Problématique
Le but premier de l’enseignement des sciences est de développer une attitude expérimentale chez les élèves et d’inculquer aux élèves un savoir scientifique . Je me demande alors quels moyens doit-on mettre en œuvre afin de favoriser une attitude expérimentale chez les élèves ?
Tout d’abord, afin de favoriser une attitude expérimentale, l’enseignement des sciences doit partir des représentations que les élèves ont sur le sujet abordé, des questions qu’ils se posent, de leurs interrogations. Cela permet également de situer les élèves dans leurs connaissances par rapport au thème. Les élèves donnent des réponses qui leur sont propres, et lors de mes stages (même si ce n’est pas en sciences) les réponses des élèves surprenaient régulièrement. Les enseignants avaient chacun une façonpersonnelle de réagir face à ces réponses. Certains n’accordaient pas de valeur aux réponses erronées (ou très peu), d’autres éprouvaient un intérêt superficiel et d’autres valorisaient les efforts des élèves, quel qu’en soit le résultat. Tout en sachant que l’enseignant devra partir de ces réponses, il me semblait judicieux de savoir comment ils allaient procéder pour faire évoluer les représentations de leurs élèves. D’où ma question de recherche qui a (aussi) évolué en : Comment les enseignants de cycle 3 font évoluer les représentations de leurs élèves ?
Obstacle didactique
« Delignières et Duret »(1995) l’ont défini ainsi : « Un obstacle didactique est une représentation de la tâche, induite par un apprentissage antérieur, étant la cause d’erreurs systématiques et faisant obstacle à l’apprentissage actuel » On peut penser que ce concept a été créé par analogie aux obstacles épistomologiques décrits par Gaston Bachelard ( 1938). Il nomme « obstacles épistémologiques […] les causes d’inertie », de dérive ou d’erreurs dans la démarche de construction des savoirs scientifiques. Pour Bachelard, ce concept peut être étudié dans l’histoire des connaissances mais également dans la pratique éducative qui semble le méconnaître : « J’ai souvent été frappé du fait que les professeurs de sciences, plus encore que les autres si c’estpossible, ne comprennent pas qu’on ne comprenne pas »
Un obstacle didactique est donc une représentation négative de la tâche d’apprentissage, induite par un apprentissage antérieur et faisant entrave à un apprentissage nouveau. Il y a donc obstacle lorsque les « conceptions nouvelles » à s’approprier contredisent les « conceptions antérieures » de l’élève. « G.Brousseau » (1983) identifie trois types d’obstacle :
1. Epistémologique (propre à la tâche d’apprentissage) ;
2. Ontogénique (propre aux facultés de l’apprenant) ;
3. Didactique (propre aux choix des apprenants dans leurs actions).
Représentation des élèves
Pour Astolfi (1984) « La représentation est d’abord une tâche intellectuelle de l’élève dont les caractéristique dépendent certes d’une organisation cognitive en mémoire, mais aussi d’obstacles particuliers à chaque champ notionnel, du décodage que l’élève fait de la situation et de son fonds propre ce qui lui semble adapté à ce qu’il pense qu’on attend de lui ».
En didactique, la notion de représentation a été définie pour parler des systèmes de connaissances qu’un sujet mobilise face à une question ou à une thématique, que celle-ci ait fait l’objet d’un enseignement ou pas. Supposer la présence d’un réseau de connaissances est une hypothèse qui va contre l’idée de l’élève arrivant « la tête vide » en cours. En effet, chacun cherche à expliquer le monde qui l’entoure en élaborant des idées et des raisonnements à partir de ce qu’il sait ou croit savoir. Les connaissances ainsi mobilisées dépendent étroitement du contexte d’interrogation et peuvent se révéler plus ou moins pertinentes au regard des connaissances reconnues dans les sphères « savantes » ou scolaires.
Prendre en compte cette notion de représentation modifie l’enseignement : celui-ci ne peut plus être conçu comme un simple apport de nouvelles connaissances puisque l’élève intègre ces nouveaux éléments en fonction de ce qu’il connaît déjà. L’enseignement consiste plutôt à amener le sujet apprenant à une réorganisation intellectuelle, c’est-à-dire à une transformation de ses modes de pensée. Les représentations étant fonctionnelles pour chacun d’entre nous, les ignorer dans les enseignements peut entraîner des résistances (parfois durables) dans les apprentissages.
Conceptions
Acquérir des connaissances n’est pas qu’un simple enregistrement de données fournies par le monde extérieur (l’enseignant, les livres, les documents multimédias, etc).Ces données sont captées et passent chez l’élève en étant filtrées, analysées et mises en interaction avec des connaissances acquises précédemment de par son vécu.
Celles –ci sont en confrontation directe avec l’enseignement proposé. En effet de nombreuses conceptions scientifiques se sont élaborées contre l’évidence. Par exemple les lois de Galilée et Newton
restent difficilement compréhensibles pour les élèves car elles s’opposent au « bon sens commun »
Le contrat didactique
Le contrat didactique est un concept abordé par Guy Brousseau (1982). Il le définit comme l’ensemble « des relations qui déterminent-explicitement pour une petite part, mais surtout implicitement ce que chaque partenaire va avoir à charge de gérer et dont il sera d’une manière ou d’une autre responsable devant l’autre ». Ce qui veut dire qu’au « cours d’une séance »… « l’élève interprète la situation qui lui est présentée, les questions qui lui sont posées, les informations qui lui sont imposées, en fonction de ce que le maître reproduit, consciemment ou non, de façon répétitive dans sa pratique de l’enseignement »
Pour qu’il y ait un fonctionnement correct de la classe, il faut réunir plusieurs facteurs :
Les attentes de l’enseignant vis-à-vis de ses élèves.
Les attentes des élèves vis-à-vis de l’enseignant.
Ce sont ces attentes respectives comprises par les uns et les autres qui permettra l’efficacité de cette relation.
Le triangle didactique
On appelle système didactique le système de relations quis’établissent entre trois éléments : le contenu d’enseignement, l’apprenant, l’enseignant. On représente souvent ces relations sous la forme d’un triangle (appelé triangle didactique) dont les trois éléments du système
didactique forment les pôles :
Contenu d’enseignement
Apprenant Enseignant
Ce qui caractérise le système didactique est la présence des trois pôles de ce triangle et les relations qu’ils entretiennent entre eux.
L’apprenant, désigne d’un point de vue général l’ensemble des personnes qui sont en position d’apprentissage.
L’enseignant désigne d’un point de vue général l’ensemble des personnes qui ont une relation d’apport de connaissances, d’enseignement avec un apprenant.
ETUDE DE CAS
J’ai eu la possibilité d’observer deux classes de cycle 3 pour mon mémoire.une première classe à deux niveaux cm1-cm2 et une classe de ce2. Les deux enseignants m’ont permis de les filmer.
L’enregistrement de l’ensemble des cours classe fut possible quoique pas très évident (matériel mal préparé). Il m’a permis d’obtenir des productions langagières riches et difficiles à retranscrire car plusieurs élèves parlaient parfois en respectant le tour de chacun mais aussi de façon simultanée.
La classe de CM1
Le premier point important est que l’atmosphère de la classe permettait aux élèves de se sentir à l’aise et libres d’exprimer leurs idées et leurs manières de penser, sans crainte de donner la « mauvaise » réponse. Ce climat me paraissait favorable, l’enseignant appliquait plusieurs méthodes pour accéder aux idées des enfants.
L’enseignante commence par poser une question et l’inscrit au tableau : Comment les animaux se reproduisent-ils? L’enseignante a adopté une méthode en deux parties :
Distribution de feuilles blanches dans la classe pour que les élèves puissent répondre à cette question soit par dessin, soit par des phrases (ou les deux combinés) .
La conduite de la classe est assurée par un échange de questions et de réponses (qui ne se terminait pas forcément dès qu’un élève apportait la solution attendue par l’enseignant) en notant au tableau toutes les réponses des élèves. Certains élèves parlaient, d’autres non. Les discours individuels s’ignoraient complètement les uns des autres. Au vu des feuilles récupérées par l’enseignante, il s’est avéré que les représentations des élèves étaient diverses mais la majorité représentaient des animaux (les mâles « montant »la femelle) et de femelles mettant bas.
La classe de ce2
Le cours commence par un rappel sur les leçons précédentes (ils avaient vu les différents états de l’eau).Puis finalement, toute la classe répond correctement aux questions de rappel. Il décide de procéder à des mélanges différents. « Aujourd’hui nous allons faire des expériences avec de l’eau et des solides, et de l’eau avec d’autres liquides ».
La première expérience consiste à mélanger deux cuillères de sable à de l’eau (l’eau devient « marron » puis l’enseignant demande aux élèves d’émettre des hypothèses sur ce qui se passera dans une semaine ». Voici quelquesunes des réponses données par les élèves :
• Il y aura un changement de couleur (certains pensent qu’elle sera plus foncée et d’autres plus claire)
• Le niveau d’eau va diminuer car le sable va aspirer l’eau
• Le sable va augmenter de niveau et donc l’eau aussi
L’enseignant leur demande pourquoi la couleur de l’eau va changer et ils répondent ainsi :
• Comme la lumière va éclairer l’eau, elle sera claire
• Elle reste telle quelle (trouble).
• Elle redevient transparente.
La seconde expérience consistait à mélanger un autre solide (ici du sucre en poudre). L’eau se trouble puis repose la même question sur ce qui se passera au bout d’une semaine. Voici quelques- unes des réponses des élèves :
•« Le sucre va être transparent, on aura le goût mais on ne le voit pas »
• « pas du tout, si on le met au frais il va être comme le SPRITE »
La troisième expérience consistait à réaliser trois mélanges entre liquides. La question commune était de savoir quel serait le résultat immédiat et non d’attendre un quelconque résultat tardif.
• Le premier test consistait à mélanger de l’eau et un liquide rouge (eau colorée avec de la peinture rouge). Les élèves ont quasiment tous répondu que le résultat serait un liquide rosé
• Le second test consistait à mélanger de l’eau et un liquide jaune (de l’huile). Les élèves ont répondu en majorité que le résultat serait un liquide jaune éclair
• Le troisième test consistait à mélanger de l’eau et un liquide roseorangé (du sirop de pamplemousse). Là aussi les élèves ont répondu que le résultat serait légèrement rosé. Suite à toutes ces expériences, une discussion a eu lieu pour essayer de comprendre ce qui s’était passé.
L’enseignant leur a expliqué (à l’oral) qu’il y avait des différences de densité entre les corps, des solides qui vont se dissoudre), qu’il y avait des liquides qui se mélangeaient et d’autres non. Une trace écrite a été ensuite produite avec les expériences sur les mélanges de liquides : « Des liquides se mélangent avec de l’eau, on dit qu’ils sont miscibles. Mais l’huile et l’eau ne se mélangent pas, on dit qu’ils sont non miscibles ».
Lors des séances suivantes, l’enseignant est revenu sur les bocaux avec l’eau mélangée aux différents solides (sable et sucre) et a introduit le mot suivant : soluble puis a rappelé les différents états de l’eau et le nom des passages d’un état à l’autre de ces états. Il a terminé sa séquence par une évaluation sur les différents états de l’eau. Les résultats ont été jugés insuffisants par l’enseignant. Il semblerait que l’orthographe des mots était difficilement assimilable avec des termes comme solidification, fusion, évaporation.
RECUEIL DE DONNEES
Lors de mes observations de ces deux classes, je me suis rendu compte que les élèves et les enseignants échangeaient en permanence. En clair, elle reste la seule méthode valable chaque fois que l’on veut décrire une situation pédagogique fugace. Le terme même de « communication » est très imagé. Il est à rapprocher des vases communicants : ce qui se passe dans la tête de celui qui parle (l’émetteur) va être transvasé dans la tête de celui qui l’écoute ( le récepteur).L’étude des écrits produits par les élèves présente un autre avantage. Le dessin comme moyen de communication : faire dessiner les élèves est un procédé très utilisé en classe pour connaître le mode de pensée des enfants. S’adressant en quelque sorte davantage au dessin qu’à l’adulte qui se tient à côté d’eux, les élèves sont plus à l’aise pour s’exprimer. Les échanges verbaux dans une classe ne concernent généralement que quelques élèves. Ce sont surtout les leaders qui prennent la parole. Ce qu’ils disent n’est pas forcément la vérité ou le point de vue général de la classe. Beaucoup d’élèves ne font qu’écouter sans prendre parti.
La Méthodologie
Le recueil d’information
Un questionnaire constitué de questions ouvertes pour en savoir plus sur leurs méthodes d’apprentissage qui font évoluer les représentations de leurs élèves.
QUESTIONNAIRE PREVU POUR UN ENTRETIEN SUR LES REPRESENTATIONS DES ELEVES
1. Depuis combien de temps êtes-vous enseignant ?
2. Votre formation antérieure est-il plutôt littéraire ou scientifique ?
3. Comment percevez-vous l’enseignement des sciences dans les programmes scolaires ?
4. Anticipez-vous les représentations de vos élèves lors de la préparation de vos séances sur les notions du corps humain ?
5. Y-a-t-il une sorte de « carte blanche » laissée aux élèves au cours de vos séances ?
6. Comment faîtes-vous quand il y a des réponses erronées des élèves (s’il y en a) ?
7. Prenez-vous en compte les représentations des élèves ?
8. Les représentations des élèves sont-elles un obstacle pour la progression de vos élèves ?
9. Que faire pour modifier les représentations des élèves ?
10. Quelle démarche utiliser pour faire évoluer les représentations des élèves ?
Les réponses données ont mis en évidence qu’ils ont effectivement conscience que les élèves ont des représentations initiales et qu’il faut en tenir compte.
Cependant, dans la pratique il parait difficile de les prendre comme tremplin pour commencer leurs cours. Par contre au vu des séances il semble que les élèves ont des réactions qui sont en correspondance avec des travaux effectués antérieurement.
Pierre clément (1991) aétudié l’ancrage des conceptions. Il a montré que le pourcentage de personnes qui mobilisent la conception »tuyau continu », variait mais était présente dans toutes les catégories d’apprenants (de l’ordre de 90 % en fin de collège et chez des lycéens littéraires à 50 % chez des étudiants de deuxième année du premier cycle scientifique dans les filières de biologie .Enfin il disparaît chez des enseignants de biologie qui ont un peu de pratique de cet enseignement une conception qui persiste dans des proportions stables.
Martine Méheut (1982) a étudié la notion de réaction chimique dans le cadre des nouveaux programmes de collège. Son travail visait l’étude de conceptions des élèves, avant et après enseignement, à propos du phénomène de combustion. La thèse a montré que ces connaissances s’opposaient aux conceptions initiales des élèves. Seulement 40 % d’élèves qui finalement reconnaissent la nécessité de l’oxygène, il s’est avéré que la notion de combustion était un obstacle
Conclusion
Une évidence s’impose : l’élève n’arrive pas avec une tête vide qu’il s’agit de remplir. Il dispose déjà avant l’enseignement d’un certain nombre de connaissances vraies ou fausses sur le sujet étudié appelées conceptions.
Si celles-ci s’avèrent vraies, c’est tout bénéfice pour l’enseignant et pour l’enseignement. Mais c’est rarement le cas. Un travail supplémentaire est donc nécessaire pour en premier lieu faire émerger ces conceptions (qui sont inconscientes) chez l’élève, pour en second lieu les remplacer si besoin est par des connaissances scientifiques et reconnues comme telles par la communauté. Cependant, c’est plus facile à dire qu’à faire. Les enseignants auront cette dure tâche et c’est là que l’on voit toute la difficulté d’enseigner les sciences.
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Table des matières
I INTRODUCTION
II PROBLÉMATIQUE
III CADRE CONCEPTUEL
a ) Conceptions/représentations des élèves
b) Situation problème
c) Obstacle didactique
d) Représentation des élèves
e)Conceptions
f) Concepts/Champs conceptuels
g) Le contrat didactique
IV ETUDE DE CAS
V RECUEIL DE DONNEES
VI CONCLUSION
VII ANNEXES