L’observation scientifique d’objets célestes depuis le sol terrestre avec une lunette astronomique a été initiée au début du 17e siècle par Galilée. Le premier télescope à miroir a quant à lui été inventé par Newton en 1666 avec un réflecteur de 2,5 cm de diamètre. Les évolutions technologiques ont permis de passer du concept optique initial, consistant en un assemblage de lentilles réfractives, aux télescopes réflectifs puis catadioptriques, ce qui a permis de relâcher les contraintes de faisabilité et a donné la possibilité de construire des télescopes de plus en plus grands, avec lesquels on pouvait voir des objets de plus en plus petits dans le ciel. Citons ici quelques-uns de ceux qui ont marqué l’Histoire, comme le télescope de 40 pieds de William Herschel (figure 1.1) achevé en 1789, doté d’un réflecteur en bronze de 1,22 m de diamètre, ou l’observatoire du mont Wilson, avec son réflecteur de 2,54 m, qui a servi aux travaux d’Edwin Hubble dans les années 1920.
Faisons un saut d’environ 70 ans avec le Very Large Telescope situé au nord du Chili, dans le désert d’Atacama, avec un miroir primaire d’un diamètre de 8,2 m, et dont les premières observations scientifiques ont été faites à partir de 1998. Le VLT est équipé depuis 2014 (première lumière) de l’instrument de détection d’exoplanètes SPHERE [Beuzit et al.(2005)], et plusieurs exoplanètes en imagerie directe ont été découvertes à partir de 2017. C’est avec cet instrument qu’a également été obtenue la toute première image d’une jeune étoile de type Soleil accompagnée de deux exoplanètes géantes, située à quelque 300 années lumière de la Terre et baptisée TYC 8998-760-1 (les deux exoplanètes TYC 8998-760-1b et TYC 8998-760-1c sont visibles sur la figure 1.2). La course à la plus grande taille des miroirs primaires permet de collecter un nombre de photons proportionnel au carré du diamètre, ce qui rend possible d’imager des sources lumineuses de plus en plus faibles et de distinguer des objets avec une séparation angulaire de plus en plus faible dans le ciel. Ce télescope sera ensuite complété par trois autres similaires pour constituer en 2001 un complexe de 4 télescopes VLT identiques, qui ensemble forment le Very Large Telescope Interferometer (VLTI, figure 1.3), auquel entre 2004 et 2008 sont venus s’ajouter quatre télescopes auxiliaires de 1,8 m de diamètre. Ce dispositif permet d’avoir accès à certaines informations en combinant les signaux lumineux provenant de six des huit télescopes, que seul un télescope dont le miroir primaire ferait 200 m pourrait mesurer ! De fait, en combinant ces signaux lumineux, les astronomes sont en mesure de synthétiser un interféromètre, c’est-à-dire un instrument virtuel dont la taille serait égale à l’écartement entre les télescopes réels.
Afin de pouvoir augmenter davantage les tailles des télescopes, les miroirs segmentés ont fait leur apparition au début des années 1990, permettant ainsi de se libérer des contraintes d’un miroir unique déjà difficile à produire pour des échelles VLT par exemple. Parmi les instruments utilisant des miroirs primaires segmentés, on peut citer les télescopes Keck [Nelson et al.(1985)] de l’observatoire William Myron Keck, dont le miroir primaire contient 36 segments hexagonaux (figure 1.4), le Hobberly–Eberly Telescope (HET) [Krabbendam et al.(1998)] et le Gran Telescopio Canarias (GTC) [Castro et al.(2000)]. L’observatoire William Myron Keck, mis en service au Mauna Kea à Hawai en 1993, est le premier télescope avec un miroir primaire segmenté d’un diamètre de 10 m, et fut pendant longtemps le plus grand du monde.
L’observation depuis le sol terrestre est cependant intrinsèquement limitée par la turbulence atmosphérique, qui réduit les performances en résolution angulaire des télescopes les plus grands du mondes à celles de télescopes qui auraient un diamètre de l’ordre d’une dizaine de centimètres pour les images longue pose. La résolution angulaire est la capacité à distinguer 2 objets proches angulairement l’un de l’autre. Idéalement et dans le vide, la résolution serait inversement proportionnelle au diamètre du miroir primaire (limite de diffraction), mais en présence de l’atmosphère elle est inversement proportionnelle au paramètre de Fried r0. Ce paramètre illustre la force de la turbulence atmosphérique : plus il est faible, plus la turbulence est importante. En effet, un front d’onde incident plan provenant de l’objet à imager (situé à l’infini) est déformé par sa traversée de l’atmosphère, ce qui induit une déformation de l’image. Lorsque l’on acquiert des images longue pose, ces déformations sont moyennées, avec au final une tache image de largeur bien supérieure à celle de l’objet que l’on verrait en limite de diffraction.
La commande à base de modèle des optiques adaptatives
Les systèmes d’OA fonctionnent grâce à un calculateur temps réel à des cadences allant de quelques centaines de Hertz à plus de 1 kHz. Le correcteur est un algorithme intégré au calculateur temps réel et qui calcule la commande à appliquer aux actionneurs du miroir déformable. La commande à action intégrale a été utilisée sur le premier système d’OA COME-ON [Rousset et al.(1990)] et continue à l’être sur l’ensemble des systèmes d’OA construits depuis. C’est une commande qui se calcule de façon simple, en utilisant peu d’informations sur le système. Les commandes à base de modèles sont basées sur des modèles d’évolution des perturbations. Le but est de prédire la turbulence grâce au modèle choisi, pour compenser autant que possible les retards inévitables présents dans le système d’OA. Une commande naturelle lorsque l’on dispose du modèle de turbulence est la commande linéaire quadratique gaussienne (LQG), dont les premiers travaux ont été proposés par Paschall et Anderson avec une formulation LQG continue approximée [Paschall et al.(1991), Paschall et Anderson(1993)]. Ces méthodes ont une plus grandecomplexité calculatoire que le correcteur à action intégrale, mais elles tiennent compte de la dynamique de la perturbation.
La commande LQG est optimale au sens de la minimisation de la variance de phase résiduelle [Le Roux et al.(2004), Kulcsár et al.(2006)], et permet d’estimer et de prédire la phase turbulente dans une couche résultante ou dans le volume en utilisant un filtre de Kalman. Celui-ci est construit à partir d’a priori spatiaux et temporels intégrés dans une représentation d’état. La correction est ensuite appliquée à l’aide du MD, pour optimiser son effet dans une direction d’intérêt. La commande LQG permet de façon très commode de formuler et de résoudre, grâce au théorème de séparation, d’une part le problème d’estimation et d’autre part le problème de commande. La première démonstration expérimentale de ce concept de commande a été réalisée dans les laboratoires de l’ONERA, en collaboration avec le L2TI, sur le banc BOA [Petit et al.(2005)], et a été suivie par les premiers résultats de compensation de vibrations [Petit et al.(2008a)]. Les premières validations expérimentales d’une commande LQG grand champ ont ensuite été réalisées sur le banc HOMER [Costille(2009)]. Récemment, des expérimentations ciel ont montré le fort potentiel de ce type de loi de commande pour la compensation de la turbulence atmosphérique et de diverses perturbations, par exemple des vibrations mécaniques de la structure du télescope [Sivo et al.(2014), Sinquin et al (2019), Sinquin et al.(2020)]. Cette stratégie d’ailleurs est implémentée pour la commande des bas ordres des instruments de détection et caractérisation d’exoplanètes SPHERE [Beuzit et al.(2005),Beuzit et al.(2008)] (modes tip-tilt) et GPI [Poyneer et al.(2007)] (modes tip-tilt-focus).
Démarche choisie
Pour obtenir une prédiction de la phase turbulente, le filtre de Kalman est bâti sur une représentation d’état du système, qui inclut un modèle dynamique stochastique de la perturbation et le modèle de mesure. Afin de construire des modèles susceptibles d’améliorer les performances de commande, nous avons fait le choix de prendre en compte dans la modélisation l’hypothèse de Taylor [Gendron et Léna(1996)], qui est largement adoptée en optique adaptative [Poyneer et al (2007),Bharmal(2015)]. Cette hypothèse, également appelée frozen flow, considère que la dynamique des couches turbulentes est une translation pure, chaque couche ayant sa propre vitesse et direction de vent. La difficulté d’écrire des modèles de frozen flow dans une pupille, et donc d’avoir un modèle markovien pour nourrir le filtre de Kalman, a été abordée en particulier dans les travaux de [Gavel et Wiberg(2003)]. L’hypothèse de frozen flow a été utilisée dans plusieurs travaux. Des reconstructions en base de Fourier multicouche ont été proposées en SCAO dans [Poyneer et al.(2007)] pour obtenir en Fourier un modèle de translation très simple. Le modèle est rendu stable en multipliant le terme de transition de l’état par un coefficient inférieur à 1. Cependant, une transformée de Fourier des mesures doit être faite en tenant compte du support pupillaire, conduisant à un processus itératif. En optique adaptative grand champ, une base de splines et des décalages par interpolation sont proposés par [Piatrou et Roggemann(2007)] avec une version similaire en zonal [Cranneya et al.(2019)], et une base de Zernike [Correia et al (2014)] ou zonale (points échantillonnés dans la pupille) [Correia et al.(2015)] utilise un modèle d’état où la matrice de transition correspond à l’estimation statique (par maximum a posteriori) de la phase décalée dans la direction d’intérêt. Dans les travaux de [Gilles et al.(2013),Massioni et al.(2015)], des modélisations zonales spatialement invariantes permettent d’alléger considérablement les calculs en utilisant un filtre de Kalman distribué (Distributed Kalman Filter). Enfin les travaux [Juvénal et al.(2016a), Juvénal(2017)] combinent un modèle en base de Zernike pour l’estimation multicouche de la phase sans prédiction et une prédiction en base zonale (LQG dit tiède).
En SCAO, la modélisation de la phase n’a pas nécessairement besoin d’être multicouche, et un modèle de phase résultante dans la pupille permet de réduire considérablement la dimension des modèles. Cette idée est déjà présente dans les travaux de [Correia et al.(2014),Correia et al.(2015)] et [Jackson et al.(2015)], où le modèle concerne la phase résultante uniquement dans la direction d’intérêt.
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Table des matières
1 Introduction
1.1 Présentation générale
1.2 La commande à base de modèle des optiques adaptatives
1.3 Démarche choisie
1.4 Structure du document
2 Optique adaptative pour l’imagerie à travers la turbulence atmosphérique
2.1 Imagerie à travers la turbulence atmosphérique avec un télescope
2.1.1 Principe de formation d’images
2.1.2 Propagation optique à travers la turbulence atmosphérique
2.2 Correction de la perturbation atmosphérique par optique adaptative
2.3 Critères de qualité d’image
2.4 Composants d’une boucle d’optique adaptative classique
2.4.1 Retards, chronogramme et schéma bloc
2.4.2 Analyseur de surface d’onde
2.4.3 Miroir déformable
2.4.4 Régulateurs standard
2.4.4.1 Le régulateur à action intégrale
2.4.4.2 Le régulateur Linéaire Quadratique Gaussien
2.5 Représentation de la phase turbulente
2.5.1 Base zonale .
2.5.2 Base de Zernike
2.5.3 Base de Fourier
2.5.4 Base de Karhunen-Loève
3 Modélisation d’état pour la commande Linéaire Quadratique Gaussienne en optique adaptative classique
3.1 Modélisation en base de Zernike
3.1.1 Modèle Auto-Régressif d’ordre 1
3.1.2 Modèle Auto-Régressif d’ordre 2
3.1.3 Frozen LQG
3.1.4 LQG tiède
3.1.4.1 Calcul de la commande
3.1.5 Comparaison de performance des régulateurs en base de Zernike (cas type VLT NAOS)
3.2 Modèles spatialement invariants
3.2.1 Régulateur LQG-DKF
3.2.2 Régulateur LQG-DKF multicouche
3.2.3 Comparaison de performance des régulateurs LQG-DKF (cas type VLT NAOS)
3.3 Conclusion
4 Commande LQG : modèles localisés en base zonale sous hypothèse de Taylor multicouche
4.1 Introduction
4.2 Commande haute performance des systèmes d’optique adaptative basée sur des modèles zonaux, avec applications à l’astronomie et au suivi de satellites
4.3 Extensions de l’article : Étude de performance et de robustesse de régulateurs LQG avec une modélisation plus fine de la turbulence dans un cas de tracking de satellite en orbite basse
4.4 Performance en fonction de l’élévation d’un satellite en orbite basse
4.5 Conclusion .
5 Commande haute performance pour les ELT
5.1 Paramètres de simulation d’un système d’OA aux dimensions ELT
5.2 Les régulateurs zonaux face aux ELT
5.3 Modèles d’état en base de Karhunen-Loève
5.3.1 Identification à partir des densités spectrales de puissance
5.3.2 Identification avec les fonctions d’autocorrélation temporelles
5.4 Performances en dimensions ELT
5.4.1 Performances selon les méthodes d’identification
5.4.2 Comparaison de performance entre modèle en base de KarhunenLoève et modèle zonal
5.5 Conclusion
6 Conclusion
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