Comment les rédactions françaises ont-elles fait pour s’informer sur Alep ?

Alep à huis-clos ?

Les journalistes sont devenus de véritables cibles en Syrie, par conséquent, depuis 2013 les rédactions n’envoient plus d’équipes sauf si celles-ci sont « embedded » par le régime syrien et les organisations non gouvernementales. Comment rendre compte de la situation à Alep lorsque l’onne peut pas y pénétrer ou alors seulement de manière contrôlée ?

La Syrie : un terrain dangereux

Depuis 2013, les agences de presse internationales et les médias nationaux n’envoient plus de journalistes en Syrie, sauf lorsqu’ils sont« embedded » (c’est-àdire « embarqués », intégrés, pris en charge) par le gouvernement ou des organisations non gouvernementales. Selon Reporter Sans Frontières, 211 journalistes et journalistes-citoyens ont été tués depuis le début de la guerre en Syrie, il y a six ans. « Ces derniers sont pris en étau entre les forces du régime d’Assad et ses alliés, l’Etat islamique et une myriade de groupes djihadistes radicaux ainsi que les forces kurdes. Les tentatives d’intimidation, les arrestations, les enlèvements et assassinats sont communs et dressent un tableau macabre », explique Reporter Sans Frontières sur son site.
Avec 19 victimes en 2016 contre 9 en 2015, la Syrie est devenue le pays le plus meurtrier du monde pour les journalistes. Le pays est classe à la 177ème place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse en 2016.
Si des journalistes venus du monde entier ont été tués en Syrie, les journalistes français paient particulièrement un lourd tribut. Sur l’ensemble des reporters français tués depuis 2012, la majorité sont morts en Syrie : Gilles Jacquier, Rémi Ochlik et Marie Colvin en 2012 à Homs, Nassim Terreri à Darkoush (frontière syroturque), Yves Debay en 2013 à Alep, Olivier Voisin en 2013 à Idlib. Seuls Ghislaine Dupont et Claude Verlon ont perdu la vie au Mali. De nombreux journalistes français ont échappé au pire, c’est le cas de Didier François, Edouard Elias, Nicolas Hénin et Pierre Torres kidnappés puis relâchés à Homs et Alep, et d’Edith Bouvier, blessé à Homs.
Comment expliquer« cette série noire pour les journalistes français » pour reprendre les mots de Lucie Morillon, directrice de recherche de Reporters Sans Frontières? Etienne Leenhardt, chef du service Enquêtes et Reportages de France 2 confiait dans une interview publiée sur Slate en 2013 que « les chaînes anglosaxonnes [avaient] poussé beaucoup plus loin le dispositif de sécurité » que les chaînes françaises. Clarissa Ward, grand reporter pour CNN affirme dans un entretien à « Refinery » que depuis la mort de James Foley (journaliste américain enlevé en novembre 2012 et décapité près de Raqqa en août 2014 par Daech), « les zones détenues par les rebelles sont devenues des « no go zone» pour les journalistes occidentaux. »
La dangerosité du terrain et les sommes élevées nécessaires pour protéger, assurer et évacuer les équipes en reportage dissuadent les rédactions d’envoyer des journalistes en Syrie. Les journalistes en freelance ont eux aussi délaissé le pays. « Les risques sont beaucoup trop élevés pour gagner 250 euros par feuillet », déclare Alain Ménargues , ancien directeur de l’information à RFI.

Comment les rédactions françaises ont-elles fait pour s’informer sur Alep ?

Agence France Presse ( AFP)

La plupart des informations utilisées par les médias français sur la Syrie et plus précisément sur Alep provenaient de l’AFP ( Agence France Presse); la seule à avoir des journalistes locaux déployés dans tous les quartiers d’Alep. « On avait des journalistes côté kurde, côté, gouvernemental, côté rebelles», a déclaré Sammy Ketz, directeur du bureau AFP de Beyrouth.
Lui et son équipe ont formé des journalistes citoyens.
Il insiste sur la différence entre les journalistes citoyens et les journalistes de l’AFP. « On a une relation directe, salariale, commerciale avec le journaliste de l’AFP contrairement à un militant ou un journaliste citoyen. »
Dans les quartiers aux mains de l’armée de Bachar Al-Assad, l’AFP avait sur place un vidéaste, un photographe et un journaliste. Quand les journalistes présents à Damas pouvaient se rendre à Alep, ils le faisaient. Côté rebelles, le principal journaliste employé par l’AFP était Karam Al-Masri, un aleppin âgé de 25 ans (photos ci-dessus). « Il a commencé en tant que photographe pour des médias syriens, puis est devenu photographe pour nous. De photographe, il est devenu cinéaste, puis journaliste. Il couvrait les trois aspects », nous a confié Sammy Ketz. Le jeune journaliste a reçu le Prix Varenne de la fondation Varenne dans la catégorie Journaliste Reporter d’Image (JRI) pour son reportage intitulé « Abou Omar, collectionneur de voitures à Alep en guerre » , l’histoire d’un vieil homme qui a choisi de rester à Alep pour prendre soin de ses voitures de collections. »

L’OSDH

L’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH) est une organisation qui fournit quotidiennement des informations sur la guerre en Syrie. Elles sont reprises par les médias et gouvernements étrangers et par les agences de presse internationales. L’OSDH a été crée à Coventry près de Londres en mai 2006, par un militant dont le pseudonyme est Rami Abdelrahman, de son vrai nom Ossama Suleiman. Il aurait quitté la Syrie en 2000, pour des raisons politiques. Sur le blog de l’ancien diplomate Wladimir Glasman alias Ignace Leverrier « Un œil sur la Syrie », hébergé par le site du Monde, il est écrit que Rami Abdelrahmane disposerait « d ’une équipe composée de quatre coordinateurs, quiréunissent eux- mêmes, avant de les lui transmettre les informations reçues des 200 correspondants situés partout en Syrie. »
Sur le site de l’OSDH en anglais, dans la rubrique « about us », l’organisation se définit comme un « groupe de personnes qui croient aux droits de l’Homme, à l’intérieur et à l’extérieur du pays, qui documente la situation des droits de l’hommes en Syrie et leurs violations, remplissent des rapports etles diffusent à un large réseau d’ONG et de médias. Nous travaillons avec les organisations des droits de l’Homme en Syrie, dans le monde arabe et avec la communauté internationale qui ont les mêmes objectifs et les mêmes aspirations : la démocratie, la liberté, la justice et l’égalité. »

Controverses

Si les informations publiées par l’OSDH sont quotidiennement reprises par les médias occidentaux, l’organisation suscite des controverses.
Premièrement, de nombreux experts du conflit lui accordent peu de crédibilité. C’est le cas du chercheur Frédéric Pichon qui la qualifie « d’officine artisanale, sans réelle fiabilité. »
L’OSDH se veut pourtant professionnel. « Nous ne diffusons une informations que si elle nous a été confirmée par d’autres de nos sources ou si nous recevons une vidéo ou des photos l’accompagnant », selon une certaine Hivin Kako (citée par La Croix), qui en 2012-2013 était l’assistante de Rami Abdul rahman.
Sur son blog, dans un article intitulé « la crédibilité perdue de Rami Abdel Rahman », l’ancien diplomate Wladimir Glasman alias Ignace Leverrier énonce les reproches faits à l’OSDH, qui contrairement à d’autres ONG ne mentionne pas les noms des victimes, « cet élément constitue pour toutes les organisations de
Défense des Droits de l’Homme, un élément majeur de crédibilité », écrit le diplomate. De plus, sur le site de l’organisation, aucune méthodologie n’est énoncée pour la collecte de données, contrairement à d’autres organisations telles que « Violations Documentation Center in Syria », qui explique de manière précise la manière dont les informations sont récoltées, triées et enfin classées par catégories.
L’OSDH est également critiqué à cause de ses financements. Fabrice Balanche, chercheur au Washington Institut estimait que l’OSDH était un « instrument de propagande favorable aux Frères musulmans, financé au départ par le Qatar ».
Alain Chouet, ancien responsable de la DGSE reprend également ces accusations dans une interview publiée par Marianne en juillet 2012 « rien à voir avec la Ligue internationale des droits de l’homme, l’OSDH qui fonctionne sur fonds saoudiens et qataris est en fait une émanation de l’Association des Frères Musulmans et il est dirigé par des militants islamistes dont certains ont autrefois été condamnés pour activisme violent. »
Ces accusations sont niées par Rami Abdel Rahman. « Nous sommes attaqués parce que nous disons la vérité sur ce qui se passe en Syrie», a-t-il confié dans une interview accordé à la chaîne prorusse RT fin 2015. Dans ce reportage, le directeur de l’OSDH dit connaître tous les militants qui travaillent pour son organisation, ce que mettent en doute certains de ses opposants.

Sources locales et ONG

Pour s’informer sur la situation à Alep, les journalistes au sein des rédactions françaises utilisaient également leurs propres réseaux de Syriens sur place qu’ils connaissaient par l’intermédiaire de proches, ou qu’ils ont rencontrés lors de précédents voyages en Syrie. Couvrir la bataille d’Alep nécessitait donc d’avoir accès à plusieurs sources pour recouper les informations.
Ces contacts personnels semblent être une source fiable pour obtenir des informations sur la ville et ainsi pallier l’impossibilité de se rendre sur le terrain.
Interrogé par Constance Léon lors d’un entretien réalisé en janvier 2016, Wassim Nasr, journaliste à France 24 lui a confié l’importance de ces sources. « J’utilise parfois les informations des agences, mais plus souvent des contacts personnels.
On préfère éviter les opérations de communication d’un côté comme de l’autre. J’ai des contacts sur place, on les utilise pendant les grosses batailles comme celle d’Idlib en janvier, qui confirment les infos des agences de presse citoyennes.
J’utilise vraiment les contacts que j’ai sur place », avait-il déclaré.
Les réseaux sociaux sont primordiaux pour rester en contact avec les habitants présents sur place. Hala Kodmani, journaliste à Libération communique avec son réseau à Alep via son smartphone. « Pour mon information, je suis tout : les comptes Facebook, les comptes Twitter des uns et des autres, les sites du gouvernement, les sites de l’opposition. Tout ce qu’ils publient ainsi que leurs alliés respectifs : Turquie, Iran, Russie. Tout est en arabe», a déclaré la journaliste syrienne lors d’un entretien réalisé en avril 2017.
« Ce qui est incroyable dans cette guerre, c’est que internet fonctionne très bien », nous a confiés Omar Ouahmane, correspondant de Radio France a Beyrouth. « Dans les quartiers Est d’Alep, les derniers mois étaient difficiles, mais les sources sur place avaient internet par le biais de satellite. Nous sommes dans une zone à 50 km de la Turquie, parrain des groupes rebelles. Tous les moyens mis à disposition des groupes rebelles l’ont été par l’intermédiaire de la Turquie», nous -a-t-il déclaré.

L’importance des ONG

En l’absence de journalistes présents sur place, les journalistes français se sont parfois tournés vers les organisations humanitaires pour obtenir des informations.
C’est le cas de Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro, qui s’est informé sur la bataille d’Alep grâce à plusieurs sources sur places jugées « fiables », tels que Marianne Gasser, cheffe de la délégation du CICR en Syrie, qu’il connaît depuis 15 ans. Le grand reporter cite également Moktar Lamani, représentant de l’ONU et de la ligue arabe en Syrie entre septembre 2012 et mars 2014 et Haytham Manna, président du conseil démocratique syrien, « un opposant qui n’était pas dans l’émotion», juge Georges Malbrunot, lors d’un entretien.
Des images filmées par Syria Charity, une ONG présente dans les quartiers d’Alep ont parfois fait l’ouverture du JT de France 2, dans des reportages réalisés par Franck Genauzeau, le chef du bureau de la chaîne au Moyen-Orient.
Syria Charity est une association fondée par une doctorante franco-syrienne nommée Asmaa Jaber. Elle se donne pour mission d’alerter sur la situation humanitaire en Syrie. Présentée par France Inter comme une « ONG humanitaire de secours aux victimes en Syrie », l’association partage des vidéos chocs pour lever des fonds et venir en aide au Syrien.

Correspondants à l’étranger

A défaut de pouvoir envoyer des journalistes sur le terrain, les rédactions françaises ont sollicité leurs correspondants installés au Moyen-Orient, lesquels avaient un accès privilégié à l’information.
C’est le cas de Omar Ouahmane, correspondant de Radio France à Beyrouth, de Benjamin Barthes, correspondant du Monde à Beyrouth, ou de Franck Genauzeau à la tête du bureau de France 2 pour le Moyen-Orient, installé à Jérusalem et qui ont tous les trois fourni des informations sur la bataille d’Alep à leurs rédactions. La frontière entre Damas et Beyrouth a toujours été ouverte durant les années du conflit, permettant ainsi aux correspondants de rejoindre plus facilement la Syrie depuis la capitale libanaise.

Simplifier

La multiplicité et la complexité des acteurs, la fragilité des alliances qu’ils nouent entre eux ainsi que leurs stratégies volatiles dues àun certain opportunisme rendent complexe la compréhension du conflit.
Que faut-il faire dans ce cas là ? Expliquer aux lecteurs la diversité et la complexité des forces en présence au risque de les perdre et de les désintéresser ou simplifier au risque de passer à côté de la complexité de laguerre ?
Pour de nombreux journalistes que nous avons rencontrés tels queHala Kodmani (Libération) ou Alain Ménargues (ancien directeur de l’information à RFI), il faut simplifier. « J’estime que pour comprendre l’essentiel, il ne faut pas aller se perdre dans des détails. Il n’est déjà pas évident de maîtriser qui est avec qui. Les alliances se font et se défont sur le terrain. C’est peut-être pas la peine de mentionner les noms de chaque brigade et qui est avec qui. C’est barbare tous ces noms, un lecteur s’y perd. Il faut simplifier autant que possible », nous a confié la journaliste syrienne Hala Kodmani, qui couvre la guerre en Syrie pour le journal Libération.

Honnêteté, transparence et humilité

Honnêteté

« La première obligation du journalisme est le respect de lavérité » , peuton lire dans le livre « Principes du journalisme : ce que les journalistes doivent savoir, ce que le public doit exiger » écrit par Bill Kovach et Tom Rosenstiel.
Malgré leurs divergences idéologiques, la plupart des journalistes que nous avons rencontrés se sont tous accordés sur une notion essentielle : un journaliste qui couvre le conflit syrien (et tout autre évènement par ailleurs) doit faire preuve d’honnêteté. « Ce qui est plus sacré que la neutralité, c’est honnêteté », nous a confié le photographe franco-syrien Ammar Rabbo. « On ne doit ni mentir, ni fabriquer, ni créer des situations qui n’existent pas (!) dans des conflits comme cela, c’est difficile de dire je suis neutre (!) les lecteurs attendent un certain engagement, mais toujours dans l’honnêteté. Ça veut dire, je ne vais pas vous mentir, je vais vous raconter ce qu’il s’est passé, mais avec mon émotion. » a-t-il déclaré. Une vision du métier que partage également Omar Ouahmane, correspondant de Radio France à Beyrouth. « Un journaliste qui n’est pas honnête, n’est pas journaliste. Il faut qu’il arrête le métier et qu’il fasse autre chose », nous avait confié le grand reporter.
Le conflit syrien déchire sa population entre elle, mais aussi les journalistes qui couvrent le conflit. Si chacun a ses convictions, l’honnêteté de dire la vérité doit toujours primer. Ouvertement hostile au régime de Bachar Al-Assad, les journalistes franco-syriens Hala Kodmani (Libération) et Ammar Rabbo (Freelance) nous ont confié qu’ils faisaient la part des choses entre leurs convictions et les faits. « Quand il y a des faits objectifs, tout le monde se retrouve dessus» , a déclaré Hala Kodmani.
Une honnêteté intellectuelle que s’impose également Karam Al Masri, journaliste à l’AFP présent dans les quartiers d’Alep-Est. « Même si je suis un sympathisant de l’opposition et que je vis dans une zone de l’opposition,même si j’ai participé aux manifs contre le régime, j’évite en filmant d’être subjectif et de prendre le parti de l’opposition. Si celle-ci commet une erreur, je la rapporte», a-t-il déclaré dans un entretien publié sur le site de l’AFP.

Transparence

Dans le livre intitulé « Principe du journalisme », les deux auteurs Bill Kovach et Tom Rosenstiel évoquent une notion qu’ils jugent tous deux importante : « la transparence » . « Elle constitue de ce fait la meilleure protection contre les erreurs et les tromperies imputables aux sources. Si l’information que détient un journaliste provient d’une source potentiellement tendancieuse, le fait de révéler cette source mettra le public en garde et dissuadera peut-être aussi ladite source de diffuser une information biaisée. »
C’est ce que pense Sammy Ketz, chef du bureau de l’AFP à Beyrouth. Dans un article intitulé « Couvrir la guerre en Syrie, une mission impossible ? » , publié sur Slate, il revient sur le devoir de transparence et d’honnêteté des journalistes qui couvrent le conflit syrien. « ll faut absolument dire à nos lecteurs dans quelles conditions on travaille » a-t-il déclaré. Avant d’ajouter, « on ne tombe pas par hasard sur une brigade de l’armée syrienne. Comprenez: on y est intégré par le ministère de l’Information dans le cadre d’un reportage autorisé par le régime. On ne peut pas faire l’impasse là-dessus! Vu les restrictions auxquelles font face les journalistes, chaque accès, qu’il soit accordé par l’armée syrienneou par un groupe rebelle, a une raison politique. Il faut dire à nos lecteurs: “Mon papier c’est celui-ci, je l’ai fait dans ces conditions, vous en tirez vos conclusions”», explique t-il. « La règle d’or de la transparence veut que le journaliste se pose, pour chaque fait qu’il relate, la question suivante : “ Que doit savoir mon public pour être à même de juger par lui-même de la valeur de cette information ? Y-a-tildans notre manière de la traiter, quelque chose qui demande à être mieux expliqué ?“ », expliquent Bill Kovach et Tom Rosenstiel.

Humilité 

Le dernier principe énoncé par les deux auteurs est l’humilité, qu’ils définissent ainsi : « le journaliste doit faire preuve d’humilité en ce qui concerne ses propres capacités. En d’autres termes, il doit non seulement se défier systématiquement de ce qu’il voit et entend, mais aussi mettre en doute sa capacité à en comprendre le sens exact » .
Pour Hala Kodmani, un journaliste se doit de dire à son lecteur lorsqu’il n’est pas en mesure de lui fournir une information précise et viable.Elle donne l’exemple du nombre de combattants du Front Al-Nosra présents à Alep. « Moi je disais que c’était impossible à vérifier, certains disaient qu’ils représentaient la majorité des combattants, les estimations russes disaient entre 3000 et 5000 djihadistes. Ici, je n’avais vraiment aucun moyen de vérifier. Je le reconnais. Je ne veux ni croire la propagande russe, ni croire les rebelles. On n’a pas les moyens de vérifier.
L’honnêteté c’est de le dire. Le journaliste peut très bien dire : « Nous n’avons pas de sources fiables. »

A-t-on donné trop de voix aux rebelles ?

C’est une critique qui a été formulée par plusieurs journalistes. Dans un édito intitulé « Syrie, une victime de plus, la crédibilité médiatique » et publié par Marianne, le journal qu’il a fondé, Jean-François Kahn, critique la façon dont la guerre en Syrie a été couverte par certains médias. « {Cette} façon correspondait de moins en moins à la vérité complexe de ce drame. Une vision, purement idéologique, s’est substituée à la prise en compte objective d’une situation qui échappait totalement au confort intellectuel d’un tel schématisme binaire. »
Un point de vue partagé par Jean-Claude Guillebaud, ancien journaliste à l’Obs et membre du prestigieux Albert Londres. Il avait salué « le courage d’Yves Calvi » après la diffusion de deux émissions sur Alep . Dans la première émission diffusée le 15 décembre, les invités avaient surpris Yves Calvi, avec des discours qui avaient pris selon Jean-Claude Guillebaud, « le contre-pied des éléments de langage en usage, à ce moment-là, dans les médias. » Etonné par les propos de ses invités, Yves Calvi avait alors choisi de revenir seul sur le sujet d’Alep avec cette fois Eric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le Renseignement lors d’une émission diffusée le 21 décembre. Ce dernier confirma les analyses de l’émission précédente, et en rajouta, en parlant d’une « énorme falsification de l’information », allant jusqu’à dire « On s’est fait rouler dans la farine avec Alep. »

La difficulté pour les médias de traiter de la situation à Alep: l’exemple développé par Arrêt sur images

Dans l’article d’@si, Mathieu Beigbeder analyse en profondeur un exemple donné par J.F Kahn, qui est selon nous symptomatique de la difficulté qu’ont eue les médias à accéder à une information précise enSyrie.
Cette couverture imprécise a pu susciter des critiques à leurs égards. Souvent, les rédactions étaient contraintes de travailler avec le peu d’informations dont elles disposaient. Jean-François Kahn a écrit dans son édito que : « lors de la destructrice reconquête d’Alep-est, l’ONU fit état, avec des réserves, de deux informations: l’une selon laquelle les forces pro-Assad avait exécuté, au cours de leur progression, 80 civils ; l’autre selon laquelle les rebelles avaient, eux, pour éviter un retournement de la population en leur défaveur, exécuté également 80 civils » ». Suite à cette information, il affirme que les médiasont « simplement mis en exergue, sans recul, la première assertion et quasiment occulté la seconde ».
Dans une analyse précise, Mathieu Beigbeder détaille les trois affirmations données par Jean-François Kahn et tente de les vérifier. Il compare en effet la manière dont tous les médias français ont parlé de ces deux informations (Le Figaro, l’Express, 20 minutes, LCI, France 24, La Voix du Nord, Le Monde, Libération, France 2, TF1!) L’information selon laquelle les forces pro-Assad ont exécuté 80 civils a été reprise presque partout sur la presse en ligne, dans la presse papier également et dans les journaux télévisés.Concernant les exactions pro-rebelles, l’information est moins présente dans la presse. Mathieu Beigbeder note que Libération utilise du conditionnel, que l’AFP reste flou et titre ainsi « des civils empêchés de fuir Alep-Est, d’autres portés disparus à l’Ouest ». Le Monde ne mentionne pas l’information et Libération le fait dans un article en évoquant « des informations contradictoires des responsables de l’ONU qui accusent tour à tour les combattants rebelles d’empêcher les civils de fuir, et les forces du régime de tirer sur les déplacés ».

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Table des matières
« Comprendre la manière dont les rédactions françaises ont travaillé sur les derniers mois de la bataille d’Alep »
Remerciements
Entretiens réalisés
Introduction : C’était Alep
I) ALEP À HUIS-CLOS ?
A) La Syrie : un terrain dangereux
B) Alep : entre autorisation contrôlée et interdiction
1- Rentrer dans les zones tenues par le gouvernement
2- Rentrer dans les zones tenues par l’opposition
C) Comment les rédactions françaises ont-elles fait pour s’informer sur Alep ?
1-L’Agence France Presse
2- L’OSDH
3- Sources locales et ONG
4- Les correspondants à l’étranger
D) Les limites d’un journalisme de « terrain de bureau »
II) LE DEFI DE L’ANALYSE
A) Complexité des acteurs
B) Honnêteté, transparence et humilité
C) Contrer propagande et désinformation
III) Une couverture critiquée
A) Critiques entre les journalistes. Faut-il aller sur le terrain ?
B) Critiques des médias
Conclusion

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