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Hydrogéomorphologie
La géologie de la Manche
La Manche s’est comportée du Permien au Jurassique comme un demi-graben installé sur un rift continental. Les failles de ce graben ont ensuite rejoué au Tertiaire, suite aux mouvements exercés sur la plaque européenne (Boillot & Musellec, 1975). Au cours de cette période et contrairement à la partie occidentale, la partie orientale de la Manche est restée relativement stable, protégée par la ligne Bembridge-Saint-Valéry-en-Caux, qui correspond au prolongement du monoclinal de l’île de Wight, c’est-à-dire d’une structure dont les couches géologiques parallèles sont toutes inclinées dans le même sens (Smith & Curry, 1975). Au Crétacé inférieur, le passage entre la Manche et la mer du Nord était fermé par une formation géologique crayeuse appelée l’anticlinal du Weald-Artois. Des périodes transgressives et régressives ont façonné le substratum de la Manche.
Durant les périodes régressives, la Manche orientale correspondait à une immense plaine profonde de 30 m couvrant les 2/3 de sa superficie actuelle (Lapierre, 1975 ; Auffret et al., 1980). Cette plaine était traversée par un chenal principal, la vallée du ‘Fleuve Manche’ (convergence des fleuves Rhin, Meuse, Tamise, Escaut, Somme, Rother, Solent et Seine) et par une série de chenaux annexes (Bourillet et al., 2003 ; Lericolais et al., 2003). De récents travaux (Gibbard, 2007 ; Gupta et al., 2007) vont dans le sens de l’hypothèse de Smith (1985), qui stipulait que le creusement des paléovallées pourrait résulter en partie d’une immense inondation. En effet, un immense lac, situé dans le sud de la mer du Nord retenu par l’anticlinal du Weald-Artois, aurait provoqué (à une ou plusieurs reprises) une fêlure dans cette barrière et une inondation dans la plaine (Guilcher, 1951). L’intensité des flots ainsi déversés expliquerait les creusements non imputables à l’érosion aérienne et fluviale que les géologues observent au niveau des paléovallées. Ces paléo vallées furent comblées au fur et à mesure par des dépôts alluvionnaires (Lapierre, 1975 ; Auffret et al., 1980 ; Hamblin et al., 1992), dont l’épaisseur est comprise entre 200 et 380 m (Dingwall, 1975 ; Lafite, 2000).
Au cours des périodes transgressives, des dépôts marins ont été mis en place (Dingwall, 1975 ; Hamblin et al., 1992). Les dunes de sable observables en Manche orientale se sont mises en place récemment, durant l’Holocène (Lapierre, 1975). Lorsque le niveau des eaux est passé au-dessus du plateau, la Manche a occupé quasiment toute la surface actuelle. Compte-tenu de l’amplitude de marée actuelle en Manche et du fait que le niveau des eaux était en-dessous de – 35 m en 9 000 ans B.P., il a dû exister une période critique où (deux fois par jour) il y avait une marée basse avec une zone immergée réduite à la vallée du Lobourg (au milieu du détroit du Pas-de-Calais) et une marée haute où l’ensemble du plateau était immergé (Lapierre, 1975). Les courants de marée alors considérables ont façonné et équilibré les bancs de sable à structure progradée, comme le Vergoyer et la Bassure de Baas en Manche orientale. Les bancs de sables littoraux à structure stratifiée, comme le Battur ou la Bassurelle de Somme, moins profonds (- 25 m) ont été stabilisés sous des conditions hydrodynamiques amorties, c’est-à-dire lorsqu’il n’y avait plus de différences entre la circulation des eaux à marée haute et à marée basse (Lapierre, 1975).
Hydrologie/Hydrodynamisme
Des amplitudes de marées importantes (marnage supérieur à 12 m durant les marées d’équinoxe de printemps en baie du Mont-Saint-Michel) (Levoy et al., 1997, 2013 ; Montreuil et al., 2014) font de la Manche, une mer mégatidale. Les courants instantanés de marée qui sont dominants génèrent avec le vent les courants résiduels en Manche (Salomon & Breton, 1991 ; Reynaud et al., 2003). Les courants de marées sont la résultante de l’onde de marée originaire de l’océan Atlantique.
Dans le bassin oriental de la Manche, ces courants instantanés de marée sont alternatifs et parallèles à la côte, le flot étant orienté vers le nord-est et le jusant vers le sud-ouest. Le rétrécissement du détroit du Pas-de-Calais renforce ces courants (3,7 nœuds en vive-eau moyenne, soit 89 milles par jour) (Figure 2). De ces courants de marée, résulte également une circulation résiduelle orienté vers le nord-est de 3 à 5 milles par jour (Pingree & Maddock, 1977 ; Garreau, 1997), soit entre 27 000 et 50 000 m3.s-1. La circulation instantanée générant des tourbillons à l’est des caps, comme par exemple à l’est de la pointe du Cotentin au niveau du tourbillon de Barfleur (Salomon & Breton, 1991) (Figure 2).
Cet hydrodynamisme complexe structure la dynamique et la couverture sédimentaire en Manche (Dangeard, 1928 ; Larsonneur, 1971). Il structure aussi la diffusion des polluants et la répartition des espèces par dispersion larvaire (Lagadeuc & Brylinski, 1987 ; Salomon et al., 1989 ; Belgrano et al., 1990 ; Salomon, 1990 ; Belgrano & Dewarumez, 1995 ; Belgrano et al., 1995). La combinaison du flot et du jusant deux fois par jour provoque un transfert des masses d’eau de l’ouest vers l’est appelé « fleuve Manche » constitué des eaux atlantiques et de zones de tourbillons latéraux (Figure 2).
Au niveau du futur parc éolien de Dieppe – Le Tréport en Manche orientale, les courants de marée sont faibles de 0,5 à 1 m.s-1(Figure 2).
Profondeur et zonation thermique
En Manche orientale, contrairement à la Manche occidentale, les conditions hydrodynamiques et la bathymétrie occasionnent un mélange des masses d’eau sur toute la colonne d’eau (Agoumi et al., 1983). Mais la circulation résiduelle présente en Manche engendre des inégalités entre les masses d’eaux côtière et au large (Salomon & Breton, 1991). Le centre de la Manche orientale est caractérisée par une masse d’eau originaire de l’Atlantique, plus chaude en hiver (grâce à la NAO) mais plus froide en été subissant de faibles écarts thermiques en comparaison des eaux plus côtières qui subissent l’effet des apports d’eau froide en hiver et d’eau chaude en été par les grands fleuves.
La Manche occidentale est plus profonde que la Manche orientale, notamment en raison de la géologie de cette dernière (Figure 3). On observe également un gradient côte – large avec des profondeurs plus importantes au large (Figure 3).
La salinité au large en Manche est de 35 à 35,5.
La zone du futur parc éolien de Dieppe – Le Tréport se situe dans une zone de profondeur comprise entre 15 et 30 m avec un important brassage de la colonne d’eau ne permettant pas l’installation d’une thermocline.
Couverture sédimentaire en Manche
La couverture sédimentaire de la Manche a été décrite dans de nombreuses études (Dangeard, 1928 ; Larsonneur, 1971 ; Larsonneur et al., 1975 ; Auffret et al., 1980 ; Larsonneur et al., 1982 ; Reynaud et al., 2003). Une synthèse de ces différentes études a permis la création d’une représentation synthétique de la couverture sédimentaire sur l’ensemble de la Manche par Vaslet et al. en 1979 (Figure 4).
Le bassin oriental de la Manche est principalement dominé par des sédiments sableux et gravelo-sableux (Figure 4). Ce bassin est séparé du bassin occidental de la Manche par une zone caillouteuse au nord de la péninsule du Cotentin (Vaslet et al., 1979).
Des zones de fonds à cailloutis sont également présents au niveau du détroit du Pas-de-Calais et au large du Pays de Caux, au niveau du bassin oriental (Figure 4). On retrouve ces dépôts de cailloutis au nord des côtes bretonnes et autour des îles anglo-normandes, dans le bassin occidental (Figure 4). Ces dépôts de sédiments très grossiers correspondent aux zone de fortes tensions de cisaillement au niveau du fond (Carpentier et al., 2009). Un gradient large-côte avec des sédiments grossiers au large (zone de fort courants) à des sédiments graveleux puis sableux et vaseux vers la côte est observé au niveau de la Manche.
La future zone du parc éolien apparait localisée sur des sables grossiers et des sables fins (Figure 4) à partir de la carte de Vaslet et al. (1979).
Les activités humaines en Manche
La Manche est une zone de fort intérêt économique (Halpern et al., 2008). A la pêche et au transport maritime y compris Transmanche (Figure 5), se sont ajoutées d’autres activités liées aux besoins économiques comme l’implantation de centrales thermonucléaires, l’installation de câbles sous-marins, les extractions de granulats, les zones de clapage de sédiments, les apports terrigènes, pollutions puis les implantations de champs d’éoliennes (Figure 6 et 7).
Cette accumulation de pressions anthropiques se produit parallèlement à la mise en application de directives européennes (Oiseaux, Faune, Flore, Cadre sur l’Eau, Stratégie Milieu Marin) et de l’engagement de la France de protéger des espaces maritimes ce qui a conduit à la création en 2005 de l’Agence des Aires Marines Protégées (maintenant Agence Française de la Biodiversité) et celle d’un nouveau type d’Aires Marines Protégées : les Parcs Naturels Marins dont celui des Estuaires Picards et Mer d’Opale en Manche orientale. Il est flagrant que toutes ces activités sont la source de conflits d’intérêt et que le bassin oriental de la Manche est une des zones marines qui requiert la mise en place d’une approche intégrée ou écosystémique comme la gestion basée sur l’écosystème (Ecosystem-Based Management) (Dauvin & Lozachmeur, 2006 ; Dauvin, 2012).
Or, les communautés benthiques peuvent être modifiées par ces activités anthropiques (de manière physique, chimique ou biologique). La plupart de ces perturbations sont localisées au niveau de la zone côtière. Les perturbations biologiques observées à proximité d’une activité anthropique ne sont pas toujours corrélées à la pression anthropique tellement les interactions au sein de l’écosystème marin sont complexes (Clark & Frid, 2001 ; Planque, 2009).
Située entre l’Océan Atlantique et la mer du Nord, la Manche est une forte voie maritime correspondant à 15,4 % du trafic mondial (700/800 navires par jour) en 2015 (Bahé, 2008) (Figure 5). Ce trafic représente toutes les dix minutes, trois navires qui empruntent ce couloir. Dans ce système maritime de grande envergure, cinq ports totalisent 61 % du trafic de marchandises en Manche : Calais, Dunkerque et le Havre/Rouen du côté français (157 millions de tonnes en 2015) puis Douvres et Southampton, côté anglais avec 64 millions de tonnes en 2015.
Les activités anthropiques en Manche sont la source de diverses formes de pollutions (Amara, 2010) :
• Les pollutions dites « chroniques » : correspondant aux rejets en mer d’effluents urbains ou industriels. Ces rejets sont la cause majeure des dégradations des biocénoses marines (Hily & Guillaud, 1997).
• Les pollutions dites « accidentelles » : avec un trafic maritime en perpétuelle augmentation dans une zone où s’effectuent de multiples activités (pêche, transport maritime, transport de voyageurs…) de nombreux risques de collision ou de fuites sont présents. Le dernier accident ayant entraîné une pollution par les hydrocarbures en Manche a eu lieu en octobre 2008 entre deux navires (Scot Isles & Wadi Halfa) avec 60 t de gasoil dispersés en mer. Même si les grandes pollutions sont rares en Manche orientale, il y a de nombreux signalements de pollutions de plus faibles amplitudes, en 2015, c’est 104 signalements de pollution qui représentent un risque environnemental réel (Tubout, 2016).
• Les pollutions dites « biologiques » : de nombreuses espèces non-natives sont transportées à l’état de larves dans les eaux de ballast ou attachées à leurs coques (Coutts & Dodgshun, 2007). L’observation de la présence de nouvelles espèces non natives en Manche est de plus en plus importante. Depuis l’inventaire des espèces introduites par Goulletquer et al. (2002), quarante-six nouveaux signalements ont été enregistrés le long des côtes françaises de la Manche. Ces nouvelles observations concernent essentiellement les ports, notamment, le port du Havre, le plus grand port de la Manche, où de nombreuses observations uniques d’espèces introduites sont réalisées (Breton & Vincent 1999 ; Ruellet & Breton 2012 ; Breton, 2014, 2016). Ces espèces introduites peuvent avoir des impacts sur les communautés en terme de compétition spatiale ou pour la ressource trophique (Vallet et al., 2001).
L’activité humaine prédominante en Manche est la pêche représentée par 4228 navires, 9801 pêcheurs pour une économie de 522 millions d’euros en 2011 (Turbout, 2013). Les activités de pêche en Manche sont importantes tout le long de la façade avec de nombreux ports et de nombreuses espèces pêchées et de nombreux métiers de pêche : fileyeurs, arts dormants, chalutiers et caseyeurs. L’impact de la pêche par les engins de pêche trainants, dragues et chaluts benthiques ont un effet important sur l’évolution des communautés et habitats benthiques selon leurs conditions d’utilisation et de la nature des fonds (Hamon et al., 1997 ; Jennings & Kaiser, 1998 ; Jennings et al., 2001a, b). Ces activités de pêche dégradent la nature physique des fonds marins, donc la nature sédimentaire avec remise en suspension des particules organiques ou inorganiques (dont des polluants) dans la colonne d’eau. Les engins de pêche tractés sur le fond provoquent une mortalité dans les communautés benthiques au niveau de l’endofaune, l’épifaune et la ressource halieutique, avec une diminution voire disparition des espèces les plus sensibles. Le bassin est de la Manche présente de nombreuses activités anthropiques en dehors de la pêche en comparaison du bassin ouest (Figure 7). La présence d’un grand fleuve, la Seine, le long duquel deux grands ports sont présents (Le Havre à son embouchure et Rouen en amont) ont pour conséquence, un dragage intensif des chenaux de navigation permettant l’accès à ces deux ports. Ces sédiments dragués sont ensuite clapés sur deux sites : MACHU et Octeville aujourd’hui avec le remplacement du Kannick par MACHU en 2017 pour le port de Rouen. A ces dragages d’entretien des accès portuaires, s’additionnent des extractions offshores de granulats pour la construction humaine. De nombreux sites d’extraction de granulats sont présents en baie de Seine et au large de cette dernière et de Dieppe et le long des côtes anglaises (Figure 7).
Des activités énergétiques terrestres côtières peuvent influencer le domaine marin, c’est notamment le cas du barrage marémoteur de la Rance, qui rompt la continuité terre – mer en étant construit au niveau d’un estuaire. Ce barrage a pour effet de diminuer la salinité de l’estuaire de la Rance et donc contribue aux modifications des communautés biologiques qui y sont présentes (Desroy, 1998). Parmi d’autres activités énergétiques, se trouvent les centrales thermiques du Havre et de Dunkerque ainsi que les centrales nucléaires de Flamanville, Paluel, Penly et Gravelines pour la France et Dungeness pour le Royaume-Uni (Figure 7). Ces centrales ont pour effet d’introduire dans le milieu marin des eaux chaudes (de refroidissement des réacteurs) qui vont influencer les communautés présentes à proximité de ces centrales, la tache thermique est cependant très locale (Moulin & Beslin 2012).
A toute ces activités anthropiques nombreuses en Manche, notamment en Manche orientale, viendront s’ajouter de nouvelles activités dites « renouvelables », tel que les hydroliennes et les éoliennes offshore (Figure 7).
Cependant, afin de maîtriser les conséquences des atteintes anthropiques, comme celles dues à l’extraction de granulats marins sur l’environnement et sur les activités comme la pêche, une approche stratégique est nécessaire avant de permettre le développement contrôlé d’une activité (Dupilet, 2001). A cet égard, l’instauration d’une concertation de tous les utilisateurs du domaine maritime paraît souhaitable afin de définir un schéma cohérent du développement de l’ensemble de ces activités en mer. Le développement de l’activité d’extraction de granulats marins combiné à celui de l’activité d’éoliennes offshore le long des côtes françaises de la Manche suscite beaucoup d’inquiétudes de la part des marins pêcheurs. Ces activités pourraient générer une source de conflit majeur d’autant qu’elles se situent sur un espace restreint du plateau continental auquel il faut ajouter les nombreuses activités le long des côtes anglaises. Les efforts de concertation seront primordiaux pour que perdure à l’avenir de façon harmonieuse et intégré l’ensemble de ces activité humaines.
Contexte de la Manche Est
Habitat physique EUNIS
La carte des habitats physiques du bassin oriental selon la typologie EUNIS, montre la grande hétérogénéité de ces habitats dans ce dernier (Figure 8). Dans les systèmes côtiers, autour de la péninsule du Cotentin et au niveau du détroit du Pas-de-Calais, la mosaïque des habitats physiques est grande (Figure 8). Au sein du futur parc éolien de Dieppe – Le Tréport, ces habitats physiques correspondent au « Circalittoral coarse sediment (A5.14) », « Infralittoral coarse sediment (A5.13) » et « Circalittoral mixed sediments (A5.44) ».
Communautés macrobenthiques et habitat EUNIS
Dans la Manche, cinq principales communautés benthiques ont été reconnues (voir synthèse de Dauvin, 2015) (Figure 9) :
• La communauté des cailloutis à épibiose sessile (A4.13_FR01) : caractéristique des zones de forts courants pour une profondeur située entre 20 et 50 m. Les cailloutis représentent 80 % de la composition sédimentaire, suivis par les graviers et les sables.
L’épibiose sessile y est abondante et diversifiée, contrairement à l’endofaune. Cette communauté présente plusieurs faciès (faciès d’appauvrissement lié à une augmentation de la fraction sableuse, faciès à Modiolus modiolus).
• La communauté de la gravelle à Branchiostoma lanceolatum (A5.135) : qui se rencontre dans les zones jouxtant les faciès d’appauvrissement des cailloutis et en zone côtière où elle sert de transition avec la communauté des sables moyens propres.
Les graviers représentent jusqu’à 50% du sédiment, le reste étant constitué de sables fins et moyens, sans pélites. C’est une communauté relativement pauvre, caractérisée par le céphalocordé Amphioxus lanceolatus et l’oursin Spatangus purpureus.
• La communauté de l’hétérogène envasé (A5.43_FR03) : occupe les dépressions inter bancs, dans les zones de dunes sous-marines au sud de Boulogne-sur-mer, en mer du Nord et en baie de Seine, dans la zone côtière comprise entre le cap de la Hève et le cap d’Antifer. Elle est établie sur un sédiment hétérogène : cailloutis, graviers, sables et pélites (jusqu’à 5 % de fines). Des espèces d’épibiose sessile s’y trouvent encore mais ce sont surtout les espèces de l’endofaune qui deviennent dominantes. Cette communauté est un écotone, zone de transition, entre la communauté des cailloutis et celle des sables fins.
• La communauté des sables fins à moyens propres à Ophelia borealis (A5.251) : se rencontre essentiellement sur les bancs sableux de la Manche orientale et de la mer du Nord. Le sédiment, sur lequel elle s’établit, est composé de sables fins et moyens sans pélites. C’est une communauté oligospécifique. Les espèces caractéristiques sont la polychète Ophelia borealis et l’oursin Echinocardium cordatum.
• La communauté des sables fins envasés à Abra alba (A5.244) : située en zone côtière, où les courants sont plus faibles. Les sables fins, comportant une fraction pélitique importante, composent le sédiment de cette communauté. Les espèces caractéristiques sont le bivalve Abra alba, la polychète Pectinaria (Lagis) koreni et l’échinoderme Ophiura ophiura.
En Manche, la distribution des communautés benthiques est directement liée aux habitats sédimentaires (Gray, 1974 ; Clabaut & Davoult, 1989 ; Snelgrove & Butman, 1994) qui sont eux-mêmes liés aux conditions environnementales, tel que, l’hydrodynamisme (Gentil & Cabioch, 1997). De plus, un gradient climatique longitudinal est le facteur déterminant dans la répartition de nombreuses espèces et conditionnent ainsi les communautés benthiques (Holme, 1966 ; Cabioch & Glaçon, 1977 ; Cabioch & Gentil, 1997 ; Gaudin, 2017) et pélagiques (Mahé et al., 2005 ; Vaz et al., 2007). Selon leurs exigences écologiques, deux grands ensembles d’espèces sont distinguées : les espèces dites occidentales (boréo-océaniques) et les espèces dites orientales (boréo-arctiques) (Gentil & Cabioch, 1997 ; Barnay, 2003). De ces deux grands ensembles, un gradient d’appauvrissement en espèces d’ouest en est s’observe
Structure et fonctionnement du réseau trophique
La description de la structure du réseau trophique passe par l’inventaire des espèces qui le constitue et des liens trophiques entre elles, afin de déterminer leur positionnement au sein du réseau en termes de niveau trophique. Tout d’abord, la diversité spécifique au sein des niveaux trophiques et en termes de relation trophiques peut être étudiée en relation avec la typologie du réseau, i.e. sa dimension et sa connectivité. Ensuite, un bilan en termes de répartition et flux de biomasse et d’énergie entre espèces, niveaux trophiques ou guildes peut être obtenu par diverses méthodes (équilibre de masse ou d’énergie, méthode inverse) dans l’hypothèse d’un réseau trophique à l’équilibre. Le couplage entre la production primaire et le reste du réseau trophique au travers des consommateurs primaires (zooplancton) détermine en partie l’efficacité du transfert de matière et d’énergie vers les niveaux trophiques supérieurs. L’étude des assemblages d’espèces ou les communautés prépondérantes constituant les consommateurs primaires est notamment de première importance puisque ceux-ci influent aussi sur la longueur du chemin trophique en fonction de leur mode de vie (herbivores pélagiques ou benthiques, suspensivores, déposivores, détritivores…). Enfin, les relations proie-prédateur entre consommateurs et leurs implications pour la structure du réseau trophique doivent être considérées. Celles-ci modèlent la structure de la partie supérieure du réseau trophique de la même façon que les caractéristiques des individus déterminent la structure démographique d’une population.
A partir des connaissances accumulées sur la structure du réseau trophique et sur les mécanismes qui le sous-tendent, il est ensuite possible de s’intéresser à sa dynamique dans le but de la comprendre et de la prédire. Ce genre d’étude est difficilement envisageable sans l’aide de la modélisation. Ainsi, l’approche écosystémique, au sens holistique, d’un système naturel est souvent opérée au travers de la modélisation environnementale. Un modèle est une représentation simplifiée de la réalité qui est infiniment plus complexe, un « résumé » qui ne retient que les processus les plus significatifs. Il constitue un outil important permettant d’améliorer la connaissance du système étudié, de faciliter la prédiction de l’évolution du système et de simuler de potentiels impacts pouvant affecter ce dernier. Ainsi, Ecopath est un outil de modélisation des réseaux trophiques basé sur le principe d’équilibre des flux. Son fonctionnement a été développé à partir des travaux antérieurs d’écologie théorique et pratique portant sur l’analyse des flux de matière entre les différents compartiments d’un écosystème. « Ecopath » est un modèle représentatif d’un complexe de trois modules concernant différents aspects de la modélisation trophique :
• Ecopath, qui est une image statique, à l’équilibre, du système ;
• Ecosim, une simulation temporelle dynamique ;
• Ecospace, une simulation spatio-temporelle originellement destinée à l’étude d’aire naturelle protégée
La composante « Ecosim » ainsi que le paramètre « d’accumulation de biomasse » ont pour conséquence qu’Ecopath ne peut plus être considéré comme un modèle de type dit « à l’état stable » (c’est-à-dire une image statique et moyenne du système sur un an) même si à l’origine 20 il a été conçu comme tel. Néanmoins, le principe fondamental, l’équilibre des masses, est toujours à la base de son fonctionnement (Villanueva et al., 2009).
La modélisation des flux trophiques a déjà été réalisée en estuaire de Seine par Rybarczyk et al. (2003a) à l’aide du modèle ECOPATH tout comme en baie de Somme (Rybarczyk et al., 2003b). Il a également été utilisé pour des simulations des pêcheries en Manche (Araujo et al., 2008 ; Mackinson et al., 2007). C’est le modèle qui a été retenu dans le programme européen INTERREG CHARM phase II et III par l’équipe du centre Ifremer Manche Mer du Nord pour une approche globale à l’échelle de l’ensemble du bassin oriental de la Manche (Villanueva et al., 2009). Enfin, Garcia dans le cadre de sa thèse soutenue à l’université de Lille en octobre 2010 intitulée ‘Approche fonctionnelle des communautés benthiques du bassin oriental de la Manche et du sud de la mer du Nord’ a comparé cette méthode de modélisation des flux avec celle de la méthode inverse. L’objectif principal de sa thèse était de déterminer si la zone d’étude (Bassin oriental de la Manche et sud de la mer du Nord) pouvait être considérée comme une entité unique ou bien comme plusieurs unités fonctionnelles. Une étude du réseau trophique au travers de deux techniques de modélisation, inverse et Ecopath, ainsi réalisée. La zone d’étude a premièrement été divisée a priori selon les deux facteurs supposés influencer le plus l’organisation trophique des communautés benthique : géographiques (baie de Seine, Manche orientale et Mer du Nord) et sédimentaires (graviers et cailloutis, sables grossiers et sables fins). La comparaison des deux types de modèles, appliqués sur chaque division, a mis en évidence le rôle clé des suspensivores dans le transfert de matière ainsi que des différences de fonctionnement entre les divisions. Le fonctionnement trophique du benthos semble apparaître comme dépendant du type de sédiment auquel il appartient. Récemment, des études sur l’effet des activités anthropiques ont été réalisées en baie de Seine, notamment au niveau de l’estuaire suite à l’aménagement de Port 2000 (Tecchio et al., 2015, 2016), sur les effets de dépôts de sédiments dragués de la Seine sur le site du MACHU (Pezy et al., 2017a, b) et au niveau du futur parc éolien de Courseulles-sur-mer (Raoux et al., 2017a, b)
Contexte biocénotique de la Manche orientale
Le recensement des connaissances sur la Manche dans son ensemble vient d’être réalisé dans le cadre du programme INTERREG CHARM III, prolongement des première et deuxième phases du projet CHARM (CHARM I et CHARM II) qui avaient respectivement porté sur le détroit du Pas-de-Calais puis le bassin oriental de la Manche (Carpentier et al., 2005, 2009). Nous disposons notamment d’une base de métadonnées permettant de recueillir rapidement les données existantes sur tel et tel secteur de cette mer côtière et sur tel ou tel compartiment biologique (phytoplancton, zooplancton, macrobenthos et ichtyofaune). Le secteur côtier français de la Manche orientale (secteur marin à l’est du Cap d’Antifer jusqu’au Cap Blanc Nez) et du sud de la Mer du Nord bénéficient des travaux réalisés pour le suivi des centrales nucléaires de Paluel, Penly et Gravelines et aussi des études réalisées par les équipes de recherche de la Station Marine de Wimereux et du Centre Ifremer Manche-Mer du Nord de Boulogne sur Mer (Programme européen MAST, PNOC, PNEC, EC2CO, LITEAU, Programme régional Suivi des sels Nutritifs…).
Les travaux historiques
Pour les années 1971-1976, les données granulométriques sont complètes pour les 596 stations incluses dans le secteur de la Manche orientale (du cap d’Antifer au détroit du Pas-de-Calais) (Foveau, 2009). A partir de ces données, huit types sédimentaires différents ont été déterminés en utilisant la classification de Folk (Figure 25). Si on s’intéresse aux surfaces occupées par ces types sédimentaires, on s’aperçoit que les « sédiments grossiers » (graviers, graviers ensablés, sables graveleux et gravier sablo-vaseux) occupent la majorité de la surface de la Manche orientale (83 %) (Figure 10). Parmi ces « sédiments grossiers », les graviers ensablés occupent la plus grande surface de la zone avec 41 %, suivis par les sables graveleux (31 %) et les graviers (11 %) (Figure 10). Pour les « sédiments fins » (sable légèrement graveleux, sable envasé légèrement graveleux, sable envasé et sable) occupant donc une surface de 16 %, les sables (sables moyens propres) couvrent la plus grande surface (8 %).
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Table des matières
Introduction générale
1. Les Energies Marines Renouvelables (EMR)
1.1 Les futurs parcs éoliens en Manche
1.2 La zone de Dieppe-Le Tréport
2. Contexte général de la Manche
3. Hydrogéomorphologie
3.1 La géologie de la Manche
3.2 Hydrologie/Hydrodynamisme
3.3 Profondeur et zonation thermique
4. Couverture sédimentaire en Manche
5. Les activités humaines en Manche
6. Contexte de la Manche Est
6.1 Habitat physique EUNIS
6.2 Communautés macrobenthiques et habitat EUNIS
6.3 Structure et fonctionnement du réseau trophique
7. Contexte biocénotique de la Manche orientale
7.1 Les travaux historiques
7.2 Les campagnes plus récentes
7.3 Evolution entre la situation 1971-1976 à 2006-2007
8. Problématique de la thèse
Chapitre 1 : Stratégie d’échantillonnage et de traitement des données
1. Définition des différents groupes composant le « Benthos »
2. Les campagnes d’échantillonnage
2.1 Campagne 1 : été 2014
2.2 Campagne 2 : hiver 2015
2.3 Campagne 3 : été 2015
2.4 Campagne 4 : hiver 2016
2.5 Campagne 5 : juillet 2016
3. Prospection en mer
3.1 Prospection à la benne
3.1.1 Le Benthos
3.1.2 La granulométrie
3.1.3 La méiofaune
3.1.4 La matière organique
3.2 Prospection dans la colonne d’eau
3.2.1 Le suprabenthos
3.2.2 Le zooplancton
3.2.3 La sonde CTD
3.3 Prospection dans la couche d’eau adjacente au fond
3.3.1 Prospection au chalut à perche
3.3.2 Prospection avec traîneau photographique/vidéographique
4. Travail de laboratoire
4.1 Analyses granulométriques
4.2 Analyse de la macrofaune benthique
4.2.1 Le tri
4.2.2 La détermination
4.2.3 Les biomasses
4.3 Analyse de la mégafaune et des contenus stomacaux
4.4 Analyse de l’holosuprabenthos
4.5 Analyse du zooplancton
4.6 Analyse de la méiofaune
4.7 Analyse de la Matière Organique
5. Analyses des données
5.1 Les abondances
5.2 Les biomasses
5.3 La richesse taxonomique
5.4 L’indice de Shannon-Weaver
5.5 L’indice de Piélou
5.6 Indice biotique : AMBI
5.7 Indice biotique modifié : M-AMBI
5.8 Indice BO2A
5.9 Analyses multivariées : Classification Ascendante Hiérarchique
5.10 Constance, Fidélité, classification biocénotique et indice Indval
6. Analyse isotopiques
6.1 Préparation des échantillons
6.1.1 Organe analysé
6.1.2 Lyophilisation
6.1.3 Le broyage
6.1.4 Spectrophométrie
7. Modélisation des réseaux trophiques : Ecopath with Ecosim
Chapitre 2 : Compartiments biologiques
1. Conditions hydrologiques
2. Le zooplancton
3. La couverture sédimentaire
4. La Matière organique
5. La méiofaune
5.1 Zone de Dieppe – Le Tréport
5.2 Comparaison des valeurs mesurées par rapport à d’autres études en Manche
6. L’holosuprabenthos
6.1 Contexte
6.2 Composition faunistique et richesse spécifique générale de l’holosuprabenthos
6.3 Richesse spécifique, abondance et biomasse
6.4 Comportement migratoire
6.5 Comparaison des valeurs mesurées avec d’autres études en Manche
6.5.1 Richesse spécifique
6.5.2 Abondance
6.5.3 Biomasse
6.5.4 Compartement migratoire
7. Le benthos
7.1 Le benthos dénombrable
7.1.1 Diversité taxonomique
7.1.2 Abondance
7.1.3 Biomasse
7.1.4 Catégories du benthos
7.1.5 Indice de diversité et d’équitabilité
7.1.6 AMBI
7.1.7 Groupe écologique
7.1.8 M-AMBI
7.1.9 BO2A
7.2 Le benthos non dénombrable
7.2.1 Prélèvements à la benne Van Veen
7.2.2 Prélèvements au chalut à perche
7.2.3 Comparaison des deux méthodes de prélèvements
7.3 La mégafaune dispersée
7.3.1 Prélèvement au chalut à perche
7.3.2 Comparaison à la benne Van Veen
8. Paysage sous-marin
9. Trois espèces particulières
9.1 L’amande de mer Glycymeris glycymeris
9.2 La palourde rose Polititapes rhomboides
9.3 Le céphalocordé Branchiostoma lanceolatum
10. Assemblages faunistiques : matrice unique annuelle (moyenne C1, C2, C3, C4)
10.1 Transformation Log10 (abondance +1)
10.2 Transformation racine carrée (Square root) Biomasse et en Présence/Absence150
10.3 Les sédiments grossiers
10.4 Les sables moyens
11. Description des habitats selon la Typologie EUNIS
12. Analyse des traits biologiques
12.1 Choix des traits biologiques
12.1.1 Traits morphologiques
12.1.2 Traits écologiques
12.1.3 Traits d’histoire de vie
12.2 Analyse des traits biologiques
12.3 Résultats
12.3.1 Analyse des stations
12.3.2 Analyse des espèces
12.3.3 Les groupes fonctionnels : synthèse de l’analyse des stations et des espèces166
13. Comparaison avec les données antérieures sur le site
13.1 Richesse taxonomique et Abondance
13.2 Comparaison richesse taxonomique et abondance entre les données 2008-2010 et celles de 2014-2016.
13.3 Assemblages faunistiques issus In Vivo
13.4 Comparaison assemblage faunistique In Vivo avec mon étude
13.4.1 Transformation en Présence/Absence et Transformation en Log(abondance+1)
14. Discussion
14.1 Les sédiments « grossiers »
14.2 Les sédiments « fins – moyens »
Chapitre 3 : Fonctionnement et structure du réseau trophique du futur parc éolien de Dieppe – Le Tréport
1. Les stocks de proies benthiques
1.1 Eté
1.2 Hiver
1.3 Comparaison été/hiver
2. Les prédateurs : la faune démersale
2.1 Composition et répartition de la faune ichtyologique
2.2 Régime alimentaire
2.3 Prise de nourriture
2.4 Disponibilité de l’holosuprabenthos
2.5 Lien biomasse des proies disponible – consommation
2.5.1 Biomasse saisonnière
2.5.2 Consommation saisonnière
2.5.3 Proportion des stocks consommés
2.5.4 Récapitulatif
3. Analyses isotopiques
3.1 Les poissons démersaux
3.2 Le benthos
4. Modélisation Ecopath
4.1 Construction des modèles
4.1.1 Compartiment céphalopode
4.1.2 Compartiment poisson
4.1.3 Compartiment benthique
4.1.4 Compartiments suprabenthiques
4.1.5 Compartiment méiofaune
4.1.6 Compartiment zooplanctonique
4.1.7 Compartiments bactérien, phytoplanctonique et détritique
4.2 Résultats
4.2.1 Biomasses
4.2.2 Niveaux trophiques
4.2.3 Structure et fonctionnement de l’écosystème
4.3 Fonctionnement d’un futur parc éolien comparé à celui du bassin oriental de la Manche à l’échelle de l’année
4.4 Lien analyses isotopiques et modèles Ecopath
4.5 Discussion
4.5.1 Limites du modèle
Chapitre 4 : Discussion générale et perspectives
1. Evolution de l’écologie marine en Manche
2. Le benthos : indicateur de stabilité de l’écosystème ?
3. Les effets d’un futur parc éolien
4. Le futur parc éolien de Dieppe-Le Tréport : un observatoire de la Manche orientale ?
5. L’approche écosystémique
6. Protocole de suivi
6.1 Protocole de suivi des substrats meubles à l’échelle du parc
6.1.1 Localisation
6.1.2 Engins de prélèvement utilisés
6.1.3 Périodicité
6.2 Protocole de suivi des substrats meubles à l’échelle de l’éolienne
6.2.1 Localisation
6.2.2 Engins de prélèvement utilisés
6.2.3 Périodicité
6.3 Propositions de suivi de l’effet récif (communautés benthiques des substrats durs).
6.3.1 Localisation
6.3.2 Engins de prélèvement utilisés
6.3.3 Périodicité
6.4 Proposition de suivis des communautés suprabenthiques
6.4.1 Localisation
6.4.2 Engin de prélèvement utilisés
6.4.3 Périodicité
6.5 Approche écosystémique : coordination avec les autres compartiments
6.5.1 Faune pélagique et ressources halieutiques
6.5.2 Mammifères marins
6.6 Lien entre susbstrats meubles et substrats durs : ENA et ratios comme indicateur de changement
6.7 Les EMR sont –elles un cumul d’activité en mer ?
Conclusion
Bibliographie
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