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Entre dictature et démocratie : les actions culturelles en Argentine (1810-1980)
Cette partie s’attache à analyser les actions publiques de « première génération » visant à encourager la culture comme facteur de consolidation d’une identité et d’une culture nationales, puis celles de « seconde génération » qui soutiennent le développement de certaines industries culturelles. Même si, au gré des changements politiques, l’État censure et réprime autant qu’il soutient et finance le milieu culturel, la création culturelle argentine est riche et variée. Nous supposons que cette situation s’explique par le dynamisme du secteur non étatique, et notamment des centres culturels et d’associations organisées à la frontière de l’État, et par l’ouverture de la société sur l’international. Cette partie se découpe en trois sections diachroniques correspondant à des processus politiques différents. La première va de l’Indépendance à la fin de la période démocratique, la seconde commence en 1940 et termine au début des années 1980, en exceptant les gouvernements péronistes (1946-55 et 1973-76) qui font l’objet de la troisième section. Ces parties s’attachent toutes à l’analyse des « cadres cognitifs et normatifs » dominants dans l’action culturelle, à l’édification institutionnelle du secteur public de la culture et aux actions culturelles menées par la société.
De l’importance des « associations civiles »493 dans l’action culturelle argentine (1850-1930). Cette partie s’attache à montrer que les pouvoirs publics sont loin d’être les seuls acteurs de l’action culturelle argentine et qu’ils confient des missions centrales à des associations. Ils mènent toutefois des politiques régulatrices et distributrices.
Au début du XIXe siècle, la définition de la culture des pouvoirs publics argentins repose sur les Beaux-Arts. Après l’adoption de la Constitution de 1853 et lorsque le processus d’unification et de modernisation du pays est en place, l’acception de la culture repose également sur les connaissances. Une vingtaine d’années plus tard, deux lois fondatrices de l’action culturelle et éducative sont adoptées. La première est la loi 419 de D. F. Sarmiento 493 Une association civile est une personne morale [persona jurídica] qui réuni au moins deux de personnes physiques s’unissant pour réaliser des activités d’intérêt général [bien común]. Le fonctionnement des personnes morales est régulé par le code civil argentin. Depuis 2003 il existe une loi des associations civiles. créant la Commission Protectrice des Bibliothèques Populaires (CONABIP) en 1870494, qui encourage le développement d’associations diffusant le livre, la lecture et la culture. Selon un animateur culturel interviewé, la CONABIP porte en elle « le sceau de la colonisation culturelle de l’Europe et des États-Unis »495. Selon un cadre de cette organisation – qui existe toujours aujourd’hui – « la CONABIP donne des ressources, mais ce sont les bibliothèques populaires, en accord avec le besoin de leur communauté, qui fixent les grandes lignes de leur activité »496. Ainsi, l’importante mission du développement de la lecture publique est confiée à des « associations civiles ». La seconde loi fondatrice de l’action culturelle argentine est celle qui instaure l’école laïque et obligatoire en 1884 à l’initiative de D. F. Sarmiento. Assez rapidement, les taux d’analphabétisme sont réduits en Argentine jusqu’à devenir les plus bas du continent et les lecteurs de journaux et de livres se multiplient.
Ces lois sont en accord avec la pensée du groupe de la génération de 1880497, proche du libéralisme et du positivisme, qui considère la littérature et le théâtre comme les meilleurs moyens de diffusion de la culture et de l’éducation dans le peuple. La loi 9.080 du patrimoine de 1913 entérine la propriété de l’État sur les « ruines et gisements archéologiques et paléontologiques d’intérêt scientifique »498 et son devoir envers leur protection. L’action culturelle de cette période peut s’inscrire dans le « type d’action » de la « culture comme Beaux-Arts ». Les pouvoirs publics conçoivent la culture comme le patrimoine national, les arts et la culture savante. L’idéologie positiviste est remise en cause pendant le gouvernement Yrigoyen de l’Union Civique Radical (UCR) tout comme la célèbre dichotomie de D. F. Sarmiento « civilisation et barbarie ». Toutefois, c’est toujours une vision de la culture comme Beaux-Arts et patrimoine qui est dominante. Le théâtre, le tango, l’édition ou encore le cinéma se développent sans être véritablement accompagnés de politiques publiques.
Des actions culturelles marquées par la prépondérance de l’État au Mexique et le dynamisme du secteur associatif en Argentine
Comparer les conditions d’émergence et les caractéristiques des États mexicain et argentin permet de comprendre leurs évolutions et leurs actions pendant la période analysée dans la thèse (1983-2010) étant donné qu’ils sont les principaux acteurs de l’action culturelle sur cette période. Nous comparons la construction des États et des nations afin de dégager les caractéristiques nous permettant de dresser les trajectoires institutionnelles des États et comprendre le type d’identité et de culture nationales qu’ils ont souhaité créer (a). Dans un second temps, nous confronterons les actions culturelles dans les deux pays afin de souligner les types d’actions culturelles qui découlent de certaines représentations de la nation, mais aussi des caractéristiques de la population (b). Ainsi, nous verrons que si au XXe siècle au Mexique, les arts plastiques et visuels sont fortement soutenus par les gouvernements, alors qu’en Argentine, c’est davantage le livre, la lecture et le théâtre, c’est parce qu’il n’y a pas les mêmes taux d’analphabétisme dans la population et que les représentations de la nation sont différentes.
Les processus de construction des États et des nations au Mexique et en Argentine
Les États-nations argentins et mexicains sont-ils le produit des mêmes processus ? Ont-ils mis en avant les mêmes éléments dans la construction de la nation ? Diffusent-ils de la même manière l’identité nationale ? Les conditions d’émergence des État-nations expliquent les différences observées au XXe siècle entre un État mexicain fort et un État argentin instable. Dans un second temps, nous montrerons que malgré des populations différentes, les deux États ont utilisé la culture de manière similaire pour construire l’identité nationale et la nation.
Pour T. Di Tella594 le premier contraste que l’on trouve entre le Mexique et l’Argentine concerne les manières dont les pays ont obtenu leur Indépendance. Alors que c’est l’élite du Río de la Plata qui lance l’insurrection, en Nouvelle-Espagne, elle commence avec le prêtre.
Hidalgo et un militaire de rang moyen. Elle est d’ailleurs le résultat de l’alliance entre des paysans et des oligarques propriétaires terriens organisés dans les loges franc-maçonnes595. Les luttes d’indépendance (1810-16 en Argentine, 1810-21 au Mexique) créent « une forme d’identité collective et un sentiment de destin commun »596. Cependant, cette amorce de nationalité est diluée dans des existences organisées à une échelle très locale, les centres de pouvoir s’articulant autour de caudillos597 locaux.
Pendant le XIXe siècle, conservateurs, libéraux, unitaires et fédéralistes s’affrontent dans les deux pays. On note toutefois quelques différences : en Argentine les libéraux modérés sont unitaires alors qu’ils sont fédéralistes au Mexique, les caudillos fédéralistes argentins oscillent entre valeurs libérales et conservatrices et enfin le poids des conservateurs catholiques est beaucoup plus important au Mexique598. Par ailleurs, la population mexicaine à cette époque est sept fois plus importante que l’argentine qui ne dépasse pas le demi-million d’habitants avant 1810. C’est la preuve pour A. Rouquié du peu d’importance que lui donnait la Couronne espagnole. Il affirme que c’est de là que « découle aussi le sentiment profondément enraciné dans la conscience argentine d’appartenir à un pays neuf sans tradition coloniale comme sans passé précolombien »599. En revanche, au Mexique le glorieux passé aztèque et maya n’est pas nié, même s’il n’est pas revendiqué à toutes les périodes.
Les deux pays repoussent des invasions qui vont avoir un rôle important dans la construction du nationalisme600. Leurs conflits internes sont pacifiés par des dictateurs601 et ils construisent un appareil d’État à la fin du XIXe siècle. La bataille de Pavón (1861) qui contraint Buenos Aires à revenir dans la Confédération qu’elle avait quittée pendant une décennie, est un moment clé dans le processus de construction de l’État argentin. La Cour Suprême accorde alors tous les pouvoirs au vainqueur en vertu des « devoirs qu’implique la victoire »602. Cette décision va marquer la trajectoire institutionnelle argentine lors des siècles à venir, tout comme le fait qu’elle soit une terre d’accueil pour des centaines de milliers d’immigrés. L’Argentine est très ouverte sur l’extérieur. Sa prospérité est due aux exportations et est très influencée par le capital et les idées provenant de l’étranger. Comme au Mexique, l’organisation politique qui surgit à cette époque repose principalement sur le clientélisme et le patronage603. Toutefois, alors que l’appareil étatique est faible, le mexicain est fort.
L’État mexicain, né pendant la dictature de P. Díaz, de la confiscation du pouvoir aux caudillos et aux caciques604 et de l’« unité économique et politique »605, est fort et centralisé606. Après une longue période de stabilité, des dérèglements structurels et le mécontentement face à l’autoritarisme du régime, précipitent le Mexique dans la Révolution en 1910607. Si l’élite traditionnelle ne disparaît pas, elle n’occupe plus la sphère publique, mais développe des entreprises administrées par les réseaux familiaux en marge des institutions politiques. En revanche, l’élite d’État post-révolutionnaire occupe le pouvoir politique en restant éloignée du secteur privé. La consolidation de l’État est la conséquence d’un pacte entre caudillos régionaux révolutionnaires608 et de l’unification de tous les vainqueurs au sein d’un parti « à caractère national »609. Le Parti National de la Révolution (PNR) (le PRI à partir de 1946) devient une structure de patronage verticale qui relie centre et périphérie puis coopte par la suite différents groupes sociaux en distribuant des postes publics610.
Des États fédéraux ont émergé dans les deux pays. Toutefois les provinces argentines ont beaucoup plus de pouvoir que les États fédérés mexicains, même si dans les deux cas, ces entités sont fortement dépendantes du centre. Ces facteurs politiques sont importants pour comprendre les caractéristiques des États mexicain et argentin au XXe siècle et donc les politiques publiques dont ils sont les principaux acteurs. Le tableau suivant synthétise les principales caractéristiques des États, populations et nations au Mexique et en Argentine au début du XXe siècle.
Comparaison de l’émergence d’actions culturelles dans les deux pays
Comparer les actions culturelles depuis la construction des États-nations, jusqu’à la veille de la période analysée dans la thèse, permet de comprendre les politiques culturelles contemporaines lorsqu’elles sont resituées dans l’histoire sociopolitique des pays, mais aussi de souligner leurs trajectoires institutionnelles. On confrontera les principaux cadres cognitifs et normatifs des actions culturelles argentine et mexicaine, puis le type et les conditions de création des principales institutions et enfin, le rôle des acteurs publics, associatifs et universitaires menant une action culturelle dans les deux pays.
L’évolution des cadres cognitifs de l’action culturelle des pouvoirs publics:
De l’Indépendance au premier tiers du XXe siècle, l’action publique dans le domaine de la culture se dirige principalement vers la construction d’une identité et d’une culture nationales permettant de consolider la nation. Dans ce cadre, les gouvernements argentin et mexicain mènent principalement des politiques distributives, en fournissant des services, et régulatrices, en faisant adopter normes et lois, puis des politiques institutionnelles constitutives lorsqu’un effort est fait pour coordonner l’action des musées, théâtres et bibliothèques. Ces actions s’inscrivent dans le « type d’action culturelle » de la « culture comme Beaux-Arts » dans lequel les dirigeants cherchent à préserver le patrimoine et les arts où l’on trouve les fondements de la culture nationale dans le passé colonial créole et espagnol. En Argentine, ce paradigme se trouve notamment dans les premiers gouvernements après l’Indépendance et avec Porfirio Díaz au Mexique.
Dans les deux cas étudiés, les gouvernements développent un nationalisme culturel visant à doter leurs pays d’une identité spécifique et distinctive. La culture permet alors de créer les éléments symboliques et tangibles exprimant l’identité, l’argentinité ou la mexicanité. En outre, en Argentine le nationalisme culturel vise à préserver les traditions nationales face au danger que représentent les nombreux immigrants alors qu’il est un moyen d’intégrer les populations indiennes au Mexique. Si pratiquement tous les gouvernements PRIistes avant M. de la Madrid financent les actions culturelles nationalistes, ce n’est pas le cas en Argentine, où ce trait est plutôt marqué pendant le gouvernement de Perón et les dernières dictatures militaires.
Les gouvernements de Perón (1946-55) et de L. Cárdenas (1936-40) mettent l’accent sur la promotion et la diffusion de la culture populaire. Le péronisme soutient le folklore autour du gaucho et les expressions culturelles résultant de l’immigration européenne et de la migration interne (comme le tango et le boléro)619. L. Cárdenas soutient pour sa part les expressions sportives et culturelles émanant de la figure du charro : la charrería620, la musique et la danse ranchera, les groupes de mariachis621 et le jarabe tapatío622. Par ailleurs, ces deux dirigeants soutiennent particulièrement l’industrie du cinéma qui diffuse ces expressions culturelles. Si dans le cas du Mexique, les politiques redistributives dans le secteur du cinéma sont constantes des années 1920 aux années 1990, elles sont particulièrement importantes pendant le mandat d’Echeverría dans les années 1970, surtout pour les productions dont le contenu est en accord avec l’idéologie du régime. En Argentine, le soutien public aux industries culturelles commence réellement avec Perón. Des politiques régulatrices sont mises en oeuvre à partir des années 1950 (avec la promulgation d’une loi sur le cinéma) puis redistributives (avec la création d’un fonds de soutien dans le cinéma).
En plus d’être les principaux producteurs de films, le Mexique et l’Argentine sont les principaux exportateurs de livres du continent jusqu’à la fin du franquisme. Alors que l’État mexicain est de très loin le principal éditeur du pays (particulièrement à partir de la mise en place des manuels scolaires uniques et gratuits), en Argentine, ce sont « l’industrialisation et l’urbanisation croissante connue par le pays depuis 1935, l’héritage culturel européen [et] une politique de soutien à la classe moyenne »623 qui ont permis le fort développement de cette industrie dans les années 1950.
On peut inscrire l’action culturelle de M. López Portillo dans le paradigme de N. García Canclini du « mécénat libéral »624 car il n’y a pas de structures institutionnelles adéquates pour promouvoir la culture et que l’administration de fonds pour la culture est confiée, de manière discrétionnaire, à un membre de leur famille qui agit comme le ferait un mécène, en récompensant les artistes qui lui plaisent. L’action culturelle argentine de cette période peut également s’inscrire dans ce paradigme où les principaux agents de l’action culturelle sont des fondations de grandes familles ou d’entreprises menant des politiques distributives et redistributives. Le remplacement des recettes keynésiennes par les monétaristes s’est traduit par une réduction drastique des subventions publiques dans le secteur argentin de la culture et un rôle plus important du secteur privé et notamment de grands mécènes comme J. Glusberg et son centre d’Art et de Communication. L’action culturelle argentine de cette époque, comme celle du Mexique à partir du mandat de M. de la Madrid, correspond aux « type d’action » de la « culture comme marchandise » où le secteur privé a un rôle croissant dans le financement et la diffusion de la haute culture du fait des baisses budgétaires et des privatisations.
Nous supposons que si l’on observe une convergence entre les cadres cognitifs et les types d’actions culturelles à plusieurs périodes entre les deux pays, on peut alors trouver une convergence dans leurs politiques institutionnelles constitutives. En effet, la recherche du même type de missions peut se traduire par la création du même type d’organisations pour les mener à bien.
Comparaison des politiques institutionnelles constitutives et réformatrices:
Le Mexique et l’Argentine mettent en oeuvre dès le premier quart du XXe siècle, des politiques institutionnelles constitutives. Même si au Mexique l’organisation chargée de l’action culturelle change de nom, elle dépend du secteur de l’éducation depuis le début du XXe siècle jusqu’à nos jours. En revanche, en Argentine des « politiques institutionnelles réformatrices »625 modifient de nombreuses fois l’appartenance hiérarchique de cette organisation qui oscille entre le ministère de l’Éducation et la présidence de la nation. C’est ce que nous avons qualifié de « déplacement en série ». Nous considérons que c’est la trajectoire et la force institutionnelle des pays qui expliquent que l’appareil bureaucratique mexicain est plus indépendant du politique que l’argentin. Dans les deux cas, d’importantes structures administratives sont créées par des gouvernements autoritaires (comme les premières tentatives de regroupement de différentes organisations culturelles). Toutefois, ces gouvernements ne sont pas de même nature, car contrairement à l’Argentine, il n’y a pas de dictatures militaires au Mexique, mais un « parti hégémonique »626.
Vázquez Martín, poète, animateur culturel et fonctionnaire, affirme :
« L’État mexicain, qui est né avec le PRI, a mené une politique culturelle – même s’il était anti-démocratique et autoritaire – qui a cherché à protéger le patrimoine culturel et à créer des institutions qui renforcent l’identité mexicaine […] »627.
Ainsi, ce sont des dictatures qui ont créé des organisations aussi importantes que le FNA et la Commission nationale des Musées, Monuments et Lieux historiques en Argentine, alors que le PRI a créé l’Institut National d’Anthropologie et d’Histoire (INAH) 628 et l’Institut National des Beaux Arts (INBA) au Mexique. Le patrimoine est le secteur le plus important dans les actions culturelles argentine et mexicaine, comme le montrent le nombre de lois et d’organisations créées dans ce secteur et le pourcentage important du budget de la culture qui lui est dédié629. En plus du patrimoine, les deux pays donnent une grande importance au développement et à la diffusion des Beaux-Arts, mais traitent différemment le théâtre. En Argentine, des politiques institutionnelles constitutives et des politiques régulatrices sont menées dans ce secteur, alors qu’au Mexique ce secteur s’est développé630 sans un soutien proactif de l’État, les compagnies vivant des recettes de leurs spectacles. Le titulaire de la Direction du Théâtre de l’INBA nous explique :
« Alors même que le théâtre a donné une identité culturelle à la Révolution mexicaine, il n’a pas été inclus dans le projet de nation culturelle de J. Vasconcelos. Il n’a pas été inclus comme expression vivante, mais seulement en tant que littérature ».
Une autre différence dans le traitement de certains secteurs culturels dans les deux pays est l’importance donnée aux expressions culturelles indiennes. Au Mexique, les pouvoirs publics soutiennent l’artisanat comme expression de la « culture populaire »632 nationale en créant plusieurs organisations (fonds national pour le Développement de l’Artisanat (1974), direction et musée des Cultures populaires respectivement en 1976 et en 1982). En revanche en Argentine, ce domaine reste pratiquement absent de l’action du secrétariat à la Culture jusqu’au mandat de J. Nún dans les années 2000. Toutefois, un intérêt pour les expressions culturelles rurales – et non pas spécifiquement indiennes – surgit à partir de 1955, dans le cadre du modèle économique développementaliste cherchant la modernisation du secteur primaire. Alors que la construction d’industries dans des régions jusque-là ignorées, entraîne des déplacements de populations, l’Institut national de philologie et de Folklore est chargé d’étudier les changements dans la culture urbaine résultant de l’arrivée de populations rurales et d’encourager la production artisanale633. Dans les décennies suivantes, l’État mène des politiques institutionnelles réformatrices et moins de politiques distributives. Cette situation s’accentue dans les années 1970 en Argentine, et au début des années 1980 au Mexique, alors qu’on assiste à un retrait plus ou moins important de l’État qui se traduit en Argentine par une plus grande importance du secteur privé dans la culture.
Antécédents et processus d’institutionnalisation d’une politique culturelle au Mexique
Pourquoi le Mexique s’est-il doté d’une politique culturelle en plein contexte de rigueur ? Quels phénomènes expliquent les créations d’un Conseil, puis d’un Fonds pour la Culture et les Arts ? Dans le milieu des années 1970, des écrivains, des artistes et des intellectuels se mobilisent collectivement pour exiger une réforme de l’action culturelle de l’État et la création de nouveaux mécanismes de financement. Nous supposons que ces groupes d’intérêt d’intellectuels et d’artistes disposent de ressources leur permettant d’inscrire à l’agenda « systémique »659 leurs demandes et que leurs actions collectives sont à l’origine de la création du CONACULTA et du FONCA. Pour valider cette hypothèse, nous nous attacherons à analyser les « ressources » de ces groupes et leurs répertoires de mobilisation. Possèdent-ils les caractéristiques de groupe pouvant accéder plus facilement que d’autres à « l’attention »660 des décideurs ? Puis nous nous interrogerons sur les raisons de la création du CONACULTA et du FONCA en prenant à la fois en compte, le « contexte politique »661 et notamment les conditions de l’élection du Président Salinas, et les relations qui lient historiquement les intellectuels et artistes et l’État au Mexique. Ces créations sont-elles uniquement la réponse à des mobilisations de groupes d’intérêt ou s’inscrivent-elles dans le cadre d’un « échange clientéliste » ? Le clientélisme peut-être défini « comme un rapport personnalisé d’échanges réciproques entre inégaux, permettant la satisfaction pragmatique des intérêts distincts des partenaires […] »662. Nous supposons que C. Salinas a donné aux artistes, aux écrivains et aux créateurs les organisations et mécanismes de financement qu’ils demandaient en échange d’un soutien public à ses politiques, car son élection n’était pas légitime. Si ces éléments sont importants, ils ne permettent toutefois pas d’expliquer pourquoi, au-delà de ces échanges, une véritable politique culturelle a émergé à cette période, comme le soulignent la littérature spécialisée et les entretiens menés. Nous monterons qu’au profit de l’ouverture d’une fenêtre politique, des acteurs mobilisés dans des « forums », qui avaient pensé la politique culturelle, sont passés aux « arènes »663 en intégrant le CONACULTA et ont pu mettre en oeuvre leurs idées. On s’intéressera ensuite aux changements que l’on peut observer dans l’action culturelle du gouvernement après les créations du CONACULTA en 1988, et du FONCA en 1989. Nous avançons que ces créations, en plus de l’élaboration d’une planification rendant visible une « philosophie d’action », l’augmentation du budget permettant la consolidation d’une clientèle, et la création d’un cadre institutionnel rendant plus pérenne cette action, participent de l’institutionnalisation d’une politique culturelle au Mexique.
L’hypothèse selon laquelle des mobilisations de groupes d’intérêt sont à l’origine de la réforme de l’action culturelle et des créations du CONACULTA et du FONCA sera explorée dans la première partie (1). La seconde s’attachera à valider les hypothèses sur la création du CONACULTA et du FONCA et sur l’institutionnalisation de la politique culturelle mexicaine dans les années 1980.
Trois mobilisations pour une réforme de l’action culturelle
Les écrivains, intellectuels et artistes qui se mobilisent en 1975, puis pendant les campagnes électorales de 1982 et de 1988 peuvent-ils être considérés comme des « groupes de pression » ? Sont-ils des « entités cherchant à représenter les intérêts d’une section spécifique de la société dans l’espace public »664 ? Nous supposons que la réponse est affirmative puisque dans ces mobilisations, ces acteurs utilisent des répertoires de mobilisation propres à ces groupes, comme le « recours au nombre » et « à la morale »665, et qu’ils sont invités par le pouvoir à des « négociations » et « consultations »666. Toutefois, pour valider cette hypothèse, il faut également prendre en compte les ressources dont disposent ces groupes permettant d’expliquer pourquoi ils parviennent à être écoutés des pouvoirs publics. Cette interrogation sera l’objet de la première partie (a), alors que la seconde (b) s’attachera aux répertoires de mobilisation qu’ils utilisent pour porter leurs demandes, mais aussi aux contenus des propositions faites aux pouvoirs publics, dans le but d’améliorer le système de financement de la création culturelle et le fonctionnement des organisations culturelles publiques.
Les ressources des intellectuels et artistes et leurs relations avec le pouvoir
Les groupes d’intérêt peuvent être dotés de trois ressources selon M. Offerlé : un réseau important de relations (« ressources sociales »), un capital financier (« ressources financières »), et un certain prestige social, une renommée ou un capital de sympathie (« ressources sociétales »667). Les intellectuels et artistes mexicains sont-ils dotés de ce type de ressources ? Avant de répondre à cette question, précisons ce que nous entendons par « intellectuel ».
L’intellectuel est celui qui en plus de penser, d’écrire et d’enseigner, traduit et interprète la réalité dans l’espace public668 et le champ politique669. Cette notion apparaît en France au XIXe siècle et désigne les écrivains qui interviennent dans le débat public et qui font des propositions pour la société670. En France, comme au Mexique, l’intellectuel par excellence est pendant longtemps un écrivain671. Pour Gabriel Zaid, l’intellectuel est « l’écrivain, l’artiste ou le scientifique qui donne son opinion sur des domaines d’intérêts publics avec une autorité morale entre les élites »672. Nous appréhenderons ici l’intellectuel comme l’écrivain, essayiste, dramaturge vivant de sa production littéraire et artistique et intervenant sur la scène publique pour défendre sa perception de la réalité et ses idées pour la société. Pour D. Aarão Reis les intellectuels non occidentaux seraient particulièrement « encerclés par la pression suffocante de l’État »673 et le manque d’autonomie des institutions. Cette situation est-elle vraie au Mexique ? Les liens qui unissent les intellectuels et artistes mexicains à l’État sont particuliers. Ils sont qualifiés de conseillers du prince, d’interprètes et [de] porte-parole du gouvernement »674 et d’« artisans de régimes »675 ou encore d’intellectuels institutionnalisés ou corporativisés. La relation particulière qui les lie au pouvoir commence avec P. Díaz (1884-1910). Le poète Vicente Quirarte affirme, en se référant à cette période : « pour le jeune écrivain talentueux, il y avait deux chemins, l’un vers le Pénitencier et l’autre vers la Chambre de Députés »676. Lors de la Révolution de 1910, ils accompagnent les caudillos afin de garantir le droit face à la force et écrire leurs discours. Ils construisent ensuite les mythes et l’idéologie officielle des gouvernements post-révolutionnaires. L’écrivain Ignacio Padilla, qui a occupé plusieurs postes dans l’administration publique nous livre sa définition de l’intellectuel.
« Je considère qu’il existe une différence entre l’intellectuel et, dans le cas de la littérature, le conteur d’histoires, ou entre l’intellectuel et l’artiste pur et dur. […] Ce n’est pas une distinction de grades, mais de perception de la réalité. Je pense qu’il existe peu d’intellectuels au Mexique. Ce qui renvoie à l’idée que l’intellectuel est un traducteur de la réalité dans sa totalité pour une communauté déterminée, à travers ses connaissances, son intuition et de la conjonction d’une série de facteurs […]. Il y a eu des intellectuels magnifiques qui se sont dédiés à des questions publiques. Il y en a d’autres qui ont seulement interprété »677.
Selon lui, Octavio Paz ou Carlos Fuentes sont des intellectuels. Toutefois, le « gouvernement ou la société ne font pas cette distinction »678 et aussi bien des « conteurs d’histoire » que des intellectuels « se sont dédiés à certains moments à la diplomatie et à la gestion culturelle »679. En effet, de très nombreux écrivains, musiciens, artistes et chercheurs ont occupé des postes publics principalement dans le secteur éducatif, culturel et diplomatique, dans le cadre du système « clientéliste bureaucratique »680 et de « patronage »681 instauré P. Díaz et affiné par L. Cárdenas. Les gouvernements PRIistes s’attachaient ainsi le soutien et la loyauté de ces intellectuels, dont la fonction de légitimation est aussi importante que la fonction de critique682. De surcroît, pour certains écrivains, artistes ou intellectuels de la première moitié du XXe siècle, « participer aux affaires publiques depuis un appareil gouvernemental est une sorte de mission morale ou de compromis éthique avec et pour la nation »683. Par ailleurs, les conditions du marché du livre et de l’art au Mexique leur permettent difficilement de vivre de la vente de leurs créations, ils ont donc besoin de ces postes. Cette situation est résumée dans cette célèbre formule de l’écrivain et diplomate César Garizurieta : « vivir fuera del presupuesto es vivir en el error » (« vivre en dehors du budget public, c’est vivre dans l’erreur »). Cette situation se modifie quelque peu après le massacre de Tlatelolco. Ainsi, certains intellectuels osent critiquer publiquement le gouvernement comme Octavio Paz qui démissionne de son poste d’ambassadeur en Inde. Ils sont toutefois peu nombreux. Pour tenter de réconcilier le monde universitaire et celui de la culture avec son gouvernement, le Président Echeverría (élu en 1970) augmente substantiellement les budgets de ces secteurs et s’entoure, pendant ses déplacements, de centaines d’intellectuels et d’artistes à qui il distribue des postes publics (comme à Carlos Fuentes684). L’État devient « un instrument de cooptation des intellectuels et de tous ceux qui aspir [ent] à une carrière politique »685. On voit alors une « bureaucratisation » de la communauté intellectuelle et son « intégration au régime »686.
L’évolution des répertoires d’actions des groupes mobilisés entre 1975 et 1988
Le Président Echeverría déclenche l’ire de la communauté intellectuelle en critiquant l’Institut National des Beaux Arts (INBA) et les artistes. Il formule ces critiques dans ses deux derniers rapports de gouvernement et lors d’un événement culturel. Deux écrivains répliquent dans des journaux et revues et en profitent pour dénoncer le traitement public de la culture. C’est le début de la première mobilisation pour une réforme de l’intervention publique dans le domaine de la culture. Deux autres vont la suivre en utilisant différents modes d’action. Nous étudierons tout d’abord l’interpellation des pouvoirs publics en réponse à l’attaque du Président Echeverría à travers le recours au nombre et à la morale, ce qui nous permettra de tester l’hypothèse selon laquelle les intellectuels du groupe de Paz peuvent être appréhendés comme des re-adjusters. Puis nous parlerons de la mobilisation d’artistes et d’intellectuels de 1982, encadrée par une structure créée par le PRI, demandant une réorganisation du secteur public de la culture à travers une « négociation » 690. Enfin, l’analyse de la mobilisation de ces mêmes acteurs pendant la campagne de Salinas au sein de l’IEPES nous permettra de suivre l’évolution de la négociation entre intellectuels et pouvoirs publics. On s’attachera à distinguer les demandes faites par les intellectuels et les solutions proposées pour l’action culturelle au sein de « forums de communauté politique » rattachés à l’IEPES.
Les intellectuels et artistes comme « re-adjusters »:
Si les intellectuels qui se mobilisent dans les années 1970 dénoncent une situation où la distribution des ressources perçues est injuste, alors nous pourrons affirmer qu’ils agissent comme des re-adjusters. C’est l’hypothèse qui est explorée ici.
Dans les années 1970, de nombreux projets culturels dépendent d’affectations budgétaires « extraordinaires » et l’obtention de ces fonds est permise par le consentement du Président et du secrétaire à l’Éducation publique. Toutefois, cette situation n’est pas propre au gouvernement d’Echeverría puisque le peintre Fernando Leal dénonçait déjà en 1952 « l’arbitraire » et le « favoritisme »691 dans l’action culturelle, et le fait que l’État cherche à transformer les artistes et intellectuels en « adulateurs des puissants »692. Ce qui change par rapport à la période précédente est l’attaque du Président Echeverría au monde de la culture. Dans son cinquième rapport de gouvernement, il affirme : « Fondé comme une institution destinée à la promotion et la diffusion de l’art au Mexique, il [l’INBA] a été dépassé par la dynamique sociale »693. Quelques mois plus tard, Echeverría renouvelle ses critiques envers l’INBA lors de l’inauguration d’une exposition dédiée à D. A. Siqueiros. Il affirme que l’institut est : « inefficace, les artistes sont individualistes, le mercantilisme prévaut »694. Pour remédier à cette situation, il annonce qu’un projet de loi a été soumis au Congrès pour créer un organisme décentralisé chargé de l’action culturelle, appelé Conseil national des Arts695. Gabriel Zaid et Octavio Paz répondent aux critiques et projets du Président dans les pages de la revue Plural696 et du quotidien l’Excelsior697, en dénonçant l’action culturelle du gouvernement. O. Paz déclare que l’État devrait dépenser moins de ressources en administration et davantage dans le soutien des producteurs et créateurs d’art698. Alors que G. Zaid dénonce ouvertement le clientélisme politique de L. Echeverría : « Le gouvernement a tout l’argent du monde pour acheter les bonnes volontés des artistes et intellectuels qui veulent développer leurs vocations. Ce qu’il n’a pas, c’est le temps d’acheter au détail »699. Quelques mois plus tard, O. Paz et G. Zaid réitèrent leurs critiques contre le dirigisme étatique, et notamment la manière dont l’avant-projet de loi de création du Conseil national des Arts a été rédigé700. En dénonçant la censure et le favoritisme régnant dans l’action publique, ces écrivains agissent comme de « re-adjusters »701 au sens de R. Cobb et C. Elder. Paz. Par ailleurs, dans ce nouvel article, Paz et Zaid ne sont plus les seuls signataires, de nombreux artistes et écrivains renommés les ont rejoints702. Cette action ayant lieu en dehors de la communauté politique et les acteurs mobilisés souhaitant faire pression et non pas coopérer avec les autorités publiques, on peut la qualifier de stratégie de « lobbying externe »703 dans laquelle les acteurs contestataires « placent des sujets dans les médias, [font signer] des pétitions, des lettres et des appels au gouvernement »704. Les signataires de ces articles possèdent les ressources sociales et sociétales d’un groupe d’intérêt et leur mobilisation peut être qualifiée de « recours au nombre »705. Par ailleurs, les nombreux noms apposés au bas des articles ont d’autant plus de poids qu’il s’agit de personnalités prestigieuses comme l’écrivain Juan Rulfo (prix national de Littérature en 1970) ou le poète Jaime Sabines (prix Xavier Villarutia en 1972). Dans un autre article du même numéro de Plural signé par encore plus de personnalités706, le groupe d’O. Paz a également recours « à la morale »707 en cherchant à scandaliser le lectorat en invoquant le manque d’éthique et les mensonges du gouvernement708, et l’injustice du traitement des artistes.
« Nous avons été témoins […] de la réapparition du préjugé barbare qui attribue à l’État des pouvoirs spéciaux dans le domaine de la littérature ; nous avons également été témoins de ses résultats néfastes, tant dans le domaine de l’art comme dans celui de la morale : des oeuvres médiocres et des écrivains serviles. Cette observation s’applique à d’autres arts […] comme la musique, la peinture, la sculpture et l’architecture »709.
Le groupe mobilisé cherche à susciter un sentiment de révolte chez le lecteur en soulignant les tares de l’intervention publique dans la culture. Tout d’abord, « l’État n’a jamais été un véritable créateur de littérature de valeur. À chaque fois qu’il tente de la convertir en instrument de ses fins, il termine par la dénaturaliser et la dégrader […] »710 ; de plus, le projet de loi instaurant le Conseil national des Arts ne mentionne pas la participation des artistes ou le montant maximum des dépenses administratives711 et enfin il a été rédigé dans un « esprit bureaucratique » par le procureur de Justice712. On voit de nouveau dans cet article que les signataires agissent comme des re-adjusters. Le groupe refuse sciemment de négocier avec le gouvernement (O. Paz refuse le dialogue avec celui qui fut le ministre de l’Intérieur lors du massacre des étudiants en 1968) il ne s’agit donc pas d’une stratégie « subie », mais d’une stratégie « choisie »713. S’il ne veut pas négocier avec le gouvernement, le groupe veut toutefois l’interpeller, car au Mexique il y a peu de lecteurs réguliers, aussi la portée des déclarations dans la presse écrite est-elle limitée comme le souligne I. Padilla : « Ce que l’intellectuel publie dans les médias, particulièrement journalistique, se dirige aux politiques »714.
Dans ces articles, les écrivains et artistes ne dénoncent pas uniquement l’action du gouvernement, ils font des propositions pour l’amélioration de l’action culturelle ayant ainsi « recours à l’expertise »715. En effet, ils montrent qu’ils connaissent le secteur de la culture et ce qui se fait à l’étranger et qu’ils ont pensé à des solutions. Ainsi ils présentent le projet de création « d’un fonds pour le soutien de la littérature et des arts fonctionnant de manière indépendante afin d’aider les écrivains et jeunes artistes, dans le cadre d’une immense liberté esthétique et idéologique »716. Ils exigent que le Conseil national des Arts voulu par Echeverría soit dirigé par un conseil d’administration composé d’écrivains, d’artistes et de critiques de renom717. Ils soulignent que l’action culturelle publique doit « concentrer les ressources »718 afin de pallier la dispersion des ressources humaines et matérielles entre différentes institutions en créant « un Fonds des Arts » fonctionnant selon le principe de la « décentralisation de la distribution et l’investissement de ces ressources »719, car le « centralisme étouffe notre vie culturelle autant que notre démocratie politique imparfaite »720. Dans l’article « Ideas para un Fondo de las Artes », le groupe précise encore les caractéristiques de ce fonds : il doit être « autonome, séparé de l’administration publique » et « subventionner les activités artistiques qui le méritent »721 selon ses propres critères et pas ceux de fonctionnaires. Pour éviter tout dirigisme – car « les autorités n’ont pas à exprimer 712 O. d’idées d’ordre esthétique et ne doivent pas soutenir telle ou telle tendance artistique »722 –, le fonds ne formulera aucun « plan ou programme […], directives, conseils, enseignements ou critiques. […] Son rôle artistique se limitera à juger les demandes de subventions qu’il recevra »723. Il doit être présidé par « un conseil d’administration [junta de gobierno] composé de dix artistes, écrivains ou critiques mexicains reconnus internationalement »724 dont les fonctions et caractéristiques sont détaillées (ainsi que le montant des salaires de ses membres). Les signataires précisent que le fonctionnement administratif du fond ne doit pas excéder « 5 % du montant des subventions attribuées » et que « toutes les subventions attribuées doivent être sujettes à l’examen public [escrutinio publico] »725. « Le Fonds recevra un budget équivalent à 2 % du budget du secrétariat à l’Éducation publique »726 et les particuliers faisant des donations au fonds bénéficieront d’avantages fiscaux. Il y a des similitudes entre ce projet et celui du National Endowment for the Art (NEA) nord-américain, ainsi des bourses d’excellence sont attribuées par le NEA sur les conseils d’experts regroupés dans des commissions de pairs [peer panel system]727. Octavio Paz ayant étudié et vécu en Europe (Espagne et France) et enseigné aux États-Unis dans diverses universités dans les années 1960 et 1970, on peut avancer qu’il est très influencé par ce modèle et celui de l’Art Council of Great Britain lorsqu’il formule les propositions du fonds pour la culture et pour le Conseil national des Arts.
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Table des matières
Listes des principales abréviations
Liste des tableaux, graphiques, organigrammes, frises et illustrations
Introduction générale
Comment appréhender les politiques culturelles ?
La politique culturelle, une politique publique
Le changement dans l’analyse cognitive et normative des politiques publiques
L’approche néo-institutionnaliste historique : inertie et changement graduel
Construire une comparaison temporelle et territoriale
Hypothèses et grille d’analyse du changement en quatre dimensions
Une analyse en trois temps
Partie introductive. Genèse des actions culturelles mexicaines et argentines, de la construction des États-nations aux années 1980
1. Le rôle et la place de la culture dans les processus de constructions des nations argentine et mexicaine
a. La culture et la construction de la nation mexicaine
b. Les enjeux de la définition de la nation et de la culture argentine
2. Genèse de l’intervention publique dans le domaine de la culture en Argentine et au Mexique
a. La structuration d’une action culturelle marquée par la prépondérance de l’État au Mexique
L’émergence d’une action publique culturelle (1824-1940)
Entre diffusion de la culture et censure : l’action culturelle pendant le « miracle mexicain » (1940-1970)
La culture comme Beaux-Arts, création populaire et marchandise (1970-1988)
b. Entre dictature et démocratie : les actions culturelles en Argentine (1810-1980)
De l’importance des « associations civiles » dans l’action culturelle argentine (1850-1930)
La culture dans le cycle pendulaire entre démocratie et dictatures militaires (1930-1943, 1955-1973 et 1976-1983)
L’action culturelle « populaire » du péronisme (1946-1955 et 1973-1976)
3. Des actions culturelles marquées par la prépondérance de l’État au Mexique et le dynamisme du secteur associatif en Argentine
a. Les processus de construction des États et des nations au Mexique et en Argentine
b. Comparaison de l’émergence d’actions culturelles dans les deux pays
L’évolution des cadres cognitifs de l’action culturelle des pouvoirs publics
Comparaison des politiques institutionnelles constitutives et réformatrices
Le rôle des associations, entreprises et universités dans les actions culturelles
Conclusion de la partie introductive
Ière partie. L’émergence et l’institutionnalisation de politiques culturelles en Argentine et au Mexique dans les années 1980
Chapitre 1. Antécédents et processus d’institutionnalisation d’une politique culturelle au Mexique
1. Trois mobilisations pour une réforme de l’action culturelle
a. Les ressources des intellectuels et artistes et leurs relations avec le pouvoir
b. L’évolution des répertoires d’actions des groupes mobilisés entre 1975 et 1988
Les intellectuels et artistes comme « re-adjusters »
La « négociation » des intellectuels et artistes pendant la campagne de M. de la Madrid 155
« Consultation » et « négociation » pendant la campagne de Carlos Salinas
2. Comment et pourquoi une politique culturelle s’est-elle institutionnalisée au Mexique dans les années 1980 ?
a. Les facteurs explicatifs de la création du CONACULTA et du FONCA : ouverture d’une « fenêtre politique » ou échange clientélaire ?
Une fenêtre politique permettant le passage d’acteurs du « forum » à « l’arène »
Un échange clientélaire entre la communauté culturelle et le pouvoir ?
b. Quels éléments permettent d’appréhender l’institutionnalisation d’une politique culturelle au Mexique ?
La philosophie d’action du CONACULTA présentée dans sa planification
Le cadre institutionnel et budgetaire de la politique culturelle mexicaine
Une organisation chargée de la politique culturelle
Conclusion du chapitre 1
Chapitre 2. Vers l’institutionnalisation d’une politique culturelle en Argentine …..
1. De l’action collective à l’action publique, l’arrivée d’artistes à la tête du secrétariat à la Culture
a. La mobilisation d’artistes pour la réforme de l’action culturelle argentine
Une communauté qui n’a pas besoin de l’État
Des artistes dans la campagne
b. Du CPP au secrétariat à la Culture, des artistes « passent par la fenêtre »
Un « forum scientifique des spécialistes » : le Centre de participation politique
L’atelier « Culture et médias » : forum scientifique des spécialistes, des professionnels, ou de la société civile ?
Des artistes au gouvernement
2. Les éléments de l’institutionnalisation d’une politique culturelle en Argentine
a. La « conversion » du secrétariat à la Culture
b. Le processus d’élaboration de la planification et l’évolution de la philosophie d’action de la politique culturelle
Le processus de construction d’une planification culturelle en 1984
La tension entre « démocratisation de la culture » et « démocratie culturelle »
Quand le secteur de la communication s’invite dans la politique culturelle
c. La progressive consolidation d’un cadre institutionnel et budgetaire
Conclusion du chapitre 2
Chapitre 3. Des mobilisations à l’institutionnalisation de politiques culturelles : analyse comparative
1. Des mobilisations pour l’inscription à l’agenda de la culture en Argentine et au Mexique
a. Les actions collectives d’artistes et d’intellectuels : du « lobbying » à la « négociation »
Des rapports différents entre l’État et le milieu de la culture
Des ressources similaires, des répertoires d’action différents
Des artistes et des intellectuels invités à « négocier » par des acteurs politiques
b. L’ouverture de « fenêtres politiques » ou comment des acteurs passent du « forum » à « l’arène »
2. Des processus d’institutionnalisation de politiques culturelles similaires ?
a. « Déplacement » et « conversion » d’organisations culturelles
b. La formalisation des « idées » dans les planifications culturelles
c. Des cadres institutionnels faibles permettent-ils l’institutionnalisation de politiques culturelles ?
Conclusion du chapitre 3
Conclusion de la Ière partie
IIe partie. Les politiques culturelles mexicaine et argentine dans le « tournant néo-libéral »
Chapitre 4. La « modernisation » de la politique culturelle mexicaine (1992-2000)
1. Quand les acteurs changent dans la politique culturelle mexicaine
a. Causes et conséquences de conflits entre coalitions : Nexos versus Vuelta
b. Un nouvel acteur entre en jeu pour « moderniser » la politique culturelle mexicaine (1992-2000)
De l’objectif de la participation à celui de la démocratisation
Des changements dans les organisations et les instruments
2. Décentralisation, coresponsabilité et libéralisation économique : maîtres-mots de la politique culturelle ?
a. Conflits et enjeux autour de la participation des États fédérés à la politique culturelle
Vers une décentralisation culturelle ?
Les conflits autour de la participation des État fédérés dans la gestion du patrimoine
b. L’augmentation de la participation du secteur privé : l’exemple des politiques du patrimoine
c. Conséquences de l’ouverture et de la libéralisation économique au Mexique : le cinéma dans l’ALENA
Conclusion du chapitre 4
Chapitre 5. La politique culturelle argentine à l’heure de « l’économie populaire de marché » (1989-1999)
1. La « culture comme ressource économique », une nouvelle philosophie d’action
a. Entre péronisme et « ménémisme » : les représentations cognitives de la politique culturelle (1989-1994)
La culture comme expression de l’identité et industrie productive
Cultures régionales, patrimoine et création : la « culture nationale » selon J. M. Castiñeira de Dios
b. Défense de la langue et facteur de développement : missions de la politique culturelle argentine (1994-1997)
De l’importance de la défense de la culture et de la langue nationale
La culture comme bien économique
2. Les dimensions institutionnelles, instrumentales et budgétaires du changement dans la politique culturelle argentine
a. Des instruments visant à favoriser la participation des associations et des provinces
Réduction de l’État et augmentation du soutien au secteur associatif (1989-91)
La décentralisation artistique et la protection du patrimoine (1991-94)
b. Des lois, des organisations et des concerts
Un projet de loi pour la préservation de la langue (1994)
Spectacles gratuits et autonomie d’organisations culturelles (1994-97)
Conclusion du chapitre 5
Chapitre 6. La centralité du rôle de l’État dans les politiques culturelles argentine et mexicaine est-elle remise en cause dans les années 1990 ?
1. Comparaison des changements entraînés par la décentralisation et la participation du secteur privé dans la politique culturelle
a. Les modalités de la décentralisation culturelle au Mexique et en Argentine
b. Le rôle croissant du secteur privé et associatif dans les politiques culturelles
2. Les politiques culturelles et les processus de transnationalisation au Mexique et en Argentine : perspectives comparées
a. La culture dans les traités du MERCOSUR et de l’ALENA
b. Comment les décideurs et les intellectuels appréhendent-ils le traitement de la culture dans le MERCOSUR et l’ALENA ?
Conclusion du chapitre 6
Conclusion de la IIe partie
IIIe partie. Comment les institutions, le politique et la politique transforment-ils l’action publique ?
Chapitre 7. Inertie ou changement ? La politique culturelle mexicaine pendant le gouvernement du PAN (2000-09)
1. De nouveaux acteurs et de nouveaux objectifs dans la politique culturelle ?
a. Les parlementaires, les gouverneurs et la culture
b. Tensions entre deux philosophies d’action et amendements du cadre institutionnel
2. Les nouveaux instruments et cadres institutionnels de la politique culturelle
a. La dimension instrumentale du changement dans la politique culturelle
L’évolution des allocations budgétaires à la culture
Les instruments de l’inclusion des États fédérés dans la politique culturelle
Le Congrès, nouvel allié du secteur du livre et du cinéma
b. La dimension institutionnelle du changement dans la politique culturelle
Que faire avec le CONACULTA ? Les débats autour du projet de « loi Sari »
Suppressions dans le secteur public du cinéma et création dans celui du livre et de la lecture
Conclusion du chapitre 7
Chapitre 8. Quelle politique culturelle en Argentine en contexte « d’instabilité institutionnelle » (1999-2009) ?
1. Des changements dans les acteurs et dans les idées ?
a. Les acteurs de la politique culturelle argentine des années 2000
Les nouvelles relations entre l’exécutif, le Congrès, les gouverneurs et les professionnels de la culture
Le fort turn-over des acteurs politico-administratifs
b. Le changement dans les idées et les institutions de la politique culturelle
2. Les instruments et le cadre institutionnel, « balises » du changement ?
a. Les dimensions budgétaires et législatives du changement dans la politique argentine
L’évolution du budget de la culture
Le veto présidentiel et la culture : les exemples des lois sur le livre et sur le mécénat
Fenêtre politique et culture : les exemples des lois du patrimoine et du cinéma
b. Les conséquences institutionnelles et organisationnelles des changements politiques [politics]
Les « déplacements institutionnels en série » du secrétariat à la Culture
Des mobilisations dans les secteurs du livre et du cinéma : l’INLA et l’INCAA
Conclusion du chapitre 8
Chapitre 9. Comparaison des dynamiques du changement dans les politiques culturelles argentine et mexicaine des années 2000
1. Les acteurs et les représentations des politiques culturelles argentine et mexicaine : perspective comparative
a. Reconfiguration des rapports entre les acteurs des politiques culturelles et transformations des cadres
Conséquences de l’émergence d’acteurs locaux, transnationaux et privés
L’influence de la vie partisane sur l’exercice du budget et l’administration
Comparaison des changements dans les philosophies d’action résultant du remplacement d’acteurs
b. Les « mouvements sociaux », de nouveaux acteurs des politiques culturelles ?
Actions collectives et défense du patrimoine dans les années 2000
Les revendications culturelles des communautés indiennes et le recours à l’action juridique
2. Quels instruments et organisations dans les politiques culturelles argentine et mexicaine des années 2000 ?
a. Les changements dans les instruments et leur influence sur les objectifs et les acteurs des politiques culturelles
La création d’instruments informatifs et communicationnels
Les nouveaux instruments des politiques du patrimoine, résultats des changements dans les relations entre les pouvoirs locaux et l’exécutif ?
Instruments règlementaires et changements politiques
b. Comparaison des changements dans les organisations dans les politiques culturelles des années 2000
Conclusion du chapitre 9
Conclusion de la IIIe partie
Conclusion générale
Bibliographie
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