Pour assurer la sécurité lors d’un vol, l’activité de pilotage ne se restreint pas à l’achèvement d’une série de tâches individuelles, elle met en oeuvre la collaboration de deux pilotes ayant un objectif commun. Cette collaboration est possible grâce à une multitude de modalités de collaboration comme la voix, les gestes, etc. Dans le cadre du concept de Single-Pilot Operation (SPO), la taille de l’équipage devrait passer de deux à un membre dans le cockpit, ce qui engendrerait en conséquence la très probable nécessité de mettre en place un support au sol [12]. Cette séparation géographique (bord/sol) amène une modification d’une partie des modalités de collaboration. Certaines modalités vont pouvoir être conservées, comme la voix, grâce à l’utilisation d’outils tel que la radiocommunication. D’autres, comme les gestes, vont disparaître et impacter la communication non-verbale chez les deux collaborateurs. La communication, verbale ou non, est nécessaire au pilote pour connaître et comprendre les activités, les intentions et le statut de son binôme. Cette connaissance et compréhension d’un ensemble d’élément des activités du collaborateur sont appelées la conscience mutuelle (ou Mutual Awareness en anglais). Il s’agit d’une « prise de conscience que les individus d’un ensemble coopératif, ont des activités, des croyances et des intentions de l’autre » [15]. Il est donc important lors de la collaboration entre les deux pilotes de savoir ce que son partenaire fait, pourquoi, dans quel but et contexte. Dans ce cadre, une première partie de la thèse sera consacrée à l’étude de la collaboration dans l’activité de pilotage via des observations et des entretiens. Dans une seconde partie, nous pourrons étudier l’influence de la conscience mutuelle lors de la collaboration et identifier certains vecteurs d’informations (explicites ou implicites). Dans une troisième partie, nous pourrons étudier l’impact de la séparation des pilotes sur la collaboration et la conscience mutuelle. Enfin, dans une quatrième partie, nous pourrons élaborer des outils dans le but de soutenir la conscience mutuelle, nécessaire à la collaboration.
Le concept de Single-Pilot Operation
Dans les années 50, le cockpit d’un aéronef était composé de cinq membres. Dans les années 80, l’évolution des technologies et le développement de nouveaux systèmes embarqués permettra de réduire drastiquement la taille de l’équipage, qui passera de cinq à deux (le pilote et le copilote). Depuis une dizaine d’années, une nouvelle phase de réduction du nombre des membres de l’équipage est souhaitée par les compagnies aériennes et fait l’objet d’une vaste littérature scientifique. L’objectif est de réduire l’équipage à un seul pilote. Nous parlons dans ce cas de « Single Pilot Operation » (SPO) ou encore de « Reduced Crew Operation » (RCO) [7, 12]. Même si de nombreux articles emploient le terme de SPO, il est nécessaire de préciser que le pilote à bord ne se retrouve pas seul dans les tâches de pilotage en raison de la perte de « crosscheck » (vérification des actions du collaborateur) que cela provoquerait [4]. Pour ce faire, des solutions au sol avec communication à distance ont été imaginées [8]. Cette nouvelle phase implique également la résolution de cinq grandes problématiques de la SPO [12] : les problèmes opérationnels, les problèmes communicationels et sociaux, le problème des automatismes, les problèmes de certifications et pour finir les problèmes d’incapacitation du pilote. L’aspect communicationnel, et plus particulièrement la communication non-verbale lors de la collaboration à distance, est la problématique centrale dans le cadre de cette thèse.
Le problème de la communication à distance
La mise en place d’un support au sol doit permettre aux membres d’effectuer correctement leurs tâches de pilotage. Certains aspects comme la conscience de la situation (ou « Situation Awareness» en anglais) chez les pilotes au sol doivent être étudiés dans le cas d’une surveillance multiple d’aéronefs [3]. Lors d’une étude de Lachter et ses collaborateurs [7], cinq problématiques de la collaboration à distance dans le concept de Single-Pilot Operation ont été souligné : le problème d’incertitude des rôles, des actions, des manipulations, un problème de prise de décision mais également un problème de rassemblement des informations. Certains de ces problèmes comme l’incertitude des rôles et des actions sont des confusions dues à un manque de communication et de conscience mutuelle. Ce problème de connaissance mutuelle des actions souligné par Lachter [6], montre l’importance d’un besoin de support lors d’une collaboration à distance. Certains outils ont déjà été proposés comme le « Crew Ressource Management indicators » (Figure 1, 2) correspondant ou encore les cartes et checklists partagées. De plus, l’utilisation d’un retour vidéo a été testé pour permettre de visionner les actions de l’un et de l’autre afin d’améliorer cette conscience de l’activité de chacun. Outre le fait de comprendre la problématique de la collaboration à distance dans le cadre de la SPO, un travail doit être effectué sur la compréhension de la conscience mutuelle et sur l’identification de cette communication non-verbale essentielle à la compréhension de l’environnement, et par conséquent à une conscience de la situation optimale .
Identification des informations explicites et implicites
Un objectif va être de comprendre la mise en place de la conscience mutuelle des pilotes et étudier l’impact de sa modification au sein d’un équipage. Selon Schmidt [13], la conscience mutuelle correspond à « la perception et la compréhension des activités d’un membre A, y compris l’intention, le statut et les résultats possibles de cette activité, par le membre B ». Dans un cockpit, les pilotes vont réussir à mettre en cohérence et intégrer leurs actions de façon discrète afin d’aboutir à un objectif commun. Cette conscience de l’activité de l’autre peut être communiquée de manière explicite (communication orale ou numérique) ou implicite (intonation dans la voix, modulation des gestes) lors d’une action . Cette modulation est appelée « action discrète » [14]. D’après l’auteur, quatre questions nous permettraient de mieux comprendre ces « actions discrètes ». La première correspond à l’identification de l’objectif de l’action : « Sur quelles indices se fonde un acteur lorsqu’il tient compte des activités d’autrui ? ». La seconde, à la sémantique de l’action et au tri de l’information : « Avec quelles compétences les acteurs coopérants sont-ils capables de donner un sens à ce que font les autres ? ». La troisième aux indices matériels permettant la compréhension de ces actions, « comment les acteurs exploitent-ils l’environnement matériel et conventionnel dans le suivi des évènements en cours ?». Et enfin, la dernière concerne la pertinence des actions et son intrusion : « Comment l’acteur détermine-t-il ce qui est pertinent pour son propre effort ? Comment un acteur sait-il quand et comment accorder l’intrusion de sa surveillance ou de son affichage ? ». L’utilisation et la résolution de ces quatre questions nous permettent de guider la création d’un outil adéquat pour le soutien de la conscience mutuelle. L’identification des modalités et actions discrètes intervenant dans la collaboration entre les pilotes va nous informer sur la conception des outils support. Deux types de mesures sont possibles pour mesurer la conscience mutuelle. Les mesures subjectives, sous forme de questionnaires , et les mesures objectives. Pour cette dernière, il peut être intéressant d’utiliser des indices psychophysiologiques comme indicateurs de la conscience mutuelle .
Pistes de conception et conclusion
Pour aboutir au soutien de la conscience mutuelle d’un pilote et de son copilote au sol lors de la collaboration à distance, plusieurs pistes de conception sont envisageables. Tout d’abord, nous pouvons reproduire ou représenter les comportements visuels ou gestuels. En effet, l’absence du copilote dans le cockpit lors d’un vol retire la possibilité de vérifier où se porte son attention. Pour palier à cette absence nous pouvons concevoir une reproduction de ce comportement visuel du copilote au sol (heatmap, encadrement lorsque l’écran est regardé, etc) (Figure 3) vers les interfaces du pilote à bord. Il est également possible de reproduire les comportements gestuels via un retour vidéo [8] ou encore via la codification des gestes sur les interfaces [1]. Une autre piste est d’informer sur la représentation des états mentaux de l’équipage via des indicateurs psychophysiologiques. Ces états pourront alors être transmis au sol pour le copilote et à bord pour le pilote 5 . Comme l’a étudié Lachter [8], nous pouvons proposer des outils collaboratifs de construction de la conscience mutuelle comme les cartes et les checklists partagées. Enfin, nous pouvons envisager l’utilisation d’un assistant virtuel pour atténuer l’absence du pilote, par exemple en l’aidant à optimiser ses circuits visuels, une alerte pourrait être émise lorsque ceux-ci deviennent sous optimaux [9]. En effet, il a été montré qu’en l’absence de copilote, le pilote aux commandes va passer plus de temps à surveiller les instruments secondaires, tâche que le copilote doit effectuer en temps normal [5]. Si la séparation du pilote et du copilote est encore un sujet sensible concernant la sécurité des vols, les différentes recherches associées à la SPO et la collaboration à distance permettent de définir les modalités de collaboration ainsi que la répartition des rôles lors d’une activité de pilotage. Les travaux de cette thèse et les différentes pistes exposés ci-dessus ont pour objectifs de proposer des solutions à la modification de la conscience mutuelle lors d’une collaboration à distance d’un pilote et son copilote.
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Table des matières
I)INTRODUCTION
II) GENERALITES
III) METHODOLOGIE
IV) RESULTATS
V) COMMENTAIRES ET DISCUSSION
VI) CONCLUSION
VII) REFERENCES
ANNEXES
RESUME