Comment intégrer l’éveil aux langues en collège: méthodologie

L’éveil aux langues est-il efficace ?

La recherche en didactique des langues

Depuis une vingtaine d’années, la recherche en didactique des langues étudie activement la didactique du plurilinguisme en milieu scolaire comme en témoignent programmes de recherche, recherches universitaires et publications qui tentent d’évaluer l’impact de cette didactique sur les attitudes et les aptitudes des élèves.

Les programmes de recherche européens

Le programme Evlang

Le programme Evlang – Éveil aux langues à l’école primaire – conduit dans le cadre des projets SOCRATES de la Communauté européenne entre 1997 et 2001, a été mené par trente chercheurs en didactique des langues à travers cinq pays d’Europe, Autriche, France, Espagne, Italie et Suisse. Il s’agissait de prouver que l’approche d’éveil aux langues était applicable et efficace à grande échelle. Le travail s’est orienté en direction de trois axes : la production d’une trentaine de supports didactiques destinés à alimenter un cursus d’un an à un an et demi à la fin de l’école primaire ; la formation d’enseignants susceptibles de mettre en oeuvre ces cursus dans leur classe grâce à des stages de formation continue de deux à trois jours; l’évaluation du projet avec en particulier des questionnairesadressés aux aux parents et surtout aux enseignants, qu’il conviendra d’analyser.

Janua linguarum

Entre 2000 et 2003, un groupe de recherche réuni autour de Candelier a établi un programme intitulé Janua linguarum, la porte des langues -abrégé en Ja-ling – pour élargir encore le champ d’investigation. Ce programme se proposait de tester la mise en place d’activités de type éveil aux langues en primaire mais aussi dans le secondaire, et à plus grande échelle encore puisque 16 pays européens étaient concernés, parmi lesquels la France. Pour chaque pays, l’étude passe en revue les langues et leur enseignement, l’intérêt pour l’éveil aux langues, les activités menées dans le cadre du projet mais aussi les difficultés rencontrées pour sa mise en oeuvre. Suit un bilan général qui s’appuie sur l’analyse de questionnaires diffusés auprès des enseignants et des parents dont les enfants ont suivi l’éveil aux langues. Nous regarderons évidemment de près le bilan concernant la France ainsi que le bilan général.

Les travaux de recherche universitaires

Quelques travaux de recherche universitaires assez récents ont tenté de mettre en place dans le secondaire, des activités relevant d’une didactique du plurilinguisme pour en mesurer les bénéfices. Certains y voient un moyen de modifier les représentations des enseignants et des élèves sur les langues-cultures de manière à mieux intégrer les élèves allophones (Champalle, 2013) ; d’autres se sont intéressés au plurilinguisme en contexte multilingue pour une valorisation de la compétence plurilingue au travers d’ateliers d’éveil aux langues (Camus, 2011) ou en SEGPA pour apporter des améliorations au plan scolaire et surtout comportemental (Hutin, 2014). Puisque nous avons pris l’éveil aux langues au sens large, il n’est pas inutile non plus de citer le travail de Collet (2011) qui a proposé une stratégie pour l’insertion de l’intercompréhension en langues romanes en lycée à travers les cours d’espagnol. Il semble cependant que personne ne se soit intéressé jusqu’ici à l’insertion de l’éveil aux langues dans un collège général et au bénéfice immédiat de la langue de scolarisation.

Les publications

De nombreux chercheurs se sont penchés sur les bénéfices de l’éveil aux languesen milieu scolaire, essentiellement à partir d’observations de classe ou d’études de cas. La plupart concernent le primaire, un nombre beaucoup plus restreint le secondaire : un certain nombre de travaux de recherche comme ceux de Castelly sont orientés sur les bénéfices du plurilinguisme en cours de langue étrangère dans le secondaire; d’autres, plus sociolinguistiques, voient dans la didactique du plurilinguisme une manière d’apaiser les tensions dans des classes où se rencontrent des groupes d’origine ethnique différente (Billiez & al, 2006) ou comme moyen d’intégration d’élèves d’origine étrangère en situation de mutisme et de détresse psychologique (Maire-Sandoz & al, 2014) ; d’autres enfin comme De Pietro, L. Dabène ou Charmeux se sont davantage intéressés aux bénéfices de la didactique du plurilinguisme pour la langue de scolarisation ; bien que leurs travaux touchent le primaire, ils nous intéresseront tout particulièrement.

Évaluation de l’éveil aux langues : les résultats les plus intéressants par rapport à notre problématique

Motivation des élèves pour l’apprentissage de la langue

La démarche de l’éveil aux langues qui vise « à remotiver les élèves […], àredonner sens à des activités qui partiraient de vraies questions, de vrais problèmes – pour lesquels le français offre certes une solution mais parmi d’autres possibles » (De Pietro, 2003 : 179), semble faire ses preuves pour motiver les élèves dans l’apprentissage des langues.
Charmeux rapporte ainsi les propos d’élèves d’une école primaire de la région toulousaine pour lesquels « la grammaire est une activité non seulement admise, mais sollicitée et comprise:  »C’est amusant de voir comment ça marche dans une langue étrangère … » ont dit plusieurs enfants ». (Charmeux, 1992 : 164). Et dans le bilan de Ja-ling, les enseignants confirment qu’effectivement l’éveil aux langues favorise chez les élèves ce regain d’intérêt pour l’apprentissage de la langue puisque Candelier (2003 : 149) rapporte qu’ils attribuent la moyenne de 4,50 sur une échelle de 1 à 5 à l’item E5 – Cette démarche permet de déclencher la curiosité et l’intérêt des élèves pour l’apprentissage des langues.

Comment expliquer l’absence de l’éveil aux langues au collège ?

Ayant découvert l’éveil aux langues durant cette année de formation M2 FLE alors que je suis enseignante depuis plus de vingt ans en collège et que j’ai été formatrice IUFM pendant de nombreuses années, je me suis livrée à un sondage auprès de mes collègues professeurs de français (langue maternelle) et de langues vivantes pour savoir s’ils avaient connaissance de cette pédagogie. Or aucun, y compris la plus jeune fraîchement sortie de l’IUFM, n’a jamais entendu parler ni d’approches plurielles ni de didactique du plurilinguisme, ce qui signifie que cette pédagogie est non seulement absente de nos formations mais des documents officiels et des programmes de collège.
D’ailleurs, si l’on tape sur Google « Plurilinguisme » + « collège », la seule initiative qui apparaisse se situe au collège Alain-Fournier du Mans sous le patronage de Candelier. La page d’accueil du collège propose une entrée « plurilinguisme » avec des liens vers des sites pour allophones et quelques activités plurilingues qui se sont déroulées au collège uniquement dans des classes « à ouverture européenne ».
Enfin, dans le bilan de Ja-ling, Candelier (2003 : 39) explique au sujet de l’éveil aux langues dans le secondaire :
Une des conclusions des travaux précédents était que l’approche devait s’étendre, de façon plus ou moins intensive, sur plusieurs cycles d’enseignement. Nous avons souvent rencontré des difficultés à la mettre en place dans l’enseignement secondaire.
Il paraît donc nécessaire de se demander pourquoi. Pour ce faire, nous examinerons les supports d’activités qui existent, quelques principes fondateurs de l’éveilaux langues et les bilans issus de la recherche en didactique des langues.

Analyse des supports

On observe un grand dynamisme dans la création d’activités d’éveil aux langues d’origine francophone et qui sont accessibles en ligne. Examinons à qui ils s’adressent.

Les supports québécois

En lien direct avec les approches d’éveil aux langues initialement développées en Europe, le projet ELODIL (Éveil au Langage et Ouverture à la Diversité Linguistique) a pris naissance au Québec en septembre 2002. Compte tenu de la configuration linguistique du Canada, le rapport français-anglais y a une place de choix, mais comme le Québec est une province à forte immigration, le site propose aux enseignants un grand nombre d’activités, avec des langues très exotiques comme le persan, le japonais, etc. Le site ELODIL annonce que ses activités s’adressent à des « élèves du préscolaire, du primaire et du secondaire » mais dans les faits, lorsqu’on clique sur l’onglet secondaire, on obtient le message suivante : « Cette catégorie est actuellement en construction ».

Les supports suisses romands

Acronyme d’Éducation et Ouverture aux Langues à l’École, EOLE est un site suisse romand qui comprend plusieurs volets : EOLE volumes 1 et 2propose aux enseignants des activités de découverte des langues et cultures du monde ; EOLE et patois propose « 35 activités d’éveil aux langues visant à faire découvrir aux élèves la richesse des langues patrimoniales, de la famille gallo-romane essentiellement » avec de nombreuses activités autour du patois. Sur 47 activités proposées, 33 s’adressent à des élèves du primaire. Enfin, huit activités EOLE en ligne, dont la moitié s’adressent à des élèves de 12 – 15 ans offrent des « outils didactiques » pour connaître les accents, les alphabets ou expressionsfigurées françaises . En tout donc, 18 activités sur 55 s’adressent aux adolescents et la plupart sont très typées puisqu’elles s’appuient sur des patois suisses.

Les élèves et le plurilinguisme

Bien que les théoriciens de l’éveil aux langues déclarent que cette pédagogie s’adresse à tous les enfants, on voit bien que cette approche a d’abord été pensée soit pour des publics migrants de manière à faire entrer leur langue dans l’école, lui donner une certaine légitimité et que les enfants puissent se servir de leur langue source pour faire des transferts vers la langue cible de scolarisation ; soit pour des pays où le plurilinguisme est une réalité officielle et où l’éveil aux langues a d’ailleurs réussi à s’intégrer officiellement dans les écoles primaires : Canada, Suisse, Belgique et Luxembourg. C’est ceque montre bien le bilan de Ja-ling (2003 : 199) :
Nous avons vu aussi l’importance de la motivation que peut susciter un contexte national ou régional multilingue, et tout particulièrement la présence d’élèves migrants.
Et d’ailleurs, il est très souvent question dans les articles de s’appuyer sur les compétences des élèves en langue étrangère :
Les activités proposées dans ce cadre s’inscrivent généralement dans une pédagogie socioconstructiviste, en mettant l’accent à la fois sur les activités des élèves et sur la confrontation des points de vue apportés par exemple par les élèves monolingues vs plurilingues (De Pietro, 2003: 168).
Mais cette représentation des choses tient-elle compte de la réalité de tous les collèges français ? Y a-t-il beaucoup d’élèves migrants et/ou plurilingues dans toutes les classes françaises ? Par ailleurs, même dans des contextes multilingues comme à Mayotte où les élèves parlent français et Shimaoré, Camus – qui a mis en place un atelier d’éveil aux langues – pose la question : «la diversité langagière peut-elle être représentée par deux langues ? » (Camus, 2011 : 79).

Des activités adaptées aux capacités des élèves ?

Pour finir, beaucoup d’activités d’éveil aux langues sont jugées trop difficiles par un certain nombre d’enseignants interrogés (Candelier, 2003 : 156) :
Quelques enseignants notent aussi le découragement des élèves face à la difficulté de certaines activités, notamment dans le domaine de la discrimination auditive.
L’éveil aux langues n’a-t-il pas en effet tendance à surestimer les capacités métalinguistiques ou linguistiques des enfants ?

La question de l’efficacité de l’éveil aux langues

Même sans être un adepte forcené de la rentabilité, on est en droit d’attendre d’une pédagogie qu’elle soit efficace en termes de résultats, et c’est ce que réussit à faire l’éveil aux langues dans le domaine de la sensibilisation à la diversité culturelle et linguistique et de la motivation, comme on l’a vu. À l’inverse, il ne semble pas qu’on ait prouvé son efficacité en terme d’aptitudes. Louise Dabène résumait ainsi dès 1992 ces incertitudes :
Rien ne nous permet, au point où en est notre approche empirique, d’affirmer que ces activités langagières ont eu des conséquences objectivement mesurables au niveau des performances langagières des élèves (1992 :19).

Éveil aux langues et langue de scolarisation

Même si d’un point de vue historique le Language Awareness était une matièrepont indépendante, abordée en dehors des heures d’anglais, langue de scolarisation, Hawkins a initialement conçu sa pédagogie pour aider les enfants migrants et les petits anglais de milieux défavorisés à améliorer leurs performances en anglais standard. Or, on peut se demander si l’éveil aux langues, qui se présente comme son héritier, n’oublie pas trop souvent que les activités d’éveil aux langues doivent être conçues d’abord pour faire progresser les élèves dans la langue de scolarisation puisque c’est elle qui est la clef de voûte de tous les autres apprentissages.
Dans le système secondaire français, cloisonné sur le plan disciplinaire mais auquel on peut accepter de s’adapter par pragmatisme en dépit des défauts qu’il présente, nous pensons donc que c’est à la matière Françaisque l’éveil aux langues doit s’intégrer pour que le développement métalinguistique serve à la maîtrise de la langue de scolarisation puis des autres langues, et nous pensons que le professeur de français peut prendre en charge l’éveil aux langues.

 

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Table des matières
Remerciements
Table des matières
Introduction
PARTIE1 – LA DIDACTIQUE DU PLURILINGUISME, UNE APPROCHE INTÉRESSANTE MAIS
INCONNUE EN COLLÈGE
CHAPITRE1 – LES APPROCHES PLURIELLES ET L’ESPOIR QU’ELLES CONSTITUENT
I. Définition
II. Les différentes voies didactiques
A. La didactique intégrée des langues
B. L’approche interculturelle
C. L’intercompréhension entre langues romanes
D. L’éveil aux langues
III. Objectifs de ces approches et intérêt pour un professeur de français de collège
CHAPITRE2 – L’ÉVEIL AUX LANGUES EST-IL EFFICACE?
I. La recherche en didactique des langues
A. Les programmes de recherche européens
B. Les travaux de recherche universitaires
C. Les publications
II. Les résultats les plus intéressants par rapport à notre problématique
A. Motivation des élèves pour l’apprentissage de la langue
B. Décentration de la langue maternelle et développement d’une conscience métalinguistique
C. Développement de la confiance en soi
D. Curiosité et tolérance envers les langues-cultures
CHAPITRE3 – COMMENT EXPLIQUER L’ABSENCE DE L’ÉVEIL AUX LANGUES AU COLLÈGE?
I. Analyse des supports
A. Les supports français
B. Les supports québécois
C. Les supports suisses
II. Analyse des difficultés rencontrées
A. La prise en compte de la réalité du collège
B. La prise en compte des acteurs du collège
C. La question de l’efficacité de l’éveil aux langues
PARTIE2 – COMMENT INTÉGRER L’ÉVEIL AUX LANGUES EN COLLÈGE: MÉTHODOLOGIE
CHAPITRE4 – ÉVEIL AUX LANGUES ET LANGUE DE SCOLARISATION
I. Le professeur de français, un enseignant désigné
A. Un enseignant désigné par sa formation
B. Un enseignant désigné par les programmes
II. Le français entre lettres et langues
A. Reconsidérer le statut du professeur de Lettres
B. Quelle formation pour l’enseignant de Lettres-langue
C. Considérer le français comme une langue
CHAPITRE5 – PRINCIPES DIRECTEURS
I. Le français matière d’intégration
A. Des activités au service des enseignements
B. L’éveil aux langues comme captatio benevolentiae
C. Conception des supports : pour une révolution copernicienne
D. Une pédagogie qui doit redonner de l’intérêt à la langue de scolarisation
E. Une nécessaire prise en compte du temps scolaire
II. Quelles langues pour l’éveil aux langues ?
A. Préambule
B. L’intérêt des langues éloignées
C. L’intérêt des langues indo-européennes
D. Les langues romanes au cœur de l’éveil aux langues
III. L’adaptation, maître-mot
A. Adapter les activités linguistiques au potentiel des enfants
B. Adapter les approches aux différentes dominantes du français
CHAPITRE6 – L’EXPÉRIMENTATION
I. Présentation du dispositif
A. Le projet
B. Les résultats escomptés
C. La classe
D. Le programme
II. Déroulement
A. L’approche interculturelle et la fête de la francophonie
B. Les séances d’éveil aux langues et la maîtrise de la langue
C. Intercompréhension, transferts et confiance en soi
III. Outils d’évaluation du dispositif
A. L’enquête par questionnaire
B. Les dictées
PARTIE3 – ANALYSE ET DISCUSSION DES RÉSULTATS
CHAPITRE7 – ANALYSE DES DIFFICULTÉS
I. Du côté institutionnel
A. Le problème du temps
B. Le hors-programme
II. Du point de vue de l’enseignant
A. La création des supports
B. Les langues de l’éveil
C. Le travail sur des langues inconnues
III. Du point de vue des élèves
A. La timidité des élèves plurilingues
B. Et l’anglais ?
C. Les compétences métalinguistiques en question
CHAPITRE8 – L’IMPACT DE L’ÉVEIL AUX LANGUES SUR L’ACCEPTATION DE LA DIVERSITÉ
I. Résultats généraux
A. Aperçu global
B. Ressenti général face à la pédagogie de l’éveil aux langues
II. Attitudes par rapport aux langues-cultures étrangères
III. Attitudes par rapport aux variations du français
CHAPITRE9 – APTITUDES PAR RAPPORT À LA MAÎTRISE DE LA LANGUE
I. Le ressenti des élèves
A. La confiance en soi face à l’inconnu linguistique
B. L’éveil de la conscience métalinguistique
C. Un regain de motivation
II. Le ressenti de l’enseignant sur le développement d’une conscience métalinguistique
III. Analyse de 4 cours d’éveil aux langues et de leur efficacité sur l’orthographe
A. L’accord déterminant-nom
B. L’accord de l’adjectif épithète au sein du groupe nominal
C. L’accord sujet-attribut du sujet
D. Les doubles consonnes à l’articulation préfixe-radical
Conclusion
Bibliographie
Table des annexes
Table des illustrations (dans le texte)
Sigles et abréviations utilisés

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