Comment prendre en charge, en médecine générale, des patients souffrant de leurs conditions de travail ?

Recrutement

   Les individus ont été recrutés dans la plupart des cas en cabinet de médecine générale ou dans un centre de médecine du travail, mais également dans l’entourage de l’enquêtrice. Avec leur accord, les médecins leur ont proposé de voir l’enquêtrice directement lorsqu’elle était présente sur les lieux ou bien de lui communiquer leurs coordonnées. Le cas échéant, l’enquêtrice les a ensuite contacté par téléphone pour fixer un rendez-vous pour un entretien. Au cours de l’étude, la variété maximale des points de vue a été recherchée, plutôt que la représentativité. Au moment des rendez-vous, une demande de consentement par écrit (cf. Annexe 1) a été remise aux volontaires, ainsi qu’une notice d’information (cf. Annexe 2) expliquant le contexte de réalisation de l’étude, son objectif, ainsi que le déroulement de l’entretien. Les critères d’inclusion comprenaient des personnes majeures, ayant souffert de leurs conditions de travail, dans le passé ou dans leur présent travail.

Des réactions psychiques

– Le déni d’une souffrance E3 : «Et puis il y a aussi, je pense que aussi je me fermais beaucoup les yeux », du lien possible avec les conditions de travail ou avec toute notion positive E3 : «Sauf que burn-out, je l’ai abandonné parce que ça fait trop genre « ouais, je suis hyper forte. C’est parce que je me donne trop que j’ai été comme ça » alors qu’une dépression c’est de l’ordre de la fragilité, et moi, pour moi c’est important de me dire que c’est ma fragilité qui me, qui m’avait mené là et pas juste parce que je me donne trop », alimentant un statu quo E3 : «En fait, je voulais que ça disparaisse de ma vie quoi, que ça prenne le moins de place possible. Donc non il n’y a pas eu de…je n’ai pas été dans l’attente d’une aide, au contraire, j’avais envie qu’on ne m’en parle pas quoi. »
– être surpris par ses propres réactions lorsque la souffrance refoulée rattrape la personne E6 : «Je ne pensais pas craquer avant. Enfin voilà, en général, je suis plutôt déterminée, et… ça ne me ressemble pas en tout cas. Euh, enfin c’est tout. Après j’ai été rattrapée par les émotions, par le corps qui se mettait en alerte», E7 : «je ne sais pas ce que ça représente vraiment le conscient et l’inconscient chez quelqu’un, mais je me rends compte que parfois on croit qu’on va réagir d’une façon et en fait on ne réagit pas du tout de cette façon-là. Ce que je veux dire par là, c’est que moi je me suis toujours promis de ne pas laisser mon travail m’entacher ma vie », E8 : «Donc ce n’était pas trop mon caractère quand même. Je ne suis pas un gros dur non plus, mais euh ce n’était pas de mon caractère de me mettre à pleurer devant tout le monde pour une raison que je ne savais même pas moi que je ne connaissais pas ».
– Ressentir de la colère et une violence interne E5 :«je déverse toute mon agressivité vers l’intérieur parce qu’elle n’a plus aucune portée à l’extérieur » ; E5 : « J’avais envie de cogner les gens. Alors je me suis dit : « Vas-y, lâche ! », réagir à cette souffrance par un besoin de revanche E5 : «Sensation de revanche à prendre, ça s’atténue avec le temps et l’âge hein » ; E7 : «parce que je n’aurai pas au moins tenté, je dirai, de faire payer, au sens second du terme, pour ce qu’ils ont fait »
– Présenter des signes d’anxiété (E3, E5, E6, E9,E11) : avec des angoisses et des symptômes végétatifs E3 : «J’étais mal tout le temps, je n’arrivais pas expliquer les maths, par exemple, j’avais toujours la boule au ventre » ; E6 : «puis j’avais des palpitations depuis quelques semaines à aller travailler » ; E10 : «Il y a des moments, avant j’avais plaisir d’y aller, et maintenant quand j’allais au boulot et ben vous avez l’estomac serré. J’ai mal à la gencive, tellement j’ai d’angoisses maintenant », une obnubilation avec des troubles de l’attention E11 : «Pour lire un livre, c’est, une galère, je lis un livre, ben comme je disais, « Interne » en ce moment, je suis en train de lire, je lis hein, je ne comprends rien à ce que je lis, parce que je suis en train de penser au boulot que j’ai après, au boulot que j’ai fait la veille, au week-end que je vais avoir.»
– Présenter des troubles du sommeil, plainte particulièrement fréquente (E3, E4, E5, E9, E10) E3 : «donc je travaillais beaucoup la semaine et euh je ne dormaispas. Et je ne dormais jamais », E5 : «j’ai arrêté de dormir», E10 : «Je me pose tellement de questions, sauf que des fois ça m’empêche de dormir… » qui peut être un motif de consultation en médecine générale E4 : «Je suis allée le voir car je ne dors pas bien. Le soir, je pense à beaucoup de choses. Je m’endors avec la télé puis je me réveille, je dors trois heures puis je me réveille. Des fois je mets la radio qui s’éteint toutes les demi-heures, je sais que je dors quand elle s’éteint sans que je me rende compte mais je me réveille».
– Présenter des symptômes d’un état dépressif, comme la perte de confiance en soi E3 : «je commençais à ne plus du tout avoir confiance, plus du tout confiance en moi, j’étais hyper mal, hyper faible » avec une remise en question de ses capacités E9 : «ou c’est de notre faute et on n’a pas su évoluer avec ce que nous demandait l’entreprise, mais quand on y repense on se dit « non », on essaie quand-même, on est quand-même toujours à la pointe, c’est toujours les jeunes qui viennent nous demander, donc c’est qu’on est encore capable de leur apporter quelque chose », des comportements d’addiction E5 : «Ouais, je me suis drogué comme un ouf », une clinophilie E3 : «Et en fait, j’avais, je ne pouvais juste pas bouger de chez, de mon lit. Donc en fait j’ai préféré rester au lit tout le week-end, en me disant que j’allais me lever » qu’ils soient intégrés dans un tableau d’état dépressif avéré E3 : «Je devais aller à la profession de foi de mon cousin. Et je suis un peu le moteur catholique dans ma famille chez les jeunes. J’ai pas réussi à sortir de chez moi. J’ai pas réussi…je m’habillais, je mettais un habit, genre je mettais mon collant, je m’asseyais sur le canapé, je pleurais et puis après je mettais ma jupe», E5 : «Et dans le dur, juste après c’était une bonne dépression de six mois, avec tous un tas de comportements… » ; E8 : «Peut-être parce que j’ai fait une mini dépression. Bon il paraît, tout le monde m’a dit que c’était une mini dépression, une dépression ou que j’étais en dépression. Je n’avais été marqué comme tel chez aucun docteur ni rien, euh mais bon ce que j’ai vécu » ou isolés.

Un rôle commun à tous les médecins

  Comme le médecin généraliste, le médecin du travail doit être à l’écoute E7 : « La médecine du travail, elle a eu un rôle. Donc déjà c’est d’écouter, euh c’est des entretiens qui ne sont pas limités. On va dire que là où j’ai été, j’ai été très bien reçu par la médecine du travail dans le zéro-cinq, la docteure, elle prend son temps, elle n’est pas pressée, elle écoute tout ce que vous avez à dire », conseiller , orienter vers des spécialistes le cas échéant E7 : « Toutes les demandes que vous pouvez faire, tous les conseils que vous pouvez demander si vous, je ne sais pas si vous avez des problèmes de rhumatismes, elle peut vous conseiller un spécialiste, elle est même capable, moi elle m’a fait un courrier, je présume qu’elle est presque capable de téléphoner directement ». Il est capable de donner des repères aux salariés afin qu’ils sachent ce qui est normal ou anormal au travail E7 : «Alors c’est bien de pouvoir parler avec quelqu’un de l’extérieur parce que quand vous voyez qu’il est un peu altéré, vous vous dites c’est bon je n’ai pas  complètement perdu la raison encore, je vois encore qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Parce que nous on nous dit toujours qu’on se plaint pour rien en gros ».

Confrontation des résultats aux données de la littérature

   Finalement, en plaçant la personne en souffrance au centre de l’analyse, il en est ressorti des facteurs intrinsèques ou extrinsèques provoquant la souffrance au travail. Le rôle des conditions de travail délétères était majeur notamment par une hiérarchie distante, une gestion inhumaine du personnel et par un manque de reconnaissance. Ces résultats sont en accord avec les résultats de la grande enquête initiée par RADIOFRANCE et analysée par une sociologue, des philosophes et un psychiatre, réalisée en 2011 où la population de cadres supérieurs, professions intellectuels et professions intermédiaires était surreprésentée (14). Dans notre étude, la personne réagissait à différents niveaux : psychique, physique et comportemental, et mettait en place différentes stratégies de défense dans sa vie personnelle et professionnelle. Autour de la personne en souffrance, se déployaient divers intervenants. Certains étaient explicitement sollicités par les individus comme les syndicats, les représentants du personnel, ou plus rarement la justice. Des soignants pouvaient également être sollicités, notamment le médecin du travail par son rôle de communication avec l’entreprise, son pouvoir d’action au sein même de l’entreprise mais aussi par un travail multidisciplinaire apprécié des patients. Toutefois, les interviewés rapportaient une déception lorsque les actions entreprises par la médecine du travail n’aboutissaient pas à des changements concrets de leurs conditions de travail. De plus, un manque de communication entre différents services de médecine du travail, et avec les médecins de ville dont le médecin généraliste ressortait de l’analyse. De meilleurs échanges pourraient permettre d’homogénéiser le discours auprès des patients et donner plus de cohérence à leur parcours. Des initiatives dans ce sens sont étudiées aux PaysBas (15). La place du généraliste n’était pas prépondérante dans les démarches réalisées par le patient pour faire face à ses difficultés au travail. Il pouvait être un soutien par l’entretien d’une relation de confiance facilitant l’écoute, le conseil, mais également l’orientation de la personne en souffrance vers d’éventuels intervenants, comme la médecine du travail, pour rechercher des solutions concrètes pour la personne. Ceci soulignerait l’importance d’améliorer les échanges entre ces professionnels. L’indépendance du médecin généraliste vis-à-vis de l’employeur et des organismes de contrôle, renforcerait leur confiance et rassurerait les patients. Le rôle du généraliste dans les problèmes liés au travail serait négligé par les médecins eux-même (10,16). Cependant l’outil thérapeutique majeur du médecin généraliste face à la souffrance au travail semblait être l’arrêt de travail. En effet, la personne faisait appel à son médecin généraliste pour un arrêt de travail, explicitement en réponse à une souffrance liée à ses conditions de travail, lorsque d’autres démarches en vue de les améliorer avaient échoué. Chez les salariés, l’arrêt de travail permettrait une extraction du milieu hostile sans une perte financière majeure, en tout cas à court terme. Actuellement, les politiciens semblent enclins à diminuer les dépenses liées aux indemnités journalières, principalement pour les arrêts de travail longs (plus de 30 jours), comme en témoigne le rapport intitulé «Plus de prévention, d’efficacité, d’équité et de maîtrise des arrêts de travail » de janvier 2019, de MM. BERARD, OUSTRIC et SEILLER(17). Dans ce rapport, une meilleure formation ou information des prescripteurs, ainsi qu’un travail plus coordonné entre médecin généraliste, médecin conseil et médecin du travail sont proposés. La médecine générale pourrait avoir un rôle majeur dans la prévention d’arrêts de longue durée comme l’ont étudié au Canada, Sylvain et al. (18) pour des patients avec un syndrome dépressif. Ils expliquaient que certains médecins généralistes mettaient en pratique spontanément des outils de prévention d’arrêts longue maladie. Par ailleurs, une formation succincte des médecins généralistes, leur permettant de prendre conscience des enjeux des souffrances liées aux conditions de travail et de l’objectif de retour au travail, semblerait insuffisante (19). Dans cette étude néerlandaise, était plutôt proposée une formation adaptée à chaque prescripteur avec des retours sur les démarches entamées par leurs patients. Des interventions sur le lieu de travail telles que celles recommandées par Pomaki et al. (20) ainsi qu’une prise en charge pluridisciplinaire sembleraient plus efficaces (21,22). Bien que ces travaux portent spécifiquement sur des patients atteints de troubles psychiatriques mineurs ou de troubles musculo-squelettiques, et que les équipes pluridisciplinaires ne comportent pas de médecins généralistes, ces démarches pourraient s’étendre à une population plus générale et inclure les médecins généralistes. De plus dans notre étude une méconnaissance des patients de leurs droits et du rôle de chaque intervenant, ainsi qu’un manque de coordination entre les parties prenantes de la prise en charge des personnes souffrant de leurs conditions de travail, semblaient être des freins à la résolution des problèmes pointés.

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Table des matières

INTRODUCTION
METHODE
1) Méthodologie choisie
2) Recrutement
3) Recueil de données
4) Analyse des données
5) Déontologie et confidentialité
RESULTATS
1) L’échantillon
2) Les entretiens
3) La modélisation
A-La personne en souffrance
A.1. Les raisons de la souffrance
A.1.a. Les conditions de travail
Des conditions de travail délétères
Des conditions de travail protectrices
A.1.b. Des facteurs intrinsèques
A.1.c. Des facteurs extrinsèques hors conditions de travail
A.2. Les réactions face à la souffrance
A.2.a. Des réactions psychiques
A.2.b. Des réactions psychiques et physiques
A.2.c. Des réactions en rapport au travail
B- Les moyens déployés par la personne
B.1. Pour faire face à la souffrance au travail
B.2. Pour faire face à la maladie
C- Les intervenants sollicités
C.1. Le rôle des proches
C.2. Le rôle des représentants du personnel
C.3. Le rôle des syndicats
C.4. Le rôle du médecin généraliste
C.5. Le rôle du médecin du travail
C.6. Le rôle d’autres soignants
C.7. Le rôle des services publics
D- Les intervenants non sollicités
D.1. Les proches
D.2. Les collègues
D.3 Les usagers
D.4. La société
DISCUSSION
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES
ABREVIATIONS

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