Microscopie électronique en transmission
Dans cette partie, nous présenterons rapidement le principe du fonctionnement d’un microscope électronique en transmission (MET), puis le mode d’ima gerie le plus couramment utilisé en tomographie électronique appliquée à la science des matériaux. Une présentationplus exhaustive et détaillée de ces questions peut être trouvée en [14], [23], [27].
Imager avec des électrons
En général, la résolution maximale atteignable par un système optique est limitée par la longueur d’onde du faisceau utilisé. Cette limite de résolution est donnée par le critère de Rayleigh. En microscopie optique classique, la limite est donc celle de la lumière visible, c’est à dire entre 400 et 800 nanomètres. Avec les travaux de Louis De Broglie en 1924 sur la dualité onde-corpuscule, l’idée d’utiliser des électrons, dont la longueur d’onde peut être de très loin plus petite que celle de la lumière visible, donnera naissance au microscope électronique en 1932 avec les travaux de Knoll et Ruska. En effet, la longueur d’onde d’un électron est fonction de son énergie cinétique. Ainsi, en utilisant des tensions d’accélération suffisantes, on peut atteindre des résolutions théoriques de l’ordre du picomètre, soit bien inférieures à la distance entre deux atomes. Les limitations de résolution du système viennent alors des limitations du système optique utilisé, des aberrations des lentilles électromagnétiques par exemple, plutôt que de la nature de l’onde utilisée.
L’utilisation d’électrons fortement accélérés pour former des images présente un autre intérêt : l’interaction électron-matière est à l’origine de plusieurs phénomènes différents qui peuvent aussi être utilisés pour caractériser l’échantillon observé. La capacité ionisante des électrons permet en particulier d’obtenir des informations sur sa chimie. Dans ces interactions électron-matière, on peut distinguer les interactions élastiques (sans pertes d’énergie) des interactions inélastiques (avec pertes d’énergie). Un schéma simplifié présentant certaines de ces différentes interactions électron-matière est présenté en figure 1-10.
Pour pouvoir utiliser des images pour la tomographie, il est nécessaire que l’intensité dans ces images soit la projection d’une propriété physique de l’échantillon. Or la traversée de l’échantillon par les électrons lors d’une observation MET n’est pas qu’une atténuation de l’intensité du faisceau selon la transparence du matériau étudié aux électrons. En effet, le MET permet de fournir un grand nombre de signaux dépendant du type de détection utilisé. Dans la section suivante, nous présentons rapidement le fonctionnement d’un MET, et en particulier les principales techniques qui sont utilisées en tomographie électronique pour la science des matériaux.
Mode de fonctionnement
Il existe deux modes possibles pour le fonctionnement MET pour former des images : un mode dit conventionnel en illumination par un faisceau parallèle et un mode dit en balayage en utilisant un faisceau focalisé.
Mode TEM
Le mode TEM aussi parfois appelée CTEM (pour Conventional Transmission Electron Microscope en anglais) est le mode qui se rapproche le plus du fonctionnement d’un Figure 1-10 : Représentation simplifiée des différentes interactions possibles entre les électrons du faisceau incident et l’échantillon observé. microscope optique, où l’image est formée en éclairant l’échantillon avec un faisceau large parallèle d’électrons et en acquérant une image en transmission de l’objet observé à l’aide d’un écran fluorescent, d’une pellicule photo ou d’une caméra. Le mode CTEM fut le premier utilisé en tomographie électronique [5] et est toujours très utilisé pour l’observation d’échantillons biologiques en particulier. Cependant il présente quelques limitations. En effet, l’intensité dans une telle image n’est pas toujours une fonction monotone en projection de l’épaisseur de l’échantillon. Ce n’est par exemple pas le cas pour des échantillons cristallins qui se caractérisent par un fort contraste de diffraction (l’intensité transmise pour certaines orientations de l’échantillon par rapport au faisceau est alors beaucoup plus importante). De plus, les images CTEM classiques n’offrent qu’une faible sensibilité à la nature chimique de l’échantillon.
Pour obtenir des images avec une information chimique, il est aussi possible de filtrer en énergie le faisceau transmis pour produire une image uniquement avec les électrons inélastiques ayant perdu une quantité donnée d’énergie, ce qui revient alors à produire une image uniquement avec les électrons ayant interagi avec une espèce chimique donnée. Ceci permet alors d’obtenir une image associée à la présence dans l’échantillon d’un élément chimique caractéristique. Cette technique d’imagerie analytique est appelée EFTEM (EnergyFiltered Transmission Electron Microscope en anglais).
Mode STEM
L’autre mode de fonctionnnement d’un TEM est le mode dit à balayage ou STEM (pour Scanning Transmission Electron Microscope). Les images sont acquises pixel par pixel en balayant l’échantillon avec une sonde électronique et en utilisant différents détecteurs placés dans la colonne électronique. On pourra se reporter à la figure 1-11 pour avoir une idée générale de l’emplacement de ces détecteurs et du fonctionnement schématique du mode STEM [28].
Minimisation de la Variation Totale et techniques dérivées
La première parcimonie proposée pour la tomographie est une parcimonie sur les variations totales dans l’image [95], dont la première utilisation avait été prop osée pour le débruitage d’images [102]. TV est impose une contrainte sur le gradient de l’image ou sur ses bords. Utiliser ce terme de parcimonie revient donc à supposer une image constante parmorceaux.
Toolbox PyETomo
Afin d’avoir un outil pratique et le plus complet possible pour tester toutes ces méthodes sur nos données expérimentales, nous avons développé durant ce travail de thèse une boite à outil numérique (où Toolbox en anglais) appelée PyETomo. Cette dernière permet d’effectuer des reconstructions tomographiques en utilisant différents termes de parcimonie.
Attache aux données
Pour le choix de l’attache aux données, comme présenté dans le chapitre précédent, avec le Théorème Coupe-Projection, il y a deux possibilités : utiliser un opérateur de projection ou la transformée de Fourier-Non-Uniforme. Dans notre implémentation, nous avons fait le choix d’utiliser la transformée de Fourier Non-Uniforme, implémentée via la Toolbox PyNUFFT [87]. Il s’agit d’une implémentation Python de l’algorithme de calcul de la NUFFT de Fessler et Sutton [89], qui a aussi été utilisé en tomographie pour la médecine [108]. Il s’agit d’une implémentation 2D et 3D, ce qui permet à la librairie PyETomo de pouvoir être utilisée pour reconstruire une coupe ou le volume complet directement.
Parcimonie
Pour le terme de parcimonie, nous avons implémenté plusieurs méthodes. Tout d’abord, l’usage du gradient et des dérivées d’ordre supérieur telles qu’elles ont été présentées précédemment. Le calcul d’un opérateur permettant le calcul des variations d’un ordre donné a lui aussi été implémenté pour une image et pour un volume complet. Nous avons aussi comme évoqué intégrer la possibilité d’utiliser des décompositions en ondelettes discrètes et stationnaires en 2D et en 3D comme elles ont été présentées précédemment à l’aide de la Toolbox PyWavelets [109], ce qui permet ainsi d’utiliser toute une palette de termes de parcimonie.
Optimisation numérique
Pour l’implémentation des algorithmes d’optimisation, nous avons utilisé la Toolbox ModOpt [110] développée par CEA-IRFU/CEA-NeuroSpin. Celle-ci donne accès à plusieurs algorithmes d’optimisation, et aux outils numériques pour en implémenter d’autres à l’aide de modules dédiés. Comme nous l’avons vu plus haut dans la section dédiée au CS, il existe plusieurs possibilités de poser le problème de la reconstruction : à l’analyse ou à la synthèse, et il existe de nombreux algorithmes d’optimisation permettant de résoudre chacune de ces formulations. On peut citer parmi les plus connus l’algorithme Fast Iterative Shrinkage Thresholding Algorithm (ou FISTA) de Beck et Teboule [111]], ou l’algorithme Primal Dual Hybrid Gradient (PDHG) proposé par Chambolle et Pock [112].
Combinaison et comparaison entre tomographies EELS-EDX-HAADF sur des nanostructures de Silicium dopées en arsenic
Présentation des échantillons étudiés et des conditions d’acquisition
Les échantillons étudiés sont constitués de structures linéaires de Silicium dopées à l’Arsenic. Ces structures ont été fabriquées à partir de plaque de Silicium de 300 mm de diamètre de type SOI (Silicon-On-Insulator) avec une épaisseur de silicium et d’oxyde enterré de 14 nm et 25 nm, respectivement. Une épaisseur de 60 nm de Silicium a été déposée par épitaxie. Puis cette dernière a été structurée par lithographie à faisceau d’électrons et gravure à sec pour obtenir des structures linéaires de Silicium de 45 nm de largeur. Les échantillons préparés ont ensuite été dopés par implantation ionique par immersion dans un plasma en utilisant un gaz d’AsH3 puis encapsulés dans une couche d’oxyde de silicium.
Ces structures sont issues d’un échantillon de test connu, mais elles sont proches de structures pouvant, par exemple, s’inscrire dans le processus de fabrication de nouveaux transistors de type FinFET.
Deux échantillons préparés en pointe sont étudiés dans cette section. Les deux ont été préparés par FIB et montés sur un porte-échantillon Fischione On-Axis pour l’acquisition desséries d’images pour la reconstruction tomographique.
La première pointe a été observée en STEM-HAADF et en STEM-EDX sur un FEI Titan Themis à 200 keV, corrigé en sonde et équipé du système EDX Super-X et d’un filtre en énergie Gatan Quantum.
Les images HAADF ont été acquises avec un pas angulaire de 5° couvrant l’intervalle de -90° à 90° pour un total de 37 images de taille 2048 par 2048 pixels. Le temps d’acquisition d’une image est de 15 secondes et la taille du pixel est de 0,26 nm.
Application à l’étude d’un matériau à changement de phase
Dans cette seconde section, nous présentons des résultats obtenus sur un matériau à changement de phase de type GST.
Un matériau à changement de phase est un matériau possédant deux phases stables à température ambiante : une phase amorphe et une phase cristalline. Ces deux phases ont des propriétés électriques différentes, la phase amorphe étant plus résistive que la phase cristalline. Ceci rend ces matériaux particulièrement intéressants pour des applications industrielles de type mémoires non-volatiles, dites mémoires à changement de phase. Le principe de ces mémoires est d’associer l’état d’un volume donné de ce matériau GST, amorphe ou cristallin (c’est-à-dire résistant ou conducteur), avec les états 0 ou 1 d’une mémoire électronique [118].
Pour être utilisé dans des mémoires, il est nécessaire de combiner à la fois une grande différence de résistivité et une grande vitesse de transition entre les deux états, amorphe et cristallin, ce qui est le cas pour les matériaux de type GST. Il existe néanmoins plusieurs compositions chimiques possibles pour ce type de matériau, et chacune de ces compositions à différentes propriétés en termes de température de cristallisation [119], qui seront compatibles ou non avec une utilisation dans des dispositifs de type mémoire à changement de phase. Il a cependant été montré qu’une composition de GST enrichie en germanium et à laquelle est ajouté un dopage d’azote permet d’obtenir de plus hautes températures de cristallisation, ce qui rend ces compositions particulièrement intéressantes pour des applications mémoires pour des dispositifs embarqués [118].
Une des difficultés avec ce matériau est que ce dernier va, au cours du processus de fabrication des mémoires, être soumis à différentes températures, ce qui peut entrainer une séparation du matériau entre une phase riche en germanium et une phase de type GST plus pauvre en germanium. Cette séparation peut alors être à l’origine de disfonctionnements pour les dispositifs finaux, dû à des modifications locales de la composition chimique et la cristallinité de la couche de matériau à changement de phase. Celle-ci a d’ailleurs fait l’objet d’autres études, en microscopie électronique, mais seulement sur des lames [121]–[123].
Pour aider à la compréhension physique de cette séparation, la tomographie électronique en modes EELS et/ou EDX a été employée pour l’analyse chimique 3D d’un matériau Ge2Sb2Te5 enrichi en germanium, dopé en azote, et recuit à différentes températures. Pour cela nous avons utilisé les méthodes de traitement automatique des spectres et de reconstruction tomographique développées au cours des chapitres précédents.
Préparation des échantillons étudiés
Nous avons étudié des couches minces de GST enrichi en Germanium et dopé en azote d’une épaisseur de 100 nm. Les couches minces sont déposées sur silicium et recouvertes d’un dépôt protecteur de SiN de 10 nm. Plusieurs échantillons ont ensuite été recuits à différentes températures : 380°C, 400°C et 450°C pour pouvoir observer la séparation progressive des deux phases dans la couche de GST.
De ces différents échantillons recuits, 4 pointes ont été préparées par FIB et montées sur un porte échantillon on-axis afin d’être observées en tomographie électronique analytique.
Les observations ont été faites sur un FEI Titan Themis. Les conditions d’acquisition ont été choisies les plus semblables possible pour toutes les acquisitions pour pouvoir traiter les différents jeux de données des différentes pointes de la même façon, et tenter ainsi de se rapprocher d’un recuit in-situ. Ces conditions sont détaillées dans les tableaux 4 à 6. L’objectif sur ces analyses était d’acquérir une image STEM-HAADF tous les 5° et une image spectroscopique tous les 10° pour couvrir la totalité de la plage angulaire disponible avec le porte-objet utilisé, c’est-à-dire entre -90° et 90°. Nous avons donc acquis, pour chacune des quatre pointes, un total de 18 images spectroscopiques et 36 images STEM-HAADF
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Table des matières
Résumé
Abstract
Remerciements
Liste des acronymes
Table des matières
Introduction
Chapitre 1 : Caractérisation 3D chimique à l’échelle nanométrique
1.1. Différents moyens de caractérisation à différentes échelles
1.1.1. Méthodes destructives
1.1.2. Méthodes basées sur les projections
1.2. Microscopie électronique en transmission
1.2.1. Imager avec des électrons.
1.2.2. Mode de fonctionnement
1.2.3. Acquisitions tomographiques
1.3. Tomographie électronique analytique
Chapitre 2 : Microscopie électronique analytique et traitements spectraux automatiques
2.1. Spectroscopies dans un microscope électronique à transmission
2.1.1. Spectroscopie de perte d’énergie des électrons
2.1.2. Spectroscopie dispersive en énergie des rayons X
2.2. Méthodes statistiques et séparation aveugle de sources pour le traitement des images hyperspectrales
2.2.1. Décomposition en valeurs singulières (SVD)
2.2.2. Analyse en composantes principales (PCA)
2.2.3. Analyse en composantes indépendantes (ICA)
2.2.4. Factorisation en matrices non-négatives (NMF)
2.2.5. Vertex Components Analysis (VCA)
2.3. Conclusion
Chapitre 3 : Reconstruction tomographique, cadre mathématique et problème inverse
3.1. Transformée de Radon
3.2. Théorème coupe-projection
3.3. Méthodes de reconstruction analytique
3.3.1. Rétroprojection filtrée
3.3.2. Méthodes dans l’espace de Fourier
3.4. Méthodes de reconstruction algébrique
3.5. Problème inverse mal-posé, régularisation et approche parcimonieuse
Chapitre 4 : Acquisition comprimée et régularisations parcimonieuses pour la reconstruction en tomographie
4.1. Cadre général de l’acquisition comprimée
4.1.1. Parcimonie et cohérence
4.1.2. Reconstruction exacte et régularisation parcimonieuse
4.2. Minimisation de la Variation Totale et techniques dérivées
4.3. Transformée en ondelettes
4.3.1. Transformée en ondelettes continues
4.3.2. Analyse multi-résolution et transformée en ondelettes discrète
4.3.3. Transformée en ondelette stationnaire
4.4. Toolbox PyETomo
4.4.1. Attache aux données
4.4.2. Parcimonie
4.4.3. Optimisation numérique
4.4.4. Utilisation sur des données simulées
4.4.5. Utilisation sur des données de tomographie électronique en mode HAADF
Applications des méthodes proposées pour la tomographie électronique a différents échantillons du domaine de la microélectronique
Chapitre 5 : Combinaison et comparaison entre tomographies EELS-EDX-HAADF sur des nanostructures de Silicium dopées en arsenic
5.1. Présentation des échantillons étudiés et des conditions d’acquisition
5.2. Tomographie électronique en STEM-HAADF
5.3. Tomographie analytique en STEM-EDX
5.3.1. Traitements spectraux
5.3.2. Reconstructions tomographiques et choix du terme de parcimonie
5.4. Tomographie analytique STEM-EELS
5.4.1. Traitements spectraux
5.4.2. Reconstructions tomographiques et choix du terme de parcimonie
5.5. Discussion
Chapitre 6 : Application à l’étude d’un matériau à changement de phase
6.1. Préparation des échantillons étudiés
6.2. Études des pointes observées en tomographie STEM -EELS
6.2.1. Traitement par VCA des différentes pointes
6.2.2. Traitement pseudo-in-situ
6.3. Études des pointes observées en tomographie STEM -EDX
6.3.1. Pointe issue du recuit à 400°C
6.3.2. Pointe issue du recuit à 450°C
6.4. Reconstructions tomographiques
6.4.1. Reconstructions STEM-HAADF
6.4.2. Reconstructions des données analytiques
6.5. Évolution avec la température de recuit
6.6. Discussion
Discussion générale
Conclusion et perspectives
Bibliographie
Table des figures
Table des tableaux
Notes