On parle de cohérence à propos d’un système ondulatoire lorsqu’il existe une relation de phase bien définie sur l’onde prise à deux instants différents, dans le cas de la cohérence temporelle, ou dans deux sous-régions du système, dans le cas de la cohérence spatiale. Lorsque la phase relative de l’onde entre les deux points a une valeur bien définie, identique sur plusieurs oscillations, on dit que ces deux parties sont cohérentes entre elles. À l’inverse, elles sont incohérentes si de fortes fluctuations brouillent leur phase relative. Comme tout objet ondulatoire, un système quantique peut ou non être cohérent, dans le temps ou dans l’espace. On sait aujourd’hui manipuler des systèmes quantiques individuels ou mésoscopiques ayant une cohérence temporelle longue : photons dans une cavité [1], ions piégés [2] ou atomes neutres indépendants. Ils sont utilisés en information quantique pour faciliter le transport des bits quantiques et augmenter la fidélité des portes logiques, dans les horloges atomiques pour maximiser le temps d’interrogation et réduire l’incertitude sur la mesure [3], ou dans les mémoires quantiques [4] pour augmenter le temps de stockage de l’information. Depuis la découverte des supraconducteurs [5], de la superfluidité [6, 7, 8] et du laser [9], on sait aussi préparer des systèmes cohérents macroscopiques, dans lesquels la cohérence est partagée par un grand nombre de particules, réunies dans une même fonction d’onde. Plus récemment, grâce à l’essor des techniques de refroidissement et de piégeage laser, la cohérence macroscopique a pu être observée dans les gaz d’atomes neutres bosoniques [10], où l’ensemble des particules cohérentes est appelé un condensat. Elle a ensuite été exploitée pour former, avec des atomes en interaction, des états de spin comprimés [11, 12, 13, 14, 15] qui permettent de réduire l’incertitude d’une mesure de phase au dessous des fluctuations poissonniennes classiques d’une assemblée de N atomes indépendants. D’ores et déjà, l’intérêt de ces états pour améliorer les mesures de temps [16, 14] ou de champ magnétique [17, 18] a reçu une démonstration de principe. L’utilisation de condensats de Bose-Einstein cohérents pourrait aussi permettre d’améliorer les mesures de champ gravitationnel [19]. Dernièrement, l’existence d’une cohérence macroscopique dans un gaz d’atomes fermioniques appariés dans des états internes ↑ et ↓ différents a été démontrée expérimentalement [20, 21, 22]. Cette percée scientifique ouvre la voie à une nouvelle thématique de recherche, potentiellement aussi féconde que les travaux sur la cohérence macroscopique en optique et dans les condensats de bosons. Cette thèse s’inscrit dans cette nouvelle thématique et espère parvenir à une étude, la première pour un condensat de paires de fermions, à la fois fondamentale, essentiellement analytique et la plus complète possible de la cohérence du gaz et de ses limites intrinsèques, conséquences de la dynamique interne du gaz.
Spécificités des systèmes d’atomes froids : Expérimentalement, l’avantage des systèmes d’atomes froids est d’offrir une grande liberté dans le choix des paramètres microscopiques du gaz. Les résonances de Feshbach [23, 24, 25], qui utilisent un champ magnétique externe pour amplifier les processus de diffusion à deux corps entre certains états internes des atomes, permettent ainsi de régler la force des interactions entre les particules, aussi bien bosoniques [26] que fermioniques [27]. Dans les gaz de bosons, la liberté offerte par ces résonances est malheureusement limitée par l’apparition de fortes collisions inélastiques à trois corps [28]. Ce n’est pas le cas des gaz de fermions, où les résonances de Feshbach ont permis de parcourir la transition continue [29, 30, 31, 32] d’un superfluide de paires faiblement liées, proche d’une mer de Fermi, dans le régime dit de Bardeen-Cooper-Schrieffer (BCS), à un condensat de dimères quasi bosoniques dans le régime de Condensation de Bose-Einstein (CBE). Cette possibilité unique distingue les gaz d’atomes fermioniques neutres des autres systèmes fermioniques dégénérés, tel l’Hélium III superfluide ou les supraconducteurs. Autre exemple de l’adaptabilité offerte par les atomes froids, la géométrie du potentiel de piégeage externe peut être contrôlée précisément, notamment depuis l’utilisation de dispositifs de micro-optique qui offrent une précision à l’échelle micrométrique. On peut ainsi créer des potentiels optiques à fond plat [33], en double puits avec une barrière de hauteur ajustable [34] ou en réseau de profondeur ajustable. Cette dernière possibilité a permis d’observer la transition entre une phase de Mott, où les particules sont localisées sur les sites du réseau et incohérentes entre elles, et une phase superfluide, où les particules, délocalisées, partagent une cohérence macroscopique.
Interactions dans un gaz de fermions froids
Fermions dans l’espace libre et modèle sur réseau
Fixons d’abord la géométrie du problème. Pour qu’il soit possible d’obtenir des résultats entièrement analytiques, nous considérons que les atomes évoluent dans un espace homogène (qui peut être approché expérimentalement par un potentiel à fond plat) de longueur L dans les trois dimensions. Pour éviter toute irrégularité mathématique nous discrétisons cet espace en un réseau cubique de pas l, ce qui, dans l’espace de Fourier, revient à restreindre les vecteurs d’onde à la première zone de Brillouin [−π/l, π/l[ 3 . La valeur du pas du réseau l est arbitraire mais doit être suffisamment faible pour que la longueur typique de variation des grandeurs physiques reste grande devant le pas du réseau : ktypl ≪ 1 (IV.1)
où ktyp est le vecteur d’onde typique des particules du gaz. Nous l’évaluerons dans les différents régimes d’interaction dans le paragraphe IV.1.3.c. de la présente section. En pratique, nous prendrons, à la fin des calculs, la limite d’un espace continu en faisant tendre l vers 0.
Potentiel d’interaction
Venons-en maintenant au potentiel d’interaction. L’interaction entre fermions est une interaction à deux corps avec un potentiel V (r1, r2) dépendant a priori des positions r1 et r2 des deux fermions. Nous connaissons en général mal les détails microscopiques de ce potentiel mais heureusement, le régime habituel des atomes froids est un régime dilué, de collisions à basse énergie, où seul un nombre limité de paramètres suffit à décrire l’interaction. Nous consacrons ici un paragraphe à rappeler pourquoi, dans ce régime, on peut remplacer le vrai potentiel par une interaction effective de contact.
Diffusion dans un gaz d’atomes froids
Gaz dilué et froid L’hypothèse que le gaz est dilué, c’est-à-dire que sa densité n est faible par rapport à la portée r0 du potentiel, nr³₀ ≪ 1, (IV.2)
va nous permettre de ramener le problème de N fermions en interaction au problème, beaucoup plus simple, de la diffusion de deux particules asymptotiquement libres. En effet, cette approximation permet de négliger la probabilité de trouver trois particules ou plus dans une sphère de rayon d’ordre r0. Il nous suffit donc d’étudier les collisions qui n’impliquent que deux particules. L’hypothèse que le gaz est froid permet de se limiter aux événements à basse énergie, où le vecteur d’onde relatif des particules incidentes est faible devant l’inverse de la portée du potentiel. Pour de tels processus, c’est la diffusion dans l’onde s qui domine . Or, à cause du principe d’exclusion de Pauli, c’est seulement entre fermions de spins opposés que cette diffusion, dans laquelle les particules sont dans une fonction d’onde spatiale symétrique et ont donc une probabilité non nulle de se trouver au même endroit, est permise. Rappelons donc les grandes lignes du problème de diffusion de deux particules discernables.
|
Table des matières
Introduction
Première partie : Brouillage de phase
I Brouillage de phase à température nulle
II Brouillage thermique
II.1 Mode et phase d’un condensat de paires de fermions
II.2 Décroissance de la fonction de cohérence temporelle
II.2.1 Brouillage dans l’ensemble microcanonique – Diffusion de phase
II.2.2 Brouillage en présence de fluctuations de l’énergie et du nombre de particules – Superdiffusion de phase
Deuxième partie : Dynamique de phase
III Description mésoscopique du gaz de paires et dynamique de phase par
l’hydrodynamique quantique
III.1 Champs de densité et de phase dans le modèle sur réseau
III.2 Quadratisation du hamiltonien hydrodynamique
III.3 Dynamique de phase
III.4 Validité de l’approximation de faibles fluctuations dans le modèle sur réseau
IV Description microscopique du gaz de paires de fermions
IV.1 Interactions dans un gaz de fermions froids
IV.1.1 Fermions dans l’espace libre et modèle sur réseau
IV.1.2 Potentiel d’interaction
IV.1.3 Diffusion dans un gaz d’atomes froids
IV.1.4 Hamiltonien d’interaction dans l’onde s
IV.2 Approximation BCS de l’état fondamental
IV.2.1 État cohérent de paires
IV.2.2 État BCS fondamental
IV.3 Excitations fermioniques
V Dynamique de phase par la RPA – Contribution de la branche fermionique
V.1 Équations du mouvement de la RPA
V.2 Dynamique dans le sous-espace d’impulsion nulle
V.2.1 Équations de la RPA à impulsion nulle
V.2.2 Modes collectifs d’énergie nulle
V.2.3 Quelques mots sur les modes excités
V.3 Dynamique de l’opérateur phase
V.3.1 Opérateur phase adiabatique
V.3.2 Dynamique linéarisée dans le sous-espace d’énergie nulle
V.3.3 Comparaison des opérateurs phase
V.3.4 Tentatives d’inclusion de la branche bosonique
VI Dynamique de phase par la théorie variationnelle
VI.1 Présentation de la théorie variationelle d’un gaz de fermions appariés
VI.1.1 Ansatz de paires en mouvement
VI.1.2 Moyennes quantiques microscopiques
VI.1.3 Dynamique des variables conjuguées – équations hamiltoniennes
VI.2 État fondamental à nombre de particules fixé
VI.3 Équations du mouvement à symétrie conservée
VI.3.1 Développement autour du cercle des minimiseurs
VI.3.2 Équation de la dynamique de phase incomplète
VI.3.3 Moyenne temporelle à gros grains du champ Λ
VII Application de la théorie variationnelle : branche bosonique d’excitation collective
VII.1 Théorie variationnelle à symétrie brisée
VII.1.1 État cohérent de quasi-particules
VII.1.2 Cinématique de l’état cohérent de quasi-particules
VII.1.3 Dynamique dans l’approximation des petites amplitudes
VII.1.4 Dynamique linéarisée
VII.2 Modes excités quasi individuels à impulsion q
VII.2.1 Équation aux valeurs propres
VII.2.2 Modes quasi individuels
VII.3 Spectre des excitations bosoniques
VII.3.1 Équation implicite aux valeurs propres
VII.3.2 Énergie phononique
VII.3.3 Spectre à la limite continue
VII.4 Opérateurs de création d’excitations bosoniques
VII.4.1 Modes propres
VII.4.2 Opérateurs de phonons dans la limite des grandes longueurs d’onde
VII.4.3 Quantification des opérateurs de phonons
VII.4.4 États de Fock d’excitations bosoniques
VIII Diffusion de phase
VIII.1 Équations cinétiques pour les états de Fock de quasi-particules
VIII.2 Fonctions de corrélation microcanoniques
VIII.3 Équations cinétiques à basse température pour une branche bosonique convexe
VIII.3.1 Amplitudes de couplage Beliaev-Landau des excitations bosoniques
VIII.3.2 Application aux équations cinétiques
VIII.4 Application au coefficient de diffusion de la phase à basse température
Troisième partie : Expériences et applications
IX Temps de brouillage attendus dans une expérience d’atomes froids
IX.1 Brouillage de partition à température nulle
IX.2 Brouillage thermique à l’unitarité dans l’ensemble canonique
IX.3 Brouillage thermique à l’unitarité dans l’ensemble microcanonique
Conclusion
Télécharger le rapport complet