L’électronique de plus en plus omniprésente dans notre quotidien, avec l’électronisation de l’industrie des transports, de la télécommunication, de l’énergie, …, a mené à l’augmentation de la pollution électromagnétique. Cette dernière est à l’origine de perturbations qui peuvent dans certaines situations être néfastes à l’intégrité des dispositifs sensibles et potentiellement dangereuses pour les êtres vivants. La diminution de la pollution électromagnétique est donc un enjeu majeur. Ainsi, la compatibilité électromagnétique (CEM) des équipements et systèmes électriques doit être assurée. Les composants sensibles doivent être protégés des champs électromagnétiques perturbateurs et les dispositifs électroniques générant ces champs doivent être confinés. Ceci peut être atteint grâce au blindage électromagnétique.
Les matériaux les plus usités comme écran de blindage sont les métaux. Les métaux conducteurs tels que le cuivre (Cu) ou l’aluminium (Al) sont connus pour limiter la propagation des champs électromagnétiques dans la gamme des hautes fréquences. À basses fréquences, les matériaux ayant une forte perméabilité magnétique tels que les aciers ou les alliages à base de nickel et de fer (mumétal) sont capables de canaliser les lignes de champ et ainsi d’atténuer les champs électromagnétiques transmis. L’utilisation d’un composite bimétallique constitué d’un métal conducteur et d’un matériau à forte perméabilité relative semble ainsi des plus pertinente pour l’optimisation du blindage électromagnétique sur une large gamme de fréquences car elle permet l’obtention d’un matériau ayant des propriétés hybrides des deux matériaux.
L’élaboration d’un composite bimétallique peut s’avérer toutefois difficile au vu des différences de propriétés, notamment mécaniques et thermiques, des deux métaux. Néanmoins, différentes techniques de soudage à l’état solide existent et celle qui est la plus répandue est le colaminage. Cette solution ne nécessite qu’un laminoir, outil largement présent dans l’industrie pour l’élaboration et la mise en forme de tôles métalliques. Ces travaux de thèse ont consisté à élaborer un tissu composite bimétallique, le trilame Al/Acier/Al, par colaminage et à étudier ses propriétés en tant qu’écran de blindage électromagnétique. Le choix d’une épaisseur de tissu faible a été retenu afin de faciliter son intégration dans des applications de blindage présentant diverses géométries, ce qui est plus difficile avec un composite d’épaisseur plus importante. Ces travaux ont été réalisés dans le cadre d’une collaboration entre les laboratoires SATIE, ICMMO et GeePs. Ils ont été financés via une bourse IDEX de l’Université Paris-Saclay (ANR-11-IDEX0003-02). L’aluminium et l’acier sont deux métaux très largement utilisés dans l’industrie et sont peu onéreux. De plus, l’aluminium allie légèreté, bonne résistance mécanique et conductivité électrique élevée. L’acier possède de bonnes propriétés mécaniques et une perméabilité relative élevée, mais est sensible à l’oxydation et à la corrosion. La tôle d’acier, étant prise en sandwich entre deux tôles d’aluminium, est cependant protégée de l’oxydation et de la corrosion grâce à la présence d’une couche passive d’alumine en surface de l’aluminium. Les travaux de thèse s’intéresseront notamment au blindage magnétique à basses fréquences (1 Hz – 10 kHz). En effet, les champs magnétiques à basse fréquence peuvent être source de bruits et de perturbations et sont généralement émis par des alimentations électriques, des interrupteurs et des moteurs, par exemple.
Colaminage : principe et influence de divers paramètres
Le laminage est un procédé industriel [1] de fabrication et de mise en forme par déformation plastique d’un matériau, notamment appliqué aux métaux. Cette déformation plastique est obtenue par passage continu du matériau entre des cylindres contrarotatifs, appelés laminoir, qui vont appliquer une compression sur celui-ci tout en diminuant son épaisseur, conduisant ainsi à son allongement. Ce procédé est utilisé aussi bien pour élaborer des produits plats que des produits longs (rails, barres, tubes, etc.). Le laminage peut se faire à chaud comme à froid (température ambiante).
Principe du colaminage
Le colaminage est par définition le laminage de plusieurs tôles superposées en même temps dans le but d’atteindre, sous certaines conditions, leur adhérence. Ce procédé est principalement appliqué aux bilames (2 tôles) et trilames (3 tôles). Le colaminage est un procédé qui comporte plusieurs étapes .
La première étape du colaminage est la préparation des tôles avec notamment leur dimensionnement et des traitements thermiques. La deuxième étape consiste en la préparation des surfaces qui seront en contact au cours du colaminage. Cette préparation comporte en grande partie le nettoyage et le brossage de ces surfaces. Les tôles sont ensuite empilées puis passées entre les cylindres du laminoir. Des traitements thermiques après colaminage peuvent être également effectués.
Le mécanisme à l’origine de l’adhérence au cours du colaminage à froid faisant consensus dans la communauté scientifique est le mécanisme de fragmentation-extrusionsoudage proposé à l’origine par Vaidyanath & Milner [9]. Ce mécanisme consiste d’abord en la fragmentation au cours du colaminage d’une couche superficielle de contaminant (oxyde, eau, etc.) et/ou d’une couche superficielle écrouie obtenue par brossage. Une extrusion de la matière vierge a lieu ensuite entre les fragments et permet finalement le soudage des tôles (Figure I.3). Le colaminage est alors considéré comme un procédé de soudage à l’état solide. L’adhérence au cours du colaminage se fait au final principalement par liaison mécanique.
Le colaminage a été utilisé par la suite par d’autres procédés qui sont le multicolaminage (ARB : Accumulative Roll Bonding) et le multi-colaminage croisé (CARB : Cross Accumulative Roll Bonding). L’ARB consiste à colaminer un composite avec un taux de réduction de 50 %, à couper en deux le produit obtenu, à superposer ensuite les deux tôles et enfin à les colaminer à nouveau suivant la même direction de laminage DL (ou rolling direction RD). Ce cycle peut alors être répété plusieurs fois .
Le CARB ajoute une rotation de l’échantillon de 90° par rapport à la direction normale DN (ou ND en anglais) avant chaque nouveau cycle (Figure I.4 (b)). Ainsi, l’échantillon n’est plus colaminé tout le temps suivant DL mais aussi suivant la direction transverse DT (ou TD en anglais). Ces deux procédés sont considérés comme des procédés d’hyper-déformation. En effet, ils permettent de réduire significativement la taille des grains d’un matériau et d’améliorer ses propriétés mécaniques [11, 12, 13, 14]. De plus, le CARB permet d’obtenir de meilleures propriétés mécaniques que l’ARB [11, 15]. La Figure I.5 montre une augmentation de la résistance à la traction d’un Al AA1050 obtenu en ARB et en CARB à température ambiante en fonction du nombre de cycle. La résistance initiale du matériau recuit est d’environ 78 MPa, elle est quasiment triplée après 8 cycles de CARB [15].
Le colaminage et/ou le multi-colaminage ont été étudiés sur de nombreux matériaux, que ce soit par exemple sur des couples de mêmes matériaux d’Al [12, 15] ou de Cu [7], des bilames Mg/Al [16], Al/Zn [17], Al/Acier [18], Al/Cu [5, 8] et Cu/Ni [13], des trilames Ti/Cu/Ti [19], Acier/Al/Acier [20] et Al/Acier/Al [6, 14] et même sur des matériaux multicouches Cu/Ti [21]. La Figure I.6 regroupe les couples de différents matériaux élaborés avec succès par colaminage et par multi-colaminage [2]. Il s’avère que les métaux cubiques à faces centrées (fcc) sont plus enclins à créer des composites que les autres structures cristallines (hcp, bcc et rho). En conclusion, le colaminage est un procédé permettant le soudage à l’état solide de tôles de même matériau ou de matériaux différents. Le mécanisme d’adhérence reconnu est la fragmentation d’une couche superficielle de contaminant et/ou d’une couche écrouie, l’extrusion de la matière vierge entre les fragments et enfin son soudage mécanique. La qualité de l’adhérence dépend cependant de plusieurs paramètres liés principalement à la préparation des tôles et au procédé de colaminage lui-même.
Paramètres du colaminage
Cette partie a pour but de regrouper les paramètres qui affectent l’adhérence des interfaces d’un composite élaboré par colaminage. Une préparation minutieuse des tôles s’avère tout aussi importante que les conditions de colaminage pour obtenir une bonne adhérence.
Matériaux
La nature du métal à colaminer a un impact sur l’adhérence [2] (Figure I.7 (a)), étant donné que les matériaux n’ont pas les mêmes propriétés mécaniques. De plus, on a vu précédemment sur la Figure I.6 que tous les couples de matériaux ne sont pas réalisables. En plus de sa nature, l’état initial du métal impacte aussi l’adhérence. Notamment, le colaminage d’un métal dans un état recuit facilite l’adhérence [22, 23, 24] (Figure I.7 (b)). En effet, le recuit permet d’augmenter la formabilité du matériau et ainsi, le métal vierge s’écoule plus aisément à travers la couche superficielle (couche d’oxyde) qui se fragmente d’autant plus facilement grâce à une déformation plus élevée. De la même manière, la diminution de la dureté du métal améliore aussi la qualité de l’adhérence [24].
Préparation des surfaces concomitantes
Une bonne préparation des surfaces qui sont en contact au cours du colaminage est un point clé pour favoriser l’adhérence. La préparation des surfaces peut être classée en trois catégories : nettoyage chimique, nettoyage mécanique et formation d’une couche superficielle dure qui se fragmentera au cours du colaminage. Pour obtenir une adhérence satisfaisante en colaminage, il est essentiel d’enlever la couche de contaminants en surface du métal [9]. Cette dernière est composée d’oxydes, d’ions adsorbés, de graisses, d’humidité et de poussières qui vont être néfastes à l’adhérence. Un nettoyage chimique, souvent à l’acétone, suivi par un nettoyage mécanique est la meilleure combinaison .
Le nettoyage mécanique se fait principalement par brossage de la surface. Le brossage permet de plus d’augmenter la rugosité superficielle et de créer la couche écrouie qui se fragmentera au cours du colaminage. Le brossage est cependant intrinsèquement dépendant du type de brosse utilisée. La brosse métallique (wire brush), le ruban abrasif (belt grinding) et le disque à lamelles abrasives (flap disc) sont les outils les plus employés. En augmentant la rugosité de la surface par le brossage, les surfaces en contact augmentent et l’adhérence est alors favorisée [7, 25] (Figure I.9 (a)). L’utilisation du ruban abrasif [26] et du disque à lamelles [27] apportent une meilleure adhérence que la brosse métallique (Figure I.9 (b) et (c)), la rugosité obtenue étant alors plus élevée [26, 27]. De plus, la dureté de la couche écrouie est plus faible avec le disque à lamelles [27], les fissures présentes entre la couche écrouie et sa matrice sont alors moins nombreuses. La couche écrouie est d’ailleurs plus épaisse avec la brosse métallique qu’avec le ruban abrasif [26]. Il faut donc atteindre une compression plus élevée pour fragmenter la couche écrouie obtenue avec la brosse métallique. La couche dure superficielle peut aussi être obtenue autrement que par brossage. Par exemple, la nitruration d’un acier permet de créer une couche de Fe3N dure et fragile qui se fragmente au cours du colaminage [18].
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Table des matières
Introduction
Chapitre I : État de l’art
I. Colaminage : principe et influence de divers paramètres
I.1 Principe
I.2 Paramètres du colaminage
I.2.1 Matériaux
I.2.2 Préparation des surfaces concomitantes
I.2.3 Paramètres intrinsèques du colaminage
I.2.4 Recuit après colaminage
I.3 Instabilités plastiques
I.4 Synthèse
II. Compatibilité électromagnétique (CEM)
II.1 Matériaux et composites
II.2 Mécanisme du blindage électromagnétique
II.2.1 Décomposition de Schelkunoff
II.2.2 Application aux multicouches
II.2.3 Blindage en champ proche
II.2.4 Validation du modèle analytique
II.3 Homogénéisation
II.4 Conclusion
Chapitre II : Étude du colaminage d’un trilame Al/Acier/Al
I. Matériaux étudiés
I.1 Al8011
I.2 Acier DC01
II. Étude de la préparation des tôles d’aluminium et d’acier
II.1 Préparation des tôles
II.1.1 Découpe
II.1.2 Recuit
II.1.3 Brossage
II.2 Influence du recuit et du brossage sur les propriétés mécaniques
II.2.1 Essais de traction
II.2.2 Courbes de traction obtenues
II.2.3 Essais de microdureté
II.3 Influence du recuit et du brossage sur la microstructure
III. Étude des instabilités plastiques au cours du colaminage
III.1 Colaminage du trilame Al/Acier/Al
III.1.1 Colaminage expérimental
III.1.2 Modèle numérique du colaminage
III.1.2.a Géométrie
III.1.2.b Matériaux
III.1.2.c Maillage
III.1.2.d Définition des contacts
III.1.2.e Méthode de résolution
III.1.2.f Quelques résultats
III.2 Étude des instabilités plastiques
III.2.1 Influence du taux de réduction
III.2.1.a Coupe longitudinale (DL-DN)
III.2.1.b Macrostructure de l’acier après dissolution de l’Al (DL-DT)
III.2.1.c Origine des instabilités plastiques
III.2.2 Influence de l’épaisseur initiale d’acier
III.2.2.a Coupe longitudinale (DL-DN)
III.2.2.b Macrostructure de l’acier après dissolution de l’Al (DL-DT)
III.2.2.c Contraintes normales dans le trilame
IV. Étude de l’adhérence des interfaces Al/Acier
IV.1 Test d’adhérence en traction
IV.2 Faciès de rupture
V. Conclusion du chapitre
Chapitre III : Étude de l’efficacité de blindage magnétique à basse fréquence du trilame Al/Acier/Al
I. Modélisation numérique du blindage magnétique
I.1 Démarche générale de modélisation
I.1.1 Physique du modèle
I.1.2 Géométrie
I.1.3 Matériaux
I.1.4 Maillage
I.1.5 Validation du calcul du champ magnétique dans l’air
I.2 Optimisation de l’efficacité de blindage du trilame
I.2.1 Modèle analytique
I.2.2 Optimisation des épaisseurs du trilame
I.2.3 Application au trilame optimisé
I.3 Homogénéisation et prise en compte de la fragmentation de l’acier
I.3.1 Méthode d’homogénéisation
I.3.2 Influence des paramètres géométriques du modèle numérique
I.3.3 Influence du ratio d’épaisseur Re
I.4 Intérêt du trilame pour le blindage magnétique
II. Influence de l’épaisseur initiale d’acier sur le blindage magnétique
II.1 Mesures de l’efficacité de blindage
II.1.1 Montage électronique pour le blindage magnétique
II.1.2 Calcul de l’efficacité de blindage
II.1.3 Résultats expérimentaux
II.2 Résultats numériques
II.3 Comparaison entre mesures et résultats numériques
III. Influence de la fragmentation de l’acier sur le blindage magnétique
III.1 Mesures
III.2 Résultats du modèle numérique
III.3 Comparaison entre mesures et résultats numériques
IV. Conclusion du chapitre
Conclusion