L’oral dans l’enseignement du secondaire
Évolution de l’intérêt pour l’oral
La question de l’oral n’est apparue que tardivement, durant les années soixante/soixante-dix, dans les programmes d’enseignements en France. En effet, l’influence de la linguistique structurale relance l’intérêt pour la dimension orale de la langue au point que se produit un « véritable tournant communicatif » (Dolz & Schneuwly, 1998, p. 14). Le français étudié à l’école se partage alors en deux aspects : écrit et oral. Comme le signale le Plan de rénovation de l’enseignement du français (1970) : « il s’agit de rendre l’enfant capable de s’exprimer oralement et par écrit et capable de comprendre ce qui est dit ou écrit » (ibid.). Dès lors, les programmes invitent les professeurs à diversifier les situations où l’expression orale est mise à contribution par les élèves. Dolz et Schneuwly relèvent néanmoins une bi partition de l’oral au sein des textes officiels avec d’un côté les « situations de libération ou d’expression », où l’élève est autonome dans sa pratique de l’oral, et les « situations de structuration et d’apprentissage » dans lesquelles l’oral est véritablement analysé afin de mieux décortiquer ses fonctions (ibid.).
Suite à cette dichotomie nouvelle entre écrit et oral, les recherches sur l’oral s’intensifient dans les années quatre-vingt, puis l’intérêt pour celui-ci se perd progressivement. Beaucoup de ces recherches portent sur l’évolution du langage chez l’enfant ou sur la dimension sociale du langage, mais peu s’intéressent à l’enseignement de l’oral proprement dit. S’appuyant sur les travaux de R. Lazure, Dolz et Schneuwly distinguent quatre « prototypes d’approches didactique » (ibid).La première, influencée par le behaviourisme, part du principe qu’il faut «automatiser des savoir-faire de base » en écoutant ou en reproduisant, de manière répétée, des modèles morphologiques ou syntaxiques vus en classe. La seconde, qui s’oppose à la précédente, estime qu’il faut d’abord « connaître le fonctionnement de la langue », c’est-à-dire comprendre et maîtriser le code oral, avant de pouvoir pratiquer l’oral en lui-même. La troisième approche, inspirée des études en psychologie de l’enfant menées par J. Piaget, propose d’alterner entre deux types de situations : celles « liées à la vie de la classe », comme les interactions ou les débats, et celles « fictives, proches des jeux de rôle » visant à développer des compétences discursives et pragmatiques dans des situations adaptées. Enfin, la dernière approche estime que « pour apprendre à parler, il faut communiquer et analyser la communication » c’est-à-dire amener l’élève à prendre conscience de la situation de communication dans laquelle il exerce son oral. Il s’agit alors de travailler sur les dimensions discursives de l’oral, comme les effets argumentatifs ou la structure de l’interaction. Dolz et Schneuwly expliquent que ces situations peuvent être celles de l’environnement quotidien de la classe, c’est-à-dire la participation de l’élève ou les discussions, ou bien alors des situations « recréées pour les besoins de l’enseignement comme objets autonomes sur lesquels travailler ». (Dolz & Schneuwly, 1998, p. 16-17). C’est sur ce dernier type d’approche que se centrera le développement de mon mémoire.
L’oral dans les programmes d’enseignement
L’oral fait partie des compétences travaillées à chaque cycle du secondaire et a pour entrée la dénomination suivante : « Comprendre et s’exprimer à l’oral » dans le Bulletin officiel spécial n°11 du 26 novembre 2015. Nous pouvons donc d’emblée faire le parallèle entre cet intitulé et le quatrième type d’approche que je viens d’évoquer précédemment à savoir qu’il faut « faut communiquer et analyser la communication ». Les nouveaux programmes de 2015, pour le cycle 3 et 4, semblent donc s’approprier cette méthode. Les programmes du cycle 3 insistent sur la nécessité de faire pratiquer des activités orales fréquentes et régulières aux élèves. L’oral en classe prend alors des formes très variées comme la participation, la lecture à haute voix, les débats ou les comptes-rendus. Les attendus de fin de cycle 3 permettent alors d’évaluer la compréhension et l’expression orales des apprenants :
• « Écouter un récit et manifester sa compréhension en répondant à des questions sans se reporter au texte. »
• « Dire de mémoire un texte à haute voix. »
• « Réaliser une courte présentation orale en prenant appui sur des notes ou sur diaporama ou autre outil numérique ».
• « Interagir de façon constructive avec d’autres élèves dans un groupe pour confronter des réactions ou des points de vus. » (Bulletin officiel spécial n°11 du 26 novembre 2015 cycle 3).
De plus, les programmes nous invitent à consacrer des séances spécifiques à la pratique de l’oral dans lesquelles les élèves doivent « respecter des critères de réalisation, identifier des critères de réussite préalablement construits avec eux et explicités par le professeur » (ibid.) Les programmes du cycle 4 insistent davantage sur des genres codifiés l’oral. Les enseignants doivent amener l’élève à pratiquer ces différents genres de l’oral et à en identifier les caractéristiques. Les attendus de fin de cycle 4 se situent dans la continuité de ceux du cycle 3 mais en les complexifiant tout de même :
• « Comprendre des discours élaborés (récit, exposé magistral, émission documentaire, journal d’information). »
• « Produire une intervention orale continue de cinq à dix minutes (présentation d’une œuvre littéraire ou artistique, exposé des résultats d’une recherche, défense argumentée d’un point de vue). »
• « Interagir dans un débat de manière constructive et en respectant la parole de l’autre. »
• « Lire un texte à haute de voix de manière claire et intelligible ; dire de mémoire un texte littéraire ; s’engager dans un jeu théâtral ». (Bulletin officiel spécial n°11 du 26 novembre 2015 cycle 4).
Par ailleurs, l’usage du numérique est fortement recommandé pour aider l’enseignant à évaluer les prestations orales des apprenants. Ainsi dans les programmes du cycle 3 on trouve par exemple une invitation à pratiquer des «enregistrements audio/vidéo pour analyser et améliorer les prestations » et dans le cycle 4 il est question de « travail sur des enregistrements de prestations personnelles ». Le Bulletin officiel spécial n°9 du 30 septembre 2010 pour l’enseignement du français en classe de seconde et en première ne fait guère mention de l’oral qui constitue pourtant une épreuve à la fin de l’année scolaire de première mettant l’accent sur les aspects discursifs de l’oral, puisqu’il faut parler d’une œuvre littéraire. Après une lecture du texte à haute voix, l’élève doit faire une explication de texte durant dix minutes suivie d’un entretien de dix minutes également avec l’examinateur. Les programmes invitent l’enseignant à travailler cette épreuve en pratiquant des activités de mise en voix des textes, d’explication de textes, et d’entretiens mais sans en expliquer les objectifs et les dimensions enseignables de l’oral ce qui est la cause du flou qu’éprouve l’enseignant quant à l’évaluation. De plus, que ce soit à l’écrit ou à l’oral, l’argumentation vient croiser ces deux domaines et nécessite d’être travaillée. Pour l’oral, il faudra être attentif à ce que l’élève comprenne les différents aspects métadiscursifs qui parcourent un texte (plan, parties, sous-parties, etc.), ce qui lui sera utile lors d’une prestation orale s’appuyant sur des notes par exemple. Par ailleurs, dans les préparations professionnelles l’accent est mis sur les capacités interactionnelles des élèves qui doivent être capables de coopérer avec leurs collègues, ou s’adapter à différents types de locuteurs.
Définir l’oral
Un oral ou des oraux ?
Tenter de définir l’oral signifie s’attaquer à ce que Jean-François Halté nomme l’ « objet verbal non identifié » (cité dans Le français aujourd’hui ; n° 108). Le problème de l’oral, comme nous venons de l’évoquer précédemment, vient de son caractère protéiforme. Pour tenter de définir clairement les différents enjeux de l’oral, la Note de synthèse [L’enseignement de l’oral et les interactions verbales en classe : champs de référence et problématiques – Aperçu des ressources en langue française] (1999) d’Élisabeth Nonnon reste la plus éclairante. Elle nous explique tout d’abord que l’oral « correspond à une demande faite à l’école dans le champ social et culturel ». En effet, les élèves ne viennent pas tous des mêmes milieux sociaux et il faut que l’école donne accès à la parole à tous les élèves pour éviter la marginalisation. Cette hétérogénéité croissante dans les classes de collège et de lycée fait que cette population scolaire n’a pas « accès à certains types de discours oraux et rencontrent des obstacles dans une prise de parole acceptable selon les critères scolaires ». C’est donc ici que l’école met l’accent sur la « maîtrise de la langue », indiquée dans les programmes, comme l’instrument permettant à chacun de s’exprimer clairement et de se faire comprendre, ainsi que de construire son savoir. E. Nonnon rappelle les trois composantes de la norme linguistique : « politique (assurer la cohérence culturelle), esthético-morale (la langue claire, rigoureuse […]), pyschologisante (le langage standard condition d’une meilleure structuration cognitive de l’expérience) ». (Aguttès, cité dans Nonnon, p. 89).
Cependant, ces trois dimensions envisagent davantage l’oral comme un objet théorique. En effet, E. Nonnon souligne que la demande faite à l’école étant celle de la « maîtrise de la langue », voire « maîtrise du discours », il convient de considérer l’oral comme un véritable instrument, ce qui appelle pour elle « une didactique explicite faisant de l’oral un objet d’enseignement ». L’oral, vu au travers du prisme de la didactique, aurait donc pour objectif de développer les compétences linguistiques des apprenants et leur pratique de certains types de discours (savoir argumenter, réfuter, justifier…). L’important est donc d’envisager l’oral en classe en termes de « progression, de compétences à définir et à évaluer, d’exercices et de supports ». (ibid.). Au travers des recherches menées en didactique de l’oral dans les années 1990, Lucile Cadet et Anne Pégaz-Paquet, dans la revue Le français aujourd’hui (2017 ; 195), font la différence entre trois différentes acceptions de l’oral en classe, qui est perçu comme flou par les enseignants. Il faudrait, pour elles, distinguer : « production orale […] (parler, oral spontané), l’oralisation soit l’expression orale d’un texte écrit (lire une histoire) et oralité qui concerne une production orale dont l’origine est un texte écrit », l’oralité relevant davantage d’une dimension culturelle comme le définit le site internet du Cnrtl.fr : « Qui est diffusé par la parole, que l’on se passe de génération en génération, de bouche en bouche (p. oppos. à ce qui est scriptural, écrit dans un texte). Tradition, transmission orale ». Cette terminologie permet à l’enseignant de mieux cibler les diverses acceptions que le mot oral, comme hyperonyme, peut comporter. Les auteures proposent ensuite deux types d’oral d’un point de vue didactique. Il y aurait d’un côté « l’oral pour apprendre », qui consiste à utiliser l’oral comme moyen de communication et comme aide à la construction des savoirs de l’apprenant, c’est-à-dire la participation en classe ou bien les interactions par exemple. Et il y aurait de l’autre côté, un « oral à apprendre » qui serait l’oral comme « objet d’enseignement » tel qu’E. Nonnon le développe dans sa Note de synthèse. C’est de cet « oral à apprendre » dont il sera question dans mon mémoire, et de la manière dont on peut le mettre en place en classe.
L’oral du côté de l’apprenant
Pour étudier « l’oral à apprendre », c’est à dire comme un véritable objet d’enseignement, il faut définir quelles sont les finalités que le professeur peut attendre de ses élèves. Dolz et Schneuwly en dresse trois dans leur ouvrage Pour un enseignement de l’oral. Initiation aux genres formels à l’école (1998) :
• « maîtriser […] les outils langagiers constitutifs des principaux genres des textes publics »
• « construire un rapport conscient et volontaire à son propre comportement langagier »
• « développer une représentation de l’activité langagière dans des situations complexes comme étant le produit d’un travail, d’une réelle élaboration souvent interactive ».
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Table des matières
Introduction
A) Cadre théorique
I- L’oral dans l’enseignement du secondaire
1.1. Évolution de l’intérêt pour l’oral
1.2. L’oral dans les programmes d’enseignement
II- Définir l’oral
2.1. Un oral ou des oraux ?
2.2. L’oral du côté de l’apprenant
2.3. L’oral du côté de l’enseignant
III- L’exposé et le discours : deux genres de l’oral
3.1. Proposer une progression
3.2. Le choix du modèle didactique de l’exposé
3.3. La nouvelle rhétorique et l’argumentation
3.4. Les dimensions enseignables et transposables de l’exposé
3.5. La tâche complexe pour permettre la construction et l’acquisition de compétences
B) Problématique et hypothèses de recherche
C) Méthodologie du recueil de données
I- Présentation de la méthodologie de recueil de données
II- Contexte d’exercice
2.1. L’établissement
2.2. Les élèves
III- Démarche pour le recueil de données
3.1. Choix de la portion de pratique à examiner
3.2. Choix du corpus réflexif
D) Présentation des données
I- L’étayage
II- Le pilotage
III- Le tissage
E) Analyse des données
I- Le dispositif mis en place pour travailler et évaluer l’oral
II- Analyse du déroulé de séquence (annexe 3) et de la grille d’évaluation (annexe 4)
2.1. Le déroulé de séquence (annexe 3)
2.2. La grille d’évaluation (annexe 4)
III- Les supports proposés aux élèves (annexes 5 a, b et c)
IV. Synthèse
Conclusion
Bibliographie
Pages web / Documents sur internet
Annexes