Comment s’habiller au 19e siècle ?

Dans une gravure produite par John Henry Walker au nom de la Society of Temperance de Montréal vers 1850, trois hommes en tenue soignée et à la posture rigide font face à un mendiant à l’ habit embrouillé et haillonneux, étendu sur un petit amoncellement de paille devant un bâtiment identifié Hal! of temperance . En arrière-plan, quatre cheminées s’ élèvent, dont deux encore fumantes. Alors que le démuni tend la main pour demander quelques pièces, l’ homme en tête de file dresse le doigt en direction du hall. Mais simultanément, cet index brandit avec bienveillance et notoriété pousse le regard du spectateur bien au-delà de l’enseigne, à la diagonale de l’édifice, vers le ciel où prédominent les deux conduits qui crachent le nuage charbonneux de l’effort industriel. Dans la bande blanche qui cerne l’image, écrit en lettres franches, on peut lire : Come with us and we will do you good.

Entre le trio et le mendiant, plusieurs déséquilibres se perçoivent dès le premier regard. Déséquilibre des fortunes, d’abord, mais aussi déséquilibre du nombre, dans cette opposition subtile entre le us et l’homme seul, entre la bonne société et sa marge. Déséquilibre encore dans cette possibilité non négligeable qu’ont ceux-ci de pourvoir aux besoins de celui-là, signalant à la fois un ascendant, une consécration morale et le triomphe d’un mode de vie qui leur est propre. Déséquilibre finalement dans le vêtement porté, qui synthétise en réalité les précédents en opposant à l’œil du spectateur les habits raffinés des bienfaiteurs à la veste déchirée du miséreux.

Cette composition, où le contraste du vêtement s’associe à des statuts réels et moraux, à des modes de vie qui affirment la réussite ou l’échec social, à un environnement physique où l’usine surplombe la paille, intéresse ici en ce qu’elle présente avec justesse et simplicité l’enchevêtrement du sens, de l’étoffe et de la société qui les fait naître. Hors société, le vêtement se voit rapidement dépouillé de ses significations; mais placé en elle, il s’imprègne au contraire, comme d’une teinture, d’une somme inépuisable de contenus, profitant des empreintes simultanées de la morale, des hiérarchies, des esthétiques, de tout ce qui forme à proprement parler la culture. C’est pourquoi une étude du vêtement qui ignorerait l’étude du sens vestimentaire ne saurait saisir ce qui, au-delà de l’évolution et du port des pièces en elles-mêmes, assure dans la pratique quotidienne du vêtement la correspondance maintenue et constamment réaffirmée entre l’être et le paraître.

Pour comprendre le parcours historique ayant lié la canne, le haut-de-forme et le manteau fraîchement taillé au prestige et à la notabilité, il importe de s’écarter momentanément du vêtement lui-même pour se concentrer sur le jeu social qui en fixe les contenus. Or, ce jeu social, toujours mouvant, créant du sens par des usages répétés dans le temps, sera ici appréhendé par la compréhension qu’ont pu se faire les contemporains de leurs propres codes sociaux, par les cristallisations réalisées à l’aide de leur langage et de leurs propres mots pour s’expliquer cette norme aux contours flous, noyée de sous-entendus.

Par la consultation de 21 manuels de savoir-vivre publiés à Montréal et en Ontario au 19e siècle et au début du 20e siècle, nous verrons ici comment, au-delà des faibles changements qu’enregistrent les règles du vêtement et les modèles du comportement masculin tout au long de la période, la logique de la norme qui les supporte prolonge en réalité les modes d’exclusion des siècles précédents, en maintenant presque indemnes les exigences de l’étiquette. Nous pourrons de ce point valider notre hypothèse de recherche, selon laquelle le vêtement masculin du 19e siècle conserverait intrinsèquement, malgré les changements majeurs touchant sa forme, de nombreux critères de distinction.

Comment s’habiller au 19e siècle? 

Additionnant les règles de port, d’ agencement et d’ usage, l’ habillement fait l’ objet dans notre corpus d’ une préoccupation constante qui signale, malgré l’ apparente simplicité de la tenue masculine, la profondeur de l’exigence ayant pesé sur l’homme dans la réalisation de ses choix vestimentaires. Loin d’être soumis à la négligence ou au désintérêt, le vêtement masculin du 19e siècle apparaît au contraire dans les manuels de savoir-vivre de Montréal comme un système rigidement codifié, ne laissant que de très fines marges d’ action entre la mise adéquate et la faute de goût.

La « grande renonciation masculine » au vêtement proposée par Flügel, selon laquelle l’uniformisation du vêtement résulterait d’ un processus de démocratisation qui aurait invalidé la recherche de distinction ostentatoire entre citoyens égaux , ne doit pas en ce sens être interprétée comme une désaffectation complète de l’homme face aux enjeux de l’apparence, mais plutôt comme la genèse dans les pratiques masculines d’ un travail peaufiné d’ « inostentation ». Différente dans ses déclinaisons, la recherche du paraître demeure ainsi au 19e siècle un souci intrinsèque aux rituels de civilité, se traduisant principalement par la crainte de révéler aux autres une « nature » qui pourrait compromettre le plein succès personnel en société. Cette adéquation entre l’ apparence et le tempérament se rencontre à de nombreuses occasions dans les manuels du corpus, où le lecteur est constamment sommé d’éloigner de sa tenue « l’emphase, le prétentieux, et tout ce qui sent le chercheur d’esprit », car « le style le plus simple, le plus naturel est le cachet de l’homme qui a véritablement de l’esprit », au contraire de ceux «qui paraissent n’avoir jamais une opinion à eux, qui adoptent une opinion comme ils suivraient une mode, comme ils choisiraient la couleur d’une cravate ou la coupe d’un habit », sachant qu’« il est impossible d’estimer des galants aussi volages, qui ne sont jamais fidèles à rien parce qu’ils n’ont jamais eu de principes arrêtés. » .

Des propositions similaires peuvent être trouvées dans les ouvrages de langue anglaise, notamment au fil de remarques soulignant la relation entre le vêtement porté, la condition sociale et la finesse d’esprit :
– In England it is a common remark, that you may know a nobleman by his plain dress, and by the absence of ail jewelry. And [ will add, that everywhere you may know a shoddy pretender by an excessive display of jewelry. No person of really fine culture delights in an exhibition of trinkets or gew-gaws of any kind. The refined soul cannot make an ornamental parade.
– The dress of a French peasant tells you at once of his place in society. Throughout Europe the dress may be taken as the exponent of the wearer’s position. This is as true of women as of men. For good reasons, the language of dress is not so definite and explicit in America. But ev en here we may judge very correctly, in most cases, by the every-day dress, of the position of the wearer.

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Table des matières

INTRODUCTION 
CHAPITRE 1 
MANUELS DE SAVOIR-VIVRE, D’ETIQUETTE OU DE MORALE?
COMMENT S’HABILLER AU 19E SIECLE ?
REGLES DE PORT
REGLES D’ AGENCEMENT
REGLES D’USAGE
SE VETIR VERS LE HAUT
UN VETEMENT SIMPLE ET SOBRE POUR UN HOMME SIMPLE ET SOBRE
CONCLUSION: UN RAPPORT COMPLEXE A L’APPARENCE
CHAPITRE 2 
DES TENUES IMMORTALISEES
UN VETEMENT CONFORME, AUX NOMBREUSES VARIABLES DISTINCTIVES
MOINS CONFORMES
CONCLUSION: SIGNIFIER PLUS AVEC MOINS
CHAPITRE 3 
POUR UNE QUANTIFICATION DU DETAIL
LA COUPE ET L’HABIT
QUELQUES COULEURS
UNE DIVERSITE PAR LE TISSU
UNE DEPENSE A DEMI CACHEE: LA DOUBLURE
CONCLUSION: LE DETAIL DU DETAIL..
CONCLUSION

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