Facteurs internes aux matériaux cimentaires
Les facteurs propres aux matériaux cimentaires impactent également la colonisation de ceux-ci ȋDüzbastılar et al., 2006 ; Lors et al., 2017). Tout d’abord la rugosité de la surface impacte fortement la colonisation (Ammar et al., 2015 ; Guézennec, 2017 ; Katsikogianni et Missirlis, 2004 ; Manso et al., 2014 ; Teughels et al., 2006). La présence de cavités permet en effet aux bactéries puis aux microalgues d’être protégées des forces de cisaillement ሺFigure 1-25). Le passage de l’adhésion réversible à l’adhésion irréversible s’effectue alors plus facilement et plus rapidement, permettant au biofilm de mieux se développer. (Tran et al., 2012)ont également observé cette même tendance de colonisation dans son étude comparant la colonisation d’un mortier ayant une surface lisse à celle d’un mortier de même composition, ayant une surface rugueuse (Figure 1-26). Les deux types de mortier ont été soumis aux mêmes conditions expérimentales ሺsimulation d’une pluieሻ. Après onze jours d’expérience, le mortier à surface rugueuse laisse apparaître les premières traces d’un biofilm, contrairement au mortier à surface lisse, auquel il faut huit jours de plus. La géométrie des ouvrages en matériaux cimentaires immergés a également un impact sur la colonisation des substrats. En effet, la complexité des structures immergées permet d’améliorer la colonisation en offrant des refuges aux organismes marins et en augmentant les surfaces disponibles pour ceux-ci (Cacabelos et al., 2010 ; Carvalho et al., 2017 ; Jacobi et Langevin, 1996 ; Lavender et al., 2017). Un autre élément à prendre en compte concerne la composition du matériau cimentaire qui peut éventuellement apporter des éléments nutritifs supplémentaires aux microorganismes. Selon (Dubosc, 2000), les matériaux riches en calcite permettraient d’améliorer le développement d’algues, tout comme ceux composés de silice qui apporteraient des nutriments aux diatomées. (Manso et al., 2014), dans leur étude sur la colonisation des façades par les microalgues lors d’épisodes de pluie, ont utilisé un liant phosphomagnésien afin de travailler à un pH de surface moins élevé qu’en utilisant un liant à base de ciment Portland. Une meilleure bioréceptivité des éprouvettes a été observée. En effet, le pH de la surface d’un matériau fabriqué à base de ciment Portland possède un pH extrêmement basique (~ 13), qui empêche le développement de nombreuses espèces (Guézennec, 2017 ; Manso et al., 2014). L’impact de la formulation d’un matériau cimentaire sur la colonisation en milieu marin est une thématique de recherche très peu documentée actuellement mais qui commence à devenir un sujet d’intérêt (Souche et al., 2016).
Bioprotection
La présence d’organismes marins sur un matériau cimentaire est souvent mal perçue en raison du phénomène de biodétérioration détaillé dans la partie précédente. Ce dernier se traduit généralement par des pertes de propriétés mécaniques du matériau et par conséquent un coût de réparation à prendre en compte. Cependant, certaines études montrent que la présence d’un biofilm, puis d’espèces marines à la surface du matériau cimentaire permet d’améliorer la durabilité des ouvrages (Coombes et al., 2017). Dans leur étude, (Lv et al., 2015) montrent que la présence des bactéries Pseudoalteromonas et Paracoccus marcusii à la surface de mortier permet de créer un biofilm dense diminuant la propagation des ions chlorure et magnésium au sein de la matrice cimentaire d’environ 20 %. Les hypothèses avancées pour expliquer ce phénomène de bioprotection du matériau seraient au nombre de trois. Dans un premier temps, le biofilm jouerait un rôle de barrière physique entre le matériau et l’environnement, en raison de la présence de polymères, de gaz ou de particules emprisonnées dans la matrice. Dans un second temps, les ions chlorure et magnésium pourraient, eux-aussi, être piégés par les EPS. Enfin, dans un troisième et dernier temps, les interactions électrostatiques entre le biofilm (chargé négativement) et les ions chlorure pourraient éloigner ces derniers du substrat. Les ions magnésium, chargés positivement, pourraient quant à eux être complexés par les molécules chimiques présentes dans le biofilm. De plus, le biofilm réduit également la lixiviation des ions hydroxydes vers le milieu extérieur.
Effet de la formulation sur la colonisation
Comme cela a été mentionné dans le chapitre 2, les éprouvettes de mortier ont été formulées avec une eau de gâchage ayant une concentration en ions nitrate de 500 mg/L ainsi que du sable siliceux. La colonisation a uniquement été suivie par fluorimétrie sur la face supérieure des éprouvettes. Les éprouvettes ont été suivies par prise régulière de photographie de la surface, cet outil servira pour illustrer certains propos mais ne sera pas utilisé comme outil de caractérisation. La Figure 4-42 présente donc les résultats du suivi fluorimétique de la surface des éprouvettes de mortier avec et sans nitrate, effectué à échéances régulières. Deux phases de colonisation sur les mortiers formulés avec de l’eau de gâchage enrichie en ions nitrate se distinguent. La première, ayant lieu dès l’immersion des éprouvettes jusqu’au ͵ͷème jour d’expérience ሺͳͷ 201 u. a.) correspond au recouvrement du matériau cimentaire par les diatomées. La deuxième, nettement visible, du 35ème jour jusqu’à la fin de l’expérience met en évidence une chute marquée de la biomasse à la surface des éprouvettes. La quantité de biomasse sur les éprouvettes avec nitrates atteint des valeurs presque deux fois plus importante que sur des mortiers normalisés. La présence de nutriments dans la matrice cimentaire étant l’unique différence existante entre les deux formulations, il semble que les ions nitrate améliorent la colonisation des échantillons. Le détachement très important du biofilm pourrait être lié à plusieurs faits lors de la manipulation. Tout d’abord, comme cela a été montré précédemment, une fois avoir atteint un maximum de quantité de biomasse à la surface des éprouvettes, le biofilm se détache naturellement afin de renouveler les cellules présentes. Ce détachement, après 35 jours de présence sur les éprouvettes de mortier, peut avoir logiquement commencé. De plus, lors du suivi à effectuer au 38ème jour d’immersion, il a été observé une coupure d’électricité dans la salle où prenaient part les manipulations. Cette dernière, d’une durée inconnue (au maximum quatre jours), a impacté la santé physiologique des cellules (Figure 4-43). En effet, les cellules s’acclimatent tout d’abord extrêmement rapidement et très bien à leur nouveau support dès la première prise de valeurs au 2ème jour d’immersion. Malgré une petite fluctuation durant la manipulation, les valeurs du ratio Fv/Fm restent toujours supérieures à 0,5. En revanche, au 38ème jour d’immersion, une chute importante de la valeur du ratio est observée, faisant passer ce dernier de 0,524 au 35ème jour à 0,145 au 38ème jour. Les diatomées se trouvent donc dans une situation de très mauvaise adaptation à leur support et au milieu en raison du manque de lumière (Morelle, 2017 ; Napoléon, 2012). Cette absence de lumière pourrait, en étant combinée au mécanisme naturel de renouvellement du biofilm, être responsable de la chute de la quantité de biomasse en fin de manipulation. La présence de nitrates en quantités importantes dans le matériau cimentaire semble donc permettre une colonisation plus rapide et plus importante des échantillons. En effet, la quantité de biomasse devient presque deux fois plus importante à la surface de tels échantillons au maximum de la colonisation. Dans son étude, (Schwermer et al., 2008)ont montré que l’augmentation de la concentration en ions nitrate à proximité d’un biofilm résulte en une croissance plus importante de la biomasse de ce dernier.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
Chapitre 1 : ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE
Introduction
1. Contexte
1.1. Enjeu de la biodiversité
1.2. Conséquences de l’urbanisation sur le milieu marin
2. Rappel des connaissances
2.1. Matériaux cimentaires
2.1.1. Ciment
2.1.1.1. Fabrication du ciment
2.1.1.2. Hydratation du ciment
2.1.2. Sable
2.1.3. Eau
2.2. Biologie marine
2.2.1. Composition de l’eau de mer
2.2.2. Diatomées
2.2.2.1. Généralités
2.2.2.2. Le frustule
2.2.2.3. Sécrétion d’exopolysaccharides
2.2.3. Photosynthèse
2.2.4. Cylindrotheca closterium
2.2.5. Biofilm
2.2.5.1. Création d’un film primaire
2.2.5.2. Transport
2.2.5.3. Adhésion
2.2.5.4. Maturation
2.2.5.5. Détachement
3. Mécanismes d’interactions matériaux cimentaires – eau de mer – microorganismes
3.1. Interactions chimiques
3.1.1. Ions chlorures et sulfates
3.1.2. Dioxyde de carbone
3.1.3. Lixiviation
3.2. Interactions physiques
3.3. Interactions biologiques
3.3.1. Facteurs environnementaux externes
3.3.2. Facteurs internes aux matériaux cimentaires
4. Conséquences de la colonisation sur les ouvrages cimentaires
4.1. Biodétérioration
4.2. Bioprotection
Conclusion
Chapitre 2 : MATERIELS ET METHODES
Introduction
1. Formulation du matériau cimentaire
1.1. Choix des matières premières
1.1.1. Ciment
1.1.2. Sable
1.1.3. Eau
1.2. Formulations
1.3. Confection des éprouvettes
2. Caractérisation chimique du matériau
2.1. pH
2.2. Chromatographie ionique
2.3. Analyses thermogravimétriques
2.3.1. Détermination de la quantité de portlandite
2.3.2. Détermination de la quantité de carbonate de calcium
2.4. Rugosité
3. Culture de la souche de diatomée
3.1. Milieu de culture
3.2. Croissance de la diatomée Cylindrotheca closterium
3.2.1. Suivi de la densité optique
3.2.2. Suivi du pH du milieu de culture
3.2.3. Analyse du biofilm
3.2.4. Synthèse
4. Caractérisation de la colonisation
4.1. Intensité d’encrassement par spectrocolorimétrie
4.2. Mesure de fluorimétrie
4.3. Analyse d’images
5. Caractérisation chimique de l’eau de mer
5.1. pH
5.2. Chromatographie ionique
Conclusion
Chapitre 3 : DISPOSITIF EXPERIMENTAL DE COLONISATION ET RESULTATS
Introduction
1. Dispositif expérimental en laboratoire
1.1. Lumière
1.2. Composition du milieu marin et température
1.3. Aération et mouvement physique de l’eau de mer
1.4. Mise en place du dispositif expérimental
1.4.1. Matériel
1.4.2. Environnements d’étude
2. Suivi de la colonisation des mortiers en laboratoire
2.1. Suivi de la colonisation
2.1.1. Face supérieure
2.1.1.1. Analyse d’image
2.1.1.2. Spectrocolorimétrie
2.1.1.3. Fluorimétrie
2.1.1.4. Comparaison des trois outils
2.1.2. Faces latérales
2.1.2.1. Spectrocolorimétrie
2.1.2.2. Fluorimétrie
2.1.2.3. Comparaison des deux outils
2.1.3. Face inférieure
2.1.3.1. Spectrocolorimétrie
2.1.3.2. Fluorimétrie
2.1.3.3. Comparaison des deux outils
2.2. Synthèse
2.2.1. Outils de caractérisation
2.2.2. Comparaison de la colonisation des faces des éprouvettes
3. Evaluation des paramètres chimiques des mortiers et du milieu marin artificiel
3.1. Rappels des outils utilisés
3.2. Evaluation de la biodétérioration
3.2.1. Ions chlorure
3.2.2. Ions sulfate
3.2.3. Ions sodium
3.2.4. Ion calcium
3.2.4.1. Portlandite
3.2.4.2. Carbonate de calcium
3.2.5. Ions nitrate
3.2.6. Mesure du pH des mortiers
3.3. Suivi de la composition chimique du milieu
3.3.1. Ions nitrate
3.3.2. Ions majeurs en eau de mer
3.3.3. Ions calcium
3.3.4. Mesure du pH
3.3.5. Rendement quantique maximal de la photochimie du photosystème
Conclusions
Chapitre Ͷ : ETUDE DES FACTEURS D’INFLUENCE SUR LA COLONISATION
Introduction
Comparaison des résultats de la colonisation suivie par spectrocolorimétrie et fluorimétrie
Conclusions
PARTIE I : FACTEURS INTERNES AUX MATERIAUX CIMENTAIRES
1. Impact de la formulation de la matrice solide
1.1. Effet de la formulation sur la colonisation
1.2. Suivi de la composition chimique du matériau
1.2.1. Chlorures
1.2.2. Sulfates
1.2.3. Calcium
1.2.3.1. Portlandite
1.2.3.2. Carbonate de calcium
1.2.4. Variation du pH des formulations
1.3. Suivi de la composition chimique du milieu marin artificiel
1.3.1. Nutriments : nitrates
1.3.2. Ions majeurs en eau de mer
1.3.3. Lixiviation : ions calcium
1.3.4. Variation du pH de l’eau de mer artificielle
1.4. Conclusions
2. Impact de la composition de l’eau de gâchage
2.1. Effet de la formulation sur la colonisation
2.2. Suivi de la composition chimique du matériau
2.2.1. Chlorures
2.2.2. Sulfates
2.2.3. Calcium
2.2.3.1. Portlandite
2.2.3.2. Carbonate de calcium
2.2.4. Nitrates
2.2.5. Variation du pH des formulations
2.3. Suivi de la composition chimique du milieu marin artificiel
2.3.1. Nutriments : nitrates
2.3.2. Ions majeurs en eau de mer
2.3.3. Lixiviation : ions calcium
2.3.4. Variation du pH de l’eau de mer artificielle
2.4. Conclusions
Conclusion
PARTIE II : FACTEURS ENVIRONNEMENTAUX EXTERNES
Introduction
1. Résultats de la colonisation en milieu marin semi-naturel, étude saisonnière
1.1. Automne
1.2. Hiver
1.3. Printemps
1.4. Fin d’été
2. Synthèse des résultats et comparaison au milieu marin artificiel
Conclusion
CONCLUSION GENERALE ET PERSPECTIVES
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