Notre approche vise à ne pas séparer les aspects sources, outils, méthodologie, épistémologie et histoire, de manière trop artificielles (annexe 1). L’objectif est de redonner le mouvement général de notre démarche, de notre recherche et de nos questionnements.
Cette revue naît sous le nom d’Annales d’hygiène et de médecine coloniales (1898-1914) pour être rebaptisée Annales de médecine et de pharmacie coloniales (1920-1940), après une interruption de 1915 à 1919 en raison de la guerre et de la mobilisation des officiers médecins et pharmaciens. Notre recherche couvre la période 1898-1940 puisqu’à cette date et ce, jusqu’à nos jours, la revue prend le nom plus générique de Médecine tropicale et elle va progressivement se détacher du ministère des Colonies pour dépendre alors de l’Ecole du Pharo à Marseille. Dès le premier numéro, la singularité de cette parution est annoncée : « Ces Annales sont non seulement un organe d’informations scientifiques mais aussi un recueil de documents réglementaires en même temps que de renseignements sur les mouvements (affectations, mutations etc) du personnel militaire et civil du Service de Santé » . En premier lieu, nous définirons l’objet « revue scientifique », pour mieux savoir comment l’analyser.
Les outils-concepts : définition, histoire, résultats
Singularité d’une revue coloniale
Définition de l’objet revue
Qu’est-ce qu’une revue ?
Contrairement à une étude relative sur « Les Revues médicales depuis 1800 » qui sera détaillée ultérieurement, il ne s’agit pas ici de distinguer le terme « revue » et ceux de « journal », « annale », puisque cela n’apporterait aucun éclairage à notre étude. Par conséquent, les vocables de revue, annale, journal ou périodique, sont ici utilisés en tant que synonymes. De caractère périssable, les revues se distinguent par leur objet, leur durée, leurs acteurs, leur contexte et leur état d’esprit.
Néanmoins, la classification proposée par Julliard pour une revue-recueil reste discutable. Il décrit ce type de revue comme peu courante dans le domaine scientifique. La revue-recueil, expression d’une institution – tout comme les Annales – renferme un simple regroupement d’idées, de pensées. Or, les Annales, contiennent un objet scientifique et répondent davantage à sa définition de revue personne ou de revue-famille. Selon lui, dans la revuefamille : « La valeur de chacun de ses membres n’y est pas toujours mesurée comme dans le monde extérieur par la qualité ou l’abondance de ses productions mais par la place qu’il occupe dans le champ familial ». C’est un lieu où s’affirme une identité de groupe, un point de rencontre et sa disparition est souvent un traumatisme collectif. On se rend bien compte ici de la difficulté à classer les Annales dans l’une de ces catégories. Cependant, d’autres critères paraissent plus objectifs, notamment celui de la durée.
L’étude de la durée de vie d’un périodique, parfois très courte, parfois centenaire, est très intéressante surtout lorsqu’elle est contextualisée. Dans notre cas, la période s’étend de 1898 à 1940, les Annales voient donc le jour après la guerre contre la Prusse, avec une France fortement affectée par sa défaite. Elles survivent à la Première Guerre mondiale et à ses conséquences tant politiques qu’économiques, pour continuer, malgré la Seconde Guerre, à être publiée jusqu’à nos jours, en traversant lestumultes de la décolonisation. Tous ces bouleversements auraient pu mettre en péril leur publication, or, elles survivent pendant plus de 110 ans. Par ailleurs, en général la variation de durée va de pair avec les changements de directeurs, de structure, et parfois même de périodicité. En effet, la revue passe la plupart du temps, par une alternance de temps forts et faibles dont les fluctuations de périodicité en font l’écho, quand elle survit à son créateur. Il émerge ici l’incontournable notion de créateur, d’acteurs. Peut-on affirmer que le créateur et/ou les directeurs successifs, influent sur les variations d’un périodique ? Est-ce qu’une revue finit parfois par exister par elle-même et échappe de la sorte à son créateur ? Dans la plupart des cas, elle est témoigne d’une aventure collective qui se matérialise dans un engagement personnel. Quel que soit son type, il y a généralement un homme avec une personnalité propre qui lui consacre son temps, ses idées, son énergie etc. La caractérisation d’une revue passe aussi par son influence, qui démeure néanmoins difficilement mesurable. Peut-on simplement se baser sur les tirages ? Cet aspect certes important, n’est pas pour autant proportionnel à l’effet réel de la revue, surtout si l’on prend en compte son éventuel prestige différé : une revue peut ainsi, être découverte ou redécouverte après sa disparition ou longtemps après sa création. Peut-être alors, est-il plus pertinent de mesurer son influence par le réseau constitué par les membres de cette famille ? Au regard de ce bref aperçu soulignant la complexité à catégoriser cet objet, une classification stricte des revues peut être mise à l’épreuve, même s’il existe de nombreuses similitudes entre les revues. Définir la portée véritable des revues souvent délaissées « Tandis que le livre exprime avant tout la personnalité de son auteur, et traduit une démarche singulière, l’article de revue au contraire est nécessairement la confrontation d’un homme avec d’autres hommes, d’un penseur avec son temps » .
Récemment étudiée, la revue a souvent été délaissée au profit des monographies spécialisées ou d’œuvres romanesques majeures. Or, cet objet ou artefact , se place au croisement de questions diverses qui s’imbriquent, se superposent ou se connectent. Légitimité et évaluation scientifique, construction des savoirs et des sciences, stratégies collectives et individuelles, question de réseaux, rapport à la diffusion des savoirs et des sciences, à leur définition, à leur modèle économique etc: beaucoup de questions de fond peuvent être soulevées. Ainsi, la revue doit être examinée comme un tout, en s’intéressant à son objectif et à sa raison d’être, à ses acteurs, aux enjeux et aux savoirs qu’elle véhicule, tout en prenant en compte les conséquences sur la construction des sciences et des savoirs.
Définition du caractère colonial d’une revue
Dans quelle mesure est-elle coloniale ?
Contrairement aux Annales, précisons, que le titre des périodiques coloniaux ne contient pas systématiquement le terme colonial. Ceci engendre a fortiori une difficulté supplémentaire à effectuer un recensement exhaustif. Néanmoins, l’analyse des Annales lève toute ambiguïté sur leur caractère colonial. Au-delà des événements historiques forts de conséquences, elles se placent dans un contexte colonial, politique et médical très précis et leur existence est exclusivement liée à la présence des colonies. Elles naissent, évoluent, survivent et participent à la production de savoirs médicaux parce qu’elles sont situées au cœur d’un empire. L’histoire de cet empire, en lien avec notre objet, peut être séquencée en différentes périodes : édification (durant les cinq derniers siècles), renforcement (durant le long XIXe siècle), rationalisation (l’entre-deux guerres) avant de s’éteindre dans la seconde moitié du XXe siècle. Les Annales sont avant tout coloniales puisque le savoir qu’elles contiennent est produit par des médecins et pharmaciens de l’armée coloniale soumis au devoir de réserve et relevant d’une hiérarchie très sensible aux critiques sur la colonisation. Par conséquent, la production du savoir qui en résulte est singulière et totalement associé à un contexte colonial et militaire. Au carrefour de plusieurs sciences, la revue mobilise également des formes de savoir non scientifiques (moraux, historiques, religieux etc) qui naissent directement de l’exercice du médecin au sein même de la colonie. Ici le médecin est soustrait d’une position surplombante acquise notamment en métropole, pour affronter des tensions liées aux savoirs locaux – qui sont le plus souvent des savoirs composites – et aux administrations en place. De plus, le mode de production et de diffusion de ces savoirs, ainsi que les réseaux qui les encadrent, dépendent d’acteurs d’une puissance impériale, aux prétentions universalistes autrement dit égalitaires, et donc en contradiction complète avec la situation coloniale qui est par essence, inégalitaire.
Une revue coloniale, pour qui et pour quoi ?
Une revue est souvent créée pour des motifs scientifiques et pratiques étroitement liés à son champ disciplinaire. Elle peut être, plus généralement, un outil au service du politique, soit pour défendre les intérêts de l’Etat, du gouvernement, d’un groupe politique, soit pour préserver ceux de l’un de ses acteurs. De même, elle peut servir des intérêts économiques et commerciaux, sans nécessairement s’en cacher. C’est le cas par exemple, du Dareste (droit), qui est en partie financé par l’Union coloniale française (1893), ou encore des revues commerciales et économiques ciblées sur les colonies. Il existe également des macro-stratégies au sein desquelles la revue constitue alors un outil aux mains de l’Etat, afin d’asseoir les bases de la souveraineté dans la nation, la colonie ou l’empire. La revue peut aussi avoir un objectif corporatiste. Elle rassemble, identifie ou légitime une profession, une institution ou sert de tremplin à la carrière de ceux qui la créent ou la font vivre. Elle aide aussi parfois à l’affirmation d’une jeune discipline ou d’un domaine d’activité ou de production nouveau. Les Annales s’inscrivent totalement dans ce schéma : un but corporatiste et institutionnel pour une nouvelle discipline, qualifiée de médecine coloniale.
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Table des matières
Introduction
Partie 1 – La méthodologie : comment aborder une revue scientifique ?
1.1 – Les outils-concepts : définition, histoire, résultats
1.1.1 – Singularité d’une revue coloniale
1.1.2 – Concept réseau-acteur appliqué aux Annales
1.1.3 – Acteurs
1.1.4 – Médecine coloniale
1.2 – Les sources
1.2.1 – Sources numérisées
1.2.2 – Sources primaires incontournables : les archives (ANOM, SHD)
1.2.3 – Sources secondaires complémentaires : articles, ouvrages, sites web
Partie 2 – L’historique colonial et les Annales (Annexe 3)
2.1 – L’Histoire du colonialisme à travers les revues et les acteurs
2.1.1 – Histoire et médecine coloniales
2.1.2 – Histoire et statistiques des revues médicales
2.2 – Les Annales
2.2.1 – Indicateurs importants pour analyser une revue
2.2.2 – Historique des Annales
2.2.3 – Structuration : architecture raisonnée
2.2.4 – Acteurs clefs et leur réseau
Partie 3 – Le numérique au service de l’histoire (annexe 7)
3.1 – L’intérêt des HN dans la recherche
3.1.1 – Définition et épistémologie des HN
3.1.2 – Méthodologie : l’usage des réseaux
3.1.3 – Problème de recherche en terme d’histoire
3.1.4 – Apport avec les HN : pourquoi ?
3.1.5 – Etat des lieux des HN : quels sont les limites et les risques du numérique ?
3.2 – Les outils et concepts utilisés (ou non)
3.2.1 – Extraction des données
3.2.2 – Structuration des données
3.2.3 – Petits essais statistiques
Partie 4 – La médiation au travers des HN
4.1 – La médiation et public cible
4.2 – Les démarches et outils
4.2.1 – Nakala+Omeka = Nakalona
4.2.2 – Démarche participative : le wiki est-il adapté ?
4.2.3 – Outil non connecté : l’ebook ?
4.2.4 – E-éducation : comment étudier une revue scientifique ?
Conclusion
Webographie et bibliographie
Annexes
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