Étudier la communication de changement et ses effets sur les comportements au travers des dispositifs de sensibilisation sur le Web, ancrage en SIC
Le contexte que nous venons d’évoquer nous conduit à définir l’objet de cette recherche. Notons, tout d’abord, qu’il appartient au domaine de la communication d’action et d’utilité sociétales (Bernard, 2006) en ce sens qu’il s’agit de l’étude des actions de communication mises en place pour répondre à de nouvelles préoccupations sociétales, notamment celle de l’éco-citoyenneté inscrite dans un cadre plus large du développement durable. Ce thème émergent est étudié à travers le Web, nouveau média relevant de dispositifs techno-sémio-pragmatiques (Peraya, 1999) et, de manière plus spécifique, des dispositifs de la communication médiatisée par ordinateur (Proulx, 2001). Le terme « dispositif » est défini ici comme un outil socio-technique mis au service d’une stratégie, d’une action finalisée et planifiée, possédant ses intentions et son fonctionnement matériel, visant à l’obtention d’un résultat (Peraya, 1999).
Au sein de ces concepts fédérateurs, ce travail vise à étudier les effets sur les comportements de la communication médiatisée par des dispositifs de sensibilisation mis en place sur le Web. La communication est ici opérationnalisée à travers deux paradigmes théoriques, la persuasion et la soumission librement consentie, les paradigmes que nous réunissons sous l’appellation communication de changement comportemental. La communication de changement – conduite dans le but de favoriser les changements cognitifs et/ou comportementaux – et ses effets sur les comportements individuels seront les éléments clés de notre réflexion. Une telle définition de l’objet permet de mettre en avant la relation entre la communication et l’action (Bernard, 2007) en privilégiant l’étude de l’impact de la communication médiatique électronique sur les comportements effectifs des internautes.
Comment cet objet émergent s’inscrit-il en sciences de l’information et de la communication ? Quel est son ancrage au sein des SIC ? Pour répondre à cette question, une des solutions consiste à essayer de positionner notre objet de recherche par rapport à des concepts et à des champs de questionnements prioritaires relevant des SIC. Nous constatons, à ce propos, que cet objet est construit autour de concepts mobilisés par les chercheurs en SIC : effets de la communication médiatique, communication médiatisée par des dispositifs techniques, processus de réception, émergence de nouveaux médias et de nouvelles formes de communication, etc. Même si certains concepts mobilisés dans cette recherche sont issus d’autres disciplines (notamment le paradigme de la soumission librement consentie, ou de façon plus générale, les stratégies de changement comportemental initialement étudiées dans le cadre de la psychologie sociale), leur importation ou l’adoption par les SIC est scientifiquement formalisée et peut donc être considérée comme définitive (Courbet, 2004).
D’autre part, nous pouvons situer ce travail par rapport aux enjeux de la communication tels que définis par Mucchielli (1995). Selon Bourdieu (1982), « tout comportement communicatif s’inscrit dans un jeu social nécessairement porteur d’enjeux ». De ce point de vue, il s’agit d’étudier la dimension conative – identifiée comme un des cinq types d’enjeux de la communication – qui renvoie à la possibilité d’influencer l’autre dans ses actes, autrement dit, aux objectifs comportementaux des processus communicationnels.
Enfin, le positionnement disciplinaire de cette recherche peut être justifié par la spécificité de l’approche. Ainsi, bien qu’elle puisse être qualifiée d’interdisciplinaire, notamment du fait de l’emprunt de certains modèles et théories issus de la psychologie sociale, notre domaine d’investigation concerne avant tout les processus et les situations de communication, à savoir la communication de changement comportemental en tant qu’une des formes de la communication d’influence. Les processus étudiés relèvent d’actions de communication contextualisées, organisées et finalisées – c’est-à-dire possédant un but précis, prévues et réglées à l’avance – et prenant appui sur des procédés et des dispositifs mis en œuvre par l’agent de communication (institution, professionnel, etc.). Ces divers éléments permettent d’inscrire ce travail dans le champ disciplinaire des sciences de l’information et de la communication.
Attitudes vs opinions (schéma d’Eysenck)
Pour expliquer la différence entre les opinions et les attitudes, nous utiliserons le schéma proposé par Hans Eysenck (1954). Il s’agit d’une représentation pyramidale à quatre niveaux. En bas de cette pyramide, les opinions isolées, accidentelles, qui ne peuvent prétendre à être caractéristiques de l’individu (niveau I). Un tel s’exprime aujourd’hui d’une façon particulière, mais dans d’autres circonstances il soutiendra probablement un point de vue différent. Au niveau suivant, nous trouvons des opinions relativement constantes chez un individu, ce sont des opinions stables (niveau II). Ensuite, à un niveau plus élevé, nous découvrons les attitudes (niveau III), par exemple l’attitude négative vis-à-vis du tabac. Il ne s’agit plus ici de l’expression d’une opinion isolée, mais d’un ensemble d’opinions stables reliées entre elles et dont l’ensemble compose l’attitude anti-tabac. Enfin, à une plus grande échelle, les attitudes elles-mêmes sont interdépendantes. Ceux qui adoptent une attitude anti-tabac ont de grandes chances d’adopter aussi une attitude positive vis àvis du sport, des activités physiques en plein air, de la nutrition équilibrée, etc. Ces diverses attitudes forment alors un ensemble plus ou moins coordonné et correspondant à ce que Eysenck appelle une idéologie (niveau IV). En dehors du contexte politique évoqué dans les travaux d’Eysenck, on pourrait aussi bien dire qu’il s’agit ici d’un système de croyances ou de valeurs.
Approche fonctionnelle des attitudes (Katz)
Selon Daniel Katz (1960), la formation et le changement des attitudes sont régis par quatre fonctions essentielles que remplissent les attitudes :
– fonction de connaissance ou épistémique : les attitudes jouent un rôle cognitif. Elles participent à mettre en place un système de connaissances pour comprendre le monde. Comprendre signifie introduire des distinctions, des précisions, et finalement construire une forme stable d’organisation des connaissances acquises. Les attitudes permettent donc de classer, trier et porter un jugement sur de nouvelles informations.
– fonction d’adaptation : l’individu tend à rechercher autour de lui ce qui lui est agréable ou le valorise, et à fuir ce qui lui est désagréable ou le diminue. Les attitudes se présentent alors en tant que résultat de multiples expériences et moyens de réponses à des situations. Au-delà de l’aspect de l’intégration personnelle, les attitudes relèvent aussi de la prise en compte des opinions des autres. Elles permettent à l’individu de s’associer à un « groupe de référence », c’est-à-dire non pas au groupe auquel il appartient, mais à celui auquel il voudrait appartenir ou éventuellement s’apposer. L’attitude remplit dans ce cas la fonction d’intégration à un groupe.
– fonction expressive : la présence d’attitudes donne à l’individu un moyen de s’exprimer, de mettre en valeur le type de personnage qu’il souhaiterait représenter (cf. la notion du groupe de référence). Promouvoir cette image de soi à travers les idéaux du groupe peut être source de satisfaction et d’épanouissement personnel.
– fonction de défense de soi : l’individu élabore des processus de protection pour éviter de prendre conscience de ses propres faiblesses ou de la réalité extérieure qui n’est pas à son avantage. Pour ce faire, il peut soit ignorer, soit déformer la réalité. Ce type d’attitudes naît des conflits cognitifs ou émotionnels intérieurs de l’individu. Faute de raison objective pour cette attitude, l’individu se construit sa propre explication du problème en question par le mécanisme du bouc émissaire joué par un objet souvent extérieur à la situation donnée. Le degré de conscience des mécanismes de défense attitudinale varie considérablement d’un individu à l’autre et peut aller d’une lucidité certaine à une inconscience totale.
|
Table des matières
INTRODUCTION
Contexte en trois mots clés
Étudier la communication de changement et ses effets sur les comportements
au travers des dispositifs de sensibilisation sur le Web, ancrage en SIC
Problématique et contexte théorique
Deux questions de recherche
Méthodologie expérimentale au sein d’une approche constructiviste :
mobiliser l’épistémologie de Popper
Hypothèses
Méthode expérimentale précédée d’une expérience qualitative
Structure de ce volume
CHAPITRE 1 – QUELQUES NOTIONS INTRODUCTIVES
Influence, persuasion, manipulation
Attitudes comme déterminants du changement
Notion d’attitude
Attitudes vs opinions (schéma d’Eysenck)
Approche fonctionnelle des attitudes (Katz)
Attitudes vs comportements
Attitudes prédictives des comportements ?
Théorie de l’action planifiée d’Ajzen
Force de l’attitude
Persuasion vs engagement
CHAPITRE 2 – PARADIGME DE LA PERSUASION
Bref historique
Définitions, remarques introductives
Argumentation comme étude des arguments
Structure d’un argument (Toulmin)
Traitement cognitif du message persuasif, les modèles à deux voies
Modèle de probabilité d’élaboration (ELM)
Modèle heuristique-systématique (HSM)
Effets de l’argumentation sur les comportements éco-citoyens
CHAPITRE 3 – PARADIGME DE LA SOUMISSION LIBREMENT CONSENTIE
Théorie de la dissonance cognitive
Théorie de l’engagement
Définition de l’engagement, théorie de la rationalisation
Facteurs d’engagement dans un acte
Effets attitudinaux et comportementaux de l’engagement
Techniques d’engagement
Art de requêtes astucieuses : amorçage, leurre, pied-dans-la-mémoire
Pied-dans-la-porte
Engagement et éco-citoyenneté : quelques recherches expérimentales
CHAPITRE 4 – INFLUENCE SUR LE WEB : EFFETS DE LA COMMUNICATION MÉDIATIQUE ÉLECTRONIQUE SUR LA RÉCEPTION
Quelques notions essentielles : média, médiatisation, CMO
La CMO comme objet d’étude théorique
Anonymat
Traitement cognitif de l’information dans un environnement « anonyme »
Effet de l’environnement anonyme sur la réception
Interactivité
Qu’est-ce que l’interactivité ?
Interactivité des sites Web
Documents médiatiques interactifs et traitement cognitif de l’information
Effets de l’interactivité sur la perception et les attitudes
Web participatif : un pas de plus vers la communication d’influence efficace
CHAPITRE 5 – SENSIBILISATION À L’ÉCO-CITOYENNETÉ EN LIGNE : ANALYSE DE DEUX DISPOSITIFS WEB « ENGAGEANTS »
Méthode d’analyse
Analyse du dispositif de sensibilisation en ligne One Billion Bulbs
Descriptif du site Web, procédures utilisées
Facteurs contextuels d’engagement
1. Sentiment de liberté
2. Visibilité sociale
3. Importance de l’acte
4. Raisons de l’acte
Discussion des résultats
Analyse de la campagne Défi pour la terre
Descriptif du site Web, procédures utilisées
Analyse des facteurs contextuels d’engagement
1. Sentiment de liberté
2. Visibilité sociale
3. Importance de l’acte
4. Raisons de l’acte
Contexte engageant offert par le Web
Bilan de l’étude et ses limites
Vers une communication engageante sur le Web
Communication engageante sur le Web : une nouvelle piste d’investigation
expérimentale
CONCLUSION
Télécharger le rapport complet