrogation des 18 capteurs et il ne serait pas possible de tourner à une fréquence de 1 kHz, ce qui est nécessaire pour assurer la stabilité du dispositif dans les conditions habituelles de simulation.
Pour contourner ce problème, nous utilisons un PCB développé sur mesure par le CEA LIST. Cette carte, illustrée par la figure 3.9, est équipée de 18 ports I2C, 9 pour chaque doigt (dans l’optique de pouvoir faire évoluer ultérieurement le prototype en intégrant une pièce suivant la paume à distance à l’aide d’autres proximètres, 6 liaisons I2C supplémentaires ont été prévues), d’un module FPGA permettant de créer différents bus I2C afin de pouvoir acquérir l’ensemble des données en parallèle et d’un microcontrôleur chargé du traitement des données obtenues et de leur transmission à un module EtherCAT qui transfère ces dernières à un PC maître chargé de calculer les positions et les orientations des doigts.
Parmi les différents réseaux fonctionnant en temps réel, nous avons choisi d’utiliser un bus EtherCAT (un bus de terrain dérivé de l’Ethernet) car sa vitesse de transfert maximale de 200Mbits/s est nettement plus élevée que celle d’un bus CANopen (un bus dérivé du bus CAN souvent utilisé dans l’industrie) qui est limitée à 1Mbits/s. Le bus EtherCAT est particulièrement adapté à une utilisation temps réel. Il est favorisé pour des systèmes nécessitant un court temps de rafraîchissement. Le délai de transmission étant pour nous aussi important que l’exactitude des données, l’interface haptique échangeant de nombreuses informations avec le contrôleur, que ce soit pour calculer la position des doigts ou pour gérer la commande des moteurs, cet avantage est décisif.
Architecture électronique globale
La mesure de la position de chacun des doigts par rapport à la capsule correspondante nécessite l’utilisation des 5 cartes intégrant les proximètres (appelées cartes filles) et de la carte d’acquisition et de traitement illustrée par la figure 3.9 (appelée capteur mère). Le bus I2C en sortie des proximètres infrarouges est utilisé pour la communication entre ces cartes. Ce réseau, illustré par la figure 3.10, permet d’envoyer une requête à un capteur spécifique grâce à son adresse unique. Notre système comporte donc :
– Des cartes capteurs filles avec le minimum d’électronique et une liaison I2C.
– Une carte capteur mère avec 24 liaisons I2C, la puissance de calcul nécessaire pour mettre en forme ces données et une liaison EtherCAT pour transmettre l’ensemble de ces informations au réseau de communication.
Stratégie de mesure
Un problème courant sur les dispositifs tels que celui que nous avons conçu est le parasitage des capteurs entre eux. En effet, si deux capteurs proches lancent une acquisition simultanée, ils vont s’entre-perturber. Pour éviter ce phénomène, il est nécessaire de procéder en plusieurs vagues d’acquisition, le nombre de vagues devant toutefois rester le plus faible possible puisque l’on cherche à avoir la fréquence d’échantillonnage la plus élevée possible (typiquement 1kHz comme sur les interfaces haptiques classiques).
Comme le montre la figure 3.11, nous avons choisi ici de séparer l’acquisition des capteurs des deux anneaux, puisque ces derniers se situent seulement à 7mm les uns des autres. La mesure du capteur situé au fond de la capsule est effectuée en même temps que la vague d’acquisition de l’anneau de capteurs le plus éloigné de celui-ci. Cette stratégie est intégrée à la carte capteur mère, son rôle étant de gérer les différentes acquisitions.
Des mesures effectuées à l’aide d’une carte Arduino ont permis de montrer que la demande d’une mesure prend 88µs, que le temps d’acquisition est de 250µs et que la lecture de la valeur prend 112µs si on se contente de lire les 8 bits de poids fort et 224µs si on lit l’ensemble des 16 bits de données. Comme le montre la figure 3.12, cela permet théoriquement de faire les acquisitions de chaque vague en 500µs si on se contente de lire les 8 bits de poids fort de chaque capteur. Les acquisitions des deux vagues ne pouvant pas être simultanées, on procède à la lecture des données et à la demande d’une mesure de la première vague pendant le temps d’acquisition de la seconde, et réciproquement.
Avec ce principe, la fréquence de fonctionnement théorique est de 2kHz en mode 8 bits et de 1.6kHz en mode 16 bits. Il faut noter que ces tests ont été faits avec une carte Arduino dont la fréquence I2C est de 0.8GHz alors que la fréquence maximale des capteurs est de 3.4GHz. On peut donc espérer de meilleurs résultats lors de la communication de la carte capteur mère. Dans la pratique, pour éviter des sauts de cycle si une des actions prend plus de temps (l’acquisition du capteur photosensible est par exemple dépendante du temps), nous utiliserons le mode 16 bits à 1kHz, qui est la fréquence de fonctionnement souhaitée. Cette solution est en outre plus robuste (si on interroge le capteur avant la fin de la mesure, le résultat est erroné alors que si on augmente la durée de l’acquisition on est sûr d’avoir un résultat cohérent). Le détail du mode 16 bits à 1kHz est présenté sur la figure 3.13.
ÉVALUATION EXPÉRIMENTALE DES PERFORMANCES
PRÉ-ÉTALONNAGE DES CAPTEURS
Dans la pratique, il existe de légers écarts entre les réponses des différents capteurs VCNL4010 à cause des différences de fabrication et d’intégration (la structure mécanique est faite à l’aide d’une technologie d’impression rapide, ce qui diminue les coûts mais aussi la précision par rapport à une méthode d’usinage traditionnelle). Pour limiter l’influence de ces variations, tous les capteurs sont étalonnés.
Le doigt ayant une géométrie différente et une réflectance variable d’une personne à l’autre, on peut difficilement l’employer pour un étalonnage précis. Par conséquent, nous utiliserons ici un marqueur de capture de mouvement (MoCap) comme proposé dans [Gonzalez et al. 2015]. Ce marqueur possède une forme connue et une réflectance proche de celle du doigt.
Notre banc de test est un assemblage d’instruments de métrologie permettant de placer la sphère de MoCap en face de chaque capteur et de la déplacer dans une plage de distance de 1mm à 10mm (cf. figure 3.14). Ainsi leur réponse peut être enregistrée comme une fonction de la distance entre celui-ci et la cible. Les résultats obtenus pour un des capteurs sont représentés sur la Figure 3.15 (cercles bleus).
La sortie capteur suit un modèle d’illumination de Phong ( ) = / avec la distance entre le capteur et la cible, L’absorption d’énergie de la photodiode et une constante représentant les propriétés réflectives de la cible [Novotny et Ferrier 1999] [Akenine et al. 2008]. Comme proposé dans [Gonzalez et al. 2015], nous ajoutons à ce modèle deux décalages, sur et sur . ( ) = + /( + ) (3.9) La courbe verte illustrée par la figure 3.15 montre la réponse du modèle après une optimisation des paramètres , et par la méthode des moindres carrés totaux non linéaires [Markovsky et Van Huffel 2007].
Cette figure montre que les variations du signal sont non monotones entre 1 et 1.5mm. Cela correspond à une distance inférieure à 0.5mm entre le doigt et l’effecteur. Ce cas se produit seulement pendant la phase de transition entre espace libre et contact (voir paragraphe 2.1). On notera que pendant cette phase de fonctionnement, le suivi du doigt n’est plus actif. De ce fait, des erreurs importantes dans cette configuration sont moins gênantes et nous avons décidé de focaliser l’optimisation sur les valeurs allant de 1.5mm à 10mm. Dans cet intervalle, les informations reçues nous sont plus utiles et la réponse du capteur est monotone. De cette façon, l’erreur maximale entre les mesures obtenues et le modèle peut être minimisée. Elle est de 0.88mm à 1mm du capteur (au contact de l’effecteur), de 0.27 mm à 1.5 mm et elle reste inférieure à 0.04mm entre 2mm et 10mm. Le même étalonnage est réalisé pour l’ensemble des proximètres, avec des résultats similaires.
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Table des matières
CHAPITRE 1. Introduction générale
CHAPITRE 2. Étude de la main et du toucher en vue de la spécification d’une interface dextre à retour d’effort augmenté
1. Introduction
2. Taxonomie du toucher
2.1. Liste des sollicitations cutanées associées au toucher
2.2. Simulation des différentes sollicitations cutanées
2.3. identification des modalités d’intérêt
3. Les interfaces dextres à retour d’effort
3.1. Introduction
3.2. Étude des interactions dextres
3.3. État de l’art des interfaces dextres à retour d’effort
3.4. Conclusion sur le retour d’effort
4. Les interfaces à contacts intermittents
4.1. Principe de fonctionnement
4.2. État de l’art des interfaces à contacts intermittents
4.3. Conclusion sur le contact intermittent
5. Retour d’effort augmenté : la déformation de la pulpe
5.1. Introduction
5.2. Déformations réelles de la pulpe du doigt
5.3. Utilisation d’illusions haptiques
5.4. Conclusion sur la déformation locale de la pulpe
6. Conclusion
CHAPITRE 3. Étude et conception d’un effecteur permettant le suivi d’un doigt à distance
1. Introduction
2. Problématique
2.1. Rôle de la capsule
2.2. Approche retenue pour la mesure de la configuration des doigts
2.3. Architecture de l’interface
2.4. Types de mouvements mesurés
3. Solution technique retenue
3.1. Un effecteur concave instrumenté
3.2. Nombre et placement des capteurs
3.3. Calcul de la configuration du doigt dans la capsule
3.4. Dimensions des capsules
3.5. Choix des proximètres
3.6. Intégration sur la capsule
3.7. Électronique de mesure
4. Évaluation expérimentale des performances
4.1. Pré-étalonnage des capteurs
4.2. Performances de l’effecteur associé à l’index
4.3. Performances de l’effecteur associé au pouce
5. Optimisation du calcul de la configuration du doigt
5.1. Problématique
5.2. Nouvel algorithme
5.3. Comparaison des résultats
6. Conclusion
CHAPITRE 4. Développement d’une interface dextre à contacts intermittents
1. Introduction
2. Étage de positionnement des effecteurs
2.1. Cahier des charges
2.2. Architecture cinématique
2.3. Dimensionnement géométrique
2.4. Dimensionnement et choix des actionneurs
2.5. Caractérisation des performances en raideur
2.6. Comparaison entre le cahier des charges et le dimensionnement du robot
3. Étage d’orientation des effecteurs
3.1. Architecture cinématique
3.2. Motorisation
4. Base du gant
5. Équilibreur statique
5.1. Problématique
5.2. Compensation du poids de l’interface
5.3. Dimensionnement du système
5.4. Reconstruction de la position de la main
6. Architecture électronique
6.1. Cahier des charges du contrôleur
6.2. Transfert des signaux des codeurs de l’équilibreur au bus de données EtherCAT
6.3. Choix du variateur
6.4. Conception de capteurs de contact
6.5. Intégration de la baie
6.6. Temps de cycle et retard
7. Conclusion
CHAPITRE 5. Commande et Évaluations expérimentales
1. Introduction
2. Problématique et approche proposée
2.1. Commande d’une interface à contacts intermittents
2.2. Spécificités de notre interface
3. Lois de commande utilisées pendant les différentes phases de fonctionnement
3.1. Commande bas niveau
3.2. Phase de suivi en espace libre
3.3. Phase de contact
3.4. Phase de stabilisation
3.5. Transitions entre deux phases
3.6. Commande globale
4. Évaluations expérimentales
4.1. Cas d’usage envisagé pour les évaluations
4.2. Comportement attendu
4.3. Suivi en orientation
4.4. Suivi en position
4.5. Retour d’effort
4.6. Proposition d’amélioration de la loi de commande : avance de l’effecteur sur le doigt
5. Conclusion
CHAPITRE 6. Conclusion générale
Perspectives à court terme
Perspectives à long terme
Bibliographie de l’auteur
1. Articles en rapport avec la thèse
2. Autres articles et brevets de l’auteur
Bibliographie
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