Augustin invite, à la suite de l’apôtre Paul, à reconnaître qu’il y a une part de vérité dans la philosophie païenne
Pour Augustin la vraie philosophie est celle qui sedonne pour objet la recherche du bonheur. G. Madec, dans son article,« Le De ciuitate Dei comme De vera religione », traduit ainsi un passage du livre XIX, 1, 3 : « l’homme n’a d’autre raison de philosopher que pour être heureux. Or ce qui rend l’homme heureux, c’est le souverain bien (finis boni ) ; il n’y a donc d’autre raison de philosopher que le souverain bien ; c’est pourquoi une école philosophique qui n’enseigne pas le souverain bien n’est pas digne de ce nom ». Ce point de départ permet à G. Madec de poser sa thèse en indiquant que le De ciuitate Dei est un « De vera et falsa religione », c’est à dire que dans les deux ouvrages, Augustin identifie la vraie religion à la vraie philosophie et présente une discussion avec les philosophies d’inspiration platonicienne. Le De vera religione est écrit en 490 et G. Madec rappelle que « quelques mois plus tôt, Augustin a dû se livrer à une réflexion sur la médiation religieuse et faire le tri, dans les Libri Platonicorum, entre l’or et les idoles, autrement dit entre la bonne doctrine théologique et les mauvaises pratiques religieuses. »
Ce qui est fondamental est bien la question de la médiation et ce thème présent dans le De vera religione sera repris dans les livres VIII, IX et X duDe ciuitate Dei, nous pouvons rappeler qu’Augustin choisit de n’y discuter qu’avec les philosophes platoniciens. Il résume ainsi leur position : « celles [les opinions] des philosophes qui, reconnaissant l’existence de Dieu et l’intervention de sa Providence dans les choses humaines, ne jugent pas néanmoins le culte du Dieu un et immuable, suffisant pour obtenir après la mort une vie bienheureuse et croient qu’il faut dans ce but honorer tous ces dieux, créés cependantet institués par un seul. »
La seconde partie de cette déclaration indique sur quel point Augustin se séparera d’eux, mais il nous faut souligner tout d’abord que pour eux Dieu est l’être véritable. Augustin précise, en outre, que « ceux-ci professent un Dieu supérieur àtoute âme, créateur, non seulement de ce monde visible, souvent appelé le ciel et la terre, mais encore de toutes les âmes raisonnables et intelligentes, telles que l’âme humaine, âmes qu’il rend heureuses par la participation de sa lumière incorporelle et immuable. »
Ils conçoivent donc Dieu comme créateur et accessible aux créatures raisonnables que nous sommes pour notre bonheur.
Augustin dit choisir parmi les philosophes ceux quise sont le plus approchés de la vérité et, comme nous le verrons, c’est grâce à la lecture de livres platoniciens qu’il a pu concevoir théoriquement ce qu’il cherchait à comprendre concernant la nature de Dieu et de sa propre âme. En résumé, il présente Dieu comme l’Être immuable créateur de toute chose y compris de nous-mêmes et de notre esprit et souligne que les platoniciens ont reconnu une partie de la vérité sur Dieu : « ils croient très légitimement que cet être est le principe suprême, principe qui a fait toute chose et qui n’a point été fait. »
Il reprend alors les paroles de l’apôtre Paul : « ce qui peut se connaître de Dieu naturellement, ils l’ont connu ; Dieu le leur a dévoilé. Car depuis la création du monde, l’oeil de l’intelligence voit, par le miroir des réalités visibles, les perfections invisibles de Dieu, son éternelle puissance et sa divinité. »
Augustin ajoute que les platoniciens ont reconnu que le bonheur suprême est dans la vertu et l’union à Dieu. Toutefois, Augustin insistera sur le fait que l’âme ne peut s’élever de ses propres forces vers Dieu et il expliquera que ces philosophes n’ont reconnu la « patrie », la fin qu’il faut poursuivreque « de loin ».
Augustin indique, toujours en s’inscrivant dans la tradition paulinienne, que les philosophes païens n’ont pas su reconnaître le vrai culte qu’il fallait rendre à Dieu et sont tombés dans l’idolâtrie
C’est donc sur l’idée que l’âme n’est pas la lumière, mais ce qui peut être éclairé par la lumière que nous voudrions insister. En reconnaissant Dieu comme l’être suprême et la capacité pour l’être raisonnable de s’unir à lui, les platoniciens ont reconnu pour Augustin la fin, c’est-à-dire, ce que vise la sagesse. Dans La cité de Dieu,au chapitre 8 du livre VIII, Augustin souligne : « Platon met le souverain bien à vivre selon la vertu ; que, suivant lui,cette vie n’est possible qu’à l’homme qui connaît et imite Dieu ; que telle est l’unique source de sa félicité. C’est pourquoi il ne craint pas de dire que philosopher, c’est aimer Dieu dont la nature est incorporelle » . Il ne fait pas de doute qu’Augustin souscrit à une telle définition de la philosophie. Toutefois, le problème est que ces philosophes n’ont pas reconnu quel culte devait être rendu à ce Dieu unique. Augustin reprend une nouvelle fois les positions de saint Paul : « car ils ont connu Dieu sans le glorifier comme Dieu, sans lui rendre grâces ; ils se sont dissipés dans le néant de leurs pensées ; et leur coeur en délire s’est rempli de ténèbres. Se proclamant sages, ils sont devenus fous. Et cette gloire due au Dieu incorruptible, ils l’ont prostituée à l’image de l’homme corruptible ; à des figures d’animaux, oiseaux, reptiles, etc. »
Augustin, comme Paul, met en cause le fait que, bien qu’ils aient reconnu un Dieu unique et créateur de l’univers, ces philosophes n’aient pas contredit l’usage du polythéisme et le paganisme des peuples dans lequel ils vivaient.
G. Madec schématise ainsi la critique de saint Augustin contre eux : ils ont une bonne théorie, mais une mauvaise pratique.
Ils n’ont pas su reconnaître quel est le véritableculte qu’il fallait rendre à Dieu et ont continué d’adorer des idoles avec le peuple.
Nous verrons en outre qu’en reprenant la formule de saint Paul « se proclamant sages, ils sont devenus fous », Augustin va dénoncer l’orgueil des philosophes qui croient pouvoir compter sur leur propres forces pour se hisser jusqu’au divin. Dans son analyse du livre VII des Confessions, G. Madec précise ainsi : « L’orgueil, pour Augustin, consiste à se prévaloir de sa sagesse, comme si on ne la tenait pas de Dieu ; le châtiment immanent en est la sottise, l’aveuglement de l’esprit, la dégradation de la connaissance de Dieu en idolâtrie. L’orgueil est ainsi fatal à la philosophie, à l’amour de la Sagesse. »
Le problème est que ces philosophes n’ont pas su reconnaître cequ’ils avaient compris comme un don de Dieu. Augustin, dans les citations que nous avons faites deLa cité de Dieu,qui est une oeuvre de la maturité, a donc présenté les philosophes platoniciens comme ceux qui se sont le plus approchés de la vérité, mais il n’a pas hésité à reprendre à leur sujet la sévérité des jugements de saint Paul qui dénonce la vanité des savoirs qui ne reconnaissent pas qu’ils proviennent de Dieu, qui ne parviennent à reconnaître ce qu’il est que d’une manière floue et qui ne débouchent pas sur le véritable culte de celui-ci. Nous reprendrons en détail l’analyse des reproches qu’Augustin adresse aux philosophes platoniciens et en particulier à Porphyre dans les livres VIII à X de La cité de Dieu après avoir éclairé, à partir d’une analyse du livre VII des Confessions, ce que la pensée d’Augustin doit à la lecture de « livres platoniciens », livres qui lui auraient été confiés, d’après ce que rapporte Augustin, par un « homme enflé d’un orgueil monstrueux » , ce que l’on peut interprêter comme le fait que cet homme n’était pas chrétien.
La conversion d’Augustin
Les philosophes platoniciens ont donc été capables grâce à l’exercice de leur raison de reconnaître la véritable nature de Dieu et nous allons voir que c’est grâce à leur lecture qu’Augustin a découvert comment entrer en lui-même pour chercher Dieu. Il nous faut alors étudier dans quelle mesure ils ont joué un rôle dans sa conversion en le libérant de ses premières erreurs métaphysiques tout en soulignant que, pour Augustin qui relit sa vie dans les Confessions, ce progrès dans la conception de ce qu’est Dieu et du but qu’il faut poursuivre serait vain s’il n’avait été amené par la foi à reconnaître que seul le Christ est la voie véritable qui permet d’atteindre ce but que les livres de ces philosophes lui ont fait entrevoir.
Désir de comprendre et présomption : l’erreur ma nichéenne
Augustin, après avoir été éveillé à l’amour de la sagesse par une lecture philosophique, méprise le langage des Écritures et est sensible aux critiques que leur adressent les manichéens
La lecture de l’Hortensiusde Cicéron a allumé dans le coeur d’Augustin le désir de chercher l’immortalité de la sagesse, plus tard, celle des « platonicorum libri » va lui permettre de découvrir quelle est la nature de son âme et celle de la Vérité à laquelle elle peut participer. C’est donc bien le désir de connaître ce qui échappe à l’écoulement temporel et qui seul peut constituer le bien véritable qui a été éveillé par cette première lecture. Augustin nous dit alors avoir été déçu de ne pas trouver chez Cicéron le nom du Christ. Comme le note O. Du Roy, cela est surprenant, mais c’est ce qui explique la suite de la recherche d’Augustin : « Affirmation étonnante, mais dont l’étrangeté lui apparaît puisqu’il nous l’explique : sa mère l’avait élevé dans l’amour du Christ. »
On peut comprendre ainsi pourquoi il a alors décidé d’appliquer son esprit à la compréhension des Écritures. Il ne va pas cependant y trouver ce qu’il cherchait, il avoue même : « Ce livre me sembla indigne d’être comparé à la majesté cicéronienne. Mon orgueil en méprisait la simplicité, mon regard n’en pénétrait pas les profondeurs. Cependant, il était fait pour grandir avec les petits, mais je dédaignais d’être petit, et plein de vaniteuse enflure, je me croyais grand. »
Ainsi, le style et les anthromorphismes des Écritures détournèrent Augustin de leur étude car il n’était pas prêt à lire celles-ci. On peut remarquer qu’il se rappelle avoir été incapable de comprendre l’idée selon laquelle l’homme est créé à l’image de Dieu , idée qui ne peut être comprise que si l’on comprend que c’est par son esprit que l’homme est à l’image de Dieu, ainsi que la prédication d’Ambroise le lui indiquera plus tard. La critique que le manichéisme faisait de l’anthropomorphisme des Écritures correspondait à ses difficultés intellectuelles et il s’est alors laissé séduire par « ce semblant de spiritualisme » car en fin de compte leur conception de Dieu restecorporelle comme Augustin l’expliquera.
Il est séduit par leur prétention à tout expliquer sans avoir recours à l’autorité
Il ajoute aussi que c’est aussi à cause de la présomption de celui qui veut tout comprendre par ses propres forces qu’il fut séduit par leur doctrine. Expliquant quelle « attitude spirituelle », Augustin rend responsable de cet « englument dans le sensible », O. Du Roy l’identifie à « l’orgueil de l’intelligence »
et invite à relire un passage du De utilitate credendi : « Tu sais en effet, Honorat, que ce n’est pas pour autre chose que nous avons rejoint de tels hommes, sinon parce qu’ils prétendaient laisser de côté la contrainte de l’autorité qui m’était un épouvantail et amener à Dieu leurs adeptes et les délivrer de toute erreur en faisant appel purement et simplement à la raison. »
Augustin avoue que son état d’esprit d’alors était de chercher le primat de la raison sur la foi pour éviter la superstition. De plus,on peut aussi rappeler un passage des Confessionsoù il présente les manichéens comme des hommes orgueilleux : « c’est ainsi que je tombai au milieu d’hommes délirants d’orgueils, charnels et verbeux excessivement. »
Augustin rappelle enfin que ce qui avait contribué à le faire tomber dans cette doctrine était aussi que ces derniers faisaient référence aux noms du Christ et du Paraclet. Augustin va cependant peu à peu se détacher de cette doctrine à laquelle il adhéra pendant neuf ans alors qu’il poursuivait ses lectures philosophiques en particulier celle de Cicéron.
Augustin reconnaît qu’il était alors encore esclave de ses représentations sensibles
A posteriori, lorsqu’il explique la conception qu’il se faisait alors de Dieu et du monde dans le livre III de Confessions, Augustin explique qu’il reste prisonnier d’une vision encore matérialiste du monde et reconnaît à la lumière de son expérience ultérieure que « Elle – la doctrine manichéenne – me séduisit parce qu’elle me trouva habitant hors de moi-même, sous le regard de ma chair, et ruminant en moi ce que mes yeux avaient dévorés. »
C’est donc une sorte d’englument dans le sensible à partir duquel l’imagination crée de fausses représentations. O. Du Roy note que c’est « l’impuissance à concevoir le spirituel » qui est le principal reproche qu’Augustin fait au manichéisme et justifie cette affirmation en renvoyant à la fin du Contra Epistulam Fundamenti qui met en garde contre les dangers du manichéisme : « Parce que les fantasmes de notre pensée, imaginant à partir des sens charnels, ne cessent de remuer et d’emmagasiner, sont de grands ennemis de cette vie spirituelle, détestons cette hérésie qui, accordant foi à ses fantasmes, distend et répand la substance divine comme une masse informe à travers un espace, fût-il infini, et la mutile d’un côté pour faire place au mal, faute d’avoir pu comprendre que le mal n’est pas une nature, mais contre la nature. »
On se rend compte alors que la difficulté pour reconnaître la véritable nature de Dieu et celle pour penser leproblème de l’origine du mal sont liées et ce rappel des premières positions d’Augustin permetde comprendre en quoi la lecture des « libri platonicorum » va être vécue par lui comme une libération. Il ne faut pas penser néanmoins qu’il se serait tout d’abord converti au platonisme ou au néoplatonisme.
Encore de l’orgueil comme obstacle même dans la philosophie néoplatonicienne
La lecture des livres platoniciens est, tout d’abord, présentée comme insuffisante pour atteindre la véritable union avecDieu
Il faut remarquer, comme nous y invite O. Du Roy qu’Augustin fait le récit de la lecture des livres platonicien avec une « intention théologique bien précise » : « il veut faire comprendre à son lecteur ce qu’il y a trouvé,ce qu’il n’y a pas trouvé et pourquoi ce fut providentiel. »
Il est, en effet remarquable qu’Augustin commence au chapitre 9 du livre VII des Confessionspar mettre en perspective la lecture de ces livres à partir de la Vérité qu’il pense avoir atteinte à la fin de son parcours de conversion et qui consiste à reconnaître le Christ comme la sagesse incarnée de Dieu et son exemple d’humilité comme le seul chemin vers le Dieu véritable. Comme nous l’avons vu, Augustin reconnaît qu’une parcelle de la vérité a pu être atteinte par les philosophies païennes, mais croire que ces dernières suffieraient pour connaître Dieu et même s’unir avec lui, vivre de sa vie est une illusion pour lui et le problème est que souvent les philosophes s’enorgueillissent de leur savoir et ne sont plus prêts à recevoir le message d’humilité et de conversion porté par le Christ. Ce qui va être ainsi providentiel pour Augustin, c’est qu’il va pouvoir s’apercevoir que les livres de philosophie ne suffisent pas car il aura lu ces derniers avant d’avoir médité les Écritures . Il relira son expérience ainsi : « Et d’abord tu voulais me montrer comme ‘tu résistes aux superbes ‘ mais ‘donnes la grâce aux humbles ‘ (I Petr ., V,5) et avec quelle miséricorde tu as indiqué aux hommes la voie de l’humilité par le fait que ton ‘Verbe s’est fait chair et qu’il a habité parmi ‘ (Io., I,14) les hommes. »
« Résister aux superbes » peut se comprendre comme le fait que Dieu refuse de se laisser posséder par ceux qui prétendent le comprendre par la force de leur seuleintelligence. Augustin trouvera dans ces livres « la certitude des perfections invisibles de Dieu » , mais il aura aussi éprouvé son incapacité à « jouir » de la vision de ce Dieu, ce qui le conduira à s’apercevoir qu’il manquait un fondement qu’il identifiera à l’humilité du Christ.
Il interprête, en effet, ainsi son expérience : « Si, avant que j’eusse médité (considerationem ), tes Écritures, tu as voulu me les faire rencontrer (ces livres platoniciens), je crois que c’est pour ce motif : ainsi s’imprimeraient dans ma mémoire les sentiments qu’ils m’auraient inspirés, et, lorsque plus tard j’aurai été apprivoisé (mansuefactus essem) par tes livres et que tes doigts guérisseurs auraient pansé mes blessures, je discernerais, je distinguerais quelle différence sépare la présomption et la confession (inter praesumptionem et confessionem ), ceux qui voient où il faut aller, sans voir par où (videntes quo eundum sit, nec videntes qua ), et celui qui est la voie conduisant non seulement à la vision, mais encore à l’habitation de la patrie bienheureuse. Si, en effet, j’avais été d’abord formé (informatus essem ) à tes saintes Lettres, et, dans leur familiarité, pénétré par ta douceur (in earum familiaritate obdulcuisses mihi ) et n’étais qu’ensuite tombé sur ces ouvrages, peut-être m’auraient-ils arraché du fondement de la piété ; ou alors, si je m’étais maintenu dansles sentiments salutaires dont je me serais imprégné, peut-être aurais-je cru que ces sentiments pouvaient aussi naître de ces livres-là si on n’étudiait qu’eux seuls. »
Pour Augustin, il n’est possible de reconnaître ladifférence entre la présomption et la confession qu’après avoir éprouvé l’échec d’une tentative présomptueuse pour s’élever à la connaissance de Dieu. Augustin, tout en reconnaissant l’importance de sa lecture des livres platoniciens,commence donc par dire qu’elle se révèle insuffisante pour trouver la véritable voie qui amène à Dieu.
La différence entre la « présomption » et la « confession »
Nous pouvons comprendre cette distinction en insistant sur le fait qu’Augustin présentent les philosophes comme se fiant au pouvoir de leur propre raison et comme refusant de reconnaître la voie qui est le Christ lui-même : cela signifie qu’ils refusent de se soumettre à une vérité enseignée par l’autorité des Écritures et ne sont pas capables de se laisser enseigner, par le mystère de l’Incarnation, l’humilité nécessaire à la conversion. Ils tombent dès lors dans la présomption, c’est-à-dire le fait de croire que l’on peut atteindre la vérité par soi-même. Or ce que l’on manque en croyant que seul l’effort de la raison suffit, c’est précisément le mystère du salut voulu pour les hommes par Dieu ainsi que l’incarnation du Christ vient le révéler . C’est l’histoire même d’Augustin qui le conduira à reconnaître que seule l’intervention de Dieu peut permettre à l’homme de le rejoindre. Le sens du mot confession est indissociable de celui de grâce. M. Fattal nous rappelle ainsi.
« Le don gratuit accordé à l’homme par le Dieu chrétien est la condition essentielle de son salut. Ainsi, la conversion d’Augustin et son salutsont en quelque sorte dépendants de cette grâce divine ; ce qui ne peut être le cas du sage néoplatonicien qui n’a besoin d’aucun guide, d’aucune grâce ou aide pour se hisser à Dieu, se convertir ou même réaliser la part divine qu’il a en lui. C’est contre cet orgueil de la raison humaine qu’Augustin réagira, le péché originel désignant à ses yeux le péché d’orgueil. Augustin ne cessera de le clamer à travers Les Confessions et à travers toute son oeuvre. C’est parce que les philosophes n’ont pas voulu reconnaître ou recevoir le Christ, symbole d’humilité, qu’ils se sont égarés et qu’ils se sont enflés d’orgueil » . On peut comprendre ainsi que ce qu’ont compris les philosophes, bien qu’étant une partie de la vérité,n’est pas cependant la totalité de celle-ci et que ce qu’Augustin leur reproche principalement,outre le fait qu’ils n’aient pas dénoncé les pratiques polythéistes, est une attitude qui consiste à s’enorgueillir de son propre savoir et à croire que l’on peut accéder à la vérité par les forces de sa propre raison. Nous pouvons alors comprendre qu’au contraire, la confession, c’est « la reconnaissance de la grâce prévenante de Dieu qui vient au devant de notre faiblesse » . L’homme doit reconnaître sa faiblesse et avoir l’humilité de reconnaître qu’il doit se laisser enseigner par Dieu la voie pour l’atteindre. Or, nous avions vu précédemment qu’Augustin avait avoué son désir de reconnaître le primat de la raison sur la foi dans son erreur manichéenne, il faut remarquer qu’ici encore, même après la lecture des livres quil’ont libéré de ses fausses représentations métaphysiques et lui ont enseigné comment concevoirDieu et son âme, Augustin souligne que ce savoir serait vain et même dangereux s’il n’avait pu ensuite être fondé sur la charité.
Il écrit, en effet, pour décrire son sentiment juste après la lecture des livres platoniciens : « Je bavardais comme un fin connaisseur (quasi peritus ) ; et, si dans le Christ, notre sauveur je n’avais pas cherché ta Voie, ce n’est pas un homme fin, mais bientôt un homme fini que j’aurai été (non peritus, sed periturus essem ). […] Où était, en effet, cette charité qui édifie sur le fondement de l’humilité qui est le Christ Jésus [1 Co 8,1 et 3,11] ? Et quand est-ce que ces livres me l’auraient enseignée?» Augustin souligne ici qu’emporté par ce que l’on pourrait appelé l’ivresse d’avoir entrevu la vérité, il croyait pouvoir se contenter de sa science ; lorsqu’il dit qu’il aurait été conduit à la « mort » (periturus ), nous pouvons comprendre qu’en s’enfermant dans un effort uniquement basé sur sa raison pour accéder à Dieu, il n’aurait pu recevoir la partie de la vérité révélée par l’Incarnation.
|
Table des matières
PARTIE1
DEVENIR SEMBLABLE À DIEU
CHAPITRE1 – AUGUSTIN ET LES PLATONICIENS. LE BUT ET LA VOIE
1. Augustin invite, à la suite de l’apôtre Paul, à reconnaître qu’il y a une part de vérité dans la philosophie païenne
2. Augustin indique, toujours en s’inscrivant dans la tradition paulinienne, que les philosophes païens n’ont pas su reconnaître le vrai culte qu’il fallait rendre àDieu et sont tombés dans l’idolâtrie
CHAPITRE2 – LA CONVERSION D’AUGUSTIN
1. Désir de comprendre et présomption : l’erreur manichéenne
2. Encore de l’orgueil comme obstacle même dans la philosophie néoplatonicienne
3. Les « libri platonicorum » : découverte de l’intériorité et du spiritualisme
CHAPITRE3 – LA LECTURE DES ÉPÎTRES DE SAINTPAUL ET LA RECONNAISSANCE DE LA MÉDIATION NÉCESSAIRE DU CHRIST
1. Augustin oppose aux livres des philosophes, non une doctrine, mais le Christ lui-même
2. Ce qu’Augustin dit avoir trouvé dans les épîtres pauliniennes
3. Sur la manière dont saint Augustin schématise son expérience
CHAPITRE4 – AUGUSTIN ET LES PHILOSOPHES PLATONICIENS DANS LES LIVRESVIII ÀX DELA CITÉ DEDIEU
1. Augustin considère le christianisme comme l’accomplissement du platonisme
2. La question de la médiation
PARTIE2
COMMENT L’HOMME CRÉÉ À L’IMAGE DE LA VÉRITÉ PEUT DEVENIR IMAGE DE LA VANITÉ?
CHAPITRE1 – LE PÉCHÉ DES ANGES
1. La cité de Dieu révélée aux païens : opposition entre les saints anges et les démons
2. Les anges sont des créatures créées qui sont lumière en tant qu’elles participent à la vie divine
3. Les mauvais anges créés bons ont refusé de se soumettre à Dieu
4. Pourquoi les mauvais anges ont-ils choisi de se détourner de Dieu ?
CHAPITRE2 – LE PÉCHÉ DES HOMMES
1. Les anges et les hommes : des créatures raisonnables qui peuvent s’unir à Dieu
2. La condition humaine : première et seconde mort
3. L’homme peut devenir « image de la vanité »
P ARTIE3
COMMENT SE TOURNER VERS LA VÉRITÉ ET RETOURNER ÀDIEU?
CHAPITRE1 – RECONNAÎTRE LECHRIST SAUVEUR, C’EST SE RECONNAÎTRE PÉCHEUR
1. « Creatio » et « formatio »
2. L’humilité comme la leçon de l’Incarnation
3. La charité comme sens de l’Incarnation
CHAPITRE2 – LA« CITOYENNETÉ CÉLESTE»
1. L’Église, comme corps mystique du Christ
2. « Vivre de la vie de Dieu »
Télécharger le rapport complet