Fondements des méthodes LPV pour la commande des systèmes non linéaires
Formalisation mathématique du cahier des charges
Les spécifications d’un cahier des charges classique recouvrent différentes notions et sont souvent hétérogènes. Les spécifications de performance définissent le comportement souhaité pour le système commandé : on distingue d’une part les spécifications quantitatives, typiquement : le rejet de perturbations non mesurées appartenant à un ensemble donné et le suivi de signaux de référence appartenant à un ensemble donné, qui sont quantifiables dans le domaine soit temporel (temps de réponse, dépassement), soit fréquentiel (bande passante, gain) ; d’autre part par des spécifications qualitatives, comme : l’unicité du régime permanent, la convergence vers une sortie constante, respectivement périodique, en réponse à une entrée constante, respectivement périodique et pour une entrée donnée, une faible variation de l’état pour une faible variation de l’état initial.
La robustesse est considérée comme un autre type de spécification, rendue nécessaire par le fait que le modèle sur lequel est conçu le correcteur ne correspond jamais exactement à la réalité. Ne pouvant pas mettre au point un correcteur assurant directement les propriétés requises au système réel, en pratique nous devons être plus modestes : ainsi, nous dirons qu’un correcteur est robuste s’il assure le bon comportement à un ensemble de modèle contenant le système réel et non au seul modèle considéré. Cet ensemble de modèles, ou famille de modèles, est défini est prenant en compte les incertitudes de modélisation. Nous nous intéresserons principalement aux propriétés de robustesse en stabilité : celles-ci sont également quantifiables, notamment à travers la notion de marges de stabilité (de gain et de phase) qui donnent une sorte de mesure de la distance à l’instabilité .
Dans la suite, nous allons montrer comment ces spécifications peuvent être formalisées mathématiquement. Nous nous intéressons d’une part aux deux propriétés quantitatives de performance (rejet de perturbations et suivi de référence), d’autre part à la robustesse (en stabilité). Les systèmes considérés sont représentés par des opérateurs, notés G pour le système et K pour le correcteur, sans hypothèses particulières sur leur nature (ils peuvent être linéaires stationnaires ou non).
Fondements de la méthode H∞ pour les systèmes linéaires stationnaires
La méthode H∞ est le résultat des efforts de formalisation des spécifications de performance et de robustesse (en stabilité) du cahier des charges dans le contexte linéaire stationnaire. Dans son article fondateur [Zam81], G. Zames a montré que des problèmes de commande peuvent être ramenés à des problèmes de minimisation de norme induite pondérée : pour les systèmes linéaires stationnaires en particulier, ces problèmes peuvent donc se traduire comme des problèmes de minimisation de norme H∞ ∗pondérée. Les qualités de cette méthode sont multiples.
• Contrairement aux méthodes modernes (LQ, LQG), en plus de la performance, la méthode H∞ permet en théorie d’assurer la robustesse en prenant explicitement en compte des incertitudes.
• Contrairement aux méthodes classiques (réglages de PI, PID, …) qui demandent beaucoup de savoir-faire de la part de l’ingénieur, dans la méthode H∞ le problème de synthèse est formulé comme un problème de minimisation d’un critère H∞, qui se ramène à un problème d’optimisation convexe sous contraintes LMI et peut donc se résoudre efficacement par des algorithmes .
• Les propriétés remarquables de la norme H∞ impliquent que ce critère mathématique peut être interprété comme une contrainte de gabarit sur les modules des réponses fréquentielles de fonctions de transfert en boucle fermée (on parle de loop-shaping), ce qui permet de conserver l’intuition de l’Automatique classique dont la pratique repose sur l’étude de réponses fréquentielles.
Propriétés de performance qualitatives garanties par la norme H∞
Outre ces propriétés remarquables, la norme H∞ permet de garantir le respect des propriétés qualitatives du cahier des charges : en effet, un système linéaire stationnaire de réalisation d’état minimale est asymptotiquement stable si sa norme H∞ est finie et cela entraîne les propriétés qualitatives de la page 20 :
• l’unicité de la convergence vers un régime permanent ;
• une sortie périodique en réponse à une entrée périodique ;
• une sortie constante en réponse à une entrée constante.
Pour résumer, la norme H∞ présente un grand intérêt pour formaliser les problèmes de synthèse et d’analyse pour les systèmes linéaires stationnaires :
• les spécifications quantitatives de performance peuvent être exprimées comme des contraintes sur la norme H∞ de certaines fonctions de transfert en boucle fermée pondérées ;
• les systèmes (de réalisation d’état minimale) ayant une norme H∞ finie sont asymptotiquement stables ce qui assure des propriétés qualitatives de performance ;
• la robustesse en stabilité peut être prise en compte directement comme des contraintes sur la norme H∞ pondérée de certaines fonctions de transfert en boucle fermée pondérées.
Remarques sur la résolution
Les premières méthodes de résolution du problème de synthèse H∞ s’appuyaient sur la résolution d’équations de Riccati [DGKF88, DGKF89, Sch90]. Par la suite, les méthodes d’optimisation sous contraintes LMI (voir chapitre 8) se sont progressivement imposées comme des outils extrêmement efficaces [BBFE93]. Beaucoup d’efforts ont été consacrés à l’unification des formulations de problèmes d’Automatique que l’on a cherché à écrire comme des problèmes d’optimisation sous contraintes LMI [Sco98]. En particulier, le problème de synthèse H∞ peut s’écrire comme un problème de minimisation sous contraintes LMI [GA94].
Conclusions et perspectives pour l’extension au contexte non linéaire
Pour les systèmes linéaires stationnaires, minimiser une norme H∞ pondérée permet de prendre en compte à la fois des spécifications de performance et de robustesse : cela a donné lieu à la méthode H∞ pour l’analyse et la synthèse des systèmes linéaires stationnaires. Dans cette approche, le problème de synthèse est exprimé comme un problème d’optimisation convexe sous contraintes LMI [BEFB94], ce qui présente un grand intérêt car des algorithmes de résolution puissants existent . De plus, l’approche permet de renouer avec des principes de l’Automatique classique. Le succès de la méthode H∞ explique que l’on cherche une possible extension de cette approche au contexte non linéaire ou non stationnaire. On a ainsi vu émerger des méthodes dérivées des principes de la méthode H∞ pour traiter les systèmes non linéaires. Des méthodes très utilisées en pratique sont les méthodes dites par séquencement de gains traditionnelles. Cependant, ces extensions ont souvent été développées par les ingénieurs en s’appuyant sur des heuristiques. Avant d’aller plus loin, nous nous proposons d’introduire les principes de ces méthodes et de mettre en avant leurs limitations. Cela permettra de justifier l’intérêt pour les méthodes LPV, que nous proposons comme alternative rigoureuse.
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Table des matières
Introduction
Problématique de la commande
Système et modèle. Notion de robustesse
Cahier des charges
Efficacité de la méthode
Méthodes de commande : le cas linéaire stationnaire
Le cas non linéaire : contexte de la thèse et problématique
Organisation du document
Publications
Notations
1 Fondements des méthodes LPV pour la commande des systèmes non linéaires
1.1 Formalisation mathématique du cahier des charges
1.1.1 Rejet de perturbation non mesurée (désensibilisation)
1.1.2 Suivi de référence (performance asymptotique)
1.1.3 Robustesse
1.2 Fondements de la méthode H∞ pour les systèmes linéaires stationnaires
1.2.1 Obtention d’un critère H∞ pondéré
1.2.2 Méthode H∞
1.2.3 Conclusions et perspectives pour l’extension au contexte non linéaire
1.3 Présentation critique des méthodes par séquencement de gains traditionnelles
1.3.1 Principe
1.3.2 Limitations : une extension heuristique
1.3.3 Conclusion
1.4 Méthodes LPV
1.4.1 Définition d’un système LPV
1.4.2 Le problème LPV : des garanties en termes de L2 gain
1.4.3 Méthodes LPV pour la commande des systèmes non linéaires
1.4.4 Propriétés garanties par le L2 gain et limites de l’approche «quasi-LPV»
1.4.5 Conclusion
1.5 L’extension de la norme H∞ au contexte non linéaire est la norme incrémentale
1.5.1 Norme incrémentale et cahier des charges
1.5.2 Le problème de la synthèse incrémentale
1.6 Un cadre rigoureux pour les méthodes LPV
1.6.1 Lien entre propriétés locales et globales
1.6.2 Une méthode idéale de séquencement de gains
1.6.3 Un cadre LPV approprié en vue de la synthèse incrémentale
1.6.4 Conditions pour qu’un correcteur soit intégrable
1.7 Conclusion et problématique
1.7.1 Résumé
1.7.2 Intérêt des méthodes LPV pour la commande des systèmes non linéaires
1.7.3 Difficultés et perspectives
2 Les méthodes LPV comme alternative aux méthodes de type «compensation»
2.1 Une limitation observée en pratique : un correcteur peu variant
2.1.1 Cadre traditionnel de mise en œuvre des méthodes LPV
2.1.2 Mise en évidence de la faible variation à travers un exemple
2.1.3 Interprétations possibles du phénomène
2.2 La faible variation n’est pas causée par la contrainte de stabilité quadratique
2.2.1 Existence d’un correcteur variant
2.2.2 Une nouvelle structure de l’information
2.2.3 Justification
2.2.4 Conclusion
2.3 La faible variation n’est pas causée par la contrainte de robustesse
2.3.1 La contrainte de robustesse interdit une «compensation» exacte
2.3.2 Un compromis : une «compensation filtrée»
2.4 Conclusion du chapitre
2.5 Annexe : Linéarisation par bouclage pour les systèmes non linéaires
2.5.1 Problèmes de linéarisation par bouclage
2.5.2 Linéarisation par bouclage et problèmes de synthèse
2.5.3 Conclusions sur la méthode et limitations
2.6 Annexe : Ébauche de la résolution du problème d’adaptation de modèle
2.7 Annexe : Démonstrations
3 Nouvelle structure de l’information et synthèse incrémentale
3.1 Introduction
3.1.1 Problématique
3.1.2 Démarche proposée et comparaison avec des résultats existants
3.2 Formalisation du problème
3.2.1 Formulation du problème de synthèse LPV de complexité réduite
3.3 Résolution du problème de synthèse LPV de complexité réduite
3.3.1 Test convexe d’existence d’une solution de complexité réduite
3.3.2 Démonstration des résultats principaux
3.3.3 Construction du correcteur de complexité réduite
3.4 Intérêt dans le contexte de la synthèse pour systèmes non linéaires
3.4.1 Intégrabilité
3.4.2 Interprétation en termes de «compensation»
3.5 Conclusion
3.6 Annexe : Lemmes de complétion utilisées dans la démonstration
4 Conditions convexes pour la réduction de modèles LPV
4.1 Formulation du problème
4.1.1 Le problème de réduction de modèles LPV général
4.2 Conditions convexes pour la réduction de systèmes LPV quadratiquement stables
4.2.1 Problème de réduction de modèle
4.2.2 Test convexe d’existence d’un modèle réduit
4.2.3 Démonstration du Théorème 4.2.1
4.2.4 Construction du modèle réduit
4.3 Extension aux systèmes non quadratiquement stables
4.3.1 Décomposition en facteurs premiers
4.3.2 Réduction de modèle de systèmes non quadratiquement stables
4.4 Conclusion
Conclusion
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