L’adaptation est une composante fondamentale de l’évolution des êtres vivants. La sélection de caractères avantageux permet aux organismes d’exploiter plus efficacement les ressources de la niche écologique dans laquelle ils vivent.
Au niveau phénotypique, de très nombreux exemples d’adaptation ont été mis en évidence. A l’inverse, l’adaptation est beaucoup plus difficilement identifiable au niveau moléculaire (Golding and Dean 1998). Seul l’emploi combiné de méthodes moléculaires, biochimiques, physiologiques et d’analyses phylogénétiques ou structurales peut permettre d’identifier des cas de substitutions d’acides aminés qui conduisent un changement adaptatif. Par exemple, le polymorphisme très élevé qui est observé dans les séquences de gènes est difficilement explicable par l’adaptation. Cette observation, associée à d’autres comme la constance du taux d’évolution moléculaire, a conduit à la formulation de la théorie de l’évolution moléculaire neutre de Motoo Kimura (Kimura 1983). Celle-ci stipule que la majorité des substitutions observées dans les séquences nucléotides sont neutres (elles n’apportent ni avantage, ni désavantage adaptatif) et sont dues essentiellement à la dérive génétique.
Une autre possibilité pour découvrir les bases moléculaires de l’adaptation consiste à identifier les gènes présents spécifiquement dans une lignée d’organismes adaptés à un environnement particulier. Chez les eucaryotes, l’absence de corrélation entre la complexité des organismes et le nombre de gènes qu’ils possèdent diminue fortement les possibilités offertes par cette approche. Ainsi, le génome humain ne contient que deux fois plus de gènes que celui de Drosophila melanogaster (Rubin 2001). Ce paradoxe s’explique par le fait que les gènes peuvent assurer plusieurs fonctions. Enfin, chez les eucaryotes, un caractère est souvent sous le contrôle de plusieurs gènes ce qui accentue la difficulté de relier le phénotype au génotype.
La situation semble, au contraire, beaucoup plus simple chez les procaryotes. La taille des génomes est beaucoup plus variable que chez les eucaryotes et le nombre de gènes est étroitement relié à la complexité physiologique de ces organismes. Ainsi, le jeu de gènes détermine directement le mode de vie et la capacité à utiliser les ressources d’une niche écologique donnée. L’étude des génomes est donc tout à fait pertinente pour comprendre l’adaptation puisque qu’il s’agit de la cible privilégiée sur laquelle agit la sélection. De plus, le génome d’un organisme contient toute l’information nécessaire à son fonctionnement optimal et à sa reproduction dans une niche écologique particulière. La comparaison d’un nombre toujours plus important de génomes de bactéries et d’archées offre la possibilité de comprendre comment le répertoire de gènes évolue pour permettre l’adaptation.
La génomique comparée a permis de révéler que les génomes procaryotes sont extrêmement plastiques. Ainsi, Escherichia coli a acquis autant de gènes qu’elle en a perdu depuis sa séparation avec le genre Salmonella (voir figure 4 dans Lawrence and Roth 1999). Le répertoire de gènes est le résultat d’une combinaison complexe de transmission verticale (d’ancêtre à descendants), de gains, par transferts horizontaux et duplications, et de pertes de gènes non-essentiels. La sélection joue un rôle déterminant puisqu’elle permet le maintien des gènes qui offrent un avantage adaptatif suffisant (Lawrence and Roth 1999).
Les cyanobactéries marines des genres Prochlorococcus et Synechococcus constituent un très bon modèle pour comprendre comment l’adaptation à des environnements différents se traduit au niveau génomique. Ces deux genres, très proches phylogénétiquement, abondent dans les écosystèmes océaniques. De plus, les études réalisées sur des souches en culture ont montré que celles-ci possèdent des caractéristiques écophysiologiques différentes qui leurs permettent de coloniser des niches écologiques distinctes. Enfin, les génomes de plusieurs souches de Prochlorococcus et de Synechococcus ont été entièrement séquencés offrant, ainsi, l’accès à une source considérable d’informations. L’annotation et la comparaison des génomes de Prochlorococcus et Synechococcus peuvent donc permettre d’identifier les gènes spécifiques d’une souche, d’un genre ou d’un écotype. L’analyse de ces génomes offre aussi la possibilité de déterminer les mécanismes évolutifs qui les ont façonnés. La connaissance des gènes responsables des différences adaptatives est essentielle pour comprendre les facteurs qui contrôlent l’abondance et la dynamique des populations naturelles de ces cyanobactéries.
Présentation des modèles d’étude: Prochlorococcus et Synechococcus
Dans les communautés phytoplanctoniques des écosystèmes océaniques, une part importante de la biomasse chlorophyllienne et de la production primaire (30 à 50%) est réalisée par deux genres de minuscules cyanobactéries unicellulaires: Prochlorococcus et Synechococcus (Partensky et al. 1999b; Waterbury et al. 1986). Ces deux genres sont extrêmement proches et ont divergé relativement récemment à partir d’un ancêtre commun. En effet, le niveau d’identité entre les séquences du gène de l’ARNr 16S des souches de Prochlorococcus et Synechococcus indique que ces genres se sont différenciés il y a environ 150 à 200 millions d’années (Rappe and Giovannoni 2003) et voir chapitre IV). De plus, la faible résolution des limites entre ces deux groupes (indiquée par de faibles valeurs de « bootstrap » sur les branches basales des arbres phylogénétiques construits à partir du gène de l’ARNr 16S) suggère une diversification quasi-simultanée et relativement rapide (Urbach et al. 1992). Il est important de noter que le genre Synechococcus sensu lato est clairement polyphylétique comme le montre l’arbre de la figure I-1. Cependant, les Synechococcus strictement marins (c’est-à-dire qui requièrent de fortes concentrations en Cl- , Mg 2+ et Ca2+ pour se développer) sont tous regroupés au sein d’un même clade. Celui-ci a d’abord été nommé « Marine Cluster A » (ou MC-A) avant d’être renommé « sous-cluster 5.1 » (Fuller et al. 2003; Herdman et al. 2001). Pour des raisons pratiques, le terme Synechococcus ne sera plus employé, dans la suite de ce texte, que pour faire référence aux cyanobactéries marines du sous-cluster 5.1 .
Distribution géographique et abondance
Prochlorococcus et Synechococcus présentent des distributions géographiques qui se superposent partiellement. Prochlorococcus est essentiellement présent entre 40° de latitude Nord et Sud (Partensky et al. 1999b) tandis que Synechococcus est présent depuis l’équateur jusqu’aux régions polaires (Liu et al. 2002; Olson et al. 1990; Partensky et al. 1999a). Prochlorococcus est plus abondant dans les eaux oligotrophes intertropicales où il atteint typiquement des concentrations de 2 à 300000 cellules par millilitre. Synechococcus domine dans les écosystèmes côtiers plus riches en sels nutritifs ou les abords de zones d’upwelling (zones mésotrophes à faiblement eutrophes). Prochlorococcus peut également se développer à une profondeur supérieure à celle de Synechococcus (Partensky et al. 1999a). En effet, Prochlorococcus est capable de vivre depuis la surface jusqu’à 150 à 200 m de profondeur, où moins de 1 % de la lumière arrivant en surface est disponible.
Les distributions géographiques et verticales très larges de Prochlorococcus, ainsi que les fortes densités de populations qu’il peut atteindre dans le milieu naturel font que cette cyanobactérie est probablement l’organisme photosynthétique le plus abondant sur terre (Partensky et al. 1999b).
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Table des matières
Chapitre I : Introduction
I.1 Présentation des modèles d’étude: Prochlorococcus et Synechococcus
I.1.2 Distribution géographique et abondance
I.1.3 Caractéristiques générales
I.1.4 Pigmentation
I.1.5 Appareil photosynthétique
I.1.6 Diversité génétique et écotypes
I.3 Evolution des génomes de procaryotes
I.3.1 Intérêts de la comparaison de génome complets
I.3.1.1 Génome minimal et remplacement non-orthologue
I.3.1.2 Adaptation à la niche écologique
I.3.2 Mécanismes d’évolution du répertoire de gènes
I.3.2.1 Duplication génique et formation de familles multigéniques
I.3.2.2 Transferts horizontaux
I.3.2.3 Pertes différentielles de gènes
I.4 Contexte scientifique et démarche adoptée au cours de la thèse
Chapitre II : Annotation des génomes de picocyanobactéries marines
II.1 Résumé des résultats obtenus
II-2 Article
Chapitre III : Comparaison des répertoires de gènes adaptation à la niche écologique
III.1 Introduction
III.2 Méthodes d’analyse
III.3 Résultats et Discussion
III.3.1 Classification en clusters de protéines
III.3.2 Distribution des gènes dans les cinq génomes
III.3.3 Gènes de la niche de forte lumière
III.3.4 Gènes de la niche de faible lumière
III.4 Conclusions
Chapitre IV: Evolution réductive chez Prochlorococcus
IV.1 Résumé des résultats obtenus
IV.2 Article
Chapitre V: Conclusions et perspectives
V.1 Différenciation écotypique chez Prochlorococcus
V.2 Conséquences de la réduction du génome chez Prochlorococcus
V.3 Evolution de Prochlorococcus et de Synechococcus: deux stratégies différentes?
Bibliographie
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