La durabilité des bétons de structure
Les matériaux cimentaires, dans toute leur diversité, sont sans conteste parmi les matériaux les plus répandus et les plus utilisés dans l’environnement des pays industrialisés. Le développement urbain comme économique suscite une envolée manifeste des productions et des réalisations, et les structures dans lesquelles nous vivons ou travaillons ne sauraient exister et être aussi fonctionnelles sans ce matériau. Les matériaux cimentaires ont de grandes qualités de résistance, qui justifient leur emploi quasi systématique, et présentent également un aspect financier intéressant en comparaison avec l’acier. Néanmoins, une des questions essentielles à laquelle il reste difficile de répondre dans la mesure où le retour d’expérience reste limité, est le problème du vieillissement et de la durabilité de ces matériaux. Soumis en effet à de fortes contraintes climatiques, thermiques ou mécaniques, ils évoluent considérablement au cours de leur durée de vie, et les problèmes de sécurité générale des ouvrages apparaissent. A l’heure où le devenir des constructions suscitent les plus vifs intérêts, avec notamment le parc nucléaire français, mais aussi au moment où le stockage des déchets devient des plus préoccupants, la durabilité des structures en béton, et des matériaux cimentaires en eux-mêmes, font l’objet de vastes campagnes de recherche et de développement.
Comment l’auto-cicatrisation fonctionne-t-elle ?
Description du phénomène et principales hypothèses
Le mot « auto-cicatrisation » (on trouve également « auto-réparation ») est le plus approprié pour définir ce qui peut arriver au sein d’une fissure dans un matériau cimentaires, dans des conditions favorables : c’est bel et bien, la restauration de la continuité entre deux lèvres de fissure, sans intervention extérieure délibérée de réparation. Exactement comme pour la peau ou les os ! Le phénomène apparaît entre les deux surfaces opposées d’une fissure, nécessairement en présence d’eau, avec éventuellement du dioxyde de carbone dissous. La nécessité d’eau est justifiée par le fait que l’auto-cicatrisation consiste en des réactions chimiques de composés exposés sur les surfaces de la fissure. L’accrétion de cristaux formés par ces réactions permet ainsi, éventuellement, de rétablir la continuité entre les deux parties de part et d’autre de la fissure. C’est le ciment, hydraté ou non, présent dans la microstructure du béton durci, qui est l’autre élément essentiel associé au phénomène. C’est ainsi que les phénomènes de formation de carbonate de calcium CaCO3, et d’hydratation du ciment anhydre présent dans la microstructure du béton durci, sont les plus souvent avancés pour expliquer le colmatage des fissures (Neville, 2002).
Néanmoins, d’autres causes pouvant favoriser l’apparition de la cicatrisation ont également été mises en avant et étudiées sans pour autant arriver à des conclusions unanimes. Les deux principaux phénomènes complémentaires avancés sont le gonflement de la pâte de ciment et l’accumulation, au sein de la fissure, de particules présentes dans l’eau ou issues de la fissuration du béton. Ces deux phénomènes ne permettent cependant pas de rétablir la continuité physique entres faces de fissure (comme dans le cas des précipitations de cristaux), mais présentent néanmoins des avantages dans certains cas.
Les principales mises en évidence de cristallisations de calcite en tant que responsable de la cicatrisation des fissures, l’ont été lors d’essais de perméabilité à l’eau sur des bétons ordinaires de rapport Eau/Ciment supérieurs à 0,45. Le phénomène de carbonatation apparaît également dans l’air, mais on peut parler d’un très faible pourcentage de cicatrisation (Neville, 2002). Il est défavorable d’un point de vue corrosion des armatures pour les bétons renforcés, dans la mesure où la formation de calcite insoluble fait diminuer de façon importante la valeur du pH de la solution interstitielle, entraînant une destruction de la couche de passivation des armatures. De plus, le CO2 gazeux ne peut réagir directement avec la portlandite, et seul le gaz dissous dans les films d’eau sur les surfaces de fissures est disponible pour les réactions chimiques, ce qui constitue un frein au développement du phénomène dans l’air ambiant.
Hydratation du clinker anhydre
C’est l’autre hypothèse essentielle avancée pour expliquer l’auto-cicatrisation des fissures. Dansla majorité des bétons, ou en tout cas ceux dont le rapport Eau/Ciment (E/C) est inférieur au rapport stoechiométrique de 0,42, le ciment introduit n’est pas totalement consommé par les réactions d’hydratation, soit par manque effectif d’eau, soit par des difficultés d’accès de l’eau pour atteindre les parties non hydratées des grains de ciment. Dans tous les cas, une quantité plus ou moins importante de clinker anhydre se retrouve dans la microstructure du béton durci. C’est notamment une des caractéristiques essentielles des bétons à hautes et très hautes performances, formulés avec des rapports E/C souvent inférieurs à 0,4.
Gonflement de la pâte de ciment et accumulation de particules
Le gonflement de la pâte de ciment et l’accumulation (ou sédimentation) de particules ont également été avancés pour expliquer le phénomène d’auto-cicatrisation des fissures. Dans un béton non saturé et en présence d’eau, la pâte de ciment, sous l’effet de forces physiques, gonfle en se saturant en eau. Ainsi, dans le cas où cette pâte est fissurée, son gonflement permet directement de réduire la taille des fissures, et donc provoquer une « cicatrisation ». Néanmoins, si cette pâte est soumise à des effets de séchage, l’effet inverse se produit et la fissure augmente de nouveau en taille. Concernant la sédimentation de particules, c’est une hypothèse qui a été avancée au regard de la présence quasi permanente d’impuretés dans l’eau en contact avec des ouvrages en béton, mais également parce que l’apparition de fissures peut créer de petites particules de pâte de ciment, notamment, qui peuvent être transportées par l’eau. Dans les zones les plus étroites de la fissure, ces particules peuvent ainsi sédimenter et boucher la fissure.
Ces deux causes, de par leur nature et leur aspect non permanent, apparaissent néanmoins comme secondaires dans l’occurrence du phénomène. Elles peuvent, en effet, contribuer à favoriser les conditions d’apparition du phénomène par formation de cristaux de C-S-H ou de calcite, mais ne peuvent pas être la cause unique du phénomène, dans la mesure où elles ne créent pas une restauration de la continuité entre les deux faces de fissure.
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1 : Etat de l’art du phénomène d’auto-cicatrisation des fissures dans les matériaux cimentaires
Introduction
1.1 Comment l’auto-cicatrisation fonctionne-t-elle ?
1.1.1 Description du phénomène et principales hypothèses
1.1.2 Précipitation de carbonate de calcium CaCO3
1.1.3 Hydratation du clinker anhydre
1.1.4 Gonflement de la pâte de ciment et accumulation de particules
1.2 Comment l’auto-cicatrisation se manifeste-t-elle ?
1.2.1 Essais de perméabilité à l’eau
1.2.2 Paramètres étudiés lors des essais de perméabilité à l’eau
1.2.3 Limitation des transferts
1.3 Mise en évidence de l’apport mécanique
1.4 Apport des méthodes non destructives et de la microscopie
1.4.1 Caractérisation de l’auto-cicatrisation par des méthodes non destructives
1.4.2 Analyse microscopique des cristaux formés
1.5 Conclusion
Chapitre 2 : Techniques expérimentales pour la caractérisation de l’auto-cicatrisation dans les matériaux cimentaires
Introduction
2.1 Les matériaux étudiés
2.1.1 Le matériau modèle
2.1.1.1 Composition et mise en œuvre
2.1.1.2 Caractéristiques mécaniques et microstructurelles
2.1.2 Bétons à hautes performances
2.1.2.1 Composition et mise en œuvre
2.1.2.2 Caractéristiques mécaniques
2.2 Description des essais mécaniques
2.2.1 Géométrie des échantillons
2.2.2 Pré-fissuration des éprouvettes
2.2.2.1 Dispositif de flexion 3 points
2.2.2.2 Principe de pré-fissuration sur le matériau modèle
2.2.2.3 Pré-fissuration des éprouvettes de béton à hautes performances
2.2.3 Vieillissement des éprouvettes
2.2.4 Caractérisation du comportement mécanique des éprouvettes vieillies
2.2.5 Mesures dynamiques du module d’Young
2.2.6 Essais qualitatifs complémentaires
2.3 Technique d’émission acoustique
2.3.1 Généralités sur l’émission acoustique
2.3.2 Application aux bétons et matériaux cimentaires
2.3.3 Description de l’instrumentation
2.3.4 Essais de flexion 3 points sur le BUHP modèle
2.3.4.1 Localisation et positionnement des capteurs
2.3.4.2 Précision de localisation
2.3.4.3 Cartes de localisation sur bétons fibré et non fibré
2.3.4.4 Obtention des cartes de localisation de la phase de pré-fissuration
2.3.4.5 Energies acoustiques dissipées pendant la phase de pré-fissuration
2.4 Conclusion
Chapitre 3 : Apport de la cicatrisation dans le comportement mécanique des bétons : résultats et analyse
Introduction
3.1 Caractérisation du comportement mécanique d’éprouvettes BUHP fissurées et vieillies
3.1.1 Eprouvettes testées et principe d’obtention des courbes moyennes
3.1.2 Comportement mécanique des éprouvettes conservées dans l’air
3.1.3 Comportement mécanique des éprouvettes conservées dans l’eau
3.1.3.1 Rechargement mécanique pour les différentes périodes de vieillissement
3.1.3.2 Confirmation de l’apparition du phénomène de cicatrisation des fissures
3.1.4 Caractérisation du comportement des éprouvettes cicatrisées
3.1.4.1 Raideur initiale des éprouvettes
3.1.4.2 Etendue du comportement linéaire
3.1.4.3 Capacité portante
3.1.4.4 Bilan sur la caractérisation des éprouvettes fissurées et vieillies
3.2 Analyse par émission acoustique de la fissuration des éprouvettes cicatrisées
3.2.1 Activité acoustique lors des essais de flexion 3 points
3.2.2 Cartes de localisation des éprouvettes vieillies
3.2.2.1 Cartes de localisation à ouverture de fissure donnée
3.2.2.2 Cartes de localisation à même niveau de chargement
3.2.3 Analyse en énergie de la fissuration des éprouvettes vieillies
3.2.4 Estimation de la largeur de la zone de fissuration
3.2.5 Bilan
3.3 Influence de la largeur de fissure sur le BUHP modèle
3.3.1 Comportement mécanique des éprouvettes de BUHP fissurées à 20 µm et 30 µm
3.3.2 Comparaison des comportements mécaniques
3.4 Essais qualitatifs complémentaires
3.4.1 Comportement mécanique d’éprouvettes de BFUP cicatrisées
3.4.2 Eprouvettes de BUHP modèle conservées en extérieur
3.5 Comportement des éprouvettes de béton à hautes performances fissurées et vieillies
3.5.1 Résultats du rechargement mécanique pour les différentes compositions
3.5.2 Influence de la composition sur la reprise de raideur des éprouvettes cicatrisées
3.6 Conclusion
Chapitre 4 : Caractérisation microscopique et analyse chimique des fissures cicatrisées sur le BUHP modèle
Conclusion générale