Histoire de la psychomotricité
Pour retracer l’histoire de l’émergence de la psychomotricité, nous nous appuierons principalement sur l’article de Gérard Hermant : La psychomotricité dans le monde. Origines, évolutions, actualités et perspectives (2008) ainsi que sur le site internet du Syndicat National d’Union des Psychomotriciens (SNUP).
Durant la première moitié du XXe siècle, une culture du physique s’instaure en France et, avec elle, une règle s’impose peu à peu : pour être en bonne santé, il faut être sportif. Les études sur le corps et sa motricité émergent alors. La première déséquilibration motrice décrite est celle d’Edouard Dupré en 1915. Ce concept qu’il nomme « débilité motrice » fait d’Édouard Dupré un précurseur de la psychomotricité (C. Potel, 2019) . A la suite, J. de Ajuriaguerra contribuera aux prémices de l’émergence de la psychomotricité. Il met en évidence une sémiologie psychomotrice propre à l’enfant. Ce dernier est confié à l’école et son corps, au professeur d’éducation physique au nom de la même règle de vie qui stipule qu’un corps sain contribue à une vie saine. Accompagné par la clinique d’André Thomas tout au long de son œuvre, il va mettre en place des techniques innovantes à l’hôpital Henri-Rousselle, à Paris, et des approches corporelles pour aider les enfants dès 1947. Son équipe de recherche est composée entre autre de Suzanne Borel-Maisonny, de Nadine Gallifret-Granjon, de Mira Stamback et de René Zazzo.
Une contribution très importante va voir le jour en 1959 et va constituer l’acte fondateur de la psychomotricité (C. Ballouard, 2008). Dans un texte co-écrit avec Gisèle Bonvalot-Soubiran, une des premières kinésithérapeutes J. de Ajuriaguerra définit les troubles psychomoteurs en utilisant l’apport de nombreuses disciplines et auteurs : les apports de la neuropsychiatrie de Dupré, la psychologie génétique décrite par Wallon, la phénoménologie de Merleau-Ponty, sans oublier Freud et la psychanalyse. Il rappelle l’importance d’une meilleure compréhension de l’intégration des phénomènes émotionnels théorisée par Wallon et insiste sur l’introduction obligatoire des notions de schéma corporel et d’organisation spatio-temporelle. Il retient également les apports de Schultz et de Jacobson sur les expériences de relaxation contrôlée.
Beaucoup des termes et des noms évoqués dans ce texte “parlent” à la plupart des psychomotriciens encore actuellement, et semblent poser les fondement de grandes notions psychomotrices.
Notre lieu d’intervention : le Centre d’Accueil Social Protestant (CASP) d’Hélianthe
Le Centre d’Action Social Protestant (ou CASP) est une association reconnue d’utilité publique divisée en trois branches : l’accès à la vie sociale, l’accès au logement et l’accès aux droits. Il est constitué de salariés et de bénévoles qui ont pour mission l’écoute et l’accompagnement de personnes isolées et désocialisées dans la vie quotidienne, juridique, professionnelle, l’accès aux soins et aux services publics.
Actuellement, nous intervenons une fois par semaine dans un des centres du CASP : le Centre d’Hébergement d’Urgence (CHU) d’Hélianthe. Ce centre a pour mission l’hébergement de personnes ayant des problèmes de santé, des difficultés sociales et d’hébergement. Les soins médicaux ont lieu à l’hôpital mais une infirmière libérale et des professionnels paramédicaux peuvent intervenir dans la structure. Normalement, chaque résident établit avec l’équipe et l’assistant social de son hôpital un projet de vie pour préparer sa sortie de l’institution.
Les personnes accueillies sont réparties en chambre individuelle ou double sur les trois étages du centre. Au rez de chaussé se trouvent l’accueil et les locaux administratifs.
Au second étage, on trouve une salle de lieu de vie équipée d’une cuisine, d’un coin salon avec canapés et télévision, d’une petite bibliothèque et de deux grandes tables pour les repas et les réunions, avec un balcon donnant sur la rue.
C’est dans ce lieu de vie, accessible à tout le monde et à tout heure, que nous réalisons nos séances de psychomotricité.
Le cadre psychomoteur de la séance
De la réflexion
Si l’on reprend C. Potel (2019), le travail du psychomotricien ne peut se faire qu’en réfléchissant au préalable l’espace, le matériel, le temps, l’encadrement et le fonctionnement institutionnel. Ce cadre se doit d’être contenant afin “d’abriter et de contenir ce qui est délié, défait, désaffecté, déshabité, en menace de débordement ou d’engloutissement” (C. Potel, 2019, p.329).
D’après C. Bellouard (2006), le cadre est une enveloppe constante permettant le changement en son sein. ll permet de délimiter un “dedans” et un “dehors” tant sur le plan physique que psychique. Le cadre est une garantie de sécurité pour le patient qui peut alors trouver sa place, un temps et un espace pour lui. Il est aussi une protection pour le thérapeute qui lui permet de s’impliquer dans la prise en charge.
La disposition et la taille de la salle ont un impact sur la pratique psychomotrice. En effet, elle influence la perception de l’espace, les repères spatiaux et peut aussi avoir une influence sur le type de médiation qui peut être pratiquée en son sein. Les délimitations de la salles, ses murs, ses portes, ses fenêtres viennent définir l’espace dans lequel se déroulera la prise en charge.
Elles marquent “le dedans” et “le dehors” de la salle, mais aussi plus globalement de la séance. Le choix des meubles et objets de la pièce ainsi que leur disposition doivent aussi être réfléchis afin de s’adapter au mieux aux propositions.
Une séance est aussi une prise en charge dans un temps donné. D’une part, il faut déterminer la durée du projet, avec une durée prédéfinie, quitte à la renouveler ou à la prolonger. D’autre part, il faut aussi clairement expliciter la régularité et le temps hebdomadaire qui lui sera consacré. Ce sont des repères temporels pour les différents participants, raison pour laquelle la régularité est primordiale. Il faut éviter au maximum les longues périodes de pause par exemple, pour qu’une véritable habitude s’instaure semaine après semaine.
Il est important que le cadre soit sécurisant et le plus stable possible afin de maintenir la cohérence du projet et de permettre aux différents protagonistes d’être dans les meilleures conditions pour la prise en charge. On peut l’aborder de différentes manières. Par exemple, le début et la fin des séances seraient définis par des rituels qui reviendraient chaque semaine : installation du matériel, temps de parole. Une salle agréable, d’une taille adaptée, bien insonorisée serait l’idéal pour accueillir les séances. Dans la pratique, cela est rarement le cas et notre stage ne dérogera pas à la règle.
à la réalisation
Pour le cadre spatial, le seul lieu dans lequel il nous est possible d’effectuer nos séances est la salle commune que nous avons décrite précédemment et que nous avons pu voir avant nos interventions commencent lors de différentes réunions. Située au coeur du bâtiment, c’est à dire au deuxième étage et au centre de toutes les chambres, elle est présentée comme le noyau central des activités communautaires. Les deux portes d’accès sont habituellement grandes ouvertes, mais nous pouvons les fermer lors des séances. Les grandes fenêtres sur le mur parallèle donnent à la pièce beaucoup de luminosité mais la rendent bruyante du fait de la rue adjacente et du manque d’isolation. Des rideaux opaques peuvent être tirés afin de diminuer ces deux inconvénients. Les lieux étant habituellement en libre accès, et vue la présence du réfrigérateur commun et des micro-ondes, nous savons que le risque est fort d’être dérangés pendant les séances. Les canapés et tables sont déplaçables facilement à l’aide de roulettes, et libèrent ainsi un espace d’une vingtaine de m2. Le matériel, lui, est bien maigre car nous ne sommes pas dans une structure de soin, et Viacti ne stocke pas le sien sur place. Nous avons cependant accès à des tapis de sol relativement fins, à des petits coussins et aux chaises qui sont là habituellement. Pour le reste, nous pouvons ramener des objets que nous possédons. Au niveau du cadre temporel, nous avons déterminé en amont avec notre référent de stage à Viacti et le directeur du CASP que notre projet se déroulerait d’octobre 2019 à fin mai 2020. Nous savions que les séances auraient lieu le jeudi, jour de notre présence à ce stage, mais il nous fallait encore déterminer l’horaire. Nous intervenons sur un autre lieu de prise en charge de Viacti le matin et vue la durée de trajet entre ces deux établissements, il nous était impossible d’être présentes au CASP avant quatorze heures. Nous nous sommes mises d’accord sur 14h30, pour permettre aux participants d’avoir le temps de manger, tout en ayant du temps le reste de l’après-midi pour se rendre à d’autres rendez-vous ou activités. Chaque séance dure une heure, et finit donc à 15h30.
Nous avons dès le départ souhaité structurer chacune d’elle de la même manière : la commencer avec une mise en corps afin de la lancer puis finir par un temps d’échange assis tous en cercle. Tout ceci afin de donner des repères et d’instaurer une continuité semaine après semaine.
Le manque de régularité et d’investissement des participants
Nous abordons donc maintenant la question de la régularité, qui concerne pour une grande part la notion de repère temporel et d’investissement. De notre côté, nous avons tout fait pour annuler le moins de séances possibles. Pendant les vacances, lorsque l’une partait, il est arrivé à l’autre de diriger la séance seule. Nous avons également rencontré des difficultés à nous déplacer lors des grèves du Régie Autonome des Transports Parisiens (ou RATP) qui ont duré près de deux mois. Bien que ces perturbations ne nous aient empêchées qu’à une seule reprise de mener la séance, marcher pendant une heure trente pour se rendre à la structure a mis à mal notre entrain et nous avons été dans l’obligation d’annuler nos présences à notre stage certains matin, auprès d’une autre structure en collaboration avec un professeur d’activité physique adaptée de Viacti, afin d’être à l’heure l’après midi et de maintenir une certaine régularité.
Par contre, nous avons souvent constaté que la régularité des résidents n’était pas des plus exemplaires. Nous le savions dès notre arrivée et nous avions été prévenues mais y être directement confronté fut assez désarçonnant : même au bout de plusieurs mois, nous devions toujours frapper aux portes des potentiels participants, sans la promesse que ceux-ci seraient présents ce jour-là ou auraient la motivation et la force de venir. Nous préparions donc les séances d’une semaine à l’autre sans savoir si nous allions accueillir deux ou six participants. Et si, au début de la mise en place du projet, un petit noyau de trois personnes était toujours présent, suite à l’aggravation de la maladie de l’un et au décès d’un autre, nous nous sommes retrouvées le reste de l’année à pénêtrer dans une salle vide et à croiser les doigts pour que des participants soient présents. Si cette situation a pu être difficile pour nous, nous gardions tout de même en tête que la priorité de ces personnes malades était leurs traitements et leurs rendez-vous médicaux et qu’elles pouvaient à tout moment être opérées ou hospitalisées et ce de manière imprévue. Nous avons donc pris l’habitude de frapper aux portes des résidents. Nous avions convenu entre nous de ne faire cela qu’en début de l’année, afin qu’une routine s’instaure et que nous n’ayons peu à peu plus à le faire. Chaque semaine, en fin de séance, nous leur rappelions la date de la séance suivante et nous leur laissions entendre que nous aimerions ne pas perdre de temps à aller tous les chercher en début d’heure. Mais cette procédure, qui devait être ponctuelle, est devenue hebdomadaire. Pour autant, lorsqu’ils venaient, tous semblaient ravis et motivés. Certains même sont quelques fois aller d’eux-mêmes chercher leurs camarades après leur avoir parlé de nos séances. Nous avons également eu droit à quelques beaux remerciements qu’ils soient verbaux ou symbolisés à deux reprise par de la nourriture. Nous nous sommes donc posé la question de la motivation initiale et, après discussion entre nous et avec notre maître de stage interne à l’école, avons décidé que c’était notre rôle de leur donner l’envie de venir nous voir les jeudi après-midi. Pour ce faire, le moyen le plus efficace a été d’aller les chercher en personne dans leur chambre, avec le risque de les déranger mais aussi la possibilité de leur montrer que toutes les semaines nous pensions à eux.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. Découverte de la structure d’accueil
A. Au carrefour de la psychomotricité…
1. Histoire de la psychomotricité
2. Législation et indications
B. … et de l’Activité Physique Adaptée (APA)
1. L’association Viacti
2. Rôle du professeur d’APA
a) Origine et législation
b) Les missions
3. Premier mois d’observation et de réflexion
C. Notre lieu d’intervention : le Centre d’Accueil Social Protestant (CASP) d’Hélianthe
D. Premiers rendez-vous et rencontre
1. Avec le personnel
2. Avec les résidents
E. Conclusion
II. Création du projet
A. Les résidents du CASP d’Hélianthe
B. Sémiologie psychomotrice pour cette population
1. Image du corps, schéma corporel et limites
2. Dialogue tonico-émotionnel et régulation tonique
3. Espace
4. Rythme et temps
C. Conception du projet
1. Les grands axes de travail dégagés
2. Le cadre psychomoteur de la séance
a) De la réflexion…
b) … à la réalisation
3. Penser la séance
a) La danse, mode d’expression et de communication
b) La relaxation, apaisement psychique et physique
c) L’articulation entre ces deux médiations
d) La prise en charge groupale
e) Lien avec le mouvement et le sport prônés par Viacti
D. Conclusion
III. Réalisation et évolution du projet
A. Début de la prise en charge
1. Description des premières séances
2. Présentation des participants
B. Déroulement du stage
1. Évolution semaine après semaine
2. Exemple de séance
a) Description des proposition et observations
b) Analyse psychomotrice
C. Écueils rencontrés et solutions proposées
1. La réalité du cadre institutionnel
2. … qui influence le cadre de la séance
3. Le manque de régularité et d’investissement des participants
4. Le problème de communication
a) Un exemple de situation complexe : le décès d’un résident
b) Le cahier de transmission : une solution
D. Gérer la fin de la prise en charge
CONCLUSION
Bibliographie
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