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Données épidémiologiques
Les données épidémiologiques ont été collectées à partir des dossiers informatisés des patients (Logiciel Axigate). Les critères cliniques comme l’âge, le genre, le mode de contamination, la symptomatologie initiale et le terrain du patient (maladie chronique du foie et immunodépression) ont été renseignés. Le mode de contamination a été précisé grâce à un questionnaire envoyé au médecin ayant suivi le patient (Figure 2). Ont été aussi recueillies, l’administration d’un traitement antiviral par ribavirine, sa durée ainsi que son efficacité. Enfin, nous avons analysé des données temporelles: délai avant la première PCR de contrôle et délai avant guérison de la maladie. Une infection était considérée comme chronique si le délai entre la première PCR de diagnostic et la première PCR de contrôle négative était supérieur à six mois.
Paramètres Biologiques
Lorsque les tests hépatiques (taux d’aspartate aminotransférase [ASAT], d’alanine aminotranférase [ALAT], de phosphatase alcaline [PAL], de gamma-glutamyl-transférase [GGT], de bilirubine totale et taux de prothrombine [TP]) étaient analysés sur le site, ces données ont été collectées.
Tests virologiques
Sérologies virales
Le dépistage sérologique des anticorps anti-VHE de type IgG et IgM a été réalisé par une technique ELISA (Enzyme linked immunosorbent assay). Durant l’étude, trois tests immuno-enzymatiques ont été utilisés. Du 28 Aout 2012 au 27 Janvier 2013, nous avons utilisé les tests immuno-enzymatiques Adaltis (EIAgen; Adaltis, Casalecchio di Reno, Italie). Puis du 28 Janvier 2013 au 17 Janvier 2017, soit la majorité du temps de notre étude, ce test a été remplacé par les tests Wantai MEIA (Wantai Biologic Pharmacy Enterprise, Beijing, République populaire de Chine). Enfin, à partir du 18 Janvier 2017, des tests MP-Biomedicals (formerly Genelabs Diagnostics, Singapore) ont été utilisés.
Les tests ont été effectués selon les instructions des fabricants. Pour chaque test immuno-enzymatique, un ratio signal de densité optique/signal seuil (SCR) est établi. Le résultat est négatif pour un SCR inférieur à 0,9, borderline pour un ratio entre 0,9 et 1,1 et positif pour un rapport supérieur à 1,1.
Génotype viral
Les génotypes ont été déterminés par reconstructions phylogénétiques via le logiciel Mega v6 (http://www.megasoftware.net/) à l’aide non seulement des séquences de référence publiées (33) mais encore de celles obtenues dans notre laboratoire du Centre Hospitalo-Universitaire (CHU) de Marseille (France) et à celles sélectionnées depuis GenBank (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/ genbank/). La comparaison entre les séquences a été obtenue par analyse à partir du logiciel BLAST (http://www.ncbi.nlm.-nih.gov/BLAST/).
Analyses statistiques
Les variables continues sont exprimées en médiane et en étendue [min-max], alors que les variables catégorielles sont exprimées en pourcentage et en nombre de patients. Des tests paramétriques et non paramétriques ont été effectués lorsque cela était approprié. Le test U de Mann Whitney a été utilisé pour les variables continues et le test de Khi² ou le test de Fisher pour les variables catégorielles. Les données de survie ont été analysées avec le test du log-rank de Cox-Mantel. Le délai avant négativation de l’ARN viral a été estimé en utilisant la méthode de Kaplan-Meier, le modèle de Cox a été utilisé pour estimer le Hazard Ratio qui indique l’effet de l’immunosuppression sur le délai de guérison. Tous les tests étaient de nature bilatérale et une valeur p < 0,05 était considérée comme statistiquement significative. Les analyses statistiques ont été faites en utilisant le logiciel GraphPad Prism (version 5.00 pour Windows, GraphPad Software, San Diego California USA).
Virémie et Sérologie
Le dosage des ARN VHE a été fait dans la totalité des cas à partir du plasma des patients (aucun dosage n’a été pratiqué à partir de selles). La charge virale des patients était disponible pour quatre-vingt-seize patients (91,4%) et le nombre médian de copies par millilitre était de 720 400 [205 – 9 870.107].
Le génotype viral a pu être déterminé pour quatre-vingt-huit patients (93,3%). Dans 96,6% (n=85/88) le virus était de génotype 3. Dans les autres cas le génotype était 1 et 4 pour 1,1% (n=1/88) et 2,3% (n=2/88) des patients respectivement.
Le sérotype a été obtenu chez quatre-vingt-cinq patients (80,9% du nombre total). La majorité soit 84,7% (n=72/85), étaient séropositifs pour les IgG et les IgM anti-VHE. Un seul patient était séropositif pour les IgG anti-VHE seuls, dix étaient séropositifs pour les IgM anti-VHE uniquement. Deux patients étaient séronégatifs au moment du diagnostic. Un patient était sous chimiothérapie pour une tumeur solide et l’autre n’avait pas d’antécédent spécifique. Chez ces patients les IgM anti-VHE ont été détectées dans le sérum après 1 mois et 1,5 mois de suivi respectivement.
Présentation de la maladie
Le mode de contamination a été colligé par les médecins et retranscrit dans le dossier pour 42 patients, soit 40%. Un questionnaire était utilisé pour l’enquête étiologique (Figure 2). On note que pour 76,2% (n=32/42) d’entre eux il était retrouvé une consommation de figatelli (saucisse de foie de porc d’origine corse) ou de la viande de sanglier/porc. Parmi eux, deux patients étaient eux-mêmes chasseurs. Dans le groupe de patients ayant consommé du figatelli, un patient avait aussi consommé des coquillages. Chez deux patients il y avait une notion de voyage récent : un en Asie et un en Amérique du Sud. Ces deux patients étaient porteurs d’un virus de génotype 3. Pour les huit autres patients il était mentionné qu’aucune cause de contamination n’avait été répertoriée. Le symptôme le plus fréquent était l’ictère (n=20), cependant la plupart des patients étaient asymptomatique au moment de la découverte de l’infection. Les autres modes de présentation clinique étaient : asthénie (n=3), syndrome pseudo-grippal (n=3), signes neurologiques [paresthésies des quatre membres (n=1), méningo-radiculopathie (n=1)], rash cutané (n=2) et malaise (n=2). Un patient a présenté une décompensation oedémato-ascitique.
Sur le plan biologique, quarante-six patients avaient un taux de bilirubine normale (i.e. < 20μmol/L) et le taux médian était de 15,8 [4,3-647] μmol/L. Les valeurs médianes d’ASAT, ALAT, PAL, GGT étaient respectivement de 123 [18-2744] UI/mL, 235 [29-3168] UI/mL, 138 [48-5209] UI/mL, 196 [24-1388] UI/mL. Au moment du diagnostic : un seul patient avait un TP < 50% et aucun un TP < 20% (en dehors des cinq patients de la cohorte traités par anti vitamine K).
Traitement par ribavirine
Concernant le traitement de l’infection virale, vingt-neuf patients ont été traités par ribavirine : vingt-trois patients étaient immunodéprimés, quatre présentaient une hépatopathie sous-jacente, un patient présentait une méningo-radiculopathie (en complément d’un traitement par injection d’immunoglobines intra-veineuses) et un patient sans antécédent spécifique présentant une hépatite aiguë non grave mais avec cytolyse marquée (ALAT 74N, ASAT 51N, bilirubine totale 143 μmol/L et TP 89%). La dose habituelle de traitement reçue était de 800 mg/jour [400-800] pendant une durée médiane de deux mois [0,5-3,5]. Pour la moitié des patients le traitement avait débuté vingt jours [2-366] après la PCR VHE ayant permis le diagnostic.
Le taux de guérison après premier traitement était de 79,3% (n=23/29) et seulement six patients ont présenté une rechute. Un seul patient ayant présenté une rechute n’était pas immunodéprimé. Il a eu une biopsie par ponction hépatique qui retrouve une hépatite chronique virale de grade d’activité A1 et de stade de fibrose F4 avec une stéatose de 30%. Après exploration par les médecins internistes de l’institution il a été retrouvé chez ce patient une lymphopénie portant sur les lymphocytes T CD4 naïfs et sur les lymphocytes B mémoires sans aucune manifestation clinique jusqu’au diagnostic de l’infection virale E chronique.
Après un nouveau traitement par ribavirine, quatre patients ont présenté une guérison et les deux autres des rechutes multiples (un patient transplanté rénal et l’autre pulmonaire). Le principal effet secondaire décrit sous ribavirine était une anémie (n=7/29) ayant nécessité un support par érythropoïétine (EPO) pour quatre patients et une transfusion chez un patient. Cet effet secondaire a entraîné un arrêt précoce du traitement chez cinq patients. Parmi ces cinq patients, quatre ont rechuté. Lors de la reprise du traitement on observe que pour deux patients un monitorage de la dose de ribavirine par dosage pharmacologique a été demandé afin d’adapter au mieux la posologie.
Suivi et devenir des patients
Un patient est décédé des suites de l’infection virale E : il a présenté une ACLF dans un contexte de cirrhose alcoolique.
Cinquante-neuf pourcents (n=62/105) des patients ont eu au moins une PCR VHE afin de suivre l’évolution de l’infection. Le délai médian avant la première PCR de contrôle était de 35,5 [2-1494] jours.
Comparaison des patients immunodéprimés et immunocompétents
47,6% (n=50/105) des patients de la cohorte étaient considérés comme immunodéprimés. Vingt-neuf patients avaient été transplantés d’un ou plusieurs organes solides : seize patients transplantés rénal (dont un rein-pancréas), trois patients transplantés hépatique (dont un foie-rein), cinq patients avaient reçu une greffe pulmonaire et cinq une transplantation cardiaque. Le diagnostic de l’infection virale E était fait après une durée médiane de 8 [1-22] ans après la greffe. Vingt-deux patients recevaient du tacrolimus, dix-neuf du mycophenolate, dix-neuf des corticoïdes, cinq patients de la ciclosporine, trois un inhibiteur de mTOR et quatre de l’azathioprine. Six patients présentaient une infection par le VIH dont un seulement avait un taux de lymphocytes CD4 inférieur à 200/mm3 au moment du diagnostic.
Six patients recevaient une immunothérapie pour des maladies inflammatoires chroniques. Dans le cadre du traitement de rhumatisme psoriasique ou de spondylarthrite ankylosante, un patient recevait de l’infliximab, un du méthotrexate et deux patients un traitement combiné. Un patient présentant une rectocolite hémorragique prenait quotidiennement de l’azathioprine. Enfin au moment du diagnostic une patiente recevant du mitoxantrone pour une sclérose en plaques était sous corticothérapie à fortes doses pour une neuropathie optique rétrobulbaire (NORB). Six patients recevaient un traitement par chimiothérapie : trois pour un cancer solide et trois pour une maladie hématologique de type lymphome (un patient avait terminé son traitement depuis 2004 mais présentait encore des signes d’immunodépression). Deux patients étaient suivis pour leucémie myéloïde chronique. Enfin, un patient était traité par dialyse péritonéale pour insuffisance rénale chronique.
En comparant les patients immunodéprimés avec les autres patients en terme de virémie on constate qu’elle est plus importante dans le groupe des patients immunodéprimés (1 082.103 vs. 3 784.103 copie/mL ; p=0,0029). Il n’y a pas de différence significative en terme de génotype et de séropositivité entre les deux groupes (p=0,61 et p=0,7 respectivement) (Tableau 1).
Sur le plan de la présentation de la maladie au moment du diagnostic on observe que les patients immunodéprimés présentaient des taux de transaminases de bilirubine totale et de GGT médian inférieurs. Seuls deux patients avaient un bilan hépatique normal au moment du diagnostic. Il n’y avait pas de différence en termes de symptômes, taux de bilirubine totale, PAL et TP (Figure 3). En ce qui concerne le suivi de la virémie dans le groupe de patients immunodéprimés, on note que parmi les quarante-trois patients n’ayant pas eu de PCR de suivi, six étaient immunodéprimés. Trois patients immunodéprimés ayant eu au moins une PCR VHE de contrôle ont une virémie positive sur le dernier contrôle. Le délai médian avant guérison était de 37 [3-511] jours pour les patients immunocompétents et de 74 [3-1494] jours pour les patients immunodéprimés (HR=0,42 ; IC95% 0,21-0,85 ; p=0,016) (Figure 4).
Parmi les 44 patients immunodéprimés ayant eu un suivi par PCR VHE, 36,3 % (n=16/44) des patients montraient une virémie positive plus de six mois après le diagnostic initial. Parmi eux, un patient, transplanté rénal, était de génotype 4. Tous les autres patients étaient porteurs d’un virus de génotype 3.
Si on compare les patients immunodéprimés ayant présenté une hépatite chronique avec ceux ayant présenté une guérison en moins de six mois, on ne retrouve pas de différence en terme de caractéristiques clinique, biologique et de nombre de patients ayant reçu un traitement par ribavirine (Tableau 2). On peut noter qu’aucun patient sous immunothérapie ne se trouve dans le groupe des patients à infection chronique. Chez les patients présentant une hépatite chronique, le délai médian avant instauration d’un traitement par ribavirine était de 252 [3-366] jours et celui avant guérison de 360 [195-1494] jours.
VHE et hépatopathie
Un peu moins de 9% (n=9/105) des patients avait une cirrhose au moment du diagnostic de l’infection par le VHE. Quatre patients présentaient une cirrhose secondaire à une maladie alcoolique, trois d’étiologie inconnue et pour deux patients la cause de la cirrhose était l’hépatite E. Le premier patient a été discuté plus haut (cf. Traitement par Ribavirine) et présente la particularité d’avoir une infection chronique sans antécédent d’immunodépression. Le second patient, âgé de 65 ans, avait un antécédent de lymphome non hodgkinien dont le traitement est terminé depuis 2004 mais qui a présenté des signes d’immunodépression marquée (toxoplasmose cérébrale et tuberculose ganglionnaire) dans les suites de la chimiothérapie et a développé un carcinome hépatocellulaire sur la cirrhose virale E. Chez ce patient, qui présentait une cytolyse chronique depuis 2007 non explorée, une clairance virale a été obtenue après trois mois de traitement par ribavirine en 2016. Trois patients ont présenté une ACLF : un patient est décédé, un autre a été transplanté et le troisième a récupéré après un traitement par ribavirine. Sept patients sur ces neuf patients cirrhotiques ont reçu un traitement par ribavirine.
Virémie et diagnostic
Dans notre étude, nous avons recueilli 105 cas d’hépatite E, sur la période d’Août 2012 à Avril 2018, diagnostiqués uniquement par la présence d’ARN spécifique du VHE dans le sérum. C’est un des biais de l’étude car la durée de la virémie, pour les formes aiguës, est estimée à moins de quatre semaines (2) alors que la période d’incubation du virus E peut durer jusqu’à six semaines (34). L’ARN VHE peut donc être indétectable au moment de l’apparition des symptômes et de la réalisation du test PCR. Il a par ailleurs été décrit que les IgM anti-VHE se positivent dans les deux premières semaines post infection (35) et persistent trois mois après le début de la maladie dans 50% des cas, et parfois jusqu’à cinq mois (36). La probabilité de porter le diagnostic d’hépatite E aiguë en utilisant uniquement la PCR est donc moins forte qu’en utilisant la sérologie de type IgM anti-VHE. Le diagnostic sérologique du VHE présente des limites avec un risque de faux négatifs plus particulièrement pour les patients immunodéprimés chez qui on peut observer un délai de quatre mois avant la détection des anticorps (37) ou une absence de détection d’anticorps (38) (21). C’est le cas dans notre étude avec deux patients séronégatifs au moment du diagnostic, qui ont présenté des anticorps après 1 et 1,5 mois de suivi. Les faux négatifs peuvent aussi être liés au niveau de la sensibilité du test ELISA: 85 % pour le dispositif Wantai vs. 87,5% pour les tests Alaltis (39). Un second problème, plus marginal, est celui des faux positifs donc du diagnostic différentiel avec des virus hépatotropes comme le cytomégalovirus (CMV) et l’Epstein Barr-virus (EBV). En effet une stimulation polyclonale des lymphocytes B par l’EBV ou une réactivité croisée des anticorps anti-EBV et CMV entraînent une positivité des IgM anti-VHE lors des tests (40) (41). Dans notre institution, en 2017, 117 sérologies VHE IgM positives ont été retrouvées, contre seulement 21 infections prouvées par PCR. Un diagnostic moléculaire a donc été possible uniquement pour 17,9% des patients. Vingt patients sur 21 avaient une sérologie de type IgM positive, soit un faux négatif. La même année, nous avons noté un patient transplanté pour ACLF suite à une hépatite E aiguë diagnostiquée grâce à une sérologie de type IgM et IgG anti-VHE positives alors que l’ ARN VHE était négatif (42). De même, en 2015, Blasco-Perrin et collaborateurs diagnostiquent une hépatite E aiguë comme cause d’ACLF chez 11/343 patients de leur étude. Tous les patients possédaient des IgM anti-VHE positives mais seulement 4/11 patients avaient une virémie positive au moment du diagnostic. Les auteurs concluent que le diagnostic devrait être fait à partir de la sérologie et/ou de la virémie car dans les cas de décompensation d’hépatite chronique celui-ci peut être fait plusieurs semaines après la décompensation au moment où la virémie est devenue négative (43).
Données démographiques
Dans notre institution, on note que les infections diagnostiquées concernent trois fois plus les hommes que les femmes. Dans le même temps, la séroprévalence serait identique dans les deux sexes (11) ce qui pourrait signifier que l’exposition au VHE n’est pas liée au sexe. On peut donc supposer que les hommes ont une sensibilité accrue au virus et montrent plus de signes clinico-biologiques de l’infection du fait de facteurs liés à l’hôte. Par exemple une consommation d’alcool ou un taux de NAFLD (Non Alcoholic Fatty Liver Disease) plus élevé entraînent des lésions hépatiques et pourraient sensibiliser le foie à la réaction immunitaire provoquée par l’infection(44). D’autres facteurs, comme des facteurs hormonaux ou génétiques pourraient aussi influencer cette différence de genre.
Lorsque le mode de contamination a pu être renseigné, il est lié à une consommation de viande de porc pour 76,2% des patients et nous n’avons retrouvé aucun cas de transmission via transfusion ou post greffe. Cependant de nombreux cas restent inexpliqués (n=63/105). D’une part, du fait d’une absence de recherche ou d’un non report de cette donnée dans les dossiers du patient. Ceci est un des principaux biais des études rétrospectives. D’autre part, probablement que pour de nombreux cas aucune cause de contamination n’a été retrouvée. C’est le cas dans de nombreuses études et cela montre notre limite dans la compréhension des voies de transmission du VHE et probablement une contamination environnementale qui pourrait jouer un rôle. En effet, des pistes ont été évoquées avec la présence de VHE dans les eaux d’irrigation et d’épandage sur cultures qui pourraient contaminer les fruits, les légumes (45) et les coquillages (46). Le cas d’un patient a été décrit en 2008 avec un génotype viral identique à celui qui se trouvait dans les eaux stagnantes autour de son domicile (47). Il a aussi été montré qu’une consommation d’eau en bouteille protègerait de l’infection (12).
Moins de 2% des patients de notre cohorte présentaient des signes neurologiques tandis que la prévalence de ce type de symptômes chez les patients atteints de VHE varie de 5,5 à 16,5% selon les études (21) (25). Récemment, Dalton et collaborateurs ont montré qu‘au sein d’une cohorte de 400 patients qui présentaient des signes neurologiques, 3,2% présentaient une infection par le VHE (48). Il se pourrait que les neurologues et les médecins consultés par des patients présentant des signes neurologiques soient encore peu informés du lien que ces symptômes peuvent avoir avec le virus de l’hépatite E. Nous pouvons aussi constater que notre cohorte est composée pratiquement à 50% de patients immunodéprimés, groupe de patients où la prévalence des troubles neurologiques semblerait moins fréquente (49).
VHE et immunodépression
Cinquante patients sur les cent-cinq sont immunodéprimés ce qui constitue une proportion plus importante que dans les autres études similaires où ce groupe de patients représente de 3 à 31,5% du nombre total de patients(50) (25) . Nous pouvons proposer plusieurs explications à cela. Tout d’abord par la présence d’équipes sensibilisées à ce type de complications post greffe du fait de la forte prévalence régionale et des publications auxquelles elles ont participé (51) (52) (53). Ensuite, comme nous l’avons développé précédemment un diagnostic d’hépatite porté uniquement à partir des tests PCR. Il y a en effet un biais de recrutement avec une surreprésentation de patients présentant une immunodépression et une hépatite chronique chez qui la virémie est prolongée avec une durée médiane avant négativation de la PCR multipliée par deux (37 vs. 74 jours chez les patients immunodéprimés).
Dix-huit pourcents (n=9/50) des patients immunodéprimés de la série n’ont pas eu de suivi complet puisque six patients n’ont pas eu de PCR VHE de contrôle de guérison et trois patients ont eu un dernier contrôle de virémie positif (dont deux avec une virémie croissante). Ceci soulève le problème du suivi chez ces patients à risque d’évolution vers une cirrhose dans 15% des cas avec comme conséquence un risque de transplantation hépatique (9) et de carcinome hépatocellulaire (54) (55). Une proposition de dépistage annuel systématique -quel que soit le bilan hépatique- pourrait être faite puisque le risque de développement rapide de fibrose varie de un à trois ans selon les études (56). De plus des cas de reinfection par l’hépatite E ont été décrits ce qui suggérerait que l’immunité envers le VHE ne persisterait pas et que ces patients sont à risque de recontamination (2) (57). Il serait donc judicieux de poursuivre ce dépistage même après une première guérison et d’appliquer des mesures afin de diminuer le risque d’infection. Tout d’abord il faudrait informer les patients du risque et des mesures à prendre comme bien cuire la viande porcine, consommer de l’eau en bouteille, éviter le contact direct avec des animaux contaminants ainsi que bien laver les fruits et les légumes avant consommation. Par ailleurs, nous pourrions envisager un dépistage du VHE dans les dons de sang comme cela est fait actuellement au Royaume Uni (pour les patients transplantés d’un organe solide ou recevant une allogreffe de moelle osseuse) et en Irlande (dépistage systématique en cours d’évaluation pendant trois ans) (14). En effet, le risque pourrait dépasser celui de transmission via l’alimentation dans la période péri-transplantation. Une étude publiée en 2017 a montré qu’à partir de 13 poches, le risque transfusionnel dépasse le risque zoonotique (58). Enfin, depuis 2012, un vaccin est disponible en Chine et montre une efficacité sur les virus de génotype 1 et 4 (59). Après trois doses, l’efficacité du vaccin recombinant est de 95,5 % dans la prévention des hépatites aiguës et les anticorps sont encore présents au moins 4,5 ans après le vaccin (60). Le HEV-239 a montré une efficacité chez les patients atteints par des virus de génotypes 1 et 4, qui sont présents en Chine, mais d’après les développeurs, il devrait être efficace contre tous les génotypes car tous les virus appartiennent au même sérotype (60). Cependant il reste beaucoup d’essais à entreprendre avant que ce vaccin soit mis sur le marché pour les patients immunodéprimés à risque d’infections autochtones (i.e. de génotype 3 ou 4). De manière plus simple, dans les pays développés où la maladie est une zoonose, nous pourrions plus rapidement nous tourner vers un vaccin efficace chez l’animal.
VHE et hépatopathie
Les deux patients de la cohorte ayant présenté une cirrhose post-hépatite E sont des histoires cliniques particulières. Tout d’abord, nous avons retrouvé un patient sans antécédent d’immunodépression chez qui une infection virale E chronique compliquée de cirrhose a été diagnostiquée. A notre connaissance il n’y a pas d’autre cas d’hépatite chronique chez des patients immunocompétents décrits dans la littérature à ce jour. Mais cette constatation est à modérer car malgré l’absence de signe clinique d’immunodépression ou de maladie spécifique chez ce patient, des bilans immunologiques ont retrouvé un déficit en lymphocytes T CD4+ naïfs et B mémoire sans déficit des lymphocytes T CD8+ ou Natural Killer (NK). Une étude publiée en 2012 dans Hepatology a montré que, in vitro, la réponse immunitaire adaptative due aux lymphocytes T CD4+ et CD8+ était plus faible chez les patients transplantés présentant une infection chronique en comparaison de patients transplantés ou immunocompétents ayant une cicatrice sérologique d’infection (IgM anti VHE positifs sans ARN VHE détectable) (61). Chez l’animal, il a été montré sur un modèle porcin traité par immunosuppresseurs que lorsque la réponse immunitaire adaptative était supprimée, les animaux développaient une infection chronique (62). Enfin, chez l’homme, Kamar et collaborateurs ont montré qu’un taux de lymphocytes bas était un facteur de risque de développer une infection chronique(63). Par ailleurs Brown et coll. rapporte un faible niveau de réponse T CD4+ et CD8+ chez les patients immunodéprimés (64). Ces différentes études ont été menées chez des patients transplantés mais elles pourraient expliquer le développement d’une forme chronique chez ce patient en apparence non immunodéprimé.
Nous rapportons le cas d’un homme de 65 ans ayant présenté un carcinome hépato-cellulaire (CHC) faisant découvrir une cirrhose sur hépatite E qui a déjà fait l’objet d’une publication (54). Ce serait le premier cas de carcinome hépato-cellulaire sur cirrhose virale E décrit dans le monde. Les mécanismes de carcinogénèses du virus de l’hépatite E restent cependant à explorer mais nous pourrions faire une analogie avec le virus de l’hépatite C (VHC) qui est aussi un virus hépatotrope à ARN. Dans le cas du virus C, plusieurs mécanismes de carcinogénèses sont discutés sans que la physiopathologie ne soit totalement élucidée. Premièrement, via un mécanisme indirect inflammatoire dû à la réaction immunitaire elle-même qui entraîne une destruction à répétition des hépatocytes infectés ainsi qu’un stress oxydatif lésant l’ADN hépatocytaire (65). Deuxièmement, le développement du CHC pourrait être lié à des mécanismes directs. Les protéines d’origine virales pourraient ainsi diminuer l’expression de suppresseurs de tumeur comme la protéine du rétinoblastome et P53 ce qui favoriserait la prolifération des cellules cancéreuses. La présence du VHC abaisserait aussi l’expression du micro ARN miR-122 qui montre des propriétés anti-tumorales par des mécanismes épigénétiques (65). Ce risque de développer un carcinome hépato-cellulaire favorisé par le VHE a aussi été mis en avant par une étude de cohorte camerounaise qui retrouve un taux de portage d’IgG anti-VHE significativement plus important dans le groupe de patients présentant un carcinome hépato-cellulaire par rapport aux patients présentant une maladie chronique du foie non compliquée (41.8% vs 12.6%; OR = 4.8, IC95% 2,3-10,6 ; p=0,0009) (55). De notre côté, nous avons analysé rétrospectivement la cohorte de patients transplantés hépatiques depuis 2013 du CHU de Marseille. En analyse univariée, le fait d’avoir une sérologie VHE positive est un facteur de risque de retrouver un ou plusieurs nodules de CHC sur le foie explanté : OR= 2,14 (IC95% 1,13-4,13), p=0,0048 (données non publiées).
Traitement par ribavirine
Dans notre étude, le traitement par ribavirine montre une efficacité pour tous les modes de présentation de la maladie à risque de complication : chez un patient ayant présenté une ACLF, un patient présentant des signes neurologiques et quinze patients immunodéprimés traités pour hépatite chronique. Pour les patients présentant une forme extra-hépatique neurologique l’utilisation de ce type de traitement est peu fréquente et il est souvent préféré la réalisation d’échanges plasmatiques ou de cures d’immunoglobulines devant le mécanisme physiopathologique de l’atteinte souvent de type auto-immun(26) (49). Mais l’adjonction au traitement immunologique d’un traitement par ribavirine serait souhaitable étant donné la présence de virus détecté au sein du système nerveux central (4).
Pour les patients immunodéprimés, la première étape pour obtenir une clairance virale est la baisse de l’immunosuppression (3). Mais cette prise en charge est considérée hautement à risque de rejet aiguë dans la période post-greffe et, plus particulièrement, chez les patients ayant reçu une greffe de type pulmonaire, cardiaque ou rénale. Pour ces patients, les équipes préfèrent souvent débuter directement un traitement par Ribavirine. Dans l’étude multicentrique comprenant le plus de patients (cinquante-neuf patients transplantés) la dose médiane de traitement était de 600 mg/jour pendant trois mois et cela permettait d’obtenir une guérison dans 78% cas (30). Dans notre institution, nous avons reporté une durée médiane de traitement plus courte d’un mois pour une dose médiane de 800 mg/jour et ceci a permis d’obtenir une guérison après premier traitement de 79,3% puis après deuxième cure de 93,1 %. Cela montre que la durée de traitement reste incertaine comme il a été souligné dans les dernières recommandations EASL 2018 (3) et qu’elle pourrait être raccourcie afin de limiter les effets secondaires sans pour autant altérer l’efficacité. Ceci est montré dans une étude publiée en 2016 : après une durée médiane de traitement de 26 jours seulement 1/21 patient a rechuté (31).
Afin de décider du moment de l’arrêt du traitement nous pourrions suivre la proposition de Abravanel et coll. qui en 2015 ont publié des données montrant que la persistance d’excrétion d’ARN viral dans les selles au moment de l’arrêt de la ribavirine est un facteur de risque de rechute (67). Il faudrait donc vérifier que la virémie ainsi que la présence de virus dans les selles sont négatives avant de pouvoir arrêter la ribavirine.
Nous avons six patients dont cinq immunodéprimés ayant rechuté après un premier traitement par ribavirine. Deux d’entre eux ont présenté des rechutes multiples, avec virémie positive prolongée, et donc des risques connus de développement d’une atteinte hépatique chronique. Chez ces patients on a pu constater qu’une cause d’échec était probablement la mauvaise tolérance du traitement avec pour tous les patients une asthénie marquée due à une anémie ayant nécessité des transfusions ou un traitement par EPO. L’utilisation de l’interferon pégylé, comme proposé dans les études de Kamar et coll. et Hangsma et coll. (68) (69), est limitée puisqu’un risque de rejet aiguë existe chez les patients greffés pour tous les types d’organes (70) (71) (72) (73) en plus des nombreux effets secondaires connus (74). Un second traitement a été récemment proposé, le sofosbuvir, très efficace pour les patients atteints d’une hépatite C chronique (75) et utilisé largement chez les patients greffés (76) (77) qui pourrait être une solution comme cela a été décrit récemment dans plusieurs « cases reports » (78) (79) (80), bien que les résultats apportés par ce traitement restent contradictoires (81) (82).
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Table des matières
Introduction
Matériel et Méthode
Design de l’étude
Données épidémiologiques
Paramètres Biologiques
Tests virologiques
Sérologies virales
ARN viral par PCR
Génotype viral
Analyses statistiques
Résultats
Virémie et Sérologie
Présentation de la maladie
Traitement par ribavirine
Suivi et devenir des patients
Comparaison des patients immunodéprimés et immunocompétents
VHE et hépatopathie
Discussion
Virémie et diagnostic
Données démographiques
VHE et immunodépression
VHE et hépatopathie
Traitement par ribavirine
Conclusion
Références Bibliographiques
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