Faire écrire les élèves au cycle 4 : quelles problématiques ?
Les actes d’écriture, quels qu’ils soient, constituent pour Dominique Bucheton des « tâches difficiles, ambitieuses, qui ouvrent des espaces pour tisser, intégrer, reconfigurer de multiples savoirs culturels et langagiers en même temps que des expériences d’ordre personnel » : en associant dans l’acte d’écrire la dimension linguistique à un certain rapport de l’individu au groupe, Bucheton rappelle la nécessité d’envisager chaque acte d’écriture, sinon comme un acte de communication au sens strict, du moins comme une production de « sujet écrivant» orientée vers un destinataire. Cette caractérisation, valable pour toutes les situations de production d’écrit, même les plus quotidiennes, peut être appliquée à l’écriture pratiquée dans un contexte scolaire ; doit l’être, si l’on veut éviter l’écueil de la considérer comme un exercice de simple manipulation de la langue, comme un moyen d’évaluer des capacités d’expression.
Au cours du cycle 4, les élèves sont amenés à pratiquer l’écriture dans le cadre du domaine d’apprentissage, « Des langages pour penser et pour apprendre », dans des termes définis comme suit dans les programmes officiels en ce qui concerne l’enseignement du français :
Au cycle 4, les élèves explorent les différentes fonctions de l’écrit et apprennent à enrichir leurs stratégies d’écriture. Grâce à la diversité et à la fréquence des activités d’écriture, ils apprennent à mettre les ressources de la langue et les acquis de leurs lectures au service d’une écriture plus maîtrisée. Leur pratique de l’écrit devient plus réflexive et ils deviennent ainsi capables d’améliorer leurs écrits. Ils savent utiliser l’écrit pour travailler et apprendre. Ils comprennent qu’un écrit n’est jamais spontanément parfait et qu’il doit être repris pour rechercher la formulation qui convient le mieux, préciser ses intentions et sa pensée.
Une telle définition précise l’ambition des tâches d’écriture en milieu scolaire : développer les pratiques d’écriture doit non seulement permettre un apprentissage approfondi du fonctionnement grammatical de la langue-cible, mais également le développement d’une posture de lecteur alerte face à ses propres productions, soit une capacité de critique réflexive, et la prise en compte de stratégies à long terme. Il ne s’agit donc pas seulement, dans le cadre d’un cours de français, de placer les élèves en situation de réussite en ce qui concerne la manipulation d’énoncés grammaticaux, mais bien de former des lecteurs, des penseurs, voire des stratèges– en somme, sortir l’exercice d’écriture d’une binarité « exercice imposé»-« improvisation inspiré » pour en faire autant un outil qu’un résultat.
Ce travail, qui doit être mené avec les élèves dans les différents enseignements du cycle 4 afin d’encourager notamment l’appropriation de stratégies argumentatives en fin d’année de 3e , trouve néanmoins une expression particulière au cours des enseignements de français, puisque la visée des exercices d’écritures peut être pleinement diversifiée, incluant l’exercice de l’écriture d’invention. Cet exercice a retenu notre attention en ce qu’il permet, dans la continuité des travaux réalisés au cours du cycle 3, l’expression d’une créativité individuelle accrue, et de ce fait une grande variété de réponses pour une même consigne donnée. L’écriture d’invention permet en outre une appropriation de codes divers pour chaque travail, vérifiant la capacité d’élèves à comprendre ce qui peut constituer un genre littéraire, notion qu’ils seront ensuite amenés à approfondir dans la suite de leur parcours.
Accompagner les élèves : le rôle de l’étayage
Toutefois, outre les objectifs que l’on a cités, l’écriture d’invention, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui dans le cadre de l’enseignement du français au cycle 4, se différencie des autres exercices soumis aux élèves par le rapport très personnel que ces derniers possèdent avec l’écriture, ou développent avec elle tout au long de l’année. Rapport qui se traduit fréquemment par une réaction affective, allant de l’enthousiasme au rejet : l’écriture engage le sujet, associe à la résolution d’une tâche l’expression d’une individualité, mène nécessairement à une confrontation avec les tiers face à une exigence commune – c’est ce que l’enseignant de français doit prendre en compte au moment d’engager un groupe dans ce type d’activité.
Ce caractère spécifique de la tâche d’écriture débouche sur différents problèmes rencontrés par l’enseignant dans sa pratique : dans le cadre d’un tel exercice, la capacité de l’élève à résoudre la tâche qui lui est proposée ne dépend plus seulement de sa capacité à maîtriser un savoir ou comprendre une consigne ; l’enjeu, et les élèves le sentent bien, n’est pas de restituer, mais bien de créer, et les compétences engagées sont d’un tout autre ordre. La mise en activité, notamment, des tâches d’écriture est l’occasion pour les élèves d’être confrontés non seulement à une peur de l’échec, mais aussi au sentiment d’être évalués en tant qu’individus, non en tant qu’apprenants. La complexité des enjeux de l’activité d’écriture, la difficulté qu’elle représente pour les élèves par rapport à d’autres exercices doit nous amener à nous interroger sur les moyens à mettre en œuvre pour faciliter l’approche de cette tâche.
Pour reprendre les travaux de Dominique Bucheton sa classification des gestes professionnels, les moyens dont il est question ici relèvent de l’étayage, à savoir «toutes les formes d’aide que le maître s’efforce d’apporter aux élèves pour les aider à faire, à penser, à comprendre, à apprendre et à se développer sur tous les plans» . Ces aides, dans le cadre des activités d’écriture, peuvent prendre plusieurs formes : consignes d’écriture plus ou moins explicites, présence de guides d’écritures, de suggestions de phrases d’accroche, de propositions de structure pour l’écrit à venir ; l’étayage peut aussi être constitué par la présence même de l’enseignant auprès des élèves, par les conseils ponctuels qu’il peut adresser à un élève au sujet d’un écrit en cours d’élaboration. La diversité des formes d’étayage s’exprime particulièrement dans le cadre d’une activité d’écriture : nous avons en effet vu que la complexité de cette activité résultait notamment de la grande variété des compétences qu’elle mettait en œuvre. A la diversité des difficultés rencontrées par les élèves, doit répondre la diversité des postures d’étayage : on retrouve ici la question sous-jacente de la pédagogie différenciée, puisque les obstacles rencontrés ne sauraient être les mêmes d’un « sujet écrivant» à l’autre ; un problème de compréhension des consignes de la part d’une élève, un manque de confiance en soi de la part d’une autre, feront l’objet de postures d’étayage nécessairement distinctes. Si les travaux de Bucheton et Soulé ont montré la diversité de ces postures (« contrôle », « contre-étayage », «accompagnement », « enseignement », « lâcher-prise », « magicien » ) face à la classe, et la nécessité de les adapter aux situations dans le temps, il semble également possible de les adapter aux difficultés rencontrées par différents élèves, à condition d’avoir constaté son caractère récurrent, comme nous l’expliciterons dans l’exposé du protocole mis en place.
Consignes & annotations : l’étayage dans l’accompagnement des travaux d’écriture
Toutefois, les gestes d’étayage sont également définis comme « les gestes par lesquels l’enseignant apporte l’aide de l’adulte pour réaliser une tâche que l’élève ne peut réaliser seul»; il s’agit donc d’une aide considérée comme ponctuelle, rendue nécessaire par une difficulté précise rencontrée par un élève dit « seul ». Un des objectifs énoncés par leprogramme de cycle 4 porte justement sur cette capacité de l’élève à élaborer seul, en usant de son propre sens critique, des moyens de résoudre les tâches qui lui sont proposées, cela afin, à terme, de « développer son autonomie » . Cette autonomie est justement définie par Bourreau et Sanchez comme un « changement de postures » :
Mais [l’autonomie] suppose […] le changement de posture des acteurs. Le professeur, de transmetteur de savoirs devient, dans ce contexte, accompagnateur de l’élève dans son cheminement vers le savoir.
Parallèlement, l’élève est invité à abandonner son « métier d’élève » pour devenir progressivement l’auteur et le sujet de ses apprentissages.
Cette définition, qui mentionne un « cheminement vers le savoir », ne peut être appliquée directement à la question de l’écriture d’invention, qui ne vise pas la maîtrise d’un savoir mais bien d’une compétence. Toutefois, il est nécessaire de soulever la tension développée ici entre la question de l’autonomie et celle de l’étayage : en effet, si l’étayage est une posture accompagnatrice, l’autonomie se définit par la mise en retrait de la figure même de l’enseignant, au profit des capacités propres de l’élève.
Il s’agit donc pour l’enseignant de penser son étayage sur le long terme, en ayant pour objectif de le rendre superflu : à terme, c’est la posture même de l’enseignant qui doit être prise en compte dans un travail de longue durée, autant que celle des élèves en situation d’apprentissage. L’objet de cette étude concernera justement la possibilité, pour l’enseignant comme pour les élèves, d’évaluer la pertinence de l’étayage dans cette optique : s’il s’agit d’un travail sur le long terme, il est nécessairement amené à être réévalué, repensé, diversifié, en fonction des retours et des résultats qui auront été constatés.
On s’attachera en conséquence à diagnostiquer les différentes difficultés rencontrées chez quelques élèves lors des premiers travaux d’écriture : établir une typologie de ces difficultés nous amènera à formuler des hypothèses sur la pertinence de différents types d’étayage pour accompagner les élèves ; ces hypothèses seront mises en pratiques au cours des différents temps de la production écrite, en privilégiant les dispositifs accessibles aux élèves au cours de l’écriture (aides ponctuelles) et le retour sur leurs écrits en fin de tâche (annotations et évaluations) ; enfin, on dressera le bilan de ces différents dispositifs en prenant également en compte les ressentis des élèves eux-mêmes.
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Table des matières
Introduction
Faire écrire les élèves au cycle 4 : quelles problématiques ?
Accompagner les élèves : le rôle de l’étayage
Consignes & annotations : l’étayage dans l’accompagnement des travaux d’écriture
1.Problématiques observées
1.1.Avant de différencier : penser l’étayage pour le groupe
1.2.Typologie des élèves en difficulté face aux travaux d’écriture
1.3.Propositions de remédiation
2.Remédiations proposées
2.1.L’étayage en amont : rôle de l’enseignant au cours du travail d’écriture
2.2.L’étayage en aval : vers une annotation différenciée
2.3.Le carnet de voyage : des effets du travail d’écriture sur le long terme
3.Pertinence des étayages
3.1.Résultats constatés
3.2.Retours de la part des élèves
Conclusion
Pertinence des dispositifs expérimentés
Étayer pour rendre autonome : la posture de l’enseignant
Bibliographie